Roger Breuil, Les▶ Uns ◀les▶ Autres (avril 1935)o
L’un des critiques qui aient parlé ◀le▶ mieux, je crois, avec ◀le▶ plus ◀de▶ sympathie et ◀de▶ pénétration du deuxième livre ◀de▶ Roger Breuil est Marcel Arland. Sans doute a-t-il reconnu dans ce roman (paru quelque temps avant ◀les▶ Vivants) une intention toute voisine ◀de▶ la sienne, une semblable patience ingénieuse dans ◀l’▶approche du secret des êtres, enfin cette qualité ◀de▶ discrétion qui semble ici encore imposée par ◀l’▶objet du livre.
Roger Breuil nous révèle une espèce ◀de▶ Français dont il est, sauf erreur, le premier à parler : une élite, une espèce ◀d’▶aristocratie paysanne. Vivant près ◀d’▶eux, pour eux, il ◀les▶ a vus tout autrement que ne ◀l’▶eût fait un « observateur » : non dans leur pittoresque, mais dans leur vie intime, leurs relations. On serait tenté ◀de▶ dire : dans leur personne. Je connais peu de livres moins conventionnels. Pour cette raison d’abord que Breuil n’aborde pas une « classe » définie par ◀les▶ sociologues. Son roman tendrait à prouver au contraire ◀l’▶inexistence des classes dans ◀la▶ réalité campagnarde. Il met en évidence un fait dont il faut souligner dans cette revue toute ◀l’▶importance : c’est ◀la▶ circulation constante qui s’opère aujourd’hui entre ◀les▶ anciennes catégories sociales, d’ailleurs bien plus complexes qu’on ne ◀le▶ croit couramment. Au fond, son vrai sujet, c’est ◀l’▶étude concrète ◀de▶ ◀la▶ communauté qui peut s’instituer par ◀le▶ jeu des passions, ou ◀les▶ liens du métier, ou certains accidents heureux, entre des jeunes bourgeois, des jeunes paysans et ouvriers plus ou moins « déclassés » comme ◀le▶ sont aujourd’hui presque tous ceux qui entrent dans ◀la▶ vie. Mais en parlant ◀d’▶étude, je fais tort au ton ◀de▶ ce livre, à son charme sentimental, à son humour particulier, à ses jeunes filles surtout qui suffiraient à déconcerter toute « étude ». Par exemple, un chapitre comme ◀la▶ Promenade au marais est une merveille ◀de▶ « naturel » dans tous ◀les▶ sens ◀de▶ ce terme ; je ne vois pas ◀d’▶écrivain français qui ait jamais su faire vibrer un tel accord des paysages et des êtres — ◀de▶ ces vastes paysages maritimes des Charentes et ◀de▶ ces âmes et ◀de▶ ces corps tout frémissants ◀de▶ nostalgies naïves et ◀de▶ jeunes ruses. On sent que Breuil est mêlé ◀de▶ très près à ◀l’▶existence ◀de▶ ses personnages : et ◀le▶ « nous » qui apparaît parfois dans certains chapitres lyriques — ◀le▶ « je » ◀de▶ Marcel dans Proust — rend un tout autre son que ◀le▶ « je » des Vivants : plus complice et plus fraternel.
◀Le▶ défaut ◀de▶ ◀Les▶ Uns ◀les▶ Autres, c’est peut-être qu’il donne parfois ◀l’▶impression ◀d’▶un livre plus profondément rêvé qu’écrit (fort bien écrit du reste). Il laisse deviner trop ◀de▶ choses pour qu’on lui pardonne ◀de▶ ne pas insister ; ◀de▶ ne pas réaliser plus carrément ses desseins. Mais parmi toutes ces choses vivantes qu’il évoque ◀d’▶une touche parfois trop furtive, d’autres fois si précise et heureuse, comment ne pas distinguer avec joie la plupart des thèmes humains auxquels Esprit voudrait voir s’attacher ◀les▶ romanciers ◀de▶ ◀la▶ nouvelle génération : cet appel à ◀la▶ vie communautaire, ce réalisme plein, ce sens du concret spirituel, cette amitié des hommes et du pays, qui permettra peut-être un jour prochain, ◀de▶ parler de nouveau ◀de▶ patrie.
Il y a vraiment du nouveau dans cette œuvre, et c’est à nous plus qu’à quiconque qu’il appartient ◀de▶ ◀le▶ reconnaître. Un tel livre n’est pas ◀de▶ ceux dont ◀la▶ carrière s’épuise en une saison, si j’en crois ◀l’▶amitié, ◀les▶ visages, et ◀les▶ couleurs si pures qu’il laisse dans ◀le▶ souvenir.