Plébiscite et démocratie (avril 1936)x
1. En quoi le plébiscite diffère des élections parlementaires
Pour une mentalité française actuelle, moyenne, les récentes « élections » nationales-socialistes doivent logiquement apparaître soit comme un truquage monumental, soit comme une manifestation de▶ puissance ◀d’▶un parti, au moins superflue. Les « élections » au Reichstag du 29 mars ne consistaient nullement en une concurrence libre ◀de▶ groupes ou ◀d’▶opinions : un seul parti présentait des candidats, et le seul ministre de l’Intérieur était en droit ◀de▶ nommer définitivement les députés. Le vote revenait donc à dire oui ou non à la politique nationale-socialiste, c’est-à-dire au Führer en personne. En fait, il ne s’agissait pas ◀d’▶élections, au sens parlementaire, mais ◀de▶ plébiscite. Il ne s’agissait pas ◀de▶ doser les opinions, mais au contraire ◀d’▶obtenir l’unanimité ◀de▶ la nation sur une question vitale. La « lutte électorale » revenait ainsi à la lutte du parti au pouvoir contre l’opposition secrète, informulée, des ennemis du régime, et contre l’inertie des citoyens et citoyennes qui eussent négligé ◀de▶ faire usage ◀de▶ leur droit ◀de▶ vote. Ceci posé, la technique ◀de▶ la propagande et du vote lui-même était indiquée par la nature du but visé, et il n’y a pas lieu ◀de▶ chicaner sur ce point, encore que certains membres du parti N.-S. reconnaissent qu’on a été « un peu fort » dans l’application des moyens ◀de▶ contrainte légale, surtout dans les petites localités (vote en masse, en cortège, à bulletins ouverts, etc., privant les opposants ◀de▶ toute faculté pratique ◀de▶ dire non). Le but étant l’unanimité, et non la majorité, et cette unanimité n’existant pas encore, il fallait créer ◀de▶ gré ou ◀de▶ force ses conditions. On peut contester la légitimité ◀de▶ la fin poursuivie, mais si on l’admet, il faut admettre aussi qu’elle « justifiait » les moyens mis en œuvre. L’indignation ◀d’▶une partie ◀de▶ notre presse contre les procédés ◀de▶ pression utilisés par le parti N.-S. vient ◀d’▶un malentendu sur le mot élections, lié chez nous au régime parlementaire, c’est-à-dire à la « libre » concurrence des groupes, tandis qu’il ne désigne en Allemagne qu’une opération ◀de▶ propagande au profit ◀d’▶un régime essentiellement antiparlementaire.
2. Plébiscite et démocratie
Mais cette opération antiparlementaire a été présentée au peuple allemand comme un acte démocratique.
Le Führer, dans plusieurs ◀de▶ ses discours, a longuement insisté sur ce point. Les démocraties ◀de▶ l’Ouest, disait-il en substance, ne sont en réalité que des oligarchies. Le peuple y est privé du pouvoir ◀de▶ trancher les questions importantes. Entre lui et le gouvernement, il y a toute une caste ◀de▶ politiciens ◀de▶ métier qui, une fois élus pour plusieurs années, ne se soucient pas forcément ◀de▶ la véritable volonté ◀de▶ la nation… Pour moi, ajoutait-il, je viens faire appel à vous tous pour la troisième fois en trois ans. Je ne puis rien sans votre approbation, sans votre confiance. Je ne suis pas un usurpateur, ni un dictateur, mais je suis le porte-parole ◀d’▶une volonté nationale à laquelle j’obéirai toujours aveuglément. (« Je marche comme un somnambule aux ordres ◀de▶ la Providence du peuple allemand. ») Et il terminait ◀d’▶une voix tonnante : « Voilà ce que j’appelle ◀de▶ la vraie démocratie ! »
À quoi les « démocraties ◀de▶ l’Ouest » peuvent répondre sans chercher bien loin : si vous n’étiez pas sûr ◀d’▶avance du résultat ◀de▶ votre plébiscite, vous sauriez fort bien gouverner sans recourir à cette « Providence » organisée, et qui a commencé par suivre aveuglément vos ordres avant que l’idée vous vien[ne] ◀de▶ lui demander les siens. Mais le Führer a prévu l’objection, et il la réfute ◀d’▶avance avec un sens démagogique incomparable. « Avant ◀d’▶en appeler à l’opinion, dit-il, il faut que cette opinion existe. Or comment voulez-vous vous faire une opinion quand il y a 46 partis qui sollicitent vos suffrages ? C’est difficile ◀de▶ faire comprendre complètement le programme ◀d’▶un seul parti aux électeurs. Mais c’est au-dessus des forces ◀d’▶un simple mortel ◀de▶ faire comprendre à tout citoyen 46 programmes différents, et ◀d’▶exiger qu’il choisisse en connaissance de cause. C’est pourquoi la vraie démocratie n’est possible que là où l’opinion a été formée et disciplinée par un seul parti dirigé par un seul homme. » (Je simplifie à peine le raisonnement : on peut en retrouver le texte exact dans plusieurs discours ◀de▶ Hitler imprimés et traduits en français.)
Je ne puis pas me mettre dans la peau ◀d’▶un électeur allemand qui écoute ce langage. Il se peut qu’il soit un instant gêné par le sophisme qui assimile « vraie démocratie » et gouvernement ◀d’▶un seul appuyé sur une opinion qu’il s’est créée favorable par les moyens que l’on sait. Mais il est probable que cet électeur est beaucoup plus sensible à la dénonciation du sophisme contraire, parce qu’il en a souffert pendant les années ◀d’▶inflation et ◀de▶ chômage ; j’entends le sophisme des régimes parlementaires qui appellent « démocratie » le gouvernement du peuple par des députés livrés à toutes les intrigues des puissances occultes.
En réalité, la « démocratie » hitlérienne et la « démocratie » parlementaire française sont deux trahisons qualifiées ◀de▶ la véritable démocratie, définie comme le gouvernement du peuple par lui-même. Ce régime idéal, la démocratie pure, n’a jamais pu s’exercer qu’à une très petite échelle : celle ◀de▶ certains petits cantons suisses où les affaires publiques sont discutées par l’assemblée plénière des électeurs, ou Landsgemeinde. Mais une telle démocratie, la seule réelle, n’est plus possible dès que le nombre des électeurs dépasse la dizaine ◀de▶ milliers. Dès lors, la « délégation du pouvoir » s’impose pour des raisons pratiques — dans les États centralisés — et il ne reste plus qu’un seul moyen ◀de▶ la contrôler « démocratiquement » : c’est le référendum, c’est-à-dire le rejet ou la confirmation par le moyen ◀d’▶un vote général, demandé par un groupe ◀de▶ citoyens, ◀d’▶une loi ou un projet ◀de▶ loi. Là où le référendum n’existe pas, comme en France, on ne saurait parler sans sophisme ◀de▶ démocratie. Mais là où le référendum ne peut être provoqué que par le gouvernement, comme en Allemagne, en ne saurait parler sans sophisme ◀d’▶un contrôle ◀de▶ pouvoir par le peuple.
3. Nécessité du plébiscite
Le plébiscite est donc un référendum contrôlé, — pratiquement : un référendum truqué. Il peut apparaître politiquement nécessaire dans deux cas :
1° Lorsqu’il s’agit ◀de▶ donner un aspect légal à la prise du pouvoir par un seul homme. (Plébiscites sur les noms ◀de▶ Bonaparte, ◀de▶ Louis-Napoléon et ◀de▶ Napoléon III.)
2° Lorsqu’il s’agit ◀de▶ renforcer le prestige ◀d’▶un régime en créant l’unanimité nationale sur un acte politique défini et isolé, acte qui d’ailleurs a toutes les chances ◀d’▶être très généralement approuvé même par les adversaires du régime. (Les 3 plébiscites hitlériens.)
Dans les deux cas, il s’agit donc ◀d’▶une mesure ◀d’▶exception, ou ◀de▶ crise, exigeant la mise en œuvre ◀d’▶une propagande ◀de▶ masse dirigée par l’État. Et il y a lieu ◀de▶ poser la fameuse question ◀de▶ Voltaire : Jusqu’à quel point a-t-on le droit ◀de▶ tromper le peuple ? — fût-ce pour son bien…
On voit très clairement pourquoi l’État national-socialiste ne peut pas appliquer le système ◀de▶ référendum, et doit se borner au plébiscite, malgré ses prétentions récentes à la « vraie démocratie ». C’est que le problème allemand fondamental est aujourd’hui ◀de▶ constituer une nation unitaire, centralisée, une solide base mystique et étatique pour les conquêtes futures, militaires ou pacifiques. Dans le système ◀de▶ l’État-nation, tout référendum doit nécessairement se ramener, ◀d’▶une façon ouverte ou voilée, à un plébiscite. Sinon ce serait la ruine rapide ◀de▶ l’étatisme centralisateur, comme tend à le prouver l’exemple ◀de▶ la Suisse. (On a remarqué depuis longtemps que le référendum suisse est toujours dirigé contre l’État. C’est-à-dire que toute loi proposée par l’État et soumise au référendum se voit ipso facto repoussée par la majorité des citoyens, fût-elle, dans certains cas, excellente.)
La nécessité du plébiscite se confond avec celle ◀de▶ l’État-nation, c’est-à-dire du « fascisme ». Et tant qu’on admettra la nécessité ◀de▶ l’État-nation, toute tentative ◀d’▶instaurer le référendum, la « consultation populaire », sera en réalité une tentative ◀de▶ plébiscite, et donc une négation ◀de▶ la démocratie réelle. (Encore une fois : le référendum n’est possible en Suisse, il n’est « démocratique » que dans la mesure où le fédéralisme suisse subsiste, et où l’État centralisé n’a que des pouvoirs limités et ne « fait » pas l’opinion publique.)
4. La France a passé l’âge des plébiscites
Pour un pays qui a fait son unité depuis des siècles, et qui peut-être a même été trop loin dans ce sens ; pour un pays qui a fait la Révolution ◀de▶ 89, c’est-à-dire qui a pris conscience ◀de▶ sa réalité nationale depuis bientôt 150 ans ; pour un pays enfin dont la mission a toujours été libératrice — ou tout au moins affirmée telle — la tentation plébiscitaire, qui est la tentation fasciste, n’a plus ◀de▶ sens historique ni spirituel.
Il importe ◀d’▶insister sur cette conclusion, au moment où nous critiquons le système apparemment tout contraire des élections partisanes. Si nous sommes antiparlementaires, nous ne souffrirons pas que la paresse ◀d’▶esprit ou la mauvaise foi ◀de▶ nos adversaires nous assimilent pour autant à un « fascisme » contre lequel toute la doctrine et l’attitude profonde ◀de▶ l’ON se dressent en une opposition irréductible, essentielle. L’État-nation, voilà l’ennemi ; et peu nous importe que ce soit un pseudo-fascisme ◀de▶ droite ou un pseudo-démocratisme ◀de▶ gauche qui cherche à l’instituer en France, avec l’appui des Forges ou avec l’appui ◀de▶ Moscou : en regard de la mission personnaliste ◀de▶ la France, ces deux tentatives ne seront jamais que des trahisons jumelles.
Nous sommes contre la centralisation, contre l’étatisme, contre le nationalisme étatisé, contre toute espèce ◀de▶ fascisme imité ◀de▶ Mussolini, ◀d’▶Hitler ou ◀de▶ Staline, mais aussi contre toute espèce ◀de▶ fascisme « à la française ». Parce que nous sommes pour le fédéralisme communaliste, pour l’exercice ◀de▶ l’autorité sur place, par des hommes responsables et qui savent ce qu’ils font, dans un cadre qui soit à mesure ◀d’▶homme, — pour la seule vraie « démocratie », dirions-nous volontiers, si le mot ne couvrait aujourd’hui les plus flagrantes trahisons ◀de▶ la chose.