M. Benda nous « cherche », mais ne nous trouve pas (juillet 1937)ap aq
M. Benda décrivait l’autre jour à l’▶Union pour ◀la▶ vérité, une « querelle des générations » dont il définissait comme suit ◀les▶ éléments : « ◀L’▶ancienne génération, celle dont ◀les▶ membres avaient environ ◀la▶ trentaine en 1900 fut une génération heureuse ; ◀la▶ génération ◀d’▶après-guerre, en appelant ainsi ◀l’▶ensemble des hommes qui ont aujourd’hui ◀de▶ 25 à 40 ans, est une génération particulièrement éprouvée par ◀les▶ circonstances. » ◀D’▶où résulte que ◀les▶ anciens, ◀les▶ heureux, méprisaient ◀l’▶action politique, — cultivaient ◀la▶ vérité désintéressée, — respectaient ◀les▶ principes éternels, — ◀la▶ liberté individuelle, — ◀l’▶intellectualisme, — ◀la▶ pensée solitaire, — et ◀le▶ bonheur. Tandis que ◀les▶ jeunes, ◀les▶ malheureux, respectent ◀la▶ politique, ne veulent ◀la▶ vérité qu’au service ◀de▶ ◀l’▶action, vénèrent ◀la▶ force, et pratiquent ◀la▶ religion ◀de▶ ◀la▶ lutte et ◀de▶ ◀la▶ vie dangereuse : en conclusion, M. Benda fit observer que ◀les▶ anciens étaient « intellectuels », et que ◀les▶ jeunes se voient contraints par ◀la▶ logique des circonstances à se montrer plutôt… « moraux ».
On goûta beaucoup ◀l’▶euphémisme.
Mais lorsqu’un « jeune » fit remarquer que ◀la▶ génération des anciens est essentiellement celle ◀de▶ Barrès, ◀de▶ Maurras, ◀de▶ Sorel, ◀de▶ Péguy, ◀de▶ Claudel, ◀de▶ Rolland, ◀de▶ Bergson, qui tous, bien qu’« heureux » (selon Benda) ont défendu ◀les▶ thèses que M. Benda attribue à notre jeunesse « malheureuse », — M. Benda refusa ◀de▶ répondre. ◀La▶ génération des anciens, des heureux, des intellectuels riches, c’est M. Benda, et personne ◀d’▶autre.
Et lorsqu’un autre fit observer, en mathématicien, que ◀la▶ gratuité n’est pas une méthode scientifique, et que toute pensée est un acte, M. Benda répliqua qu’il ne s’agissait pas du tout ◀de▶ cela, et que ◀la▶ pensée des jeunes se veut active en ce sens qu’elle vénère « ce qui rapporte », matériellement, bien entendu.
Après quoi, M. Benda apprit à ◀l’▶assistance que ses livres se vendent très bien.
Enfin Denis de Rougemont dénonça ◀le▶ sophisme sur lequel repose ◀l’▶œuvre ◀de▶ M. Benda, œuvre, en dépit des prétentions ◀de▶ son auteur, purement polémique et politique. Ce sophisme consiste à enfermer ◀les▶ intellectuels dans ◀le▶ dilemme : pensée « pure » ou pensée « asservie » à ◀l’▶action, carence ou simonie, M. Benda ou Barrès. ◀La▶ jeunesse personnaliste, déclara notre ami, repousse l’une et l’autre ◀de▶ ces trahisons, et affirme que ◀la▶ pensée doit entrer dans ◀l’▶action, non pas « à son service », mais au service ◀de▶ ◀la▶ vérité. ◀Le▶ mot ◀d’▶incarnation résume cette position.
On nageait en pleine confusion. ◀Les▶ anciens se vantaient et accablaient ◀les▶ jeunes. Ceux-ci refusaient ◀de▶ se reconnaître dans ◀le▶ signalement qu’on leur attribuait.
Cette tempête autour ◀d’▶un verre ◀d’▶eau, dans ◀la▶ salle étouffante ◀de▶ ◀la▶ rue Visconti, nous apprend tout de même quelque chose. S’il est vrai que penser, pour ◀les▶ jeunes, équivaut à gagner ◀de▶ ◀l’▶argent, M. Benda est auprès de nous un grand penseur, mais M. Dekobra est notre maître à tous. Et s’il est vrai que celui qui refuse ◀d’▶endosser ◀les▶ conséquences ◀de▶ sa vérité prouve par là qu’il en a plus ◀de▶ respect que celui qui s’efforce ◀de▶ ◀la▶ réaliser, — c’est que ◀la▶ vérité dont il s’agit ressemble pas mal au néant.
Soyons sérieux : ◀la▶ majorité des traits que M. Benda attribue à ◀la▶ jeunesse, convient en fait à ◀la▶ génération des « anciens ». À cette erreur totale sur ◀les▶ faits, M. Benda ajoute une erreur non moins grave ◀d’▶interprétation, lorsqu’il rattache ces divers traits au « malheur » ◀de▶ notre jeunesse, lequel ne saurait, en bonne logique, expliquer ◀les▶ doctrines ◀d’▶un Barrès ou ◀d’▶un Sorel, — qu’au surplus nous renions en bonne partie. Ce pataquès donne ◀la▶ mesure ◀de▶ ◀la▶ « cohérence » ◀d’▶une pensée qui a pris pour idéal ◀de▶ « constater » purement et simplement ce qui est.
Au surplus, M. Benda se trompe quand il croit juger ◀de▶ Sirius. Il est encore en pleine affaire Dreyfus. Il se vante ◀d’▶être intemporel, mais il n’est guère qu’anachronique. Partisan qui survit à sa cause ; et pensée qui refuse ◀de▶ payer.