(1985) Articles divers (1982-1985) « Autour de l’Avenir est notre affaire : conclusions (1984) » pp. 164-182

Autour de l’Avenir est notre affaire : conclusions (1984)w

La première conclusion que je tire de ce colloque de trois jours, c’est notre reconnaissance unanime pour la Fondation Veillon et je voudrais l’exprimer à celui des fils de Charles Veillon qui la représente parmi nous ce matin.

Ce colloque n’a ressemblé à rien de ce que j’ai connu jusqu’ici. Vous savez comment il est né : de l’envoi à des centaines de personnes d’une circulaire exposant certaines des thèses de mon livre. Parmi les trois-cents réponses reçues, cent-cinquante ont paru intéressantes aux organisateurs. Une trentaine de leurs auteurs ont prouvé leur intérêt en envoyant des textes : ce sont ceux que nous avons discutés ici. Il y a donc eu d’une part quelque chose d’aléatoire, de fortuit dans ce rassemblement, mais d’autre part, une motivation commune qui est peut-être plus importante que celle que l’on trouve dans beaucoup de colloques réunissant professeurs et experts avec leurs convictions que chacun connaît toujours plus ou moins d’avance. Ici, nous sommes dans un état d’esprit complètement différent. Nous ne nous connaissions pas auparavant, à peu d’exceptions près, nous représentons toutes sortes de milieux, de forme de vie, nous ne sommes pas ce que l’on appelle en allemand des Kongress Tiere, des « bêtes de congrès », avec leur vocabulaire conventionnel qui ne mord plus sur la réalité. Je voudrais donc, en votre nom à tous, féliciter vivement la Fondation Veillon d’avoir pris cette initiative qui est une création en son genre, et dont peut-être pourront sortir quelques idées neuves. Je pense aussi que vous serez tous d’accord pour remercier la Fondation Charles Veillon non seulement de son initiative, mais de la manière dont elle l’a réalisée, dans une atmosphère à la fois détendue et attentive, dans un lieu admirable, symbolique pour l’Europe : au bout de l’allée, quand vous allez en direction du lac, vous arrivez sur une petite crête qui marque la ligne de partage des eaux de l’Europe de l’Ouest, celle qui sépare le bassin rhénan du bassin rhodanien. Lieu à tous égards privilégié, et je comprends que l’on ait eu l’idée d’y construire cette espèce de couvent avec son cloître et sa chapelle, que nous sommes si heureux d’avoir découvert. Cher Monsieur Veillon, puis-je vous prier de transmettre à vos frères ce vœu que ratifie ma profonde gratitude. Je voudrais maintenant vous dire en quelques mots la préhistoire de mon livre, puisque c’est lui qui est l’occasion de notre colloque.

J’avais passé la première année de la guerre mobilisé dans l’armée suisse, mais dès octobre 1940, je fus envoyé en Amérique où j’étais sans doute moins gênant pour notre neutralité, chargé d’une mission de conférences sur la Suisse et d’un projet d’exécution de l’oratorio Nicolas de Flue à New York. J’ai publié là-bas un petit livre sur la Suisse, The Heart of Europe , j’ai travaillé à l’Office of War Information, section « La voix de l’Amérique parle aux Français », puis j’ai écrit encore deux ou trois livres, dont l’un sur le diable , et l’autre sur la bombe atomique . Je suis rentré une première fois en Europe, au printemps de 1946, invité par les Rencontres internationales de Genève, qui avaient pris comme sujet « L’Esprit européen ». C’était au lendemain de la guerre. Il y avait là outre l’Allemand Karl Jaspers, des Français comme Georges Bernanos et Julien Benda, des Italiens, des Anglais, un grand philosophe marxiste hongrois, Georges Lukacs… — rendez-vous vraiment historique, si tôt après la guerre. Tout le monde s’est accordé sur l’idée que le sujet le plus important de l’heure, c’était comment faire revivre l’esprit européen et le traduire en union politique de nos peuples. Je suis retourné pour quelques mois aux États-Unis, puis rentré définitivement en août 1947, et j’étais à peine installé près de Genève, quand j’ai reçu la visite de deux amis, dont Alexandre Marc, que j’avais bien connu dans le mouvement personnaliste : ils m’ont jeté bon gré mal gré dans l’action fédéraliste européenne, en m’offrant de tenir le discours inaugural du premier congrès des fédéralistes européens, qui allait se dérouler à Montreux. Je me suis trouvé vraiment catapulté dans cette action. Comme j’étais un peu responsable de la création du concept d’engagement de l’écrivain, dès 1932-1933 (quand Sartre était encore dans les langes, politiquement parlant), je me suis senti « obligé », en quelque sorte. J’ai dit à mes amis : « Je suis prêt à donner deux ans de ma vie à la cause européenne, et tant pis pour mon œuvre littéraire… » Et me voilà : j’y suis encore après trente-trois ans. Je dois avouer, cependant, que je me suis arrangé pour écrire un peu, en marge de cette seule activité. De 1947 à 1979, sur une vingtaine d’ouvrages publiés, plus de la moitié parlent d’autre chose : de l’amour, de la religion, de la civilisation industrielle en crise, de l’Amérique, de la Suisse, ou seulement de ma famille neuchâteloise… Mais cela n’a pas été facile, car à la suite d’une série de grandes manifestations, telles que le Congrès de l’Europe à La Haye en 1948 et la Conférence européenne de la culture à Lausanne en 1949, il a fallu mettre sur pied un certain nombre d’institutions, dont le Centre européen de la culture. J’ai été son directeur-fondateur à partir de 1949. Tout a dû être créé à partir de zéro, et avec très peu d’argent, car les gouvernements s’intéressent à la culture dans les discours, en fin de banquet, mais rarement quand on en vient à voter le budget. Or, je vous le disais hier : seul le budget ne ment pas. Quand les discours exaltent la culture et que le budget la néglige, c’est le budget qui dit la vérité !

Le Centre européen de la culture a donné naissance au Centre européen de recherches nucléaires, qui s’appelle aujourd’hui le CERN et qui dépend de 12 gouvernements européens ; puis à la Fondation européenne de la culture, qui est aujourd’hui à Amsterdam ; puis à une dizaine d’associations européennes. Celle, par exemple, qui réunit actuellement 40 festivals de musique, ou celle qui rassemble 32 instituts d’études européennes dans les universités d’Europe. Une association de journalistes, une association d’historiens, une Communauté des guildes et clubs du livre, finalement une Campagne d’éducation civique européenne, qui a été reprise récemment par Bruxelles. Nous avons donc fait du militantisme sous forme créatrice. Mais bientôt les mouvements fédéralistes se sont mis à décliner. Ils n’avaient au fond plus grand-chose à se mettre sous la dent. Ils continuaient de répéter : « Unissons-nous, unissons-nous ! » Mais ce n’était pas le moyen de nourrir une action précise, étant donné qu’aux yeux de nos gouvernements, les choses sérieuses, c’était le Marché commun des Six opérant dans un domaine qui semblait assez loin du quotidien, du monde des valeurs morales, politiques, culturelles et spirituelles, et qui ne concernait que le seul secteur économique, dans six pays seulement, sur les 23 de l’Europe de l’Ouest.

Soit dit en passant : j’estime abusif que l’on parle aujourd’hui du Parlement européen pour désigner l’assemblée qui a été élue ce printemps et qui vient de se réunir à Strasbourg. Elle n’est ni un parlement, ni européenne au sens plein du terme : c’est une assemblée qui contrôle 13 % seulement du budget de la Commission économique de 10 États sur 23. Évidemment, on ne peut pas le dire comme cela chaque fois qu’on en parle, il est plus simple de dire : le Parlement européen. Mais c’est une usurpation de terme, et qui peut être dangereuse, parce qu’elle laisse entendre que cette assemblée, à partir de ses prérogatives très réduites devrait s’attribuer des compétences générales, non seulement économiques, mais politiques et culturelles, par exemple. Or, je ne vois pas en quoi et pourquoi des gens qui sont d’excellents experts économiques seraient chargés du développement culturel de l’Europe. Cela n’est pas leur affaire. Le Conseil de l’Europe, à Strasbourg, serait de beaucoup un meilleur candidat à la fonction de noyau de l’Europe future, puisqu’il compte 22 pays de l’Europe de l’Ouest. (Seule la Finlande, pour des raisons que chacun sait, n’a pu y entrer.) S’il y avait un vrai Parlement européen à élire au suffrage universel, ce serait évidemment à celui du Conseil de l’Europe qu’on devrait donner des pouvoirs législatifs. Tout ceci n’est pas seulement une espèce de parenthèse que je referme maintenant, mais entre dans mon projet de vous expliquer comment j’ai été appelé à écrire L’Avenir est notre affaire .

Au cours de la dernière décennie, il s’est passé deux choses : d’une part, la décadence accélérée du mouvement fédéraliste, d’autre part, l’apparition des mouvements écologiques, de la préoccupation écologique qui m’a tout de suite paru capable de donner un sang nouveau au mouvement fédéraliste. Si bien que l’un des premiers colloques organisés par notre Campagne d’éducation civique européenne a pris pour thème l’enseignement de l’écologie à l’école. J’ai senti qu’il y avait là un deuxième souffle pour les fédéralistes européens.

Durant cette même décennie s’est développée l’idée de région, sur laquelle nous avions tenu de nombreux colloques à Genève dès 1962. De cette convergence est née dans mon esprit l’idée d’un slogan, offert par la suite aux groupements d’écologistes français, et qui est en somme un résumé de mon livre, c’est : « Écologie – régions – Europe fédérée : même avenir ! » J’insiste sur même avenir, et non pas même combat comme on dit aujourd’hui, car un combat, cela peut se perdre, tandis qu’il est évident que ni l’écologie, ni les régions, ni la fédération européenne n’ont d’avenir séparable de celui des deux autres : ces trois avenirs sont organiquement, génétiquement liés.

Je ne saurais vous donner une juste idée des circonstances dans lesquelles mon livre a pris naissance, sans rappeler une soirée mémorable chez un ami, Erico Nicola — le premier homme qui nous parlait d’écologie, aux comités du Centre, et nous savions à peine ce que signifiait le terme ! Un soir donc en 1970, chez lui, près de Morges, devant une douzaine d’amis réunis pour l’occasion, le directeur de l’Institut Battelle, Hugo Thiemann, nous fit lecture d’une vingtaine de pages d’un rapport adressé à la commission d’urbanisme du Congrès américain par l’ingénieur Jay Forrester. Ce rapport esquissait un « modèle mondial » qui permettait de suivre ou de prévoir les interactions en système de 5 paramètres : population, ressources naturelles, investissements, pollution et qualité de la vie, et de prévoir les effets globaux des variations de l’un ou de l’autre de ces paramètres au cours de la fin du xxe et du début du xxie siècle. De ce premier travail de Forrester devait sortir un an plus tard, en 1971, le fameux Rapport au club de Rome sur les Limites de la croissance, qui allait révolutionner à la fois la pensée économique et l’opinion publique dans le monde entier. À partir de ce soir-là, tout s’est organisé dans ma tête vers cette synthèse d’économie, d’éthique et de politique européenne, à résultante culturelle, devenue après quelques années de polémiques autour du nucléaire : « Écologie – régions – Europe », — et qui m’a fait écrire mon livre.

Je l’ai commencé en 1973 ; j’en avais écrit les cent premières pages, décrivant les catastrophes qui nous menaçaient d’un jour à l’autre, notamment la crise du pétrole. Pour faire sentir le danger que représentaient les 16 milliards de dollars — à l’époque c’était trois fois plus qu’aujourd’hui — détenus par les Arabes et qu’ils pouvaient jeter sur le marché occidental — de telle manière que toute notre économie en eût été complètement bouleversée —, je prenais l’image d’une grosse boule de pierre déposée sur le pont d’un bateau pendant une tempête : roulant d’un bastingage à l’autre, elle détruit absolument tout. C’était ce qui risquait de se passer. Je l’ai même dit pendant le tournage d’un film de la télévision française, chez moi, à Ferney, le 22 août 1973. Le film n’a pu passer que six mois plus tard, amputé de moitié, parce que quelques semaines après le tournage est arrivée la guerre du Kippour et la confirmation concrète de ce que j’annonçais.

J’ai dû réécrire toute cette partie de mon livre, que je n’ai pu achever qu’en cinq ans. Je ne m’en plains pas trop, parce que cela m’a obligé à m’éloigner un peu de l’actualité et des chiffres qui font l’actualité. J’ai pu faire mon aggiornamento tout au long de l’écriture de ce livre. À cause de ce délai imposé par les événements, il s’est trouvé que mon livre, pour une fois, n’arrivait pas trop tôt ! Pendant ce temps, d’autres événements, comme les manifestations à Creys-Malville, ont alerté l’opinion, et mon livre en a bénéficié, parce qu’il a paru deux mois après. L’éditeur m’a dit : « S’il avait paru en juin, peut-être que cela n’aurait pas marché ! » Pour une fois dans ma vie, j’ai eu l’impression que j’arrivais au bon moment ! D’où un succès, attesté entre autres par le présent colloque, auquel je n’avais pas été habitué par mes autres livres, trop difficiles ou trop en avance sur l’opinion du temps.

Au moment de tirer maintenant quelques conclusions de ces trois journées, je voudrais résumer la démarche qui me semble avoir caractérisé notre colloque. Cela s’est centré tout de suite et tout naturellement sur le problème des régions. Pourquoi ? Partons de la guerre qui résume toutes les menaces et qui est la pollution majeure de la terre. J’entends la guerre nucléaire. Aujourd’hui, il n’est pas question d’autre chose. Tous nos États-nations préparent la guerre. Non seulement ils sont nés de la guerre, il y a soixante ans (les traités de « banlieue », Versailles, Saint-Germain, Neuilly, Trianon, Sèvres) ou cent-cinquante ans, ou deux-cents ans (1789 !), mais ils sont entretenus par la guerre ; tous leurs rapports avec l’économie sont réglés par la préparation à la guerre, ultima ratio de toutes les mesures de centralisation et de mainmise de l’État sur l’économie. Quand on ne sait plus quoi dire, on nous avertit que : « Le problème soulevé touche la Défense nationale, nous n’en dirons pas plus ! » Mais cette guerre, à quoi peut-elle servir ? Ce sont les États-nations seuls qui auront le droit de peser sur le bouton rouge, personne d’autre, une région ne pourrait pas le faire. Et les États-nations n’ont de comptes à rendre à personne ! J’ai demandé à Einstein, le seul jour où je l’ai vu — c’était en 1947 (au moment de notre conversation, l’humanité comptait 3,5 milliards d’humains) : « Que pensez-vous qu’il resterait de l’humanité en cas de guerre atomique ? » Il m’a dit : « Eh bien, d’après mes calculs, environ 20 millions de gens survivraient dans des angles morts, à l’abri des radiations ! » Mais, vous imaginez ce qu’ils seraient ? De pauvres hères, qui chercheraient à se nourrir de choses pas trop irradiées, qui vivraient dans la terreur, qui seraient tous plus ou moins fous et condamnés à terme. Le seul moyen si l’on veut éviter cette guerre, qui serait comme on l’a dit hier le grand incendie final, la fin de l’histoire, et sinon de la terre et de l’univers, du moins de l’humanité civilisée, ce serait de trouver une autre forme de communauté humaine que les États-nations, et de la fonder sur une logique du vivant, et non pas du minéral, qui est le domaine des techniques dures comme je l’ai dit tout à l’heure.

C’est la minéralisation de nos existences par la technique qui fait que nous oublions l’humus, qui est la base de tout, comme vient de nous le rappeler M. Birre. À tout cela, il faut opposer d’urgence une logique du vivant, des cellules, de ce qui part d’en bas, de l’humus. J’ai toujours insisté sur cette puissance de la germination, qui peut fissurer des rochers, qui est irrésistible, parce qu’elle sort de partout, et non d’un centre que l’on pourrait détruire avec une bombe. C’est la région qui me paraît symboliser cette nouvelle tendance. Ceci a été très bien mis en relief par plusieurs d’entre vous, par plusieurs des travaux présentés ici, mais aussi par le travail de Jacques Juillet, qui n’a pu être des nôtres. Il s’agit de l’opposition entre ce qui vient d’en haut, de l’État, qui descend vers les départements, les districts, et qui n’arrivera jamais ni au niveau de l’Europe, ni au niveau des sols ; et puis ce qui vient d’en bas, du sol, de l’humus, et qui monte vers les communes, les communautés, les régions et l’Europe comme dernier palier, avant une fédération mondiale, requise à beaucoup d’égards, et sur laquelle aussi certains d’entre vous ont insisté à très juste titre. Nécessité de concevoir la planète entière, l’humanité entière.

L’union de l’Europe serait donc, à mon sens et dans cette perspective, qui n’est pas celle des États, mais des régions, le moyen de restaurer la paix. Elle serait aussi le seul moyen de lutter contre les menaces de guerre qui pèsent sur l’Europe, surtout, je crois, pendant les dix années qui viennent. Je pense qu’ensuite il y aura une évolution, tant du côté européen que du côté russe, qui fera que le danger s’éloignera probablement. Mais il nous faut travailler vite, il nous faut créer vite cette Europe en tant que facteur de paix qui empêchera peut-être l’URSS de régler ses débats intérieurs par une attaque massive au-dehors. Au nom du vieux principe que Hegel avait déduit de la Révolution française, « L’État-national — on ne disait pas encore l’État-nation — cherche à retrouver par la guerre au-dehors, la tranquillité qu’il n’a plus au-dedans ». L’Europe, unie — j’insiste — est impossible à concevoir à partir des États-nations ; c’est un cercle carré ! J’ai appelé, il y a longtemps, la volonté de faire l’Europe à partir des États-nations, la volonté de créer une amicale des misanthropes : c’est une chose que l’on peut écrire mais que l’on ne peut pas faire, car ou bien ces misanthropes veulent une amicale, mais alors ils ne sont plus misanthropes, ou bien ils restent misanthropes, mais alors ils n’ont pas l’idée de faire une amicale, ou seulement pour tromper le monde, ce qui est le cas actuellement.

L’État-nation, d’autre part, n’est plus une formule viable. Nous n’avons pas, j’insiste, à le renverser. Je crois qu’il serait tout à fait illusoire de donner comme but à la jeunesse de s’emparer du pouvoir des États-nations parce qu’elle s’emparerait de très peu de choses : de bureaux, de téléphones, d’uniformes, d’armes peut-être — cela n’est pas sûr, les armes de la Révolution de 1917 ont très vite changé de mains. Il nous faut au contraire construire, créer le pouvoir. Là encore, c’est un processus biologique que je propose, un processus de germination, de création des régions et des pouvoirs locaux.

Nous en venons ici au cœur du débat qui nous a occupés ces deux derniers jours. Je crois que nous avons bien fait de ne pas nous attarder à toutes les définitions que l’on peut donner de la région : régions ethniques, par exemple, selon les Basques, les Corses et les Bretons qui se rappellent au monde par des explosions, quand on refuse de prêter l’oreille à leurs demandes. Il y a certes des raisons à cette tactique, si c’est le seul moyen de forcer l’attention générale. Je suis résolument pour la non-violence, sauf dans ce cas-là, à condition que ce ne soit pas dirigé contre des hommes, mais contre des relais du pouvoir central, tels que les tours de télévision en Bretagne, par exemple. Il y a donc toute espèce de définitions des régions, j’ai donné la mienne qui me paraît la plus englobante : un espace de participation civique. Cela entraîne pas mal de choses, cela veut dire d’abord que c’est petit, car autrement il n’y a pas de participation possible, qu’elle soit civique, économique ou politique. Il ne faut donc pas vouloir imposer un modèle de régions qui serait le même partout : cela reviendrait à un modèle réduit d’État-nation, à l’utopie parfaite, l’« u-topos », le non-lieu, le lieu de nulle part, le lieu quelconque sur lequel on pose une structure sans tenir compte d’aucune réalité spécifique. Nous avons été tout de suite, je crois, assez profondément d’accord pour reconnaître la nécessité des régions ; même celui d’entre nous qui a été le plus réservé, M. Knoepfler, du Conseil municipal de Neuchâtel, est persuadé que la région, c’est une bonne chose, mais il se pose des questions auxquelles il n’a pas trouvé de réponses quant à la réalisation de ces « régions à géométrie variable », comme je les nomme, sur lesquelles nous avons beaucoup discuté le premier jour. Plusieurs des travaux présentés ici, celui de M. Coutelier, entre autres, y sont revenus. M. Norton a apporté des vues très importantes sur cette notion de géométrie variable, ainsi que M. Naef, qui malheureusement a dû nous quitter hier et dont l’avis m’importait beaucoup, car il est l’un des responsables de la planification et de l’aménagement du territoire en Suisse, en tant que chercheur à l’École polytechnique de Zurich, et donc à ce titre plus ou moins lié au plan du gouvernement suisse. Enfin, M. Strassoldo qui a joué « l’avocat du diable » avec un brio certain !

Je constate, après ces deux jours de débats, qu’ils m’ont obligé à me poser des questions plus précises, plus concrètes sur bien des cas ; mais ce qu’il faut que je vous avoue c’est que cette notion de régions à géométrie variable, à frontières multiples, à territoires différents, variables selon les fonctions et qui se regroupent de différentes manières (comme dans les mathématiques modernes, vous avez des ensembles topologiques en intersections, et il s’agit de voir quel est le plus dense ensemble d’intersections, qui serait le nœud de la région), cette notion, donc, pose une quantité de problèmes auxquels je n’ai pas trouvé un système de réponses claires, nettes, et définitives. Mais j’ai été encouragé par cette phrase du professeur Norton, que j’ai recopiée pour vous la relire à propos des complexités que pose la région à géométrie variable. M. Norton écrit : « We need not fear that we cannot manage implications of non-coincidence of boundaries, we need not fear those complications ; one cannot meet complexities in advance, but one can overcome complexities as one proceeds. » Vous avez tous compris : on ne peut pas poser d’avance la réponse à des questions aussi complexes, mais on peut trouver, on peut surmonter ces complexités à mesure que l’on avance, donc « chemin faisant ». Chemin faisant est une merveilleuse expression qui évoque quelque chose de très profond pour moi : c’est que le chemin se fait dans la mesure où l’on y marche. C’est en marchant sur mon chemin que je le crée. « Chemin faisant » est une phrase qui va tout à fait au fond de la chose. Bien d’autres ont été dites ici, qui m’ont encouragé. Et quand je pense à vos travaux et à nos discussions, j’en tire pour ma part trois directions de recherches prolongées — je ne dis pas encore des réponses — peut-être qu’il ne faut pas tout résoudre… J’entrevois des solutions possibles dans trois directions. La première, c’est ce que j’appelle la pluralité des allégeances. J’ai l’habitude, je m’en excuse, de prendre mon cas personnel pour illustrer mon exposé. Je suis né dans l’ancienne principauté de Neuchâtel, qui n’est devenue canton suisse qu’en 1848. C’est ma patrie, c’est là que ma famille s’est développée, que j’ai passé mes vingt premières années et que j’ai mes racines, comme on le dit par une métaphore critiquable mais courante. En tant que citoyen de cette petite patrie, j’appartiens à la Confédération suisse qui me donne ma nationalité, mon passeport. Comme écrivain, mon allégeance va à l’ensemble de la francophonie, dont le territoire déborde immensément celui de mon canton et de la Suisse, puisqu’il comprend, outre la Romandie, les trois quarts de la France, une moitié de la Belgique (je simplifie), le Val d’Aoste, le Québec, et les élites politiques et culturelles de nombreux pays du Maghreb et de l’Afrique noire. Impossible de faire rentrer tout cela dans les mêmes frontières ! Du point de vue religieux, mon allégeance va au protestantisme, réalité mondiale et sans frontière. (Si j’étais catholique, ou communiste, ce serait pareil.) De plus, je fais partie d’une quantité de sociétés, qui m’engagent plus ou moins et dont les buts sont très différents, les unes en Amérique, les autres en Europe, en France, en Suisse, certaines purement locales, d’autres nationales ou continentales. Je ne me perds pas du tout dans cette diversité. Si on la décrivait d’une manière théorique, ce serait horriblement compliqué, mais quand on le vit, comme vous la vivez tous, c’est très facile. Je sais parfaitement à quelles sociétés je cotise, lesquelles je préside peut-être, ou celles dont je vais démissionner parce qu’elles ne m’intéressent plus ! Mais alors, si maintenant un jacobin, un Robespierre ou un Saint-Just venait me dire : « Tout cela, c’est très joli, mais désormais, tu n’auras plus qu’une seule allégeance : c’est mon État, et tu vas faire rentrer dans ses frontières toutes tes allégeances, civique, religieuse, linguistique, idéologique, économique » — je crierais au fou ! Vous crieriez tous au fou ! Eh bien, c’est ce que l’État-nation exige de nous, quand il va jusqu’au bout de sa logique.

Je pars donc de cette idée de la pluralité des allégeances, qui ne sont pas contradictoires en fait : première direction de recherches. Deuxième direction : je pars des communes. Je pense que cela résoudrait beaucoup de difficultés, notamment la question : « Où situer le pouvoir politique dans une région à géométrie variable ? » Si l’on dit que le pouvoir est d’abord aux communes, on peut très bien imaginer que celles-ci se groupent librement pour exercer une certaine fonction : d’enseignement, de soin des forêts, de transports, de main-d’œuvre. Il existe en France, des syndicats intercommunaux à vocations multiples, qui donnent déjà une image de ce que pourrait être cette géométrie variable. De même, plusieurs communes pourraient former une région énergétique, comme d’autres formeraient une écorégion.

Tout à l’heure, en entendant parler M. Birre, il m’est venu une autre idée. Dans la grande discussion sur les régions introduite en France par François Perroux, celui-ci proposait des régions polarisées autour d’une ville-métropole régionale. Eh bien, cela me paraît encore trop tributaire de l’ancienne approche, l’économique d’abord, que nous devons dépasser. Car, comme on l’a dit ce matin, les villes, au fond, elles sont « nulle part », elles ont détruit souvent leur relief, et toujours leur humus. Elles sont donc dans l’utopie. Il faut fonder des régions sur la réalité. Alors, je pense en écoutant M. Birre qu’il y aurait peut-être quelque chose à chercher dans ce sens ; noyau ferme et territorial de la région qui serait plutôt l’écorégion définie par un certain humus ou une certaine variété d’humus qui vont ensemble. C’est peut-être une troisième direction dans laquelle nous pourrions aller. Elle ferait passer le centre régional de la ville, c’est-à-dire de l’industrie prolongée du xixe siècle et destructrice du sol, vers un retour à la terre et à la cité normale. Encore une fois, je m’en voudrais d’apporter des réponses toutes faites, car elles tomberaient sous ma propre critique de l’utopie. Toute fédération, toute organisation fédérative est et doit rester complexe, parce qu’elle veut coller à la réalité physique, humaine, économique et culturelle. Mais il y a tout de même, à la base du fédéralisme et quelle que soit l’infinie complexité de ses réalisations, un principe très simple qui est celui que l’on a appelé dans les écoles sociologiques catholiques de la fin du xixe le « principe de subsidiarité ». C’est un mot savant dont on pourrait se passer en répétant simplement la règle de formation du fédéralisme, telle que l’a exprimée le sénateur américain, David Moynihan. Sa formulation s’applique naturellement aux États-Unis, mais elle est très facile à transposer en termes européens, voire suisses. La voici :

Ne confiez jamais à une plus grande unité ce qui peut être fait par une plus petite. Ce que la famille peut faire, la municipalité ne doit pas le faire, ce que la municipalité peut faire, les États — (je dirais les régions) — ne doivent pas le faire, et ce que les États — (les régions) — peuvent faire, le gouvernement fédéral ne doit pas le faire.

C’est un miracle de simplicité et cela résout des milliers de cas extrêmement complexes. Autrement dit, l’organisation fédéraliste, cela consiste à faire coïncider, dans chaque cas, les dimensions de la tâche à accomplir et les compétences des communautés. À la commune, les chemins vicinaux, à la région, les grandes routes, à la fédération (de régions ou nationale), les autoroutes. On peut aller plus loin, naturellement, que la fédération européenne. Un certain nombre de tâches sont trop grandes pour être réglées par la fédération européenne, et pour celles-là, il faut des agences mondiales. Je rappellerai notamment le problème de la déforestation du monde, c’est-à-dire de la création du désert qui est si grave au Brésil, en Afrique et au Canada. Le problème de la destruction de l’humus : régional d’abord, mais bientôt mondial. Le problème des mers, des océans, de la pollution des océans, qui rejoint par son danger le problème des forêts, puisque les océans produisent les quatre cinquièmes et les forêts un cinquième de l’oxygène que nous respirons. Comme nous sommes en train de détruire les deux, je ne sais pas très bien comment nos États-nations envisagent de respirer demain. Il y a aussi le problème des eaux douces. Il faut donc un certain minimum d’agences fédérales mondiales, qui ne feront que cela, mais qui le feront bien, qui auront un pouvoir clairement limité, mais tout à fait réel dans leur domaine. Je voudrais insister, car je crois que cela est important pour tout notre propos, sur l’absence de contradictions entre la volonté de respecter les spécificités locales, les différences quelles qu’elles soient, et la volonté de se fédérer en ensembles toujours plus vastes. Beaucoup de gens voient là une contradiction. C’est qu’ils ont l’esprit mal formé par Descartes ! Il n’y a aucune contradiction entre le pouvoir des petites autonomies et le pouvoir des grandes fédérations : c’est un seul et même mouvement qui crée les deux. Une seule chose serait détruite au passage : l’État-nation.

Je voudrais vous rappeler l’importance du mot commune, qui est tellement riche. Les choses que l’on a en commun, les choses communes de la vie de tous les jours, la communauté vivante : cela revient dans toutes les pages de mon livre. Et c’est d’une importance particulière pour nous, Suisses, parce que la Suisse est née d’un pacte conclu au xiiie siècle entre trois « communes forestières » (ou coopératives), chacune voulant rester libre de s’autogérer malgré les menaces extérieures. Elles ont créé un pouvoir commun de défense qui était réel mais limité à cela, et les laissait libres pour le reste. Il s’agissait des communes d’Uri, de Schwyz et de Nidwald. On ne parlait pas de « cantons » au Moyen Âge, mais de communes. Et savez-vous comment se dit commune dans le latin du pacte de 1291, qui est la base de notre fédération : cela se dit universitas. Voilà qui m’a toujours frappé. D’autant plus frappé que l’un des premiers ouvrages philosophiques et peut-être le seul qui m’ait vraiment fait impression quand j’avais 15 ou 16 ans, a été l’Éthique de Spinoza, où j’ai trouvé ce théorème : « D’autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus nous connaissons Dieu. » Ceci me paraît le nœud de la réalité et de la vérité philosophiques. On n’arrive à l’universel que par l’extrême du particulier. Donc, s’occuper des communes, vouloir qu’elles soient libres et responsables d’elles-mêmes, ce n’est pas du tout s’enfermer dans son clocher, c’est au contraire, par la pointe du clocher, rejoindre l’universel. Je crois que cela, c’est la philosophie qui doit être à la base de tout ce que nous imaginons de la région. Cela a été en tout cas à la base de ce qu’avec mes amis Mounier, Alexandre Marc, Aron et Dandieu, nous avons lancé dans les années 1930, sous le nom de mouvement personnaliste, et sous le motto de Révolution personnaliste et communautaire. Dès le début, il n’était pas question de séparer la personne de la communauté, c’est-à-dire, le particulier de l’universel ; au contraire, l’un était la condition de l’autre. Qu’on ne me dise pas que tout cela est utopique, car au contraire, nous, les régionalistes-écologistes, nous sommes peut-être les seuls réalistes d’aujourd’hui. À ceux qui nous disent volontiers : « Vous savez, vos idées, je les trouve très sympathiques, mais enfin, je ne peux pas y croire une seconde, parce que moi, j’ai les deux pieds sur terre ! », je réponds : « Tant pis pour vous, car cela vous condamne à l’immobilité ! » Si un homme veut marcher, il ne peut pas avoir plus d’un pied à la fois sur la terre ! Et s’il fait un grand bond, il n’a plus aucun pied sur la terre, mais il va très loin !

Je vais conclure sur l’Europe. Il me paraît significatif que dans ce colloque, il se soit trouvé que le premier rapport, celui de M. Hell, portait sur des choses culturelles. C’est tout à fait juste. La base de l’Europe, son unité, sans laquelle on ne pourrait pas créer d’union — il y a une énorme différence entre ces deux mots : l’unité, c’est une donnée de base, l’union, c’est une chose que l’on fait, que l’on bâtit, volontairement — l’unité donc, sur laquelle nous pouvons bâtir une fédération européenne, c’est l’unité de culture. Nous avons une culture commune, nous les Européens. Je vous rappelle ce que Paul Valéry a écrit là-dessus (et qui devrait être complété) : « Est Européen tout homme qui a subi profondément les influences de Rome, d’Athènes et de Jérusalem. » Ce qui voulait dire : institutions de l’Empire romain, philosophie grecque de la cité, Écritures judéo-chrétiennes. Mais il faut y ajouter les valeurs germaniques et les valeurs celtiques, qui sont aussi importantes à bien des égards, plus près de nous, et qui ont recouvert le tout. Mais que de contradictions entre ces origines ! Peut-être peut-on dire que ce qui rend la culture européenne tellement créatrice, c’est qu’elle est tissée d’antinomies. La foi qui sauve, c’est chrétien, mais la raison d’État, c’est romain : d’où les persécutions contre les chrétiens à Rome. Les libertés locales, c’est grec et c’est germanique, mais ce n’est pas romain. L’aventure, la quête spirituelle, c’est celtique. Les valeurs d’honneur germaniques contredisent les valeurs chrétiennes d’humilité. Or, ce sont ces antinomies qui ont donné à la culture européenne et à l’Europe dans le monde, son dynamisme extraordinaire. Toutes les autres cultures sont beaucoup plus uniformes et homogènes. Ce sont ces évidences historiques qui m’ont toujours empêché de prendre l’économie comme base de la construction européenne.

Je voudrais que l’on continue à faire une propagande quotidienne contre l’idée de bâtir l’Europe sur l’économie d’abord. Je me suis amusé à faire des petites études sur les rythmes de mobilité des principaux facteurs que l’on évoque dans la construction politique de l’Europe. Il y a les questions ethniques — de langues — il y a les questions politiques — comme les frontières — et les questions économiques, pour n’en prendre que trois. J’ai trouvé, et vous pouvez facilement le vérifier, que le rythme de variabilité des langues est de l’ordre du millénaire. Prenons le triangle dont le sommet est Belfort, et dont la base va du Val d’Aoste à Saint-Étienne en passant au sud de Grenoble : on y a parlé de l’an 900 jusqu’aux débuts du xixe siècle, soit près de mille ans, le franco-provençal, qui est une langue différente, quoiqu’apparentée à la fois à la langue d’oc et à la langue d’oïl. Il en reste des traces dans nos patois. Les mots de patois neuchâtelois, que je sais de mon école primaire, je m’amuse à les échanger avec des gens du Mouvement Région Savoie qui les reconnaissent immédiatement. Je leur dis par exemple « Tu n’as pas peur de t’encoubler ? » Eh bien, ils savent très bien que cela veut dire « trébucher », sur des racines ou n’importe quoi ! Le chant national des Genevois Cé qu’è lainô est du pur franco-provençal. Quelque chose de tout cela subsiste, probablement dans l’inconscient collectif. Il y a donc des rythmes millénaires, il y en a d’autres comme la mobilité de nos frontières, qui sont à peine centenaires. J’ai calculé la moyenne d’âge des frontières de nos trente États de l’Europe, y compris les huit États de l’Est : c’est 89 ans. Il y en a un qui fait beaucoup monter la moyenne à lui seul, c’est le Portugal, de loin le plus ancien : six siècles sans modifications. Mais c’est le seul, les autres ont varié dans des proportions inouïes. La France a été pendant longtemps le petit « pré carré » entre Paris, Bourges, Orléans, puis s’est agrandie par annexions et conquêtes jusqu’en 1861. Elle a très peu varié au xxe siècle. Mais on est étonné de voir que ce rythme de mobilité est au maximum centenaire. Donc rythme millénaire des langues, rythme à peu près centenaire des frontières, des divisions politiques. Quant au rythme des variations économiques, il n’est même pas de dix ans, plutôt de cinq ans. Il suffit que vous implantiez une usine dans une région pour changer complètement son potentiel et ses relations économiques. Donc, il serait faux de baser l’Europe, cette immense construction, sur ce qu’il y a de plus fragile, de plus variable, et qui peut être ruiné : l’économie. Il faut la fonder sur l’humus, l’humus de l’histoire, au sens symboliquement élargi du terme.

On m’a demandé hier, si je voyais des conclusions pratiques se dégager de ce colloque. Je voudrais vous rappeler quelques-unes de celles qui ont été suggérées.

Dans le papier de M. Jacques Juillet, il y a une suggestion qui peut être très importante : celle d’une union européenne des maires. Certes, il y a un Conseil des communes d’Europe qui existe depuis une trentaine d’années, et qui avait au départ pour présidents MM. Gaston Defferre et Jacques Chaban-Delmas, deux Français très engagés dans la politique de leur pays. On pourrait imaginer quelque chose de plus fonctionnel…

Dans le papier de M. et Mme Cosma sur la stratégie, j’ai salué bien sûr avec une complète approbation, la proposition d’une stratégie de technique douce, de technique de persuasion, de personne à personne, d’association à association. C’est la seule chose qui soit à notre portée, qui n’entraîne pas de dépenses gigantesques comme la propagande et les armements : c’est une propagation d’informations réelles, la propagande étant exactement le contraire.

Et enfin, j’y reviens, il y a l’apport, capital à mon sens, de M. et Mme André Birre, avec ce qu’ils nous ont appris sur l’humus, qui donne vraiment et symboliquement une base à tout cela. « Partir d’en bas », ont dit M. Juillet et beaucoup d’autres parmi vous. Je crois que nous sommes tous d’accord là-dessus. Je crois aussi qu’il faudrait élargir les applications de ce principe, et je vois là la possibilité non seulement d’un institut mais d’une grande action qui serait à la fois à l’échelle régionale et à l’échelle planétaire, et qui devrait à mon sens partir d’une conférence mondiale dont les thèmes seraient : l’humus, la protection des océans, le plancton, les forêts, l’air, la couche d’ozone, les eaux douces. Tous objets de dimensions planétaires. Je crois de même qu’une conférence écologique mondiale permanente, qui tirerait de l’examen de ces objets des conclusions économiques, politiques et éducatives prenant force de loi dans tous les pays membres serait peut-être le dernier moyen de redresser le cours des choses.