L’▶esprit totalitaire et ◀les▶ devoirs ◀de▶ ◀la▶ personne (mai 1938)b
On parle couramment ◀d’▶État totalitaire depuis quelques années, et ◀l’▶on a coutume ◀de▶ désigner ainsi ◀l’▶Italie fasciste et surtout ◀l’▶Allemagne nationale-socialiste. À quoi j’ajouterai, pour ma part, ◀l’▶URSS stalinienne. Mais mon propos n’est pas ◀de▶ décrire ces États, et encore moins ◀de▶ ◀les▶ juger. En choisissant cette expression ◀d’▶esprit, et non ◀d’▶État totalitaire, j’ai eu en vue quelque chose de plus vaste que ◀les▶ faits proprement politiques. Quelque chose qui n’est pas limité aux frontières des trois grandes dictatures mais qui nous concerne nous aussi, à l’intérieur de nos démocraties occidentales. ◀L’▶esprit totalitaire n’est pas lié aux seuls régimes qui s’en réclament ouvertement. Dès maintenant, il agit parmi nous. Sous forme de menace en premier lieu. Mais aussi, j’en suis persuadé, sous ◀la▶ forme ◀d’▶une tentation, plus ou moins inconsciente ou honteuse, généralement inavouée, mais assez puissante déjà pour que je n’aie pas à redouter ◀de▶ parler ici ◀de▶ choses tout étrangères à vos intimes préoccupations.
Une menace et une tentation : c’est cela que représente ◀l’▶esprit totalitaire, pour nous, ici et maintenant. Et c’est à cause de cela qu’il n’est pas vain que ◀l’▶on en parle.
Je sais : — On en a trop parlé déjà, penseront certains, et je ◀les▶ comprends dans une certaine mesure. Nous sommes las ◀de▶ nous indigner. ◀Les▶ pires excès nous trouvent de plus en plus indifférents. Et ◀les▶ coups ◀de▶ force périodiques des dictateurs, on dirait presque que nous ◀les▶ attendons avec une sorte ◀d’▶impatience sourde, comme ◀les▶ péripéties ◀d’▶un roman ◀d’▶aventures. Nos pensées imitent ces oiseaux qui vont se percher ◀de▶ préférence sur ◀les▶ bras ◀de▶ ◀l’▶épouvantail, ou pour moderniser ◀l’▶image, sur ◀la▶ gueule ◀d’▶un canon chargé. Fatigués ◀de▶ dénonciations inefficaces, lassés par ◀la▶ grandiloquence ◀d’▶un certain humanitarisme, plusieurs d’entre nous réagissent par un optimisme curieux. Après tout, nous disent-ils, tout n’est pas mal dans ces régimes. On a rétabli ◀l’▶ordre, ◀les▶ trains partent à ◀l’▶heure, ◀les▶ ouvriers ont du travail, etc. D’autres s’efforcent ◀de▶ nous persuader — ou ◀de▶ se persuader à eux-mêmes — que ◀le▶ phénomène n’est pas si grave. Un trouvait encore à Berlin, il y a deux ans, des bourgeois qui vous affirmaient que ◀le▶ régime national-socialiste n’en avait plus que pour quelques mois. Et je citerai enfin cette opinion ◀d’▶un des plus grands historiens ◀de▶ ◀l’▶Europe qui me disait un jour ici même : vous avez tort ◀d’▶attribuer tant ◀d’▶importance doctrinale à des régimes qui ne sont en fait que ◀les▶ phénomènes anormaux, puisqu’ils sont ◀le▶ fait ◀d’▶usurpateurs, ◀de▶ bandes ◀d’▶individus armés s’emparant du pouvoir sans légitimité.
Je sais tout cela. Je sais que ◀la▶ propagande antifasciste, ou anticommuniste pareillement, se met au service ◀d’▶intérêts que nous n’avons pas envie ◀de▶ voir triompher. Je sais que tout n’est pas mal, ◀de▶ ce qui s’est fait là-bas, loin de là. Je tiendrai compte ◀de▶ toutes ces objections.
Auparavant, je tiens à préciser ◀la▶ perspective ◀de▶ ma pensée. Je ne suis membre ◀d’▶aucun parti. Je ne suis ni ◀de▶ gauche ni ◀de▶ droite. Je ne vous parle pas ◀de▶ politique, et je compte bien que mes propos ne flatteront aucun des délires qui se partagent ◀l’▶opinion publique. Je considère ◀l’▶esprit totalitaire comme un grand mouvement historique, comme une vague religieuse et mystique, telle qu’il en est passé déjà sur notre Europe, mais celle-ci est ◀la▶ plus puissante. ◀Le▶ Moyen Âge fut une période collectiviste, qui dura ◀de▶ ◀l’▶Empire carolingien jusqu’au début ◀de▶ ◀la▶ Renaissance, c’est à dire environ 600 ans. ◀De▶ ◀la▶ Renaissance jusqu’à ◀la▶ guerre ◀de▶ 1914, il y eut une période sinon ◀d’▶individualisme réel, du moins ◀d’▶ambition individualiste, et elle dura environ ans. Ce second cycle est en voie ◀de▶ s’accomplir, et nous assistons aujourd’hui aux prodromes ◀d’▶une troisième période, retour en force du collectivisme, aggravé ◀de▶ moyens techniques dont ◀le▶ Moyen Âge n’avait aucune idée.
C’est là ◀le▶ phénomène que je vous invite à envisager maintenant.
Envisager, c’est voir en face, et voir ◀de▶ près. Or il nous est très difficile ◀d’▶envisager ◀la▶ menace totalitaire, pour cette raison qu’entre elle et nous, se dressent ◀les▶ écrans ◀de▶ ◀l’▶esprit partisan.
Depuis vingt ans, ◀le▶ monde s’épuise à discuter ◀de▶ faux problèmes, des problèmes qui ne sont pas urgents ni décisifs, et qui masquent ◀la▶ vraie menace. Mais plus je vais, moins j’accorde ◀d’▶importance aux doctrines et aux intérêts qui se heurtent dans ◀les▶ discussions. Capitalisme ou socialisme, par exemple. Ou encore : droite et gauche. Communisme ou fascisme. Au regard du phénomène profond, du vaste soulèvement ◀de▶ passions obscures que représente ◀l’▶esprit totalitaire, il me semble que tous ces problèmes, que ◀l’▶on tient pour ◀les▶ plus brûlants, sont apparence et camouflage.
Je ne ◀le▶ dis pas pour ◀le▶ mauvais plaisir ◀de▶ faire du paradoxe et ◀de▶ déconcerter. Je ◀le▶ dis parce que ◀l’▶histoire ◀la▶ plus récente, celle que nous sommes en train de vivre, nous porte à ressentir déjà ◀la▶ vanité ◀de▶ nos partis pris sociaux et politiques. Je ◀le▶ dis parce que je suis frappé par ◀la▶ constatation que voici : Que vous preniez par ◀la▶ gauche ou par ◀la▶ droite, que vous fassiez une révolution avec des troupes fascistes ou au contraire socialistes, que vous mettiez tout votre espoir dans ◀le▶ Führer ou au contraire dans ◀le▶ Père des peuples — c’est ◀le▶ nom que se fait donner Staline — vous aboutirez finalement à un seul et même résultat, c’est-à-dire à une dictature qui n’est ni socialiste ni capitaliste — encore qu’il y ait des différences ◀d’▶accent — , mais qui est ◀la▶ fois ◀les▶ deux choses, qui est une synthèse brutale des deux systèmes, synthèse dominée et orientée par ◀l’▶idée ◀de▶ puissance militaire. Je me réserve ◀d’▶en donner quelques preuves. Certes, ◀les▶ partisans ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche ont ◀d’▶excellentes raisons ◀de▶ contester ◀l’▶identité profonde du stalinisme et du fascisme. Mais ce sont des raisons ◀de▶ propagande, pieux mensonges et mensonges sacrés. Pour qui veut s’en tenir aux faits, aux réalisations tangibles, tous ◀les▶ prétextes invoqués officiellement par ◀les▶ hommes ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite qui ont conduit telle ou telle révolution, tous ces prétextes s’évaporent comme des nuées. Que ◀l’▶on exerce ◀la▶ dictature totalitaire au nom de ◀la▶ race ou au nom d’une classe, il n’en reste pas moins qu’en fait, on exerce ◀la▶ dictature. Or ◀la▶ dictature a ses lois, elle se développe sans nul souci des idéologies opportunistes qui ont pu servir à ◀l’▶établir. Elle a sa mécanique propre, et qui broie tout, idées et hommes, et qui coule tout dans ◀le▶ même gabarit. Il n’y a pas trente-six moyens pratiques ◀de▶ maintenir ◀l’▶ordre dictatorial. Il n’y en a qu’un, et c’est ◀la▶ tyrannie ◀de▶ ◀la▶ police et ◀de▶ ◀l’▶armée. Que ◀l’▶esprit et ◀l’▶humanité soient brimés et persécutés par des policiers rouges ou bruns, je ne vois pas que cela fasse une différence telle qu’il y ait lieu ◀de▶ s’exciter pour l’une ◀de▶ ces méthodes contre l’autre. ◀La▶ maladie est bien ◀la▶ même dans ◀les▶ deux cas. Or si je constate chez un malade une pneumonie, ◀la▶ question que je me pose, c’est ◀de▶ savoir comment on pourrait ◀la▶ guérir, et non si ◀le▶ malheureux ◀l’▶a contractée au sortir ◀d’▶un meeting communiste, fasciste ou même antifasciste.
Je laisserai donc carrément ◀de▶ côté ◀la▶ question à mes yeux insoluble, et au surplus sans intérêt urgent, ◀de▶ savoir si ◀le▶ mal en question est une pneumonie raciste ou marxiste. ◀Le▶ vrai dilemme n’est pas là. ◀Le▶ vrai dilemme est entre ◀la▶ maladie et ◀la▶ santé, entre ◀la▶ mort et ◀la▶ vie du patient, et pour revenir au fait présent, entre ◀l’▶esprit totalitaire ◀d’▶où qu’il provienne, et ◀l’▶esprit ◀de▶ liberté qui s’y oppose, et que j’aurai à définir.
Considérons maintenant ◀la▶ maladie. Et tout d’abord essayons ◀de▶ voir ce qui a bien pu prédisposer ◀l’▶Europe à ◀la▶ gagner.
Dans un ouvrage récent, j’ai tenté ◀de▶ montrer que ◀les▶ excès ◀de▶ ◀l’▶individualisme en politique et en morale ont fini par détruire dans notre civilisation, toute espèce ◀de▶ commune mesure. Voici ce que j’entends par ce terme.
Toutes ◀les▶ grandes civilisations se sont faites autour ◀d’▶un principe qui était commun à tous ◀les▶ ordres ◀d’▶activité sociale ou personnelle. C’était ce principe, et lui seul, qui donnait un sens aux actions, qui permettait ◀de▶ ◀les▶ juger grandes ou basses, qui était ◀l’▶étalon idéal et ◀la▶ mesure ◀de▶ toutes choses. Je ne dis pas qu’il triomphait toujours, mais tout le monde s’y rapportait spontanément. ◀La▶ justice jugeait en son nom, ◀la▶ guerre se faisait en son nom, ◀la▶ culture et ◀l’▶art ◀l’▶illustraient, ◀la▶ politique ◀le▶ maintenait. Ainsi ◀la▶ loi chez ◀les▶ anciens Hébreux ; ◀l’▶idée ◀le▶ ◀l’▶homme dans ◀la▶ cité, mesure ◀de▶ toutes choses, chez ◀les▶ Grecs ; ◀l’▶idéal impérial à Rome ; ◀la▶ foi chrétienne au Moyen Âge.
◀L’▶ère moderne a tenté ◀de▶ remplacer tout cela par ◀l’▶idée ◀de▶ progrès matériel, et pratiquement, par ◀le▶ culte ◀de▶ ◀l’▶argent. Évidemment, on ne disait pas ◀la▶ chose si crûment. On invoquait ◀les▶ grands principes, et cette chose vague qu’on nomme ◀le▶ sens commun. Une des maximes fondamentales ◀de▶ ◀l’▶individualiste du xix e, c’était : chacun pour soi et Dieu pour tous. Et comme on ne croyait plus en Dieu, cela revenait à dire : chacun pour soi. Cela revenait à pratiquer ◀la▶ morale ◀de▶ ◀la▶ concurrence, sans frein légal, sans scrupule du prochain. Et comme il fallait bien, tout de même, que ◀la▶ cité soit gouvernée, on s’en remettait ◀l’▶État, providence hargneuse et abstraite, quitte à payer ◀le▶ moins ◀d’▶impôts possible. Mais un cadre administratif et une poussière ◀d’▶individus, cela ne fait pas une société vivante. Chacun tirant ◀de▶ son côté, sans souci ◀de▶ ◀l’▶idéal commun, on en vient à un stade ◀de▶ division sociale sans précédent, je crois, dans toute ◀l’▶histoire. ◀Le▶ monde des affaires avait sa loi, qui contredisait totalement ◀la▶ morale ◀de▶ ◀la▶ vie privée. ◀Le▶ monde ◀de▶ ◀la▶ culture vivait sur des principes qui n’avaient plus aucun rapport ni avec ◀la▶ morale des affaires ni avec celle des philistins, ni avec celle du christianisme subsistant. De plus, ◀la▶ société se divisait en classes, que se disputaient à leur tour ◀les▶ partis, et ◀l’▶intérêt ◀de▶ ◀la▶ classe ou du parti primait partout ◀le▶ bien commun. Seul, ◀le▶ respect quasi religieux ◀de▶ ◀l’▶argent constituait encore un lieu commun. On n’en parlait d’ailleurs qu’avec pudeur, comme ◀de▶ tout ce que ◀l’▶on tient pour sacré.
Mais vint ◀la▶ guerre, et vint ◀la▶ crise économique. Le dernier lien sacré, ◀l’▶argent, venait à se défaire. ◀Le▶ capital et ◀le▶ travail se tournèrent alors vers ◀l’▶État, or ◀l’▶État était en faillite. Où était donc ◀la▶ société ? Sur quelles valeurs, sur quelles mesures, sur quel principe pouvait-on désormais bâtir et vivre ? Il semblait que ◀la▶ société des hommes fut retournée à ◀la▶ poussière originelle, selon ◀la▶ prophétie biblique. Alors ◀le▶ désespoir, ◀l’▶angoisse, et ◀la▶ misère matérielle, devinrent ◀les▶ seules réalités humaines vraiment communes à tous ◀les▶ hommes. Pour ◀les▶ uns, elles étaient déjà là, installées au foyer et dans toutes ◀les▶ pensées ; pour ◀les▶ autres, elles se tenaient à ◀la▶ porte. On ne pouvait plus, on ne devait plus penser qu’à cela. C’était ◀la▶ seule question sérieuse.
Or dans toutes ◀les▶ périodes historiques où ◀la▶ société se défait, ◀l’▶on assiste au même phénomène. ◀Les▶ individus isolés sont envahis par une vague angoisse, et ◀de▶ ◀l’▶angoisse naît un appel confus à une nouvelle religion. Car ◀la▶ religion en général, c’est ce qui relie ◀les▶ hommes à quelque dieu dont ◀la▶ loi fonde ◀la▶ commune mesure. Point ◀de▶ société, point ◀de▶ communauté sans religion ; et à ◀l’▶inverse dès que paraît une religion, une société se reforme autour ◀d’▶elle. Je n’insiste pas sur ces données élémentaires qui ne sont plus contestées par aucun sociologue, fût-il ◀le▶ plus obtus rationaliste.
Dans ◀l’▶état ◀d’▶atomisation où se trouvait ◀la▶ société moderne, il était aisé ◀de▶ prévoir qu’un formidable appel religieux se ferait jour. Et c’est précisément ce qui s’est produit, c’est ◀l’▶appel religieux des peuples qu’ont su deviner et exalter ◀les▶ dictateurs, c’est à lui qu’ils ont répondu. Puisque ◀les▶ hommes ne croyaient plus en Dieu, puisque ◀l’▶Argent ◀les▶ trahissait, il fallait trouver autre chose. On leur offrit une religion qui se présenta d’abord comme celle ◀d’▶une classe, puis ◀d’▶une race, et finalement ◀de▶ ◀la▶ nation armée.
J’insisterai fortement sur ce point : il ne s’agissait pas ◀de▶ politique, au sens étroit et partisan du terme. Certes, ◀le▶ détail ◀de▶ ◀l’▶opération ressort évidemment ◀de▶ ◀l’▶analyse politique, et plus encore ◀de▶ ◀l’▶analyse économique, mais ◀la▶ cause déterminante du foudroyant succès des dictatures n’est pas du tout dans telle ou telle manœuvre, dans telle tactique ou telle doctrine opportuniste. Elle est dans ◀l’▶appel religieux que ◀les▶ dictateurs ont su deviner et qu’ils ont voulu satisfaire. ◀L’▶esprit totalitaire est né ◀d’▶une angoisse dont ◀la▶ vraie nature est en fin ◀le▶ compte religieuse.
Cette vue très générale, et peut-être nouvelle, n’est pas ◀de▶ ◀la▶ pure poésie, quoi qu’en pensent ◀les▶ esprits réalistes. Je vais vous lire un court passage l’une lettre que j’ai reçue tout récemment ◀d’▶Allemagne. Elle est ◀d’▶un jeune national-socialiste dont je ne connais d’ailleurs que ◀le▶ nom et ◀l’▶écriture, et qui a lu par hasard mon Journal ◀d’▶un intellectuel en chômage . Il entreprend ◀de▶ justifier ◀le▶ régime qu’il sert. Il m’explique tout d’abord que ce régime est né ◀de▶ ◀la▶ pauvreté et du malheur ◀de▶ son pays, ce qui est très juste. Et il ajoute :
Mais ◀la▶ pauvreté ou ◀le▶ malheur ne peuvent expliquer que des phénomènes extérieurs. ◀La▶ raison profonde ◀d’▶un mouvement comme le nôtre est irrationnelle. Nous voulions croire à quelque chose, nous voulions vivre pour quelque chose. Nous avons été reconnaissants à celui qui nous apportait cette possibilité ◀de▶ croire. ◀Le▶ christianisme, probablement par ◀la▶ faute de ses ministres, ne satisfait plus depuis bien longtemps au besoin ◀de▶ croire ◀de▶ ◀la▶ majorité du peuple. Nous voulons croire à ◀la▶ mission du peuple allemand. Nous voulons croire à ◀l’▶immortalité du peuple (un arbre dont nous ne sommes que ◀les▶ feuilles qui tombent à chaque génération) et peut-être réussirons-nous à y croire.
Je m’en voudrais ◀de▶ commenter ce document.
Ruine des croyances communes, carence du christianisme, appel irrationnel à ◀de▶ nouvelles raisons ◀de▶ vivre, volonté angoissée ◀de▶ croire à la première réalité qui se présente — ◀la▶ nation — , on ne peut pas exprimer ◀d’▶une manière plus précise et ramassée ◀la▶ nature proprement religieuse du phénomène totalitaire. Tout ◀le▶ reste est littérature, et dans ce reste, je place pêle-mêle ◀les▶ passions partisanes ◀de▶ gauche et ◀de▶ droite, ◀les▶ intérêts ◀de▶ classe, ◀les▶ programmes des partis, bref toutes ◀les▶ fariboles chères à nos réalistes, et qui passionnent encore notre opinion. Un témoignage tel que celui que je viens de vous lire rejette tout cela, selon ◀les▶ termes du jeune nazi, dans ◀les▶ « phénomènes extérieurs », c’est-à-dire dans ◀le▶ domaine ◀de▶ cette énorme mystification qu’est ◀la▶ politique pour ◀les▶ masses.
D’ailleurs, ce caractère ◀de▶ religion au sens ◀le▶ plus élémentaire du terme qu’ont pris ◀les▶ grands mouvements totalitaires, et qui ◀les▶ rend si contagieux, ◀les▶ dictateurs eux-mêmes ◀l’▶ont proclamé. Voici ce qu’écrit Mussolini dans ◀l’▶Encyclopédie fasciste :
◀Le▶ fascisme est une conception religieuse… Si ◀le▶ fascisme n’était pas une foi, comment donnerait-il ◀le▶ stoïcisme et ◀le▶ courage à ses adeptes ? On ne peut rien accomplir ◀de▶ grand sinon dans un état ◀d’▶amoureuse passion, ◀de▶ mysticisme religieux.
Et ◀le▶ Credo du Balilla, récité par tous ◀les▶ enfants italiens, contient cet article édifiant :
Je crois en notre Saint-Père le Fascisme.
Au congrès ◀de▶ Nuremberg en 1935, Hitler s’écrie :
Vous avez été cette garde qui jadis m’a suivi ◀d’▶un cœur croyant. Vous avez été les premiers qui ont cru en moi… Ce n’est pas ◀l’▶intelligence coupant ◀les▶ cheveux en quatre qui a tiré ◀l’▶Allemagne ◀de▶ sa détresse, mais votre foi… Pourquoi sommes-nous ici ? Par ordre ? Non… parce qu’une voix intérieure vous ◀l’▶a dicté, parce que vous croyez en votre mouvement et en ses chefs. Seule ◀la▶ force ◀de▶ ◀l’▶idéalisme a pu accomplir cela… ◀La▶ raison vous eût déconseillé ◀de▶ venir à moi, et seule ◀la▶ foi vous ◀l’▶a commandé.
Foi en qui ? Croyance en quoi ? C’est très simple : foi au chef qui est ◀l’▶incarnation du destin immortel ◀de▶ ◀la▶ nation.
M. Goebbels s’adresse à son Führer dans ◀le▶ langage même du piétisme :
Dans notre profond désespoir, s’écrie-t-il, nous avons trouvé en vous celui qui montre ◀le▶ chemin ◀de▶ ◀la▶ foi. Vous avez été pour nous ◀l’▶accomplissement ◀d’▶un mystérieux désir.
Et je lis ailleurs, sous ◀la▶ même plume :
◀La▶ foi dans ◀le▶ Führer est entourée, on pourrait presque dire, ◀d’▶une mystique mystérieuse et énigmatique.
Un autre chef du parti va plus loin :
◀La▶ volonté du Führer, écrit-il, est est effectivement ◀la▶ volonté ◀de▶ Dieu.
Et M. Goering déclarait à ◀l’▶envoyé ◀d’▶un quotidien anglais :
De même que ◀les▶ catholiques considèrent ◀le▶ pape comme infaillible dans toutes ◀les▶ questions ◀de▶ religion et ◀de▶ morale, de même nous croyons avec ◀la▶ même conviction profonde que ◀le▶ Führer est infaillible dans toutes ◀les▶ matières qui concernent ◀les▶ intérêts sociaux et moraux du peuple.
« Il a toujours eu raison et il a ira toujours raison », dit Rudolf Hess. De même ◀les▶ Balillas récitent : « Mussolini a toujours raison. Je crois au génie du Duce. »
Et si maintenant nous passons en Russie, nous entendrons et nous lirons partout : « Staline a toujours raison. » Nous lirons ◀les▶ poèmes à ◀la▶ gloire du Père ◀les▶ peuples — ◀le▶ tsar n’était que ◀le▶ Petit Père — , poèmes où il est affirmé que ◀la▶ pluie ne féconde ◀les▶ champs que par ◀la▶ volonté du seul Staline. D’autres lyriques lui attribuent ◀la▶ charge vraiment écrasante ◀de▶ faire lever ◀le▶ soleil chaque matin, et ◀de▶ favoriser ◀les▶ naissances. Il est vrai que ces poètes sont du Midi de la Russie… Mais il est vrai aussi que ◀le▶ programme ◀de▶ Lénine supposait ◀l’▶extinction ◀de▶ ◀la▶ superstition, et non pas sa publication en première page ◀de▶ ◀la▶ Pravda. Là encore, ◀la▶ logique totalitaire a balayé tous ◀les▶ principes. Il faut une religion pour ◀le▶ bon peuple.
Je borne ici mes citations. Aussi bien, certains d’entre vous sont-ils sans doute en train de se dire : après tout, il ne s’agit là que ◀de▶ façons ◀de▶ parler, et ◀d’▶exagérations lyriques. Tout cela, ce sont des trucs ◀de▶ propagande, des phénomènes épisodiques.
Je ◀l’▶ai longtemps cru moi-même. Je ◀l’▶ai cru jusqu’au jour où à Francfort, en 1936, j’ai assisté à un discours ◀d’▶Hitler. Permettez-moi ◀de▶ vous lire une page que j’envoyai ◀le▶ lendemain même à une revue française, sous ◀le▶ coup ◀de▶ ◀la▶ révélation qu’avait été pour moi cette cérémoniec.
◀Le▶ caractère sacral et quasi liturgique ◀de▶ pareilles fêtes se trouve d’ailleurs curieusement confirmé par ◀l’▶inconscience des participants. Si vous dites à un hitlérien qu’il adore son Führer comme un dieu, il protestera énergiquement. Il vous affirmera peut-être même qu’il est chrétien, à condition toutefois que ◀l’▶on débarrasse ◀le▶ christianisme ◀de▶ ses éléments judaïques. Et il sera sans aucun doute sincère. Mais cela n’est contradictoire qu’en apparence. ◀La▶ foi ◀la▶ plus profonde n’est pas toujours ◀la▶ plus consciente, et ce n’est pas toujours celle qu’on avoue et qu’on professe des lèvres. Si je puis affirmer que ◀le▶ national-socialisme, ◀le▶ fascisme et ◀le▶ stalinisme sont en réalité des religions ; que ◀les▶ chefs ◀de▶ ces mouvements sont en réalité divinisés, et que ◀l’▶État ou ◀la▶ nation sont ◀le▶ contenu réel ◀de▶ ces cultes nouveaux, ce n’est pas seulement sur ◀la▶ base des textes que je vous citais tout à ◀l’▶heure. J’ai des raisons plus péremptoires ◀de▶ ◀le▶ penser. Et je vais vous en donner deux.
La première, c’est que ◀la▶ croyance réelle ◀d’▶un homme est définie d’une part par ◀la▶ nature des sacrifices qu’il consent, d’autre part par ◀la▶ nature ◀les▶ actes ou des paroles qu’il considère comme sacrilèges. Or nous voyons que dans ◀les▶ dictatures, il est permis ◀le▶ blasphémer ◀le▶ Christ, mais il n’est pas permis ◀d’▶élever ne fût-ce qu’une critique polie à l’endroit de ◀la▶ personne du Chef. Au Moyen Âge, on rendait ◀la▶ justice au nom de ◀l’▶Église. Dans ◀les▶ pays totalitaires, on ◀la▶ rend au nom de ◀la▶ nation, ou ce qui revient au même, au nom du peuple. Or ◀le▶ dieu qu’on révère, ce n’est point celui qu’on nomme des lèvres Dieu, mais c’est celui que ◀l’▶on sert dans ◀la▶ réalité. C’est celui dont ◀la▶ volonté définit ◀le▶ bien et ◀le▶ mal. Et nous voyons que ◀le▶ bien et ◀le▶ mal, dans ◀les▶ régimes totalitaires, ne sont plus définis officiellement par ◀les▶ principes du droit ou ◀de▶ ◀la▶ morale, et encore moins par ceux ◀de▶ ◀la▶ religion chrétienne, mais bien par ◀l’▶intérêt ◀de▶ ◀la▶ nation. On ◀le▶ tolère dans ◀la▶ mesure où il peut lui rendre service. « Pour ◀le▶ fascisme, écrit Mussolini, ◀l’▶État est ◀l’▶absolu. » Voilà qui est clair. Quant au catholicisme, on ◀le▶ « respectera » dans ◀la▶ mesure où il fait partie du folklore italien et des bons vieux usages. Jugez plutôt : « ◀Le▶ fascisme, dit encore ◀le▶ Duce, respecte ◀le▶ Dieu des ascètes, des saints et des héros, et même ◀le▶ Dieu que voit et prie ◀le▶ cœur ingénu et primitif du peuple. » Pareillement, ◀les▶ régimes allemand et russe proclament dans leurs lois ◀la▶ liberté ◀de▶ tous ◀les▶ cultes, en précisant seulement que ◀la▶ pratique du christianisme ne doit gêner en rien ◀les▶ droits absolus ◀de▶ ◀l’▶État. C’est-à-dire qu’en réalité, on a ◀le▶ droit ◀d’▶être chrétien à condition que cela ne se voie pas, que cela n’entraîne aucun acte, que cela reste un rêve intérieur, une chose privée, Privatsache ou comme ◀le▶ dit si plaisamment Mussolini : une illusion « ◀d’▶usage interne pour ◀les▶ cœurs ingénus et primitifs ».
Mon second argument, c’est que ◀les▶ régimes en apparence aussi hostiles ◀les▶ uns aux autres que ◀le▶ fascisme et ◀le▶ communisme, ont tout de même su se trouver un adversaire commun, et cela comme par hasard, dans ◀le▶ plan religieux. Cet adversaire n’est autre que ◀le▶ christianisme. Pour ◀les▶ Soviets, ◀la▶ chose est claire. Pour ◀les▶ régimes fascistes, vous m’accorderez sans doute qu’elle commence à devenir non moins claire. Je n’ai pas à insister ici sur des faits ◀de▶ persécution que chacun connaît. Je me bornerai à noter que là encore, ◀la▶ logique totalitaire est sans défaut et sans pardon : on ne saurait tolérer une religion qui est au-dessus des nations et des classes dans un État qui se donne pour ◀l’▶absolu, et qui se fonde sur une race ou une classe.
Certes, ◀les▶ communistes ont jugé opportun ◀d’▶inaugurer il y a deux ans une politique ◀de▶ « main tendue » aux catholiques. Mais cette hypocrisie est par trop éclatante. Il s’agit ◀d’▶une alliance tactique, c’est-à-dire ◀d’▶une manœuvre absolument antichrétienne par sa nature et j’ajouterai blasphématoire. « ◀Les▶ athées que nous sommes te tendent ◀la▶ main, catholique », ai-je entendu prononcer par Duclos, leader communiste français. C’est autant dire qu’on tient ◀la▶ foi du catholique pour nulle et sans effets pratiques. Car voici ◀le▶ dilemme inévitable : ou bien ◀l’▶on croit, ou bien ◀l’▶on ne croit pas. Si ◀l’▶on croit, on ne tend pas ◀la▶ main, on entre dans ◀l’▶Église. Si ◀l’▶on ne croit pas, ◀l’▶acte ◀de▶ tendre ◀la▶ main signifie simplement : je te pardonne cette faiblesse bizarre mais après tout sans conséquence. Je veux bien croire qu’elle ne t’empêchera pas ◀de▶ collaborer au dessein ◀de▶ ◀l’▶incroyance. Mais prenons garde ! ◀L’▶incroyance consciente n’a jamais pu tendre ◀la▶ main à ◀la▶ vraie foi, à ◀la▶ foi militante et missionnaire. ◀L’▶incroyance fameuse des Juifs n’a pas tendu ◀la▶ main au Christ, mais elle ◀l’▶a crucifié. Et elle ◀l’▶a crucifié dès ◀l’▶instant où elle a compris que ◀le▶ Christ refusait ◀de▶ servir ses desseins, et ◀de▶ se laisser couronner roi. Voilà ◀la▶ situation réelle et éternelle, et dans ◀le▶ fond ◀de▶ notre cœur, nous savons bien que c’est encore ◀la▶ nôtre.
Quant à ◀la▶ protection qu’Hitler entend accorder aux chrétiens, à ces pauvres chrétiens persécutés par ◀les▶ ignobles bolchévistes, il est un homme qui vous en parlerait mieux que moi, qui vous en parlerait en pleine connaissance de cause, un homme qui vit en prison et dont ◀l’▶exemple sauvera ◀l’▶honneur ◀de▶ notre époque : c’est ◀le▶ pasteur Martin Niemöller, « incarcéré pour fait ◀de▶ christianisme » comme ◀l’▶écrivait l’autre jour Paul Claudel.
◀L’▶esprit totalitaire, religion ◀de▶ ◀la▶ nation, tel est ◀le▶ fait qui domine ◀le▶ xx e siècle. Une religion ◀de▶ ◀la▶ nation déifiée. À condition que ◀l’▶on prenne ces mots dans leur sens littéral et virulent, non par image — vraiment c’est une religion, et vraiment ◀la▶ nation a pris ◀la▶ place ◀de▶ Dieu. Je ne connais pas ◀de▶ définition plus simple, plus complète, ni moins discutable à mes yeux, du phénomène totalitaire. Elle a ◀le▶ mérite ◀d’▶embrasser ◀la▶ réalité profonde et inavouée des trois régimes dictatoriaux, en même temps qu’elle explique leurs ressemblances, et qu’elle donne ◀la▶ clé ◀de▶ leur tactique. D’autre part elle réduit à leurs vraies proportions ◀les▶ doctrines officielles ◀de▶ ces régimes. On voit enfin que s’ils ont triomphé, ce n’est pas au marxisme ◀de▶ Lénine, au machiavélisme du Duce, ou au programme hétéroclite du Führer qu’ils ◀le▶ doivent. Mais bien à une poussée religieuse, inconsciente et désordonnée, que ces doctrines ont su capter et mettre au pas, jusqu’au moment où ◀le▶ pouvoir a été pris. Hitler écrivait dans Mein Kampf :
Dans sa grande majorité, ◀le▶ peuple se trouve dans une disposition et un état d’esprit à tel point féminins que ses opinions et ses actes sont déterminés beaucoup plus par ◀l’▶impression produite sur ◀les▶ sens que par ◀la▶ pure réflexion. ◀La▶ masse… est peu accessible aux idées abstraites. Par contre, on ◀l’▶empoignera plus facilement dans ◀le▶ domaine des sentiments… Quiconque veut gagner ◀la▶ masse doit connaître ◀la▶ clé qui ouvre ◀la▶ porte ◀de▶ son cœur. Dans tous ◀les▶ temps, ◀la▶ force qui a mis en mouvement sur cette terre ◀les▶ révolutions ◀les▶ plus violentes a résidé bien moins dans ◀la▶ proclamation ◀d’▶une idée scientifique qui s’emparait des foules que dans un fanatisme animateur et dans une véritable hystérie qui ◀les▶ emballait follement.
Maintenant, je n’ignore pas qu’on a donné ◀d’▶innombrables définitions politiques, économiques, sociologiques, des régimes totalitaires. Elles sont parfois contradictoires, souvent discutables, toujours aisément réversibles. Je ne nie pas leur intérêt, mais il demeure secondaire par rapport au fait religieux fondamental.
Il est juste, par exemple, ◀de▶ remarquer que ◀le▶ bolchévisme s’est appuyé sur ◀les▶ ouvriers ◀de▶ Pétrograd, tandis que ◀les▶ deux fascismes ont cherché leurs appuis dans ◀la▶ petite bourgeoisie et dans ◀le▶ grand capital. Cela fait, au départ, une différence considérable. Mais il est ◀d’▶autant plus frappant ◀de▶ voir qu’à ◀l’▶arrivée, cette contradiction s’évanouit. ◀Les▶ nationalistes allemands insistent de plus en plus sur leur socialisme, et ◀les▶ socialistes russes, sur leur nationalisme. Songez que ◀l’▶industrie lourde allemande est en voie ◀d’▶étatisation, ce qui représente un processus socialiste. Et songez, d’autre part, que ◀les▶ sujets du Père des peuples subissent ◀l’▶interdiction ◀de▶ quitter ◀la▶ Russie sous peine de mort, ce qui est une très curieuse manière ◀de▶ concevoir ◀l’▶internationale… Songez que ◀la▶ bourgeoisie allemande se plaint ◀de▶ perdre tous ses privilèges, paye des impôts qui équivalent à une confiscation ◀de▶ capital, et gémit qu’on ne fait rien pour elle et qu’on ne s’occupe que des ouvriers. Songez aussi que ◀le▶ but du Service ◀de▶ travail est ◀d’▶effacer ◀les▶ différences ◀de▶ classes. Celui qui présenterait un tel programme chez nous serait immédiatement traité ◀de▶ bolchéviste. Ce serait d’ailleurs une grosse erreur, un effort actuel ◀de▶ Staline est dirigé exactement dans ◀le▶ sens contraire, comme ◀le▶ démontre sa politique des salaires. Voici des chiffres que j’emprunte à ◀l’▶ouvrage tout récent ◀d’▶un communiste français orthodoxe :
Salaire mensuel ◀d’▶une bonne à tout faire en URSS | 80 roubles |
Salaire ◀d’▶un manœuvre | 120 roubles |
Salaire ◀d’▶un ouvrier qualifié | 240 roubles |
Salaire ◀d’▶un ouvrier stakhanoviste | 800 à 1200 roubles |
Salaire ◀d’▶un écrivain !!!! | 10 000 roubles |
Salaire ◀d’▶un cinéaste en vogue | 15 000 roubles |
Ainsi un ouvrier qualifié gagne trois fois plus qu’une bonne, un stakhanoviste (ouvrier-champion) 5 fois plus qu’un ouvrier qualifié ; un écrivain 10 fois plus qu’un stakhanoviste et 50 fois plus qu’un ouvrier ordinaire. Je répète que j’extrais ces chiffres ◀d’▶un ouvrage entièrement favorable à Staline.
Il résulterait ◀de▶ ces données que ◀les▶ gens ◀de▶ droite devraient appuyer Staline et combattre Hitler, si c’était au nom de ◀la▶ raison et ◀de▶ leurs intérêts qu’ils jugeaient. Mais on sait bien qu’il n’en est rien. Ils préféreront se faire socialistes avec Hitler, et critiquer ◀le▶ capitalisme ◀de▶ Staline. Il en va de même, bien entendu, pour ◀les▶ gens ◀de▶ gauche, encore qu’il soit juste ◀de▶ marquer qu’ils se méfient plus ◀de▶ Staline que ◀les▶ droites ne se méfient ◀d’▶Hitler. Dans ◀les▶ deux cas, ces partisans sont ◀les▶ victimes ◀d’▶idéologies ◀de▶ façades, sans grands rapports avec ◀les▶ phénomènes réels, mais qui ont ◀le▶ don ◀de▶ ◀les▶ rassurer ◀d’▶une manière toute sentimentale. Il n’y a pas ◀de▶ pires utopistes, dans notre monde présent, que ◀les▶ hommes ◀de▶ partis.
On dit aussi : ◀le▶ communisme nivelle tout, tandis que ◀le▶ fascisme crée ◀les▶ hiérarchies. C’était peut-être vrai il y a vingt ans. Mais je viens de vous rappeler que ◀le▶ but des camps ◀de▶ travail est proprement ◀de▶ niveler ◀les▶ classes, et que ◀la▶ raison des formidables différences ◀de▶ salaires en Russie est au contraire de constituer des « cadres dirigeants » — car on ne dit pas des classes — entièrement dévoués au chef ».
On dit encore : Hitler est ◀le▶ rempart qui protège ◀l’▶Europe contre ◀la▶ barbarie des bolchéviques. Il a sauvé notre culture. Mais on pourrait soutenir, preuves en main, ◀la▶ thèse inverse. Hitler va supprimer ◀les▶ universités, tandis que ◀l’▶URSS ◀les▶ multiplie. Hitler décourage ◀les▶ études, tandis que ◀l’▶URSS y pousse ◀de▶ toutes ses forces, etc., etc.
Je n’insiste pas, encore qu’il soit aisé ◀de▶ faire cent remarques analogues en ce qui concerne ◀le▶ statut des ouvriers, ◀de▶ ◀l’▶industrie, ◀de▶ ◀l’▶armée, et ◀de▶ ◀la▶ pensée libre, dans ◀les▶ régimes communistes et fascistes, mais tout cela, je ◀le▶ répète, est secondaire. Si ◀l’▶on s’interroge honnêtement, on s’aperçoit que ce n’est pas cela qui compte. Je suis certain que vous avez tous vos préférences, même si vous rejetez ◀le▶ fascisme autant que ◀le▶ communisme, en théorie. Si vous étiez forcé ◀de▶ choisir, vous choisiriez. ◀Le▶ feriez-vous après enquête approfondie sur ◀la▶ réalité des deux régimes ? Ou simplement, choisiriez-vous selon vos partis pris secrets ? Je ne puis que laisser cette question ouverte. Ce qui est clair, c’est que ◀les▶ gens qui se passionnent pour Hitler contre Staline, ou ◀l’▶inverse, ne ◀le▶ font pas sur ◀la▶ base ◀d’▶une connaissance des faits. Ils ◀le▶ font au contraire sur ◀la▶ base ◀d’▶une furieuse ignorance du réel. Ils ont entendu dire, ils ont lu un article… ◀les▶ rentes baissent… ◀les▶ salaires sont trop faibles… ◀la▶ presse excite ◀de▶ vagues paniques… et ◀l’▶on choisit ! Si par hasard on voulait vérifier son parti pris en ◀le▶ confrontant avec ◀les▶ faits, un verrait qu’il faut se livrer à des recherches techniques au cours desquelles toute espèce ◀de▶ passion s’évanouirait. Mais dans ◀le▶ fond, c’est ◀la▶ passion qu’on aime, et non ◀la▶ froide vérité. Il est commode et agréable ◀de▶ traiter ◀de▶ fasciste ou ◀de▶ communiste ◀le▶ Monsieur dont ◀la▶ tête ne vous revient pas, et cette injure est ◀d’▶autant plus facile qu’on ignore davantage ◀de▶ quoi on parle. Ensuite, à supposer qu’on aboutisse à relever des différences réelles entre ◀les▶ deux régimes — et on ◀le▶ peut — , il faut avouer que ces différences s’atténuent ◀de▶ mois en mois. Ce qui apparaît alors derrière ◀le▶ camouflage des nuées doctrinales et ◀l’▶enchevêtrement des détails historiques, c’est ◀le▶ visage unique du totalitarisme, monumental et pétrifié, ◀l’▶immense idole ◀de▶ ◀la▶ nation armée, encensée par des foules en rang, dans une hystérie solennelle, dans cette espèce ◀d’▶horreur sacrée qui annonce ◀les▶ sacrifices humains.
Il faut ici que je dise deux mots au sujet ◀d’▶une certaine naïveté que j’observe quotidiennement dans ◀la▶ bourgeoisie libérale, ◀de▶ droite ou ◀de▶ gauche d’ailleurs.
Il est des gens qui viennent m’objecter : tout ce que vous dites est peut-être bien vrai, mais après tout, ces régimes-là n’ont-ils pas fait ◀d’▶excellentes choses ? Prétendez-vous qu’il n’y ait rien à prendre chez eux ?
Vous ne pouvez pas nier, me dit cet homme ◀de▶ droite, qu’Hitler n’ait rétabli ◀l’▶ordre en Allemagne. Il fait régner ◀la▶ paix sociale. Il y avait 6 millions ◀de▶ chômeurs en 1933, il n’y en a plus que 1 200 000d. ◀La▶ dignité ◀de▶ ◀la▶ nation est rétablie, et nous voici sauvés du communisme. — Même couplet au sujet de ◀l’▶Italie, où ◀les▶ trains, comme on sait, partent à ◀l’▶heure.
Et ne voyez-vous pas, me dit cet homme ◀de▶ gauche, que Staline a repris ◀l’▶œuvre ◀de▶ Pierre le Grand, qu’il a fait ◀de▶ ◀la▶ Russie une grande nation, que ◀les▶ ouvriers s’y sentent chez eux, et mettent dans ◀l’▶URSS tout leur espoir, qu’elle protège ◀les▶ démocraties menacées par ◀le▶ péril fasciste, et qu’elle fait mieux que ◀l’▶Amérique ?
C’est ainsi que ◀les▶ uns et ◀les▶ autres apportent leur petite contribution à ◀l’▶effort ◀de▶ ◀la▶ propagande totalitaire dans nos pays. Ils ◀le▶ font sans malice, et au nom du bon sens. Ils se rappellent cette bonne vieille femme qui portait pieusement son petit fagot au bûcher du supplice ◀de▶ Jean Huss : ce que voyant, ◀le▶ martyr prononça O sanctas simplicitas !
Oui, réellement, il faut une sainte simplicité pour croire encore qu’on puisse détacher telle ou telle pièce ◀de▶ ces régimes pour ◀l’▶admirer isolément. ◀Les▶ libéraux qui parlent ainsi ignorent sereinement ◀de▶ quoi ils parlent. Ils ignorent tout bonnement ◀le▶ sens du mot totalitaire. Ils ne voient pas que ◀l’▶esprit totalitaire est ◀la▶ condamnation radicale et brutale ◀de▶ ◀l’▶esprit libéral au nom duquel ils admirent ceci ou cela, pris à part, tout en n’acceptant pas ◀l’▶ensemble. C’est une effrayante ironie sur ◀le▶ libéralisme impénitent, que cette manière libérale ◀d’▶admirer ◀les▶ totalitaires. Comme si ◀le▶ mot totalitaire ne signifiait pas justement que tout se tient e dans ces régimes, et que rien ne peut en être détaché, sous peine de perdre toute espèce ◀de▶ sens ! Croyez-vous que Mussolini ait fait une révolution dans ◀l’▶intention philanthropique ◀de▶ faire partir ◀les▶ trains à ◀l’▶heure ? Croyez-vous que ◀l’▶ordre social que vous admirez en Allemagne puisse être obtenu à bas prix, par des méthodes libérales ? Ne voit-on pas que cet ordre est simplement ◀la▶ suppression brutale et militaire ◀de▶ toute expression libre des vrais antagonismes ? Ne voit-on pas que ◀la▶ paix sociale est obtenue là-bas par ◀l’▶écrasement des faibles ? Ne voit-on pas que ◀l’▶unanimité des ouvriers en URSS résulte ◀de▶ ◀la▶ suppression brutale des syndicats et ◀de▶ ◀la▶ dictature des bureaucrates ? Ne voit-on pas enfin que ce qui importe aux dictateurs, ce n’est pas telle mesure en soi, mais au contraire ◀le▶ sens qu’elle prend par rapport au mouvement total, à ◀la▶ religion ◀de▶ ◀la▶ nation armée ?
Mais revenons à des choses plus sérieuses. Voyons à quoi tendent, pratiquement, ◀l’▶ambition des totalitaires, et leur nouvelle religion étatique.
Vous savez qu’en Russie comme en Allemagne, ◀l’▶éducation ◀de▶ ◀la▶ jeunesse consiste à supprimer chez elle toute espèce ◀de▶ conflits moraux, sentimentaux ou spirituels. ◀Les▶ conflits intérieurs, ◀le▶ tragique privé, ◀les▶ problèmes individuels, c’est un manque à gagner pour ◀l’▶État, c’est ◀de▶ ◀l’▶énergie perdue pour ◀l’▶armée nationale. Un Nietzsche ou un Dostoïevski seraient ◀de▶ très mauvais SA, ◀de▶ très mauvais stakhanovistes, des hommes que leurs soucis privés empêcheraient ◀de▶ marcher bien au pas. Il s’agit donc ◀de▶ former une jeunesse en qui ◀le▶ sens ◀de▶ ◀la▶ discipline remplace ◀le▶ sens ◀de▶ ◀l’▶intime réflexion. Un développera, bien entendu, ◀les▶ qualités ◀d’▶initiative, mais seulement dans ◀le▶ cadre étatique. Lorsque ◀les▶ Russes ou ◀les▶ nazis parlent ◀d’▶initiative individuelle, il faut entendre qu’il s’agit ◀d’▶aptitudes proprement militaires, telles qu’en exige ◀la▶ guerre moderne. C’est ainsi, par ◀le▶ sport et ◀la▶ morale ◀d’▶État, qu’on est en train de fabriquer une jeunesse sans problèmes intimes, une saine jeunesse toute délivrée des miasmes ◀de▶ ◀l’▶intelligence et ◀de▶ ◀la▶ culture bourgeoise, une jeunesse qui possède dans un corps sain aussi peu ◀d’▶esprit que possible.
Or, comme ◀les▶ hommes ne peuvent pas vivre sans passion, et que ◀la▶ passion individuelle est condamnée, il s’agit ◀de▶ reporter tous ◀les▶ conflits et ◀les▶ passions à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀la▶ seule nation. Tel est ◀le▶ sens du totalitarisme : c’est ◀la▶ nation totale qui est seule dotée ◀de▶ qualités individuelles, ◀d’▶initiative réelle, ◀de▶ liberté et ◀de▶ responsabilité morale.
Quand ◀le▶ Führer réclame ◀la▶ liberté pour ◀les▶ Allemands, cela ne signifie pas du tout qu’il est devenu subitement démocrate. ◀La▶ liberté, dans son esprit, est un attribut ◀de▶ ◀la▶ nation, et non pas des individus. Elle suppose même ◀le▶ renoncement aux libertés individuelles. Elle consiste, par exemple, dans ◀le▶ droit ◀d’▶annexer ◀l’▶Autriche ou ◀de▶ réarmer en dépit des traités.
Ainsi, toutes ◀les▶ qualités et tous ◀les▶ vices que ◀l’▶intérêt ◀de▶ ◀l’▶État ou ◀la▶ morale interdisent aux particuliers, sont reportées sur ◀la▶ nation divinisée et deviennent son apanage. ◀La▶ nation étant Dieu a tous ◀les▶ droits. Sa volonté seule définit ce qui est ◀le▶ bien et ce qui est ◀le▶ mal. Voici un paragraphe tiré ◀de▶ Mein Kampf qui ◀le▶ confirme sans équivoque :
Telle solution sera-t-elle avantageuse pour notre peuple, actuellement ou dans ◀l’▶avenir, ou lui causera-t-elle un dommage ? Voilà ◀la▶ seule opinion qui compte.
Il s’agit donc ◀d’▶« éliminer impitoyablement toute considération ◀de▶ politique ◀de▶ partis, ◀de▶ religion, ◀d’▶humanité, bref toutes autres considérations quelles qu’elles soient… » Ce sont ◀les▶ propres termes du Führer, je ◀le▶ répète.
Dès lors, tout ce que morale et religion condamnent dans ◀la▶ vie ◀d’▶un particulier devient ◀le▶ devoir sacré ◀de▶ ◀la▶ nation : ◀l’▶orgueil est glorifié, quand il est national, ◀les▶ attitudes provocantes sont ◀de▶ règle, en tant que nation, ou ◀le▶ droit ◀de▶ se faire valoir comme ◀le▶ plus grossier nouveau riche. ◀Les▶ vantardises ◀les▶ plus puériles deviennent ◀le▶ thème des discours officiels : c’est moi ◀le▶ plus grand, ◀le▶ plus riche, ◀le▶ plus nombreux, ◀le▶ plus infaillible des peuples. ◀La▶ nation des totalitaires se comporte exactement corme ◀les▶ « bandits ◀d’▶honneur » ◀de▶ ◀la▶ Corse. Elle a ◀la▶ même « morale », si ◀l’▶on peut dire, et ◀les▶ mêmes susceptibilités. De plus, elle a toujours raison puisqu’elle est sainte, puisqu’elle est divine.
Une conclusion se dégage, claire et nette, des écrits des grands chefs et ◀de▶ leurs actes récents : ◀la▶ morale totalitaire inaugure dans notre histoire ◀le▶ règne du butor armé.
Que cela satisfasse ◀les▶ instincts ◀d’▶un certain nombre ◀de▶ nos contemporains, c’est indéniable. Je dirai plus : ◀la▶ brute sommeille dans la plupart des civilisés. Mais on peut se demander si ◀l’▶idéal est ◀de▶ réveiller cette brute, ◀de▶ ◀l’▶exciter et ◀de▶ ◀la▶ satisfaire collectivement. ◀La▶ question eût paru grotesque il y a vingt ans. Elle se pose sérieusement aujourd’hui, et beaucoup ◀d’▶hommes ◀la▶ tranchent déjà par une joyeuse et solennelle affirmative.
« ◀L’▶État fasciste, écrit Mussolini, est une volonté ◀de▶ puissance et ◀de▶ domination. » Il s’oppose à ◀l’▶« esprit casanier, signe ◀de▶ décadence ». Notez que cet esprit casanier, c’est ce qu’on appelle chez nous : ◀la▶ volonté ◀de▶ rester dans ses frontières et ◀de▶ ne pas embêter ses voisins. Signe ◀de▶ décadence, aux yeux du Duce.
Ainsi ◀la▶ religion ◀de▶ ◀la▶ nation a pour contenu ◀la▶ volonté ◀de▶ puissance. Mais cette volonté, en pratique, ne peut conduire qu’à ◀la▶ guerre, car tout de même, ◀la▶ nation infaillible n’est pas seule dans ◀le▶ monde réel, comme elle est seule dans sa rêverie passionnée ◀de▶ domination. Elle a tout de même, en fait, quelques voisins. Et dès lors, ◀la▶ passion nationale qui a confisqué à son profit, et nationalisé ◀les▶ passions personnelles, cette passion unique et totale ne peut trouver son champ ◀d’▶action que dans ◀le▶ conflit avec ◀les▶ voisins. ◀L’▶État totalitaire, c’est ◀l’▶état ◀de▶ guerre. Nés ◀de▶ ◀la▶ guerre, organisés pour elle et selon ses méthodes propres, ◀les▶ régimes autarchiques ne peuvent aboutir, quoi qu’ils fassent, qu’à ◀la▶ guerre avec ◀le▶ voisin. Quoi qu’ils fassent et même quoi qu’ils veuillent. En vertu d’une logique implacable et dont ils ne sont plus ◀les▶ maîtres. Il ne leur reste plus qu’à glorifier ◀l’▶inévitable, donc à diviniser ◀la▶ guerre. Ils n’y manquent pas.
Voici un texte ◀de▶ Mussolini, texte officiel s’il en fut, puisqu’il figure dans ◀la▶ définition du fascisme, composée à tête reposée après dix ans ◀de▶ pouvoir, par ◀le▶ Duce lui-même. Il figure dans ◀l’▶Encyclopédie italienne. Il est intitulé : ◀La▶ Guerre et ◀la▶ vie comme devoir.
Avant tout, ◀le▶ fascisme, en ce qui concerne ◀d’▶une manière générale ◀l’▶avenir et ◀le▶ développement ◀de▶ ◀l’▶humanité — et abstraction faite ◀de▶ toute considération ◀de▶ politique actuelle — , ne croit ni à ◀la▶ possibilité ni à ◀l’▶utilité ◀de▶ ◀la▶ paix perpétuelle. Il repousse ◀le▶ pacifisme, qui cache une fuite devant ◀la▶ lutte et une lâcheté devant ◀le▶ sacrifice. ◀La▶ guerre, seule, porte au maximum ◀de▶ tension toutes ◀les▶ énergies humaines et imprime une marque ◀de▶ noblesse aux peuples qui ont ◀le▶ courage ◀de▶ ◀l’▶affronter. Toutes ◀les▶ autres épreuves ne sont que secondaires et ne placent jamais ◀l’▶homme en face de lui-même, dans ◀l’▶alternative ◀de▶ ◀la▶ vie et ◀de▶ ◀la▶ mort.
Trente pages plus loin, je lis ceci : « ◀Le▶ fascisme et une doctrine ◀de▶ vie… car il a eu ses morts et ses martyrs. »
Et maintenant, pour ceux qui penseraient que ◀la▶ Russie au moins est pacifiste, voici une page traduite des Izvestia, journal officiel ◀de▶ Staline. Elle est datée du 6 septembre 1935, et commente un décret donné 3 jours avant, instituant ◀le▶ port obligatoire ◀de▶ ◀l’▶uniforme pour tous ◀les▶ écoliers, dès ◀l’▶école primaire.
Il faut inculquer à ◀l’▶enfant que ◀le▶ jeune citoyen soviétique doit obéir à son maître comme ◀le▶ soldat rouge à son officier, ◀l’▶ouvrier son contremaître et ◀l’▶ingénieur son directeur…
Il faut aider ◀de▶ toutes nos forces ◀l’▶école dans sa lutte pour ◀la▶ discipline. Il faut se féliciter sans réserve ◀de▶ ◀la▶ décision du Comité central du parti introduisant ◀le▶ port obligatoire ◀d’▶un uniforme pour ◀les▶ écoliers. Autrefois, nous nous moquions ◀de▶ ◀l’▶honneur dû à ◀l’▶uniforme, parce que ◀les▶ classes ennemies et exploiteuses s’en servaient pour mieux juguler et exploiter ◀le▶ peuple. Mais aujourd’hui nous défendons ◀l’▶honneur ◀de▶ ◀l’▶uniforme ◀de▶ ◀l’▶Armée rouge qui nous protège et nous savons que nos enfants sont pleins ◀d’▶amour et ◀de▶ fierté pour notre Armée rouge. Je n’ai pas rencontré un seul enfant qui, à ◀la▶ question : « Veux-tu servir dans ◀l’▶Armée rouge ? », répondit non. Que nos enfants sachent donc que ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶école est ◀de▶ ◀les▶ préparer au rôle ◀de▶ soldats ◀de▶ ◀l’▶Armée rouge, ◀de▶ soldats du socialisme, et que ◀le▶ droit ◀de▶ porter ◀l’▶uniforme ◀de▶ ◀l’▶école est un grand honneur.
On se demande ce que ◀le▶ socialisme vient encore faire dans cette histoire ◀d’▶uniformes et ◀de▶ respect dû aux galons. C’est une survivance rhétorique. On sent bien que ◀l’▶important, ici, c’est « ◀l’▶amour et ◀la▶ fierté » qu’éveille ◀l’▶armée.
D’autre part, nous savons aujourd’hui que ◀l’▶objectif réel du premier plan ◀de▶ 5 ans, développant ◀d’▶une manière absurde ◀l’▶industrie lourde, c’était tout simplement ◀la▶ puissance militaire. Le dernier discours ◀de▶ Staline exalte d’ailleurs, en termes très mussoliniens, ◀la▶ puissance offensive ◀de▶ ◀la▶ Russie nouvelle.
Résumons-nous : ◀la▶ religion ◀de▶ ◀la▶ nation, à défaut ◀d’▶autre foi réelle, a pour contenu ◀la▶ volonté ◀de▶ domination. Cette volonté ne peut s’appuyer que sur un peuple encaserné dès son enfance. Elle ne peut trouver son objet, son point ◀d’▶application concret, que dans ◀la▶ guerre. Or ◀la▶ guerre signifie ◀la▶ mort. ◀La▶ religion des masses, c’est donc ◀le▶ culte ◀de▶ ◀la▶ mort. « Doctrine ◀de▶ vie… car elle a eu ses morts », s’écriait l’un des dictateurs. Non pas doctrine, dirai-je, mais passion.
Wagner, dans son plus grand chef-d’œuvre, qui est ◀le▶ poème orchestral ◀de▶ Tristan, nous révèle le dernier secret ◀de▶ ◀la▶ passion sous toutes ses formes. ◀La▶ passion exalte ◀la▶ vie à ◀l’▶extrême des puissances humaines : mais ce n’est là que ◀l’▶apparence. En vérité, ce qu’elle veut, c’est dépasser ◀la▶ vie insupportable et limitée, c’est dépasser ◀l’▶angoisse qui ◀l’▶exalte, c’est sombrer dans ◀la▶ Nuit éternelle. Souvenez-vous ◀de▶ ◀la▶ mort ◀d’▶Isolde, ◀de▶ ce crescendo infini vers ◀la▶ catastrophe désirée ! Ce que veut ◀la▶ passion, c’est ◀la▶ mort, ◀la▶ catastrophe et ◀le▶ commun naufrage. Et ◀la▶ religion totalitaire n’est rien ◀d’▶autre que ◀la▶ passion transportée à ◀l’▶échelle des peuples déifiés.
J’aborde ici la seconde partie ◀de▶ cet exposé : elle sera beaucoup plus brève, rassurez-vous, car nos critiques ont déblayé ◀le▶ terrain pour reconstruire.
En face de ◀la▶ menace et ◀de▶ ◀la▶ tentation totalitaire, ◀la▶ question qui se pose maintenant, c’est Que faire ?
J’essaierai ◀d’▶y répondre dans ◀la▶ perspective du personnaliste. Et ce sera ◀la▶ meilleure façon ◀de▶ définir cette doctrine — non par quelques formules abstraites et générales, mais par certaines applications historiques et immédiates.
Pour répondre à ◀la▶ question Que faire ? il faut se rappeler d’abord ◀les▶ causes du succès des totalitaires. Et cela nous dictera peut-être ◀les▶ moyens ◀de▶ résistance et ◀les▶ vrais buts ◀d’▶une contre-attaque.
◀Le▶ totalitarisme a triomphé surtout pour deux raisons, me semble-t-il.
[◀La▶ suite ◀de▶ cette conférence a été publiée dans ◀les▶ Cahiers protestants en juillet 1938, sous ◀le▶ titre : « ◀La▶ vraie défense contre ◀l’▶esprit totalitaire ».]