Ballet de▶ la non-intervention (avril 1937)ah
Première figure. — Juillet. La rébellion militaire éclate en Espagne. Victorieuse au Maroc, elle est écrasée rapidement à Madrid, en Catalogne, à Saint-Sébastien. Le gouvernement espagnol annonce qu’il est maître ◀de▶ la situation. Une semaine plus tard, il annonce qu’il est sur le point de s’en rendre maître. Un mois plus tard, que ce n’est plus qu’une question ◀de▶ temps.
Au cours de ce premier mois, les camps se sont formés en Europe : la Russie est pour le gouvernement, l’Allemagne et l’Italie pour les rebelles. C’est net. Quant à la France, elle ne fait que refléter ces deux opinions : la droite soutient Franco parce qu’il est soutenu par le fascisme ; la gauche Caballero, parce qu’il est soutenu par le communisme.
Les journaux ◀de▶ gauche n’annoncent que des victoires gouvernementales ; seuls les ennemis ◀de▶ la démocratie oseraient remarquer que ces victoires successives se rapprochent toujours plus ◀de▶ Madrid. Quant aux journaux ◀de▶ droite, voici ce qu’en disait récemment une vieille dame : « Ce que j’aime dans le Jour, c’est qu’au moins avec ce journal, les nôtres gagnent toujours. »
Deuxième figure. — L’ironie du metteur en scène s’exerce aux dépens des uns et des autres : Franco est arrêté devant Madrid, les « atrocités » paraissent équivalentes des deux côtés. Unamuno qui avait parlé « à droite » meurt « à gauche ». D’ailleurs on ne s’occupe plus que ◀de▶ David Windsor. Il y a là quelque chose ◀d’▶intolérable. Non pas le massacre des Espagnols par les Espagnols, mais la non-victoire des fascistes ou des communistes. L’abstention devient impossible : c’est alors qu’on invente la non-intervention. Ce tour ◀de▶ vocabulaire sauve la paix, et, de plus, il a l’avantage ◀de▶ sauver la guerre en même temps.
La Russie envoie du matériel, des techniciens et un ambassadeur chargé ◀de▶ conduire la guerre ; moyennant quoi, elle entre dans le comité ◀de▶ non-intervention. Elle y retrouve l’Allemagne, qui a envoyé du matériel, des techniciens et un ambassadeur qui est un général. L’Italie s’est contentée ◀de▶ faire débarquer quelques dizaines ◀de▶ milliers ◀d’▶hommes : on lui fera tout de même une place dans le fameux comité.
Le gouvernement français, inventeur ◀de▶ la non-intervention, qui sauvegarde la paix, pratique lui aussi la non-abstention qui permet la guerre, mais avec un sens ◀de▶ la mesure tout à fait traditionnel. C’est qu’il s’agit ◀de▶ « doser », comme à la Chambre. La paix et le centre exigent la non-intervention dans le sens ◀d’▶abstention. La gauche exige la non-intervention dans le sens ◀de▶ non-abstention. L’extrême gauche soutient la non-intervention et pratique la non-abstention. La droite soutient la non-intervention mais ne pratique pas la non-abstention73. M. Blum s’y retrouve, il est intelligent : la non-intervention ménage tout le monde, et le fait qu’on tolère des bureaux ◀de▶ recrutement pour le Fronte Popular apaise les activistes. Chiffre des volontaires enrôlés en France pour l’Espagne gouvernementale : novembre et décembre, 14 000 Français, 8000 étrangers.
Résultats obtenus par la non-intervention au 1er janvier 1937 : la guerre continue en Espagne, les deux camps restent sur leurs positions.
Troisième figure. — Février. Les Italiens prennent Malaga, mais Rome commence à s’inquiéter pour le sort prochain ◀de▶ son corps expéditionnaire. (Diverses raisons morales et matérielles légitiment en effet cette inquiétude…) Le général Faupel fait un rapport des plus pessimistes au Führer sur le rendement du matériel allemand. Des volontaires anglais, qui ont enfin compris, se décident à s’enrôler. Enfin le gouvernement français constate que le chiffre des volontaires engagés par les bureaux parisiens diminue très rapidement ◀d’▶une semaine à l’autre. Le plein est fait. En janvier, plus ◀de▶ 1000 Français et 1200 étrangers ; en février 500 Français et 1000 étrangers. Le parti communiste a fermé ses bureaux, à la suite de troubles intérieurs dans le camp ◀de▶ Valence. La Russie déplace son ambassadeur non abstentionniste74.
Déception générale. La non-intervention au sens ◀de▶ non-abstention ne rendant plus, les puissances décident solennellement ◀de▶ passer au système ◀de▶ la non-intervention dans le sens ◀d’▶abstention. Et l’on prévoit déjà une « solution diplomatique » des affaires ◀d’▶Espagne. Rideau. Dividendes. Monopole des pyrites ◀d’▶Espagne.
Réflexions ◀d’▶un spectateur. — Duperie ◀de▶ la paix, ◀de▶ la paix à tout prix, fût-ce au prix de la guerre chez les autres. Maurras affirme que « la paix est le chef-d’œuvre ◀de▶ l’art humain ». Voilà qui met notre art bien bas. Et ce n’est pas seulement une politique qui se trouve jugée par l’aventure ◀d’▶Espagne, mais toute une civilisation ◀de▶ maquignons. Leur paix ne vaut pas mieux que leur guerre. Entre l’équilibre ◀d’▶intérêts ( ?) économiques et ◀de▶ prestiges idéologiques ( ? ?) qu’est leur paix, et l’équilibre des mêmes éléments qu’est leur guerre, il n’y a que la différence ◀de▶ la lâcheté calculatrice à la panique déclarée.
D’ailleurs, sans compter que la division ◀de▶ l’Europe en fascistes et communistes est une des plus lourdes farces ◀de▶ l’Histoire, puisqu’ils veulent les uns et les autres la même forme ◀d’▶État totalitaire, notons que la prise ◀de▶ parti des fascistes pour Franco, et des communistes pour Caballero, a totalement faussé le problème espagnol. Franco est national-socialiste, mais il est aussi clérical. Or c’est le national-socialisme anticlérical qui le soutient. Caballero est communisant, mais les anarchistes ◀de▶ la FAI sont fédéralistes. Or c’est Staline, l’impérialiste centralisateur, l’oppresseur des minorités dans l’Union soviétique, qui soutient la Catalogne !
Faut-il chercher ailleurs que dans ce vertige ◀de▶ confusions la raison des violences passionnelles qu’a déchaînées le conflit espagnol ? Combats, sinon ◀d’▶aveugles, du moins ◀de▶ borgnes. Et les Français se contentent ◀de▶ loucher vers les borgnes ◀de▶ droite ou les borgnes ◀de▶ gauche…
On connaît le choix ◀de▶ l’Ordre nouveau : contre le fascisme et contre le stalinisme, pour l’Espagne fédéraliste. Ce ne peut être encore ◀de▶ notre part qu’un vœu. Mais qui engage toute notre doctrine et ses réalisations à venir.