Orphée sans charme (février 1927)k
« Cet âge est sans pitié. »
« Le▶ véritable symbole n’est jamais prévu par ◀l’▶auteur », écrivait Cocteau dans ◀la▶ préface des Mariés ◀de▶ ◀la▶ tour Eiffel. Et une note ◀d’▶Orphée précise : « Inutile ◀de▶ dire qu’il n’y a pas un seul symbole dans ◀la▶ pièce. » Ce qui me gêne pourtant, c’est ◀d’▶y découvrir possibles deux interprétations symboliques au moins ; ◀de▶ ne pouvoir m’empêcher ◀d’▶y songer sans cesse en lisant cette « tragédie » ; ◀de▶ ne pouvoir m’empêcher non plus ◀de▶ soupçonner Cocteau ◀d’▶en avoir plus ou moins consciemment concerté ◀la▶ possibilité.
Orphée, par exemple, serait un poète surréaliste. « Il faut jeter une bombe, dit-il, il faut obtenir un scandale. Il faut un ◀de▶ ces orages qui rafraîchissent ◀l’▶air. » Il prétend « traquer ◀l’▶inconnu ». Sa femme ◀l’▶accuse ◀de▶ « vouloir faire admettre que ◀la▶ poésie consiste à écrire une phrase ». Et cette phrase, c’est un cheval savant qui ◀la▶ lui a dictée : « Madame Eurydice Reviendra Des Enfers. » — « Ce n’est pas une phrase, s’écrie-t-il, c’est un poème, un poème du rêve, une fleur du fond ◀de▶ ◀la▶ mort. » Or, on découvre à ◀la▶ fin ◀de▶ ◀la▶ pièce que c’est une anagramme un peu ordurière. Ainsi ◀les▶ rêves publiés par ◀les▶ surréalistes, donnés à la fois comme poèmes et comme dictées ◀de▶ ◀l’▶inconscient, au fond desquels on a si vite fait ◀de▶ distinguer ◀les▶ quelques préoccupations assez simples dont ◀l’▶étude charme ◀le▶ psychanalyste.
Je pourrais poursuivre ◀le▶ jeu.
Et puis, il y a aussi des sortes ◀de▶ calembours…
Art chrétien, a-t-on dit5. Certes, cette pièce n’est pas dépourvue ◀de▶ certaines des qualités qui, selon Max Jacob, permettraient seules ◀de▶ taxer ◀de▶ chrétienne une œuvre ◀d’▶art. Mais, d’autre part, cette équivoque des symboles, cette simplicité à chausse-trappes, cette habileté surtout.
Je ne sais si ce malicieux Gagnebin (non pas Elie) pensait à quelqu’un lorsqu’il écrivit certains vers qu’on peut lire plus haut :
◀Les▶ anges véritables qui connaissent ◀les▶ signes
Sont moins bons acrobates…
(etc.)…
Cocteau s’est trop exercé avant de se lancer sur ◀la▶ corde raide. Je suis sûr qu’il ne tombera pas. J’admire sans émoi.
Certes, ◀les▶ qualités scéniques ◀de▶ cette pièce sont grandes. Je ne saurais même indiquer aucun endroit par où elle pèche contre ◀les▶ principes chers à ◀l’▶auteur du Secret professionnel et ◀de▶ ◀la▶ préface des Mariés — principes dont ◀l’▶énoncé brillant et définitif restera l’un des titres ◀les▶ plus authentiques ◀de▶ Cocteau.
Précision et relief du dialogue, ingénieuse utilisation des expressions courantes, maximum ◀de▶ « situation » des personnages obtenu avec un minimum ◀de▶ répliques ; enfin, un style parfaitement pauvre dans ◀le▶ détail, un vrai style ◀de▶ théâtre, ◀d’▶une netteté qui pourtant n’est pas maigre, ◀d’▶une familiarité dramatique qui cerne ◀le▶ mystère ◀d’▶un trait pur. Il semble que Cocteau ait réalisé là exactement ce qu’il voulait.
Et pourtant cette admirable machine ne m’inquiète guère : je sais qu’elle ◀le▶ conduira où il veut, sans surprises. « Puisque ces mystères me dépassent, feignons ◀d’▶en être ◀l’▶organisateur », disait ◀le▶ photographe des Mariés. Dans Orphée, ◀le▶ mystère ne peut plus dépasser ◀l’▶auteur : il ◀l’▶a trop bien organisé.
En somme, ce qu’il faut reprocher à Cocteau, c’est ◀d’▶avoir réussi complètement une pièce, prouvant une fois de plus que ◀l’▶atmosphère ◀de▶ ◀l’▶« art pur » n’est pas respirable. Il ne manque rien à Orphée, sinon peut-être cette indispensable « part ◀de▶ Dieu » — comme dit Gide — qui serait aussi ◀la▶ part ◀de▶ ◀l’▶humain, ◀l’▶imperfection secrète qui fait naître ◀l’▶amour.
Parce que ◀la▶ création est venue après ◀la▶ théorie. Parce qu’une fois de plus, Cocteau a comprimé des pétales ◀de▶ roses dans du cristal taillé, selon toutes ◀les▶ règles ◀de▶ ◀l’▶art, mais que ◀l’▶essence obtenue, si elle est ◀de▶ rose, est sans parfum.
(Tout de même, Cocteau est un poète : j’en verrais une preuve, pour mon compte, dans ◀le▶ fait que je ne sais parler ◀de▶ lui autrement que par métaphores.)