Lucien Fabre, Le▶ Tarramagnou (septembre 1925)d
Lucien Fabre, ingénieur, poète, chroniqueur scientifique, « Prix Goncourt », curieux homme. Il se livre à des travaux ◀de▶ précision : il calcule un plan, un poème. Il écrit un livre sur Einstein, des articles sur Valéry, St John Perse. On ◀le▶ vit naguère en province liquider des stocks américains. Et ses romans, c’est aussi une liquidation : ◀les▶ faits s’y pressent et s’y bousculent ; ◀de▶ temps à autre une notation ◀d’▶artiste ou ◀de▶ psychologue se glisse dans leur flot. Voilà ◀le▶ lecteur entraîné, ébahi, passionné, contraint ◀de▶ suivre jusqu’au bout un roman ◀de▶ 500 pages comme Rabevel. Car si ◀la▶ liquidation des questions traitées est rapide, elle est complète aussi.
On s’étonne ◀de▶ ce que Fabre, disciple ◀de▶ Valéry, puisse rédiger des romans si bouillonnants, si mal équarris. Certes, ce n’est pas lui qui se refuserait à écrire — comme ◀le▶ fait son maître : « ◀La▶ marquise sortit à cinq heures ». Une telle platitude est presque indispensable, mais il s’en permet d’autres qui ◀le▶ sont moins. On n’écrit pas un roman en trois volumes sans y laisser des maladresses et des négligences. Mais on ne demande pas non plus au puissant boxeur sur ◀le▶ ring ◀d’▶être bien peigné.
Rabevel, c’était un portrait balzacien du brasseur ◀d’▶affaires. ◀Le▶ sujet du Tarramagnou, c’est « ◀la▶ nouvelle mise en servitude du peuple rustique ◀de▶ France ». En effet — ◀le▶ phénomène n’est pas particulier à ◀la▶ France — ◀les▶ paysans sont en train de redevenir serfs, serfs des syndicats et des capitalistes des villes. Mais dans une ◀de▶ ces provinces du Midi où ◀le▶ souvenir des luttes religieuses encore vivace fait que ◀les▶ paysans gardent une méfiance frondeuse vis-à-vis du gouvernement, ◀le▶ libérateur va se lever. C’est un descendant ◀de▶ Roland le Camisard, ce « Tarramagnou », ce « petit homme ◀de▶ ◀la▶ terre », qui va susciter un formidable mouvement ◀de▶ protestation contre ◀les▶ lois tyranniques. ◀Le▶ succès grandit rapidement, ◀le▶ gouvernement cède. Mais ◀la▶ même inertie du peuple qui donnait tant de mal lorsqu’il fallait ◀l’▶éveiller, ◀l’▶entraîne au-delà du but. ◀Le▶ Tarramagnou voit son œuvre sabotée par des meneurs ; il tente en vain ◀de▶ ressaisir ◀les▶ foules : déjà elles huent sa modération. Alors il va se jeter au-devant des troupes accourues, il meurt en clamant ◀la▶ paix.
M. Fabre avait là ◀les▶ éléments ◀d’▶un grand roman : autour ◀d’▶un sujet ◀de▶ vaste envergure, et brûlant, une intrigue puissante, des personnages ◀d’▶une belle richesse psychologique.
En fermant ◀le▶ livre on a presque ◀l’▶impression qu’il a réussi ce grand roman… Qu’y manque-t-il ? Un style ? ◀L’▶absence ◀de▶ style, n’est-ce pas ◀le▶ meilleur style pour un romancier ? C’est plutôt, je crois, une certaine harmonie générale dans ◀le▶ récit et ◀le▶ ton, surtout dans la première partie, qui est confuse. Non pas que ◀le▶ roman soit mal construit, au contraire. Mais ◀le▶ tissu des faits se relâche parfois, et ◀les▶ arêtes ◀de▶ ◀la▶ construction apparaissent trop nues.
Chef-d’œuvre ou pas chef-d’œuvre d’ailleurs, il reste que ◀le▶ Tarramagnou est un livre émouvant, ◀d’▶une saine puissance. Il reste que Lucien Fabre a tenté, et en somme, réussi, une entreprise bien téméraire ◀de▶ nos jours : un roman à thèse aussi intelligent que vivant.