D’▶une critique stérile (mai 1939)ba
Dans un certain sens, et aujourd’hui, nul n’est plus mal placé que ◀les▶ personnalistes pour critiquer ◀le▶ régime des partis. Ils ont mené cette critique dès leurs débuts, dès ◀les▶ années 1930 à 1932, avec une pertinence et une violence qui alors n’étaient pas sans mérites. Ils ont prédit ◀l’▶évolution actuelle, ◀l’▶usure ◀de▶ ◀la▶ droite, puis ◀de▶ ◀la▶ gauche à ◀l’▶épreuve alternée du pouvoir, ◀la▶ décomposition des « blocs », celle des Ligues trop peu novatrices, ◀la▶ naissance ◀d’▶une dictature qui s’affirmerait malgré elle, non par volonté mais par crainte, pour assurer ◀le▶ « salut » ◀de▶ nos libertés… Ils ont écrit et dit tout cela, avant ◀les▶ autres, dans Esprit et dans L’Ordre nouveau . Ils étaient les premiers à ◀le▶ dire. Et ◀l’▶on pensait qu’ils seraient les premiers à y croire, et à ◀le▶ prouver.
Or, il ne paraît pas qu’à cette critique ait répondu jusqu’à présent un dynamisme constructeur ◀d’▶une intensité comparable. ◀Les▶ partisans ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche seraient fondés à nous dire aujourd’hui : « Vous avez très bien vu pourquoi nous ne ferions rien. Mais dites-nous maintenant pourquoi vous-mêmes, connaissant nos erreurs, n’avez rien fait ◀de▶ mieux ? »
Certains seront tentés ◀de▶ répondre que ◀l’▶espèce ◀de▶ paralysie dont souffre ◀le▶ mouvement personnaliste s’explique par un excès ◀de▶ critique négative, ◀d’▶origine universitaire, ou comme on dit : « intellectualiste ». Je ne pense pas que cela soit décisif. Je crains bien qu’au contraire ◀le▶ mouvement ait péché par défaut ◀de▶ radicalisme dans sa critique négative.
Mon expérience des groupes et des congrès personnalistes m’amène à formuler ◀les▶ thèses suivantes :
1. C’est ◀le▶ désir ◀de▶ « sortir du plan des vieux partis » qui rassemble ordinairement les premiers éléments ◀d’▶un groupe local.
2. C’est ◀l’▶impuissance à « sortir du plan des vieux partis » qui paralyse ◀l’▶action ◀de▶ ce groupe, après quelques séances ◀d’▶études et ◀de▶ mises au point.
3. Car on ne croit pas suffisamment à ce qu’on affirme, à savoir ◀la▶ mort des partis.
4. On garde ◀le▶ secret désir — avoué parfois dans ◀le▶ feu ◀de▶ ◀la▶ discussion, lors ◀d’▶un congrès — ◀de▶ constituer enfin un vrai parti, un parti vrai, dont ◀la▶ doctrine soit plus complète et sympathique que celle des « formations traditionnelles », un parti où ◀l’▶on puisse « militer » avec une bonne conscience intellectuelle impossible partout ailleurs.
5. On garde ◀le▶ secret désir ◀d’▶arriver à une « prise du pouvoir » ◀de▶ type léniniste ou fasciste, c’est-à-dire ◀de▶ type partisan, impliquant une discipline, une tactique, des mots d’ordre tactiques, un appareil centralisé — ◀la▶ négation parfaite ◀de▶ nos doctrines.
6. On croit si peu à ◀la▶ mort des partis qu’on n’imagine pas ◀d’▶autre action possible qu’au moyen des partis existants, et ◀l’▶on propose ◀la▶ colonisation du socialisme ou ◀de▶ ◀la▶ CGT — qui pratiquement vaut un parti — par ◀les▶ groupes ou par des « isolés ».
7. Ainsi ◀l’▶écart entre action et doctrine s’accentue ◀d’▶année en année. ◀La▶ doctrine tourne à ◀l’▶utopie, ◀l’▶action se décourage ou s’éparpille.
8. Pendant ce temps, on néglige ◀l’▶essentiel : ◀la▶ création ◀de▶ moyens ◀d’▶action neufs, et qui seraient efficaces justement parce qu’ils ne seraient pas à ◀l’▶échelle démesurée ◀de▶ ◀l’▶action des partis politiques.
9. ◀L’▶action des groupes personnalistes, en tant que tels, ne saurait être que réduite au regard de ◀l’▶action des partis : elle veut être une action à hauteur ◀d’▶homme, et non pas au niveau de ◀l’▶opinion.
10. Ceux qui doutent ◀de▶ son efficace sont victimes ◀de▶ ◀l’▶optique des partis.
11. Ceux qui demandent des directives au centre sont victimes ◀de▶ ◀l’▶optique des partis.
12. Et de même, ceux qui attendent pour agir que nous soyons « suffisamment nombreux ».
13. Pour former une communauté, il vaut mieux n’être qu’une douzaine.
14. Pour se risquer personnellement, il suffit ◀de▶ croire personnellement à ce qu’on affirme.
15. ◀L’▶attrait du parti n’est qu’en apparence ◀l’▶attrait ◀de▶ ◀la▶ plus grande puissance ; en réalité, il est ◀la▶ fuite devant ◀la▶ véritable puissance ◀de▶ ◀l’▶homme, qui est sa responsabilité personnelle.
16. ◀Les▶ partis sont mauvais non point parce qu’ils sont trop puissants dans ◀l’▶État, mais parce qu’ils n’ont aucune puissance véritable, créatrice.
17. Ce que ◀l’▶on nomme ◀la▶ puissance ◀d’▶un parti, c’est ◀la▶ somme des abdications ◀de▶ tous ses membres.
18. Lorsqu’un parti — comme ils ◀le▶ désirent tous plus ou moins courageusement — s’empare ◀de▶ ◀l’▶État, ◀la▶ puissance ◀de▶ cet État devient ◀la▶ totalisation des lâchetés ◀de▶ tous ◀les▶ citoyens.
19. Tout parti est totalitaire dans son essence, et préfigure ◀l’▶État totalitaire, brutal et stérilisant.
20. ◀D’▶où ◀l’▶incapacité essentielle des partis à collaborer dans ◀l’▶État : au lieu de se complémenter, ils s’excluent, chacun prétendant « tout » régler selon son idéologie. Partis qui veulent se faire aussi grands que ◀le▶ tout.
21. ◀L’▶injustice, c’est ◀la▶ justice ◀d’▶un groupe imposée uniformément à d’autres groupes.
22. C’est pourquoi ◀le▶ fédéralisme est ◀la▶ seule forme humaine ◀de▶ ◀la▶ justice.
23. ◀Le▶ but du personnalisme n’est pas ◀de▶ s’emparer des « centrales » pour établir ensuite un régime personnaliste ; mais ◀de▶ créer sur place des foyers communautaires.
24. C’est un but essentiellement fédéraliste.
25. Il ne s’agit pas ◀de▶ s’emparer ◀d’▶un pouvoir impuissant, mais ◀d’▶exercer ◀le▶ pouvoir sur place, à ◀l’▶échelle des réalités que ◀l’▶on maîtrise.
26. Si peu que ce soit, c’est tout ce qu’il y a ◀de▶ réel.
27. Une seule main qui travaille fait plus que cent-mille mains qui se lèvent.
28. ◀La▶ critique des partis n’est stérile que dans ◀la▶ mesure où elle n’est pas radicale.