(1972) Les Dirigeants et les finalités de la société occidentale (1972) « Post-scriptum »

Post-scriptum

Depuis que cette conférence a été prononcée, à Lausanne en octobre 1971, et à Bruxelles en mars 1972, la lettre adressée par M. Sicco Mansholt au président de la Commission des Communautés économiques européennes a rendu célèbres les thèses de Forrester, dont je faisais grand état, comme on vient de le voir.

L’impact de la lettre a provoqué des réactions curieusement inintelligentes, mais des plus significatives, tant du côté des communistes orthodoxes que des gauchistes, cependant que des groupes capitalistes annonçaient qu’ils allaient « se défendre », faute d’imaginer même qu’il y eût lieu de répondre sur le fond, après examen de la thèse.

Les réactions, pour virulentes et parfois même sincères qu’elles soient, nous apprennent que le « modèle Forrester » n’est conforme aux schémas ni de la gauche, ni de la droite : on s’en doutait. Savoir s’il est conforme aux réalités du siècle n’intéresse pas ces partisans : on devine pourquoi.

La presse dans son ensemble estime qu’il faut s’en tenir à « un juste milieu » entre les dangers objectifs signalés par Forrester et ce qu’en pensent (ou refusent d’en penser) la droite, la gauche et l’Est enfin réunis dans une alliance littéralement contre-Nature. Que peut bien signifier le « juste milieu » entre les catastrophes prévues et le désir éperdu de survivre ? Ou la neutralité entre le virus et ses victimes ? Une fois de plus on accuse le diagnostic de créer le mal qu’il décrit.

Aux yeux d’une certaine droite, les travaux du MIT font partie du complot communiste contre la libre entreprise occidentale : il s’agirait, dit-on, d’étatiser toute l’industrie et de supprimer le motif du profit. Certaine gauche dénonce au contraire la manœuvre capitaliste et réactionnaire du club de Rome contre le monde ouvrier, son niveau de vie et ses salaires.

Au-delà de ce stérile débat entre réflexes conditionnés par de vieilles idéologies, il apparaît de plus en plus clairement que le salut de l’Europe est dans la recherche d’une politique d’équilibre dynamique entre l’Homme, la cité et la Nature, enfin substituée au dogme unique de la croissance matérielle à tout prix, qui est le contraire d’une politique.


D. de R.

P.P.S. : Sur l’incident de la tasse de thé tel que l’a rapporté Robert Aron, cité dans son introduction par Henri Rieben, je me réserve de donner ma propre version dans un ouvrage intitulé Journal d’un Européen, 1946-1966, suite à mon Journal d’une époque, 1926-1946 .