4.
Ni droite ni gauche
Le▶ plus dur pour un parlement, c’est ◀de▶ conclure. ◀Le▶ plus dur pour ◀la▶ Révolution, c’est ◀de▶ commencer. Car ◀la▶ Révolution commence par ce qui fait mourir un parlement : par une décision, par un acte. Commencer ◀la▶ Révolution c’est comprendre, mais jusqu’aux moelles, que ◀le▶ monde n’est pas un parlement, qu’il ne s’agit pas pour nous ◀d’▶aller nous asseoir quelque part, mais bien ◀de▶ marcher, ◀de▶ vivre, ◀de▶ créer et ◀d’▶abattre, à droite, à gauche, au centre, peu importe, — partout où une résistance avare, inerte, ou platement cynique, donne prise à notre acte, donne lieu ◀de▶ manifester ce qu’il y a ◀d’▶humain en nous-mêmes : ◀la▶ personne.
Sur le plan politique, le premier acte que nous exigeons ◀d’▶un révolutionnaire, c’est un acte ◀d’▶imagination : en présence d’une donnée concrète, trouver ◀la▶ solution ◀la▶ plus humaine, ◀la▶ plus actuelle, sans accorder ◀la▶ moindre arrière-pensée aux considérations courantes, qui ont déjà classé ◀l’▶affaire comme étant « ◀de▶ gauche » ou « ◀de▶ droite ». (Nous entendons cette expression : classer ◀l’▶affaire, au sens des juristes autant qu’au sens littéral.) Prendre au sérieux des problèmes tels que ◀le▶ chômage, ◀le▶ machinisme, ◀le▶ fédéralisme ou ◀l’▶État, — comme si ◀les▶ parlements et ◀les▶ partis n’avaient jamais eu ◀d’▶existence que dans ◀la▶ cervelle ◀d’▶un fou. C’est tout. Mais c’est presque ◀le▶ tout. Ou du moins, c’est ◀la▶ condition nécessaire.
« Ni droite ni gauche » est d’abord une formule critique. Elle signifie ◀la▶ condamnation des partis, plus encore : du parti, en tant que formation ◀d’▶action, sur le plan politique. ◀D’▶où ◀la▶ condamnation, bien entendu, du Parlement.
◀Le▶ Parlement : une dizaine ◀de▶ programmes, représentés par autant ◀de▶ groupes fort inégaux en nombre. Tout problème concret, particulier (loi sur ◀les▶ chemins de fer, sur ◀le▶ régime du blé, sur ◀les▶ magnaneries, sur ◀la▶ journée ◀de▶ huit heures, etc.) qui vient en discussion dans ◀l’▶hémicycle se trouvera forcément soumis aux petites métamorphoses bien connues que voici :
1. — On coupera ◀les▶ racines qui ◀le▶ relient à ◀la▶ région ou à ◀la▶ profession dans laquelle il s’est posé. Et on ◀le▶ reposera sur un plan « général » (dans ◀le▶ cadre étatiste-centralisé).
2. — Chaque groupe proposera une solution qui tiendra compte (dans ◀le▶ cas ◀le▶ plus favorable) du programme du parti, des possibilités pratiques, et des risques personnels que courent ◀les▶ députés auprès des électeurs si par hasard ◀la▶ solution est adoptée. Accordons, pour simplifier, trente-trois pour cent ◀d’▶influence à chaque facteur.
3. — Une commission spéciale élaborera ◀la▶ mixture que ◀l’▶on proposera à ◀la▶ majorité, très soigneusement pointée par ◀les▶ experts. (C’est ◀la▶ seule opération que ◀le▶ Parlement puisse faire avec soin.)
4. — ◀Le▶ produit — infécond — ◀de▶ ce croisement improvisé, après avoir subi ◀les▶ railleries des extrémistes, ◀l’▶indifférence ◀de▶ ◀la▶ majorité, et un scrutin ◀de▶ pure forme, sera versé au dossier ◀d’▶un ministère éphémère, puis livré au sadisme des fonctionnaires, comme une arme nouvelle pour opprimer ◀la▶ région ou ◀la▶ profession dans laquelle se posait la question, — ◀la▶ loi n’ayant rien résolu — et ◀les▶ régions et professions dans lesquelles ◀la▶ question ne se posait pas — ◀la▶ loi créant une difficulté nouvelle.
Ce petit exemple fait apparaître immédiatement ◀l’▶aspect positif ◀de▶ ◀la▶ formule « ni droite ni gauche ». C’est ◀l’▶aspect décentralisateur, ou mieux — car ce terme même suppose un centre à partir duquel s’opérerait ◀la▶ dépression du pouvoir, opération fort improbable — ◀l’▶aspect fédéraliste, communaliste ◀de▶ ◀la▶ révolution.
Nous touchons ici au caractère essentiel ◀de▶ ◀la▶ doctrine ◀de▶ L’Ordre nouveau : ◀les▶ revendications politiques qu’elle comporte ne sont pas ◀l’▶« aboutissement » ◀de▶ ses principes sur le plan des réalisations, — moyennant une série ◀de▶ compromis et ◀de▶ transformations forcément équivoques ; elles sont, bien au contraire, ◀l’▶expression immédiate ◀de▶ ces principes. Ce que nous combattons ◀de▶ toute notre violence, c’est ◀la▶ fameuse séparation ◀de▶ ◀la▶ doctrine et ◀de▶ ◀l’▶action — fondement ◀de▶ ◀l’▶esprit bourgeois sur le plan éthique et culturel, fondement sur le plan politique, des partis, considérés comme ◀les▶ organes indispensables ◀de▶ toute « réalisation pratique ». Entre ◀la▶ doctrine et ◀l’▶action, nous n’admettons aucune « période ◀de▶ transition ». À quoi cela peut-il donc correspondre ? Simplement, dirons-nous, à ◀la▶ remise du pouvoir à ceux qui ont à ◀l’▶exercer sans nul intermédiaire, que ce soient ◀les▶ communes ou ◀les▶ corporations, ◀les▶ syndicats ou ◀les▶ fédérations.
◀Les▶ attardés qui nous demandent : « Mais enfin, vous sentez-vous plus près des communistes que ◀de▶ ◀l’▶Écho ◀de▶ Paris ? », manifestent simplement par cette question ◀l’▶emprise ◀d’▶une idéologie, voire ◀d’▶une sensibilité conditionnée par ◀la▶ démocratie parlementaire, — absolument stérile du point de vue révolutionnaire. Celui-là seul est mûr pour ◀la▶ révolution qui a compris ◀l’▶absurdité ◀d’une pareille classification.
(Janvier 1934.)