Lénine, Staline et la▶ littérature (17 avril 1937)n
Pour lutter contre ◀le▶ fascisme, ◀les▶ communistes paraissent avoir compris qu’il faut défendre ◀la▶ culture. ◀Le▶ malheur est qu’ils n’envisagent pour cette défense que des moyens fascistes. « Toute ◀la▶ littérature sociale-démocrate — écrit Lénine en 1905 déjà ! — doit devenir une littérature ◀de▶ Parti. » Et Staline fait écho, trente ans plus tard, à cette déclaration totalitaire ; dans un discours aux cadets ◀de▶ ◀l’▶Académie ◀de▶ ◀l’▶Armée rouge, il s’écrie : « Chez nous, dans ◀les▶ circonstances actuelles, ◀les▶ cadres décident ◀de▶ tout ! » Compris ?
Ces deux phrases sont tirées ◀d’▶un choix ◀de▶ propos ◀de▶ Lénine et ◀de▶ Staline Sur ◀la▶ littérature et ◀l’▶art. Disons tout de suite que ◀le▶ Père des peuples n’a fourni pour sa part qu’une dizaine ◀de▶ pages (sur 150) relatives surtout au développement ◀d’▶une culture nationale-socialiste en Russie. Mais cela permet toutefois ◀de▶ comparer sa manière à celle ◀de▶ Lénine.
Lénine affiche en littérature des goûts tantôt traditionnels et presque scolaires (Lermontov, Pouchkine, Tolstoï), tantôt petits-bourgeois (Monthéus et Barbusse). Son inculture, dans ce domaine, est d’ailleurs franchement avouée par sa veuve : « En Russie, Ilitch ne goûta pas ◀l’▶art nouveau, qui lui demeurait étranger. » Il préférait ◀de▶ beaucoup à Maïakovski ◀le▶ « Salut au 17e » :
Salut, salut à vous, braves soldats du 17e…
ou encore ◀la▶ chanson patriotarde sur ◀l’▶Alsace-Lorraine :
Dans un article ◀de▶ 1922, il loue cependant un poème ◀de▶ Maïakovski contre ◀les▶ bureaucrates.
Je n’appartiens pas, dit-il, aux admirateurs ◀de▶ son talent poétique, bien que je reconnaisse tout à fait mon incompétence dans ce domaine. Mais depuis longtemps, je n’avais éprouvé un pareil plaisir, du point de vue politique et administratif. Dans son poème, il raille impitoyablement ◀les▶ réunions et se moque des communistes qui ne font que siéger et siéger encore. Je ne sais ce qu’il faut penser ◀de▶ ◀la▶ poésie, mais pour ce qui est ◀de▶ ◀la▶ politique, je m’en porte garant, c’est parfaitement vrai.
Voilà qui donne toute ◀la▶ mesure (la dernière phrase surtout) ◀de▶ Lénine « fondateur ◀de▶ ◀la▶ nouvelle culture ». Au moins, c’est franc, sans prétention, et cela rend ◀l’▶homme plutôt sympathique. Mais, en 1935, ◀le▶ ton des « dirigeants » a bien changé. Voici ce qu’écrit, à cette date, ◀le▶ Père des peuples, sur ◀le▶ même Maïakovski :
Il a été et il demeure ◀le▶ poète ◀le▶ meilleur, ◀le▶ plus talentueux ◀de▶ notre époque soviétique. ◀L’▶indifférence à sa mémoire et à ses œuvres est un crime.
Vous reconnaissez ◀le▶ ton du policier, et du fonctionnaire arrivé. « ◀L’▶indifférence à ses œuvres est un crime. » Heureusement pour lui que Lénine est déjà mort et momifié !
Je ne sais quelle était ◀l’▶intention des éditeurs communistes ◀de▶ ce choix. Il en ressort à ◀l’▶évidence que ◀les▶ « idées » ◀de▶ Lénine sur ◀la▶ littérature étaient en général saines, banales, un peu courtes, et que Staline s’est chargé ◀d’▶en extraire ce qu’elles avaient ◀de▶ réactionnaire et ◀d’▶attardé, ou ◀de▶ brutalement primaire, pour ◀le▶ planifier à ◀l’▶échelle ◀de▶ son empire national-socialiste.
À nous ◀de▶ relever ◀la▶ vraie défense de ◀la▶ culture, et ◀d’▶une culture créatrice, novatrice, contre ses fossoyeurs totalitaires, et contre ce distributeur ◀de▶ prix à ◀l’▶Académie ◀de▶ ◀l’▶Armée rouge, ◀l’▶homme des « cadres qui décident ◀de▶ tout ».