Qu’est-ce que la politique ? (juin 1936)z
1. La politique est en principe ce qui intéresse la cité. Aucun des habitants de▶ la cité n’a donc le droit ◀de▶ s’en désintéresser. Ou, s’il le fait, il perd le droit ◀de▶ se plaindre quand les affaires, à son avis, vont mal. Ainsi parle un grossier bon sens.
2. Nous voyons aujourd’hui un nombre grandissant ◀d’▶intellectuels proclamer avec émotion leur volonté ◀de▶ s’intéresser à la cité dont ils sont membres. Leur émotion est celle ◀d’▶une découverte. Ils découvrent que le droit ◀de▶ se plaindre, dont ils avaient toujours usé, entraîne le devoir ◀de▶ modifier la situation dont ils se plaignent. Cette conséquence est pour eux si nouvelle, qu’ils éprouvent le besoin ◀de▶ « justifier » leurs interventions politiques, — comme si cela n’allait pas de soi ! (Exemple : les Pages ◀de▶ journal ◀d’▶André Gide.)
Cette fausse honte ou cette mauvaise conscience, cette crainte ◀de▶ « trahir » en servant, ces raisons que l’on s’efforce ◀de▶ donner, non sans maladresse, avant ◀d’▶assumer un devoir qui paraîtrait, en temps normaux, incomber à tout homme normal, enfin ces débats enfiévrés pour savoir si le clerc doit être un citoyen tout comme les autres, s’il doit « faire ◀de▶ la politique », — ce malaise irritant révèle une profonde incertitude : non seulement c’est le sens politique qui fait défaut, mais c’est le sens même ◀de▶ la politique en général qui n’est plus clairement aperçu, dans l’élite ◀de▶ la nation.
On sent qu’un homme humain, intelligent, honnête et doué ◀de▶ sens critique, se devrait en tout temps ◀de▶ participer à la chose civique ; mais on sent aussi que la politique, telle qu’elle est conçue et pratiquée ◀de▶ nos jours, est une menace sérieuse pour l’intégrité ◀de▶ l’homme, son intelligence, son honneur et ses facultés critiques. À la question qui résulte ◀de▶ ce malaise : « faut-il ou non faire ◀de▶ la politique ? », on ne peut répondre avec sécurité que si l’on a d’abord répondu à cette autre question : qu’est-ce que la politique ? Car si la politique est ce que l’on pense ordinairement, c’est une peste, et tous les raisonnements qui voudraient nous y engager sont ◀de▶ misérables sophismes. Mais si la politique devient ce que nous voulons qu’elle soit, la question ◀d’▶en faire ou ◀de▶ n’en pas faire ne se pose même plus.
3. La politique, en France, revêt des formes beaucoup plus variées et complexes que celles qu’on lui voit prendre dans les États totalitaires (URSS et fascismes). J’essaierai ◀de▶ la définir par quatre ◀de▶ ses principaux caractères.
a) Elle consiste d’abord dans la lutte des partis. Pour un très grand nombre ◀de▶ citoyens, le but à atteindre n’est pas d’abord ◀d’▶assurer le bon fonctionnement ◀de▶ l’État, la paix publique, la grandeur morale ◀de▶ la nation et le libre déploiement ◀de▶ ses forces créatrices. Le but est d’abord ◀de▶ faire triompher tel parti dont on est membre. On tient le parti pour plus grand que le tout. On encore : le but est simplement ◀de▶ militer bruyamment dans le parti, moins par amour passionné pour son idéal que par haine des autres partis, et souvent moins par haine des autres partis que par besoin ◀d’▶entretenir ◀de▶ vieux débats dont on connaît par cœur tous les arguments, et qu’on aime répéter comme le refrain ◀d’▶une chanson idiote mais « qui fait toujours plaisir ».
À droite on assimile volontiers [la] France, « la vraie », aux partis ◀de▶ droite. À gauche, on fait volontiers passer la fidélité au parti avant la fidélité au bien commun ◀de▶ la nation. Ainsi, quand tout va bien, quand la machine paraît rouler ◀d’▶elle-même, dans l’intervalle des crises économiques, les partis deviennent des académies ou des écoles ◀de▶ rhétorique vulgaire, et les questions ◀de▶ personnes, le jeu des vieilles rancunes, y priment nécessairement toute espèce ◀de▶ souci ◀de▶ la cité dans son ensemble, et ◀de▶ son destin créateur. Et quand tout va mal, quand la crise est là, les partis se mettent à déchirer la nation avec une absence ◀de▶ scrupules qui rappelle des temps fort décriés : ceux ◀de▶ la grande féodalité guerrière, le pillage du pays par les barons.
Je dis que pratiquement — donc en laissant ◀de▶ côté les déclarations des congrès —, la moderne féodalité des partis n’agit pas autrement vis-à-vis de la nation et ◀de▶ ses intérêts supérieurs, que la moderne féodalité des trusts et des banques, et que l’ancienne féodalité des grands seigneurs. Partis ! Bastilles à démolir ! Je dis ensuite qu’un honnête homme, et de plus patriote, se doit ◀de▶ rejeter tous les partis41. Et que dans la mesure où la politique se confond avec le jeu et la lutte des partis, il doit se déclarer ◀de▶ toutes ses forces antipolitique.
b) On appelle aussi « politique » la rumeur confuse des idéologies que les partis prétendent servir. Trahison républicaine conservatrice, « doctrine » radicale, idée socialiste, mots d’ordre communistes… En marge de l’action directe, abandonnée aux comités électoraux et aux députés, des millions ◀de▶ citoyens s’excitent sur les hebdomadaires ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche, où s’expriment ces idéologies. L’influence ◀de▶ ces feuilles n’est plus niable. J’attends encore l’homme sain qui osera faire leur éloge ! Elles nous présentent chaque semaine dans leurs échos et leurs leaders l’anthologie ◀de▶ la mauvaise foi, ◀de▶ l’ignorance, des préjugés crétinisants, des rancunes ◀de▶ personnes médiocres et des plaisanteries à tant la ligne la plus propre à nous faire envier la suppression des libertés ◀de▶ la presse. (Si les journaux des pays fascistes ou communiste se livrent parfois, eux aussi, à des débauches ◀de▶ mensonges haineux du même calibre, du moins sait-on que la dictature en est seule responsable. La honte n’en retombe pas sur des hommes « libres » !) À lire les revues et les hebdomadaires ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite, rédigés par des intellectuels, on est bien forcé ◀d’▶avouer qu’il n’y a plus en France ◀de▶ véritable idéologie politique. Ce qu’on nous offre sous ce nom n’est qu’un lamentable ramassis ◀de▶ phrases empruntées à des révolutions étrangères ou périmées, et ◀de▶ mots d’ordre soi-disant « tactiques », mis au service non point ◀d’▶un idéal communautaire, mais ◀de▶ passions et ◀d’▶intérêts sans grande portée. Pour réfuter le colonel de la Rocque — petit jeu pour les débutants — les intellectuels ◀de▶ gauche n’ont rien trouvé ◀de▶ mieux que le mot ◀de▶ « fasciste », qui est ridicule en l’occurrence, et l’accusation ◀d’▶être comte et ◀de▶ s’appeler Casimir, qui me paraît un peu subtile. Et pour réfuter le communisme — ce qui serait plus intéressant tout de même — les droites se bornent à affirmer, contre toute évidence, que la doctrine ◀de▶ Marx est un facteur ◀de▶ désordre et qu’elle entraîne la ruine ◀de▶ la famille42.
Si la politique, c’est cela, je dis qu’un honnête homme, et au surplus intelligent, se doit ◀de▶ n’y pas tremper fût-ce du bout ◀de▶ son stylo.
c) Justement écœurés par les politiciens, comitards ou « idéologues », beaucoup en viennent à définir la politique comme une simple technique ◀de▶ gouvernement. Il serait souhaitable en effet que le ministère des colonies soit géré par un homme qui connaisse autre chose que les potins ◀de▶ sa circonscription ; et celui des finances par un homme honnête ; et celui des affaires étrangères par un homme qui connaisse la langue des pays voisins et l’esprit ◀de▶ leurs institutions. Mais ceux qui veulent des techniciens, des ingénieurs et des banquiers dans les conseils ◀de▶ l’État et qui pensent que dès lors tout marcherait ◀de▶ soi, ceux qui envient le brain trust ◀de▶ Roosevelt, oublient que la mission ◀d’▶un peuple n’est pas une affaire ◀de▶ calcul. Ils réduisent toute la politique au jeu subalterne des fonctions étatiques. En somme, ils donnent à la majorité des citoyens ◀d’▶excellentes raisons ◀de▶ se désintéresser ◀de▶ la conduite ◀de▶ leur cité. Et bien qu’ils se recrutent en général parmi les « gens ◀de▶ droite », ils représentent la tendance la plus rigoureusement matérialiste.
d) À l’inverse du désir ◀de▶ ces nouveaux « physiocrates », nous voyons, depuis peu, la politique prendre l’aspect ◀d’▶un mysticisme, et cela surtout chez les intellectuels du Front populaire. On attend ◀d’▶elle la création ◀d’▶un « homme nouveau », ◀d’▶une humanité riche, heureuse, orgueilleuse ◀de▶ sa force, libérée ◀de▶ tout tragique, et comme délivrée par l’État ◀de▶ l’oppression du péché originel, sombre invention « réactionnaire ». On s’exalte à qui mieux mieux sur les « immenses espérances » éveillées par le communisme. On prêche, on s’attendrit, on excommunie, on crie au blasphème, on dénonce les obscurantistes, on prophétise le règne du Bonheur, ◀de▶ la Raison, ◀de▶ la Richesse et du Progrès. Et l’on se croit pour autant « révolutionnaire » ou simplement communiste.
Je dis que cette « politique » sentimentale, cet ersatz ◀de▶ religion, cette renaissance des mythes bourgeois : 1° n’est qu’un mauvais négatif du christianisme ; 2° ne peut mener qu’à une forme avachie ◀de▶ fascisme, car le fascisme et surtout le national-socialisme préconisent eux aussi toutes ces « valeurs », et y ajoutent celles ◀de▶ la race et ◀de▶ la nation, qui donnent à l’ensemble un dynamisme physique autrement impressionnant ; 3° correspondent, en politique, à l’étatisme le plus tyrannique.
Si donc « faire ◀de▶ la politique » consiste à recouvrir ◀de▶ fleurs ◀de▶ rhétorique rationalo-sentimentale une opération très précise ◀de▶ spoliation des libertés ◀de▶ la personne43 par l’État (que ce soit au nom d’une classe ou ◀de▶ la race n’y change rien), j’estime être plus utile à la cité en faisant ◀de▶ la philosophie et ◀de▶ la théologie pures.
En résumé : si la politique n’est que ce qu’elle est actuellement en France, je dis qu’un homme honnête, au surplus patriote et intelligent, pleinement humain, et doué ◀de▶ sens critique, a toutes les raisons ◀de▶ s’en abstenir avec rigueur, et ◀d’▶affirmer la nécessité ◀d’▶une attitude radicalement antipolitique.
4. Mais — la politique est à nos yeux toute autre chose que ce que l’on a coutume ◀d’▶appeler ainsi, quand on se demande s’il faut en faire ou non.
En France44, elle est devenue la science ou l’art, également impurs et maléfiques, des rapports ◀de▶ partis à partis, ou ◀d’▶idéologies à idéologies, sur un plan qui n’est pas celui des intérêts vraiment humains, ni surtout ◀de▶ l’intelligence, mais bien des passions égoïstes et courtes, ou des sentiments incontrôlés, — c’est-à-dire qu’elle est devenue une culture ◀de▶ la mauvaise foi et ◀de▶ la haine stérile.
Ailleurs, peut-être, et traditionnellement, la politique est d’une part la science des rapports ◀de▶ l’individu et ◀de▶ l’État — politique intérieure —, d’autre part la science des rapports ◀de▶ la nation et des autres nations — politique extérieure.
Dans le cas ◀de▶ la France, si un homme se sent poussé à l’action publique par des motifs qu’on peut admettre généreux, il se voit condamné aussitôt à des complicités honteuses et moralement dégradantes. Bien peu y échappent : ce ne sont pas ceux qui réussissent. Dans le cas d’autres pays, qui auraient conservé la conception traditionnelle ◀de▶ la politique, l’homme se voit entraîné dans la vie civique par devoir, au nom des « intérêts » ◀de▶ l’État, ou au nom des « intérêts » ◀de▶ la nation. La politique reste quelque chose ◀d’▶extérieur à son être véritable. ◀D’▶où la distinction bien connue entre la vie publique et la vie privée. Cette distinction conduit nécessairement à la création ◀d’▶une caste ◀de▶ politiciens, permettant à la majorité des citoyens ◀de▶ se désintéresser, en pratique, du bien commun. Et l’on admet alors qu’il existe deux morales, l’une privée et l’autre politique, la plupart du temps contradictoires, ou en tous cas, sans commune mesure.
5. Pour nous, personnalistes, c’est tout le contraire : la vraie politique ne saurait être qu’une expression ◀de▶ la personne même. Elle s’enracine dans l’homme, en tant qu’il est actif, créateur et responsable vis-à-vis de la communauté. Elle n’est pas une obligation imposée par l’État ou la nation, mais au contraire, l’État et la nation ne sont que les émanations, les représentations extérieures ◀de▶ la tension personnelle ◀de▶ chaque homme, ◀de▶ chaque membre ◀d’▶une communauté.
Toute personne, lorsqu’elle se manifeste comme telle, crée aussitôt une tension. D’une part elle organise ses appuis matériels, d’autre part elle s’élance vers un but nouveau. Cette double activité aboutit à la création ◀de▶ l’État — secteur organisé — et ◀de▶ la nation, idéal commun. Elle implique une hiérarchie : l’organisation devant être normalement subordonnée à la création.
Il résulte ◀de▶ cette définition ◀de▶ la politique que tout homme, dans la mesure où il agit personnellement, se trouve engagé par là même dans la vraie politique. Car d’une part il a besoin ◀de▶ la base matérielle assurée par l’État, d’autre part il ne peut créer dans le vide, et sa création, quelle qu’elle soit, se répercute et prend toute sa valeur dans le domaine national45.
Les grandes lignes ◀de▶ la politique ◀de▶ l’Ordre nouveau se trouvent ainsi déterminées. C’est en vertu de notre conception ◀de▶ la personne que nous voulons subordonner l’État à la liberté créatrice ◀de▶ ceux qui forment la nation46. C’est en vertu de notre conception ◀de▶ la personne que nous voulons assurer à chacun un « minimum vital », c’est-à-dire une base matérielle ◀de▶ départ. (◀D’▶où notre définition du rôle ◀de▶ l’État, limité et fort, et l’institution du service civil.) C’est en vertu de notre conception ◀de▶ la personne que nous voulons restaurer le sens ◀de▶ la mission nationale des Français47. C’est en vertu de notre conception ◀de▶ la personne, enfin, que nous jugeons désirable et féconde la pluralité des vocations, des idéaux et des nations, et leur fédération sur pied ◀d’▶égalité.
Ainsi encore, notre méthode dichotomique — que beaucoup ont tant de peine à comprendre — est la méthode politique par excellence, au sens que nous venons de donner du politique. Elle consiste à faire la part, dans l’activité des personnes aussi bien que dans celle des peuples, ◀de▶ ce qui est organisation et ◀de▶ ce qui est création ; et à subordonner à tous les étages les moyens aux fins, les outils à l’idée directrice, les mécanismes matériels aux œuvres spirituelles, enfin l’État à la nation.
Dès lors il ne peut plus y avoir ◀d’▶opposition entre la morale privée et la morale publique. Car la politique ne fait que reproduire à une vaste échelle le mouvement même ◀de▶ la personne en exercice, ce double mouvement ◀d’▶organisation des appuis matériels, et ◀d’▶élan vers des buts que l’esprit imagine. La politique véritable, de même que toute conduite personnelle, supposera toujours à la fois une technique précise et un effort spirituel. Et la plus haute réussite sera toujours ◀d’▶adapter avec souplesse la technique aux buts qu’elle doit servir.
Celui qui a compris cela, a compris l’Ordre nouveau.
6. On nous dira : tout cela est bien beau, bien cohérent, — trop cohérent… Quel est le peuple qui ait jamais pratiqué une telle politique, dans l’histoire du monde ? La politique, voyez-vous, c’est un jeu beaucoup plus impur, c’est la bataille des intérêts, des orgueils et des appétits. Selon leur tempérament, les uns s’en détournent avec dégoût et font ◀de▶ la littérature ou du commerce, les autres s’y abandonnent avec délices et deviennent ces êtres absurdes et maléfiques qu’on nomme des politiciens, ou ces espèces ◀d’▶obsédés maniaques qu’on nomme des vieux militants. — On nous dira aussi : vous n’êtes que des intellectuels…
À ceux qui nous diront cela, je demande :
1° Est-ce une raison, parce que personne au monde n’a jamais mené une vie parfaitement morale, pour renoncer à affirmer les droits ◀de▶ la morale ? Est-ce une raison, parce que les « politiques » pratiquées jusqu’ici avec le succès que l’on sait, voir la crise présente, ont été fausses, malfaisantes, dégradantes, pour continuer ◀de▶ gaieté ◀de▶ cœur à les pratiquer, ou au contraire pour commettre cette espèce ◀de▶ suicide que nous recommandent les clercs purs ?
Le but et l’utilité pratique ◀d’▶une doctrine n’est-ce pas justement ◀d’▶offrir un « modèle » ◀d’▶action juste et bienfaisante ? Et si personne ne veut plus s’occuper ◀de▶ la vérité, sous prétexte que le mensonge a plus ◀de▶ succès, croit-on que c’est là du « réalisme » ? Oui ou non, sommes-nous en pleine crise ? Oui ou non, cette crise couronne-t-elle la « politique » des « réalistes » ?
Nous nous adressons à ceux qui veulent en sortir, et non pas aux syndics ◀de▶ faillites, ni aux faillis qui se réjouissent ◀de▶ l’être.
2° Nous sommes « intellectuels », certes, dans ce sens que nous voulons nous servir aussi ◀de▶ notre intelligence pour travailler à mettre en marche un ordre neuf. Nous sommes « intellectuels », certes, dans ce sens que nous croyons la vérité plus utile que les mensonges intéressés, au bout du compte. Nous sommes « intellectuels », certes, parce que nous croyons qu’un effort ◀de▶ la raison et ◀de▶ l’imagination est pratiquement nécessaire, dans la crise où nous sommes, pour dépasser le cercle vicieux des intérêts étroits, partiels, mal compris, meurtriers, où s’excite et se débat la « politique » des « réalistes » à la petite semaine. Nous sommes « intellectuels » enfin, parce que nous croyons que les gens « pratiques » et les opportunistes, ceux qui prétendent connaître les hommes et savoir les mener — à quoi ? — ont suffisamment fait leurs preuves.
Quant à ceux qui nous reprocheraient ◀d’▶être ce qu’on appelle « ◀de▶ purs intellectuels », c’est-à-dire des êtres ignorants des conditions concrètes ◀de▶ la vie actuelle, nous les invitons cordialement à participer à notre prochaine expérience ◀de▶ service civil : remplacer un manœuvre dans une usine pendant 15 jours, et lui assurer ainsi des vacances payées, tout en contribuant à l’élaboration ◀d’▶un nouveau régime du travail, voilà l’un des aspects ◀de▶ notre « intellectualisme »
En vérité, il serait temps que les hommes, doués ◀de▶ raison, qui s’intéressent au sort de la cité, reconnaissent l’évidence suivante : la cause profonde ◀de▶ la crise mondiale n’est autre que la bêtise des « réalistes » et ◀de▶ leurs politiciens. Bêtise qui se traduit d’une part par un attachement borné aux seuls intérêts immédiats — les capitalistes n’ont pas vu plus loin que le bout ◀de▶ leur nez —, d’autre part par une effrayante absence ◀d’▶imagination — ◀d’▶où l’étroitesse, la timidité, la puérilité des réformes que l’on nous propose à gauche et à droite.
7. Nous dirons, encore plus simplement, à ceux qui nous reprochent ◀de▶ vouloir une politique vraie, et même intelligente : — Continuez donc ! Militez dans le Front populaire ou le Front national ! Faites ◀de▶ la « politique » en dépit de toute dignité humaine et ◀de▶ toute réalité européenne et mondiale. Si vous aimez ça, restez dedans. Mais alors, ne vous plaignez plus. Et si notre mariée vous paraît trop belle, nous la réserverons pour une nouvelle jeunesse. — Mais si vous n’aimez pas ça, si vous voulez en sortir, réfléchissez, examinez notre doctrine. Et ne vous contentez pas ◀de▶ traiter ◀de▶ « fascistes » des hommes qui veulent subordonner l’État aux libertés — ce qui est l’inverse ◀de▶ l’effort fasciste — ni ◀de▶ communistes des hommes qui veulent la liberté ◀de▶ l’esprit.
8. Les grandes politiques naissent ◀de▶ grandes visions, ◀d’▶utopies créatrices, ◀d’▶idéaux jaillis des profondeurs ◀de▶ l’homme et ◀d’▶une large considération des réalités mondiales. Elles ne sont pas le fait des petits calculateurs locaux, des comitards, des techniciens électoraux, des requins ◀d’▶affaires ou des vieux routiers du parlementarisme. Et encore moins ◀de▶ chefs ◀de▶ partis aveuglés par les intérêts peut-être valables, mais limités et provisoires, ◀de▶ leurs électeurs.
Plusieurs puissances pratiquent dans le monde ◀d’▶aujourd’hui ◀de▶ grandes politiques et même des politiques démesurées. Il y a le Japon qui veut dominer sur l’Asie ; il y a l’URSS qui veut faire mieux que l’Amérique et qui ne demande rien ◀de▶ moins à ses ingénieurs que ◀d’▶établir les plans du paradis terrestre ; il y a le puissant mouvement panafricain, si mal connu en Europe ; il y a l’Allemagne qui dresse toute sa jeunesse au service ◀de▶ l’État le mieux « entraîné » qu’on ait vu dans l’histoire… Que va faire la France dans ce monde ? Quelle est sa mission, sa raison ◀d’▶être, sa raison ◀de▶ subsister et ◀de▶ créer ? A-t-elle une politique intérieure qui corresponde au rôle que les autres puissances la mettent au défi ◀de▶ jouer ? A-t-elle une conception ◀de▶ l’homme qui lui soit propre, et qu’elle puisse opposer victorieusement aux conceptions nouvelles ou rétrogrades que les autres puissances exaltent ?
Toutes ces questions sont des questions ◀de▶ vie ou ◀de▶ mort pour l’ensemble ◀de▶ la nation. Ceux qui leur donneront une réponse efficace, donneront du même coup un but commun aux efforts ◀de▶ tous les citoyens, par-dessus les partis et leurs pauvres vieilles idéologies. C’est-à-dire qu’ils donneront enfin une base et une perspective et un avenir communs à la politique, à la culture, à toutes forces créatrices ◀de▶ ce pays.