Le prisonnier de la nuit (avril 1930)p
I
Depuis le temps qu’on tire du canon
à son perdu
depuis le temps que sonnent les marées
à flots perdus
sous la coupole errante des prières
à dieux perdus.
II
Je ne sais pas où tu m’entends
mais ces hauts murs d’ombre et▶ de vent
autour du monde où nous vivons
parquent les visages les sons
brassent les lueurs des messages
à la recherche d’un corps faible.
III
Fais rentrer dans leur peau d’ombre
ces mots qui voudraient fleurir
tourne le dos ferme les poings
ne fais qu’un ou deux pas
que les souvenirs s’épousent entre eux
pendant que tes yeux s’ouvrent
n’attends rien d’autre qu’un désert
qu’un sol dur aux genoux
tends les mains au vent captif
délivre un souffle
tes lèvres battent doucement
écoute-les.
IV
Tends moi la main à travers cette ombre rapide
si je te joins nous la tiendrons captive
les eaux profondes qui échangent leurs douceurs.
V
Oh qui a retiré tes mains des miennes
quand je te regardais trop profond pour te voir ?
Maintenant je suis seul à redescendre au jour
dans l’aube sans refuges…
VI
Prisonnier de la nuit
mais plus libre qu’un ange
prisonnier dans ta tête
mais libre comme avant
cette naissance aux lents vertiges —
quand la nuit s’effeuille ◀et se fane
prisonnier d’une saison morte
au tombeau des fleurs obscures
les mains de l’absence
se ferment sur le vide
tu pleurerais
mais la grâce est facile comme un matin d’été
la grâce tendrement dénouée de ta vie
comme de cette nuit le jour d’un grand été
qui consent…