Propos sur la▶ religion, par Alain (avril 1939)ao
Ces « propos » s’égrènent ◀de▶ 1908 à 1935, mais ◀la▶ position ◀de▶ ◀l’▶auteur n’a pas varié durant ce temps. Elle se ramène, me semble-t-il, à ceci : ◀la▶ religion, c’est ◀la▶ pratique moyenne du catholicisme français. Il s’agit moins ◀de▶ ◀la▶ dénigrer que ◀de▶ ◀la▶ « réaliser » en ◀la▶ débarrassant ◀de▶ ses « croyances fantastiques » et ◀de▶ sa « méthode arriérée », qui est celle ◀de▶ ◀l’▶autorité (p. 72). ◀La▶ « vraie foi », vous ◀la▶ trouverez donc aujourd’hui chez ◀l’▶instituteur laïque. Cette déclaration ouvre et ferme ◀le▶ recueil (p. 23 et 286). Elle ◀le▶ situe dans ◀les▶ cadres ◀de▶ ◀la▶ République radicale.
Ainsi ◀le▶ catholicisme, interprété par Alain, serait une sagesse éternelle qu’il s’agirait ◀de▶ remettre à jour, c’est-à-dire ◀de▶ laïciser. Point ◀d’▶anticléricalisme, car « devant ◀le▶ regard positif, toute religion finit par être vraie », et même « ◀l’▶obligation ◀de▶ croire ne digère pas beaucoup du devoir ◀de▶ penser » (commencez par croire, vous finirez par penser)… Comme toute sagesse qui se respecte, celle ◀d’▶Alain ne peut pas tenir compte des données concrètes du christianisme : ◀le▶ péché, ◀le▶ salut, ◀le▶ drame ◀de▶ ◀la▶ révolte et ◀de▶ ◀l’▶amour. Mais elle spécule volontiers sur ◀les▶ avantages et inconvénients des « preuves » ou ◀de▶ ◀l’▶absence ◀de▶ preuves en matière de « croyance », débat dont je ne trouve pas trace dans ◀les▶ évangiles, s’il est vrai qu’il encombre une bonne part ◀de▶ ◀la▶ théologie, surtout catholique. Tout cela, je ◀le▶ crains, relève ◀d’▶un malentendu, courant sur ◀le▶ sens du mot « foi ». Je voudrais au moins ◀l’▶indiquer.
Un chrétien sait que sa foi n’est nullement ◀le▶ contraire du doute intellectuel, mais ◀le▶ contraire du péché, lequel n’est nullement une erreur morale, mais un état ◀de▶ révolte active ◀de▶ ◀la▶ créature (même lorsqu’il se déguise en bonne volonté souriante). ◀La▶ foi, au sens biblique, s’oppose expressément à ◀la▶ religion en général, avec ses rites et ses croyances dont Alain respecte ◀la▶ forme et laïcise ◀le▶ contenu. « ◀La▶ vraie religion est ◀le▶ culte des morts », dit-il après Auguste Comte. Je ◀le▶ pense aussi. (Voyez ◀le▶ racisme.) Mais pour ◀le▶ chrétien, « ◀la▶ foi est ◀la▶ substance des choses espérées ». Ce qu’un esprit comme celui ◀d’▶Alain retient du catholicisme, c’est donc exactement ce que Kierkegaard, par exemple, rejette au nom de sa foi : tout ce qui n’est que sociologie. (Je ne dis pas que ce soit négligeable.) Pour situer ◀la▶ sagesse ◀d’▶Alain, qu’on songe à ◀la▶ folie ◀d’▶un Kierkegaard. Alors éclate ◀le▶ conflit véritable entre ◀l’▶humanisme et ◀la▶ foi, ◀le▶ scandale au sens paulinien, tout ce que ◀le▶ sage jugera toujours « hors de propos » ◀d’▶envisager. ◀Le▶ sérieux même du christianisme.51
Alain dit quelque part n’avoir jamais connu ◀de▶ « vrai croyant » qui ne vive « selon ◀la▶ peur ». Serait-ce qu’il n’a jamais rencontré que des hommes « religieux », non des chrétiens vivant selon ◀la▶ foi et capables ◀de▶ lui faire pressentir que ses observations toujours ingénieuses, souvent justes, ne portent guère que sur ◀les▶ résidus ou ◀les▶ empreintes psychologiques et historiques du catholicisme français, en tant que, vidé ◀de▶ ◀la▶ foi, il demeure une « religion » ? Qu’il poursuive donc son enquête, si toutefois il ne tient pas à avoir raison comme Napoléon, qui faisait ◀les▶ demandes et ◀les▶ réponses.