« Dieu premier servi » (26 avril 1940)e
On a beaucoup dit que le secret de▶ la résistance finlandaise était la foi profonde ◀de▶ ce peuple. En défendant leur terre, les soldats finnois avaient conscience ◀de▶ défendre aussi leur Église.
Mais il existe d’autres pays où la foi ◀d’▶un soldat chrétien pourrait avoir des effets exactement contraires. Elle pourrait amener ce soldat à refuser ◀de▶ défendre l’État qui persécute son Église. Dis-moi pour qui tu acceptes ◀de▶ mourir, je te dirai en qui tu crois vraiment…
Ces deux exemples contradictoires posent la question la plus brûlante ◀de▶ l’époque : celle ◀de▶ l’attitude du chrétien en face de ses devoirs civiques et militaires. Là-dessus, quelques remarques à propos de la Suisse.
Je suis ◀de▶ ceux qui pensent que la foi n’est pas « une affaire privée », ainsi que le prétendait Marx. Le chrétien a le devoir ◀d’▶agir au nom de sa foi, ◀d’▶agir dans le monde et pour le monde, dans la cité où il est né et pour son bien. Il n’a pas le droit ◀de▶ s’en désintéresser et ◀de▶ laisser les autres s’égarer, quitte à les dénoncer ensuite pathétiquement du haut ◀de▶ la chaire ! Or l’action ◀d’▶un chrétien placé par sa naissance dans la communauté des Suisses doit naturellement s’insérer dans les données ◀de▶ fait qui sont celles du pays, et qui se trouvent être communes à tous les citoyens, chrétiens ou non. La mission spéciale du citoyen chrétien, ce sera ◀de▶ dégager ◀de▶ ces données communes un sens spirituel, une vocation positive. Car le chrétien est, si j’ose dire, un spécialiste ◀de▶ la vocation. Cette action particulière du citoyen chrétien sera dans l’intérêt ◀de▶ la Suisse, certes. Mais elle sera d’abord obéissance à la foi. J’insiste sur ce point, qui est capital.
Nous ne devons pas être chrétiens parce que nous sommes Suisses et que la Suisse est officiellement un pays chrétien. Mais nous devons être ◀de▶ bons Suisses parce que nous sommes chrétiens d’abord.
Or, je constate qu’on entretient chez nous ◀d’▶assez graves équivoques sur ce point. Il ne manque pas ◀de▶ gens pour dire, écrire, ou simplement laisser entendre, qu’un bon citoyen suisse a le devoir ◀d’▶être chrétien, comme si ce devoir était la conséquence obligatoire ◀d’▶un très ardent patriotisme. Si certains n’hésitent pas, dans leurs discours, à invoquer « le Dieu ◀de▶ nos pères », il semble parfois que ce soit moins parce qu’ils croient le christianisme vrai, que parce qu’ils le croient utile au bon moral ◀de▶ la nation, voire à la discipline des troupes. Ces personnes-là, vous les reconnaîtrez infailliblement à ces quelques traits : elles ont une conception ◀de▶ la « religion » plutôt déiste qu’évangélique ; elles prônent un moralisme plutôt bourgeois que charitable ; elles ont une façon ◀d’▶exalter la croix blanche ◀de▶ notre drapeau qui rappelle davantage le Gott mit uns ◀de▶ Guillaume II que le Dieu premier servi ◀de▶ Jeanne d’Arc. Bref, l’intérêt qu’elles portent à la religion paraît subordonné à celui qu’elles portent à la conservation ◀de▶ notre État. Or nous devons croire exactement le contraire, je le répète : nous devons être ◀de▶ bons Suisses parce que nous sommes chrétiens d’abord. Gardons-nous du Schweizer Christentum !
À ces Schweizer Christen dont je viens de parler, j’opposerai cette déclaration prophétique ◀d’▶un homme dont la pensée me paraît plus actuelle que jamais, Alexandre Vinet : « Veuillez d’abord, écrivait-il, avoir une religion pour vous, et si vous n’en voulez pas pour vous, mais seulement pour tout le monde, faites-nous la grâce ◀de▶ n’en point vouloir », car « la société qui veut m’ôter ma religion m’effraie bien moins que celle qui veut en avoir une. »
C’est parce que Niemöller et ses frères savaient cela qu’ils ont résisté, qu’ils résistent.