Destin du siècle ou destin de▶ ◀l’▶homme ? (mai 1934)k
Qu’un homme perde ◀le▶ sens ◀de▶ son destin particulier, il se met fatalement à croire aux destins anonymes et collectifs. C’est ainsi qu’on nous parle du « destin du siècle » avec des yeux hors de ◀la▶ tête, sans se poser jamais cette question pourtant bien naturelle : Comment un siècle peut-il avoir un destin ?l
◀Le▶ destin, c’est ◀le▶ fait ◀d’▶une personne.
Croire à ◀la▶ réalité du « destin » souverain ◀de▶ ◀la▶ masse, ◀de▶ ◀la▶ classe, ◀de▶ ◀la▶ nation, du capital ou ◀de▶ ◀l’▶État — car c’est ◀de▶ tout cela que se compose ◀le▶ destin du siècle —, c’est témoigner tout simplement ◀de▶ son abdication personnelle ; c’est se reconnaître esclave des mythes irresponsables ◀de▶ ◀l’▶époque. Lorsque nous disons que nous sommes contre ◀la▶ bourgeoisie, contre ◀le▶ communisme, contre ◀le▶ fascisme, contre toutes ◀les▶ formes du « matérialisme » contemporain, nous disons simplement ceci : nous voulons que ◀l’▶homme redevienne responsable ◀de▶ son destin particulier.
Avoir un destin propre, une vocation, c’est ◀la▶ seule manière que ◀les▶ hommes aient jamais pu concevoir ◀d’▶être libres. Tel est ◀le▶ sens ◀de▶ notre personnalisme.
Nous n’insisterons jamais assez sur ces constatations fondamentales. Toute ◀la▶ doctrine ◀de▶ l’Ordre nouveau tient dans ces quelques mots : ◀le▶ destin particulier ◀de▶ chaque homme est plus grand que tous ◀les▶ « destins du siècle » inventés par nos lâchetés.
◀Le▶ banquier croit aux fatalités du Capital. ◀Le▶ bourgeois croit aux fatalités ◀de▶ ◀l’▶Opinion publique. ◀Le▶ communiste croit aux fatalités ◀de▶ ◀l’▶Histoire. Et tous croient, comme ◀le▶ fasciste, aux fatalités ◀de▶ ◀l’▶État.
Nous croyons à ◀la▶ liberté ◀de▶ ◀la▶ Personne.
Je connais bien ◀la▶ réaction qui accueille ◀d’▶ordinaire nos déclarations personnalistes. « Hé ! quoi, nous dit-on, en face de tous ces monstres menaçants et criminels, nous ◀le▶ reconnaissons, mais qui dominent notre siècle, vous n’avez rien à proposer que votre chétive personne ? Vous serez emportés comme ◀les▶ autres. Votre réaction “révolutionnaire” est disproportionnée aux dangers que vous dénoncez. Et d’ailleurs, qu’est-ce que cette personne dont vous nous rebattez ◀les▶ oreilles ? »
J’ai vu ◀de▶ jeunes sympathisants ◀de▶ nos idées déconcertés par cette attaque. C’est à leur intention que je veux préciser ici un point fondamental ◀de▶ nos doctrines.
Ceux qui nous posent ◀la▶ « colle » que je viens de résumer sont ◀de▶ deux sortes : des inquiets ou des cyniques. ◀Les▶ inquiets sont inquiets par tempérament. Ce sont ◀de▶ pauvres êtres démoralisés par ◀l’▶individualisme bourgeois et ◀les▶ scandales du temps, et qui ne se rallieront jamais qu’à une révolution triomphante. On perd son temps à essayer ◀de▶ ◀les▶ convaincre par des arguments : ils ne croient pas à eux-mêmes ; comment croiraient-ils à ◀la▶ puissance ◀de▶ ◀la▶ personne ? C’est ◀le▶ « prolétariat » personnaliste. On s’occupera ◀d’▶eux en temps voulu : il y a là un problème ◀de▶ rééducation qui fait ◀l’▶objet ◀de▶ nos travaux dans ◀le▶ domaine pédagogique.
◀Les▶ cyniques sont plus dangereux. Ils croient pouvoir nous traiter ◀de▶ révolutionnaires en peau ◀de▶ lapin, sous ◀le▶ pauvre prétexte qu’ils sont eux-mêmes des requins à ◀l’▶eau ◀de▶ Coty. « ◀Les▶ intérêts sont ◀les▶ intérêts », affirment-ils. Voire ! ◀Les▶ intérêts ◀de▶ qui ? Pourquoi ? Et comment garantis ? C’est un paradoxe curieux que devoir en 1934, en pleine crise économique, des garçons qui se croient « réalistes » venir défendre ◀le▶ régime capitaliste au nom d’un « intérêt » de plus en plus fantomatique. Avec ceux-là non plus, nous n’avons pas à perdre notre temps.
Mais à ceux qui sont prêts à travailler à nos côtés, et que retiennent encore des indécisions juvéniles, voici ce que nous avons à dire : Retournez ◀la▶ question qu’on vous pose, cessez ◀de▶ vous défendre, attaquez. On vous dit : « Qu’est-ce que ◀la▶ personne ? » Répondez : « Que sont ces mythes collectifs sous lesquels vous prétendez nous courber ? »
◀La▶ classe, ◀le▶ capital, ◀la▶ nation, ◀les▶ fameux « déterminismes historiques » ne sont rien que des créations ◀de▶ ◀l’▶homme. Et ◀de▶ quel homme ? ◀De▶ cet individu des libéraux rationalistes, ◀de▶ cet être isolé dans sa prétendue « vie privée », ◀de▶ ce petit dieu ridicule qui n’a ◀d’▶autre pouvoir que ◀d’▶adorer son illusoire autonomie, et qui remet aux mythes collectifs — à ◀l’▶État en définitive — ◀le▶ soin ◀de▶ garantir sa « matérielle ». Nous disons que cet être-là n’a plus ◀de▶ vie spirituelle. Car nous croyons que ◀le▶ spirituel, c’est ◀l’▶engagement total ◀de▶ ◀l’▶homme dans ◀la▶ tâche concrète que lui désigne sa vocation particulière. Cela ne se passe point entre ◀les▶ quatre murs ◀d’▶une chambrette, ou dans ◀les▶ rêveries ◀d’▶un cerveau délicat. Nous disons ensuite que cet « individu » est un esclave et une dupe, car il n’y a pas ◀d’▶exemple, dans ◀l’▶histoire, que ◀l’▶État ait pu assurer ◀la▶ vie ◀d’▶une collectivité dont chaque membre se déclare irresponsable.
◀Les▶ mythes collectifs devant lesquels tremblent et s’agenouillent un grand nombre ◀de▶ nos contemporains10 n’expriment rien de plus qu’une certaine attitude ◀de▶ ◀l’▶homme, ◀l’▶attitude démissionnaire ◀de▶ ◀l’▶homme en fuite devant sa vocation.
◀Les▶ fantômes collectifs, comme tous ◀les▶ fantômes, n’ont ◀de▶ réalité que celle qu’on leur prête. Si personne n’y croyait, ils n’existeraient pas. Dès que ◀l’▶on croit à ◀la▶ personne, on limite effectivement leur pouvoir. Mais si ces mythes représentent ◀l’▶attitude démissionnaire ◀de▶ ◀l’▶homme, ◀la▶ somme ◀de▶ toutes ◀les▶ démissions particulières, — ◀la▶ personne au contraire représente ◀l’▶attitude créatrice, ◀la▶ vocation ◀de▶ ◀l’▶homme.
Tout, en définitive, se joue dans ◀l’▶homme et se rapporte à sa seule réalité. Dans ◀l’▶homme, ◀la▶ masse n’a pas plus ◀de▶ puissance que ◀la▶ personne. Et c’est dans ◀l’▶homme qu’a lieu ◀le▶ choix, et non pas dans ◀la▶ rue, dans ◀l’▶opinion, ni dans ◀l’▶Histoire. ◀Le▶ lieu ◀de▶ toute décision qui crée, c’est ◀la▶ personne.
Ici ◀le▶ rôle des jeunes intellectuels apparaît dans toute sa grandeur. C’est à eux qu’il appartient ◀de▶ rechercher dans leur pensée ◀les▶ origines concrètes des grands faits qui bouleversent ◀le▶ monde. C’est à eux qu’il appartient, par exemple, ◀de▶ déceler ◀l’▶origine permanente et virtuelle des dictatures dans un fléchissement en eux du sens ◀de▶ leur destinée personnelle. À ◀l’▶origine ◀de▶ tout, il y a une attitude ◀de▶ ◀l’▶homme. J’ai décrit, à propos des marxistes11, ◀l’▶attitude ◀de▶ ceux qui se réfugient dans ◀l’▶Histoire, qui pensent par périodes ◀de▶ mille ans, qui rêvent, et qui, pour comble, se croient seuls éveillés et conscients du réel ! Il serait bien facile ◀de▶ faire ◀la▶ même démonstration à propos des petits « réalistes » attroupés par M. Taittinger. Tous ceux-là fondent en eux-mêmes, hic et nunc, ◀la▶ dictature du nombre et ◀de▶ ◀l’▶irresponsable.
◀La▶ personne, au contraire de ◀l’▶individu charrié par tous ◀les▶ destins collectifs et par ◀les▶ prétendues lois ◀de▶ ◀l’▶Histoire, vit ◀d’▶instant en instant, ◀d’▶une tâche à une autre, ◀d’▶un acte à un autre acte toujours imprévisible, toujours aventureux. Elle vit dans ◀le▶ risque et dans ◀la▶ décision, au lieu que ◀l’▶homme des masses vit dans ◀l’▶attente, ◀la▶ révolte et ◀l’▶impuissance.
◀La▶ société que veut L’Ordre nouveau a pour mesure fondamentale cette réalité ◀de▶ ◀la▶ personne responsable. Tout notre système en découle, toutes nos revendications s’y rapportent. Nous n’avons pas une autre orthodoxie que celle ◀de▶ ◀l’▶homme exerçant librement sa vocation dans ◀la▶ communauté. Telle est notre Révolution, ◀la▶ seule réelle, ◀la▶ seule totale, et ◀la▶ seule qui s’attaque aux racines des mythes modernes, dont ◀l’▶expression suprême s’appelle ◀l’▶État.
Là où ◀l’▶homme veut être total, ◀l’▶État ne sera jamais totalitaire.