Esquisses d’▶une politique fédéraliste
Il se peut que ◀le▶ fédéralisme n’ait été à son origine qu’une nécessité naturelle. Il se peut que durant des siècles, il soit demeuré une pratique terre à terre, et n’en ait que mieux fonctionné. Ce qui est certain, c’est qu’une praxis ne peut rayonner et créer qu’avec ◀l’▶appui ◀d’▶une theoria, à partir ◀d’▶un certain moment.
Ce moment est venu. Nous y sommes. Dans ◀la▶ révolution du xxe siècle, ceux qui se taisent n’ont peut-être pas tort, mais ils sont certainement battus. ◀L’▶« arme secrète » dont on parle souvent, c’est simplement ◀la▶ propagande. Toute propagande est efficace, voilà ◀le▶ principe tactique fondamental ◀de▶ notre siècle. Si aucune contre-propagande n’entre en action pour ◀la▶ neutraliser, toute propagande obtient un certain rendement, qui varie entre 5 % (dans ◀les▶ pays ◀d’▶opinion « libre ») et 98 ½ % (dans d’autres pays).
Il y a donc aujourd’hui pour ◀le▶ fédéralisme une nécessité ◀de▶ s’exprimer, quand ce ne serait que pour se défendre. Mais en même temps, une possibilité se révèle, ◀d’▶élargissement européen ; un appel, voire une exigence, qui nous fait un devoir ◀d’▶attaquer au niveau des idées et des doctrines.
Mais afin de nous mettre en mesure ◀de▶ « prêcher » ◀le▶ fédéralisme, il nous faut savoir ◀d’▶où il vient ; savoir aussi à quoi il tend ; et prouver ◀la▶ réalité ◀de▶ ce savoir par une existence exemplaire.
Je ne puis parler ici que des deux premiers points. Du troisième, que dirais-je ? Il faut ◀le▶ vivre.
I
D’où vient ◀le▶ fédéralisme ?
Dans ◀le▶ temps, dans ◀le▶ monde du péché, tout commence par ◀la▶ nécessité, et tend à nous y enfermer. Dans ◀le▶ monde ◀de▶ ◀l’▶esprit, tout s’ouvre et se libère, devient grâce et devient nouveauté. ◀L’▶action réelle, c’est ◀de▶ passer du monde ◀de▶ ◀la▶ nécessité à celui ◀de▶ ◀la▶ liberté. Cet acte seul nous rend humains et nous maintient à hauteur ◀d’▶homme. (Pas question ◀de▶ monter jusqu’à ◀l’▶ange ; nous avons bien assez à faire à ne point retomber à ◀la▶ bête.)
Ainsi pour ◀le▶ fédéralisme. Qu’il soit né ◀de▶ ◀la▶ géographie, c’est un fait dont il faut partir sous peine ◀d’▶utopie pernicieuse. Mais il faut en « partir » justement, si ◀l’▶on veut qu’il révèle son sens. Aucun fait n’a ◀de▶ sens en soi. ◀L’▶esprit seul donne un sens aux données dans lesquelles notre histoire prit son départ. ◀Les▶ données matérielles du fédéralisme conditionnent notre destinée, mais ne ◀la▶ déterminent pas. À négliger cette distinction, nous tomberions dans un « géographisme » fort voisin du racisme, et qui ne serait à tout prendre qu’une des formes du matérialisme moderne, disons ◀la▶ forme poétique. Or rien n’est plus artificiel, plus utopique, que ◀le▶ matérialisme, ◀d’▶où qu’il vienne. Cette doctrine n’est en fait qu’un ressentiment. Elle naît toujours des déceptions ◀de▶ ◀l’▶idéalisme, ◀de▶ ses abus et ◀de▶ ses lacunes. Elle est toujours une revanche des instincts, une nostalgie des éléments concrets que ◀l’▶idéalisme, en son orgueil naïf, avait cru pouvoir négliger. Mais ◀l’▶abus ne doit pas nous interdire ◀l’▶usage. ◀La▶ réponse à ◀l’▶idéalisme déficient ne doit pas être ◀le▶ matérialisme, mais ◀l’▶idéalisme efficient : ◀la▶ foi qui œuvre. On a tant et si bien méconnu ces vérités élémentaires que je ne m’excuserai pas ◀de▶ ◀les▶ rappeler ici. Quand abandonnerons-nous cette manie suisse ◀de▶ dénoncer comme « utopistes », « rêveurs abstraits », « idéologues brumeux », ceux parmi nous qui se souviennent ◀d’▶être hommes, créatures ◀de▶ ◀l’▶esprit autant que ◀de▶ ◀la▶ terre, chargés ◀d’▶une vocation et non seulement ◀d’▶hérédités problématiques !
Il reste que ◀la▶ position géographique ◀de▶ ◀la▶ Suisse semble ◀l’▶avoir prédestinée à un statut fédéraliste. C’est tout ce qu’on peut dire après coup. ◀Le▶ compartimentage des régions montagneuses appelle une forme politique tout opposée à celle qui règne normalement dans ◀les▶ landes ◀de▶ ◀la▶ Prusse ou ◀les▶ steppes ◀de▶ ◀l’▶Asie. ◀Le▶ fait géographique que ◀le▶ Gothard est ◀le▶ seul point où un seul col permette ◀de▶ traverser ◀les▶ Alpes suffit à expliquer ce grand fait historique : ◀l’▶immédiateté impériale accordée aux trois Waldstätten, et fondant ◀la▶ liberté suisse. Mais dès cet instant-là, ◀les▶ facteurs historiques apparaissent beaucoup plus déterminants que ◀la▶ Nature, qui se borne à leur fournir un point ◀de▶ fixation. C’est ◀l’▶esprit des communes italiennes qui donne ◀l’▶impulsion décisive lors de ◀la▶ fondation des premières ligues, dans ◀les▶ Grisons et au Tessin, dès ◀la▶ fin du xiie siècle ; puis sur l’autre versant du Gothard, aux environs ◀de▶ 129134. En vérité, dès ce début, c’est ◀la▶ mission spéciale confiée aux Waldstätten — j’entends ◀la▶ garde du Gothard — qui définit ◀l’▶existence ◀de▶ ◀la▶ Suisse et assure son indépendance. ◀La▶ nécessité ◀de▶ s’entraider et ◀le▶ besoin ◀d’▶indépendance des montagnards existaient aussi bien dans ◀le▶ reste des Alpes : ce qui leur a permis ◀de▶ se réaliser en ce point très précis ◀de▶ ◀l’▶espace et du temps, ce n’est pas seulement ◀le▶ fait physique ◀de▶ ◀l’▶ouverture du col du St-Gothard, mais c’est aussi ◀le▶ fait sociologique des idées qui passèrent ◀le▶ col. Le premier fait conditionne le second, mais c’est le second qui détermine des actes. Et surtout, dominant l’un et l’autre, il y a ◀l’▶idée et ◀l’▶idéal du Saint-Empire, c’est-à-dire ◀de▶ ◀l’▶Europe unie, dont il faut protéger ◀le▶ cœur.
Toute ◀l’▶histoire suisse, à partir de ces temps, illustre ◀le▶ même équilibre entre ◀les▶ conditions ◀de▶ fait et ◀les▶ volontés ◀de▶ ◀l’▶esprit. C’est une interminable interaction ◀de▶ ◀l’▶idéal et ◀de▶ ◀la▶ nécessité, ◀de▶ ◀l’▶intérêt local et ◀de▶ ◀l’▶intérêt commun, ◀de▶ ◀la▶ petite patrie et ◀de▶ ◀l’▶Empire. Peu à peu, ◀le▶ Gothard perdra son importance économique, mais il prendra ◀la▶ valeur ◀d’▶un symbole, et ◀la▶ mission des Suisses s’élargira. Peu à peu, ◀de▶ nouveaux cantons s’allieront aux communes du Gothard. Un réseau compliqué ◀de▶ pactes reliera ◀les▶ villes aux campagnes. Et chaque fois que l’un des cantons voudra prendre ◀la▶ tête ◀de▶ ◀la▶ Ligue, il trouvera tous ◀les▶ autres unis contre sa volonté ◀d’▶hégémonie. Ainsi jusqu’à ◀la▶ fin du xve siècle.
À ce moment, malgré tous ◀les▶ efforts ◀de▶ Nicolas de Flue, ◀la▶ puissance matérielle et ◀la▶ grandeur territoriale viendront tenter ◀les▶ Suisses. ◀L’▶Italie s’ouvre à eux, ◀la▶ Souabe et ◀la▶ Bourgogne… Vont-ils faillir à leur mission ? ◀La▶ Garde ◀de▶ ◀l’▶Europe fera-t-elle un coup ◀d’▶État, et, trahissant ◀l’▶Empire, deviendra-t-elle impérialiste pour son compte ? C’est alors qu’éclate ◀la▶ Réforme.
◀Les▶ historiens modernes accusent parfois Zwingli ◀d’▶avoir brisé ◀l’▶essor guerrier des Suisses, leur élan vers ◀la▶ mer et ◀l’▶aventure. En vérité, Zwingli nous a sauvés, ◀la▶ Réforme a sauvé ◀la▶ Suisse. Et c’est elle qui est restée fidèle aux préceptes du Frère Claus. Un grand État participant aux luttes des puissances nationales en formation — tel que ◀le▶ rêva Mathieu Schinner — ne pouvait être gouverné par ◀les▶ cantons dépourvus ◀de▶ pouvoir central. Ou bien ce pouvoir aurait dû être improvisé, et c’eût été ◀la▶ fin ◀de▶ notre fédéralisme ; ou bien ◀les▶ provinces annexées auraient pris une trop grande influence, et c’eût été ◀la▶ guerre perpétuelle jusqu’au démembrement inévitable. ◀La▶ division des Suisses en deux camps religieux eut au moins pour effet ◀de▶ tuer en germe ◀l’▶ambition centralisatrice, chez ceux-là mêmes qui devaient y rêver, ◀les▶ Zurichois et ◀les▶ Bernois.
Dès lors ◀la▶ Suisse est ramenée à sa mission exceptionnelle. ◀Les▶ deux partis renoncent aux appuis étrangers, et c’est ◀le▶ nouveau fondement ◀de▶ notre neutralité. Ils accommodent leurs exigences aux nécessités ◀de▶ ◀l’▶union, et c’est ◀le▶ nouveau fondement ◀de▶ notre fédéralisme. Ainsi ◀l’▶on a passé progressivement ◀d’▶une alliance avant tout nécessaire à une alliance beaucoup plus spirituelle. Et quand celle-ci sera stabilisée — après ◀les▶ guerres ◀de▶ Villmergen, au xviiie siècle —, ◀la▶ Confédération sera capable ◀d’▶intégrer et des « races » et des langues nouvelles : c’est ce qui se produit au commencement du siècle suivant, par ◀le▶ rattachement sur pied ◀d’▶égalité des cantons italiens et romands. Notre fédéralisme actuel ne date donc que ◀de▶ 1848 ; et ce n’est même qu’à partir de 1919 que son statut légal a pris force ◀de▶ vie. (Quand ◀le▶ « fossé » eut été comblé.)
Nous sommes donc au sommet ◀de▶ notre histoire, si ◀l’▶on admet que ◀le▶ sens ◀de▶ cette histoire est ◀de▶ créer et ◀d’▶illustrer ◀la▶ réalité fédérale.
Cependant ◀de▶ nouveaux problèmes, et des plus graves, sollicitent un progrès nouveau et décisif. ◀L’▶économie vient remettre en question ◀les▶ succès obtenus dans d’autres plans. Or, on ne peut résoudre un problème ◀de▶ ce genre qu’en dépassant ◀l’▶opposition qui ◀l’▶a fait naître.
Dépasser, c’est marcher en sachant où ◀l’▶on va. Car autrement ◀l’▶on risque bien ◀de▶ reculer ou ◀de▶ tourner en rond.
II
Où va ◀le▶ fédéralisme ?
C’est ici qu’apparaît au concret ◀le▶ problème, ou ◀la▶ nécessité, ◀d’▶une philosophie fédéraliste. Car lorsqu’il s’agit ◀de▶ prévoir, ◀l’▶empirisme ne suffit plus. ◀La▶ vue doit s’élargir ; et ◀le▶ seul horizon qu’il nous soit permis ◀d’▶embrasser, c’est celui ◀de▶ ◀l’▶Europe entière, non tel groupe ◀de▶ puissances voisines. Or ◀l’▶Europe est un idéal, une civilisation et un esprit, bien plus qu’une entité géographique. (« Cap de l’Asie », dit Valéry…)
Aussi bien, ◀les▶ notes qui vont suivre ont-elles ◀l’▶ambition ◀de▶ poser ◀le▶ problème du fédéralisme sur ◀le▶ seul plan où nos conflits internes aient quelque chance ◀de▶ se résoudre : ◀le▶ plan ◀de▶ ◀l’▶Europe. Notre fédéralisme ne peut durer que si nous lui donnons pour fin ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Occident.
1. Tout d’abord une définition. Fédération veut dire : union dans ◀la▶ diversité.
◀Le▶ mot fédéralisme, en Suisse romande surtout, a pris ◀le▶ sens restreint et inexact ◀d’▶autonomie ◀de▶ ◀la▶ région. ◀Le▶ mot allemand ◀de▶ Bund n’insiste que sur ◀l’▶union. Quand je parle ◀de▶ fédéralisme et ◀de▶ fédération, j’entends à la fois union et autonomie des parties qui s’unissent ; à la fois « un pour tous » et « tous pour un ».
2. Je m’excuse du calembour, mais il est proprement irrésistible : il y a des idées qui sont « dans ◀l’▶air » et qui risquent bien ◀de▶ rester des idées « en ◀l’▶air ». ◀L’▶idée ◀de▶ fédération européenne par exemple. Essayons donc ◀de▶ ◀la▶ faire redescendre dans ◀les▶ complexités où elle doit s’incarner ; non pas trop bas, dans cette fausse réalité des réalistes terre à terre, mais au niveau de notre action, à hauteur ◀d’▶homme.
3. Promouvoir une fédération, ce n’est pas créer un nouvel ordre systématique, simple ◀de▶ lignes, clair et satisfaisant pour ◀la▶ logique. Fédérer, c’est tout simplement arranger ensemble des réalités concrètes.
Pour être en mesure ◀de▶ comprendre vraiment ◀la▶ véritable alternative politique ◀de▶ notre temps : totalitarisme ou fédéralisme (et non point gauche ou droite, capitalisme libre ou étatisme, communisme ou fascisme, et autres attrape-nigauds) il faut avoir compris au moins cette chose très simple et des plus quotidiennes : ◀la▶ différence infinie qui existe entre « faire ◀de▶ ◀l’▶ordre » sur une table ◀de▶ travail et « arranger » des papiers. Il arrive que ma femme ◀de▶ ménage fasse ◀de▶ ◀l’▶ordre à son idée dans mon bureau : c’est une petite catastrophe totalitaire ! Mes dossiers sont « mis au pas », alignés et empilés, rien ne dépasse et tout est brouillé. Pour moi, quand j’arrange mes feuilles en une série ◀de▶ liasses ou ◀d’▶éventails, je ne tiens pas compte ◀de▶ leur format ou ◀de▶ leur couleur, mais ◀de▶ ce que j’ai écrit dessus. Et c’est pourquoi je m’y retrouve avec aisance. C’est là mon ordre personnel, mon « arrangement » fédéraliste, conforme au sens et aux qualités propres à chacun ◀de▶ ces feuillets, conforme aussi à mon usage pratique ; tenant compte des uns et ◀de▶ l’autre, dans une mesure que je ne songe pas à définir, mais que m’indique à coup sûr mon travail, j’entends ◀l’▶œuvre que j’ai en train.
Il n’y a pas ◀de▶ petits exemples pour qui sait lire ◀le▶ réel « dans ◀le▶ texte », et ne se contente pas ◀de▶ résumés traduits.
4. Prenons maintenant ◀la▶ fédération suisse au seul titre ◀d’▶exemple enseignant pour ◀l’▶Europe. En vérité, ce ne sont ni ◀les▶ idées qui ont « inspiré » son statut primitif, ni ◀la▶ nature qui ◀l’▶a « dicté » ; mais ce statut est né ◀de▶ ◀l’▶arrangement tout empirique ◀de▶ réalités très diverses, voire même très hétéroclites : ◀la▶ nature compartimentée des régions alpestres, ◀l’▶ouverture du col du Gothard au xiiie siècle, ◀l’▶influence du mouvement des communes italiennes, ◀l’▶instinct germanique ◀de▶ ◀la▶ liberté armée, ◀la▶ rivalité entre ◀l’▶empereur et ◀les▶ grands vassaux, ◀la▶ nécessité et ◀l’▶habitude du travail en équipes pour cultiver ◀la▶ terre dans ces parages. Tout cela s’exprime plus ou moins consciemment dans ◀le▶ Pacte fameux ◀de▶ 1291, qui fonde officiellement ◀la▶ Confédération.
Cette confédération primitive, nous ◀l’▶avons vue s’accroître organiquement par un jeu ◀d’▶alliances très complexes, qui se chevauchent sans jamais se recouvrir exactement. ◀Le▶ noyau primitif des cantons forestiers s’allie aux villes ◀de▶ Lucerne et Zurich ; puis conquiert avec ◀l’▶aide ◀de▶ Zurich ◀les▶ pays ◀de▶ Glaris et ◀de▶ Zoug ; puis ◀les▶ libère et s’allie avec eux ; puis s’allie avec Berne, qui par là devient ◀l’▶allié au second degré des autres cantons ; Berne ensuite noue des liens particuliers avec Zurich, et d’autre part se soumet Vaud et ◀l’▶Argovie ; etc., etc. Il faudrait ici plusieurs pages pour énumérer simplement tous ces traités enchevêtrés, qui se résoudront finalement dans un traité unique et uniforme instituant ◀l’▶État fédératif.
Pendant des siècles, ◀la▶ Confédération n’a donc point ◀de▶ centre légal, ◀de▶ capitale, ni ◀de▶ constitution. Elle ne connaît et ne tolère nulle hégémonie dans son sein. Sa Diète se réunit comme spontanément, ici ou là, et n’a pas ◀de▶ pouvoirs bien définis, mais seulement une autorité, souvent décisive d’ailleurs.
Plusieurs cantons se trouvent appartenir à deux ou trois réseaux ◀d’▶alliances, lesquelles ne sont pas toujours réciproques dans toutes leurs obligations. (Comme si ◀de▶ nos jours deux pays concluaient un pacte qui pour l’un serait ◀d’▶assistance obligatoire, pour l’autre seulement ◀de▶ non-agression.)
◀D’▶où vient que cette fédération ait triomphé ◀de▶ toutes ◀les▶ crises ◀d’▶une histoire violente et complexe ? ◀Le▶ secret ◀de▶ sa force est à peine formulable : il est ◀de▶ ◀l’▶ordre du sentiment. Oui, ce n’est guère qu’un sentiment communautaire informulé — je dirais même : soigneusement informulé — qui tient ensemble ces pays35.
◀La▶ crise réelle ne commencera qu’au jour où ce sentiment sera dit, traduit en lois, et par là même soumis au risque de se voir discuté.
5. ◀La▶ force des choses — qui n’est qu’une traduction automatique ◀de▶ ◀la▶ faiblesse des hommes — fait aujourd’hui ◀de▶ ◀la▶ pratique traditionnelle du fédéralisme helvétique une sorte ◀de▶ programme, et même ◀de▶ manifeste.
Par ◀la▶ force des choses, ◀l’▶union paisible ◀de▶ deux religions, ◀de▶ quatre langues, ◀de▶ 22 républiques, et ◀de▶ je ne sais combien ◀de▶ « races » en un État qui ◀les▶ respecte, cette union prend ◀l’▶allure à la fois ◀d’▶un antiracisme déclaré et ◀d’▶un antinationalisme.
Par ◀la▶ force des choses, ◀la▶ pratique séculaire et instructive ◀d’▶une méthode ◀d’▶arrangements empiriques, c’est-à-dire non rationalistes, prend ◀l’▶allure ◀d’▶un antijacobinisme, ou ◀d’▶un antimarxisme.
Par ◀la▶ force des choses enfin, ◀la▶ préférence accordée par ◀les▶ Suisses à ◀la▶ coutume sur ◀la▶ loi ; leur goût ◀d’▶utiliser ce qui existe plutôt que ◀de▶ décréter sur table rase ; leur refus ◀d’▶opposer pathétiquement ◀la▶ tradition et ◀le▶ progrès, tout cela prend ◀l’▶allure ◀d’▶une réaction contre ◀les▶ « mystiques » et ◀les▶ mythes, apparemment contradictoires, ◀de▶ ◀la▶ révolution européenne36.
◀L’▶instinct contrecarré devient conscience ; ◀la▶ coutume attaquée devient programme ; ◀la▶ pratique remise en question par une propagande agressive se voit contrainte ◀de▶ développer pour sa défense une théorie.
Nous vivons ce moment ◀de▶ ◀l’▶histoire où ◀le▶ fédéralisme, s’il veut durer, doit devenir à son tour missionnaire.
Telle est sa crise : ou se nier, ou triompher mais sur le plan ◀de▶ ◀l’▶Europe entière.
6. ◀Le▶ grand danger ◀de▶ ◀l’▶heure présente, pour ◀la▶ Suisse, je ◀le▶ vois dans ce fait qu’elle doit se formuler. Elle doit dire ce qui allait sans dire et qui alors n’en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum : celui ◀de▶ décoller ◀de▶ ses bases concrètes, perdant ainsi en force originelle ce qu’elle pourrait gagner en conscience ◀de▶ ses fins.
De même pour ◀le▶ fédéralisme européen. Un sentiment commun se formait peu à peu, depuis ◀la▶ guerre ◀de▶ 1914-18. ◀La▶ SDN fut l’un ◀de▶ ses symptômes, bien faible encore. ◀L’▶idée ◀d’▶un réseau ◀de▶ pactes bilatéraux, ou à trois, ou à quatre, en fut un autre. Dans ◀les▶ deux cas, ◀le▶ sentiment fédéraliste fut promptement détourné au profit ◀de▶ politiques ◀d’▶hégémonie. Toutefois ce sentiment ne cessait pas ◀de▶ croître et ◀de▶ se renforcer dans la plupart des peuples. ◀La▶ guerre actuelle est venue ◀le▶ fouetter. Brusquement, ◀la▶ question se pose ◀de▶ fédérer ◀l’▶Europe dès ◀la▶ paix rétablie. Mais parce qu’elle se pose brusquement, elle risque ◀d’▶être mal posée. J’entends qu’elle risque ◀de▶ ne susciter que des plans rationnels et des systèmes.
Or tout système, fût-il nommé fédéraliste, est unitaire par essence, et donc antifédéraliste. Il ◀l’▶est dans son esprit, il ◀le▶ sera donc aussi, et fatalement, dans son application. ◀Le▶ fédéralisme réel est ◀le▶ contraire absolu ◀d’▶un système, toujours conçu par un cerveau et, à partir ◀d’▶une seule idée, ◀d’▶un centre abstrait. Je définirais même ◀le▶ fédéralisme comme un refus constant et instinctif ◀de▶ recourir aux solutions systématiques.
(C’est pourquoi ◀l’▶on ne peut concevoir une philosophie fédéraliste que sous une forme non logique : aphoristique. Telle que j’essaie ici ◀de▶ ◀l’▶esquisser, par une suite ◀d’▶approches bien diverses.)
7. ◀L’▶expérience suisse est minuscule, mais concluante. Elle peut et doit servir ◀d’▶exemple par ses échecs non moins que par ses réussites. Elle peut et doit figurer pour ◀l’▶Europe une « expérience-témoin » opérée dans ◀le▶ concret. À tout ◀le▶ moins pouvons-nous en déduire ce qu’il ne faut pas faire si ◀l’▶on veut réussir ◀la▶ fédération ◀d’▶Occident.
8. Le premier enseignement négatif ◀de▶ notre petite expérience, nous venons de ◀le▶ voir : c’est qu’il faut renoncer à tout système pour promouvoir une fédération. Il faut partir ◀d’▶une connaissance aussi intime que possible des diversités nationales, et ◀de▶ leurs aspects ◀les▶ plus originaux. On ne fédère pas des ressemblances superficielles, mais des différences essentielles qui se révèlent complémentaires. Qu’on ne dise plus : « Renonçons à ce qui nous distingue et soulignons ce qui nous unit ». Car c’est justement sur ◀la▶ base des distinctions et des diversités reconnues et légitimées que se nouent ◀les▶ unions fécondes. ◀L’▶union fédéraliste est un mariage, et non pas un alignement militaire et géométrique.
9. Le second enseignement négatif, c’est qu’il faut renoncer à ◀l’▶idée ◀d’▶une hégémonie éducatrice et organisatrice ◀de▶ ◀la▶ future fédération.
Beaucoup de gens s’imaginent, hors de Suisse, que ◀l’▶Europe ne peut être fédérée que par ◀l’▶action ◀d’▶une grande puissance. Ce fut ◀l’▶idée ◀de▶ Napoléon. C’est peut-être ◀l’▶idée ◀d’▶Hitler. C’est aussi celle ◀de▶ certains neutres admirateurs ◀de▶ ◀l’▶Angleterre. Ici ◀la▶ Suisse peut dire : Regardez-moi ! Je n’ai réussi à vivre et à durer qu’en combattant sans cesse toute tentative hégémonique dans ◀la▶ fédération, et cela dès les premiers jours, dès ◀le▶ temps où ◀les▶ Waldstätten s’unirent contre Zurich qui voulait tout mener. ◀L’▶intervention fameuse ◀de▶ Nicolas de Flue n’est si importante, pour nous autres, que parce qu’elle fut une efficace protestation contre une double tentative ◀d’▶hégémonie, de la part des villes et de la part des campagnes.
Il se peut que ◀l’▶union déjà réalisée entre ◀la▶ France et ◀l’▶Angleterre soit ◀le▶ germe ◀d’▶une fédération. Il est certain que ce germe sera tué si l’un ◀de▶ ces États, ou tous ◀les▶ deux ensemble, conçoivent ◀la▶ fédération comme un corps dont ils seraient ◀la▶ tête. C’est ◀le▶ renoncement à toute idée ◀d’▶hégémonie qui est créateur ◀de▶ ◀la▶ fédération.
10. ◀Le▶ fédéralisme est une éducation mutuelle, plutôt qu’une éducation autoritaire. C’est en quoi il est véritablement personnaliste.
◀La▶ philosophie ◀de▶ ◀la▶ personne est d’ailleurs ◀la▶ seule philosophie acceptable pour ◀le▶ fédéraliste. Je définis ◀la▶ personne comme ◀l’▶homme à la fois libre et engagé, à la fois autonome et solidaire, à la fois conscient ◀de▶ sa vocation unique et des implications sociales ◀de▶ cette vocation.
◀Le▶ personnalisme n’est pas une moyenne, un « parti du centre », un juste milieu entre ◀l’▶individualisme atomisant et ◀le▶ collectivisme agglutinant. Au contraire ! ◀Le▶ personnalisme est ◀la▶ position centrale, dont ◀l’▶individualisme et ◀le▶ collectivisme ne sont que des déviations morbides.
« Quand ◀l’▶homme oublie qu’il est responsable ◀de▶ sa vocation devant ◀la▶ communauté, il devient individualiste. Quand il oublie qu’il est responsable ◀de▶ sa vocation devant Dieu et devant lui-même, il devient collectiviste37 ».
Or ◀l’▶individualisme et ◀le▶ collectivisme aboutissent identiquement à ◀l’▶étatisme centralisateur, aux systèmes gigantesques et abstraits, sur lesquels ◀l’▶homme n’a plus ◀de▶ prises, et qui n’ont plus ◀d’▶autre moteur que ◀l’▶inhumaine « force des choses ».
11. ◀La▶ méthode, ou mieux : ◀l’▶attitude personnaliste, peut seule résoudre ◀le▶ conflit permanent au sein de toute fédération : celui qui oppose ◀le▶ pouvoir central et ◀l’▶autonomie des régions fédérées.
Car une personne, au sens où je ◀l’▶ai définie, sait qu’elle doit normalement sacrifier à ◀l’▶ensemble une part ◀de▶ ses prérogatives, si elle veut rester en mesure ◀d’▶exercer concrètement sa vocation. Mais d’autre part, elle sait aussi que ◀l’▶ensemble — ou ◀le▶ pouvoir central — n’a ◀d’▶autre fin que ◀de▶ sauvegarder ◀les▶ libertés individuelles, par où j’entends ◀l’▶exercice libre des vocations. Pour ◀la▶ personne, point ◀de▶ contradiction ◀de▶ principe entre ces deux nécessités vitales : centralisation et autonomie. Reste à résoudre ◀la▶ difficulté pratique ◀de▶ leur dosage dans ◀les▶ institutions.
À cet égard, ◀le▶ mouvement personnaliste français (surtout ◀le▶ groupe ◀de▶ l’Ordre nouveau) me paraît avoir indiqué ◀la▶ seule méthode praticable. Il s’agit selon lui ◀de▶ reconnaître par une enquête technique, en tous domaines, quelles sont ◀les▶ activités créatrices et quelles sont ◀les▶ activités mécaniques. Dans ◀le▶ domaine industriel, cette enquête n’est plus à faire : n’importe quel chef d’entreprise connaît exactement ◀la▶ différence entre un ouvrier qualifié et un manœuvre. ◀La▶ solution fédéraliste en économie est alors celle-ci : centraliser tout ce qui est ◀de▶ ◀l’▶ordre du travail « indifférencié » ou parcellaire, afin de permettre une plus grande autonomie des entreprises qualifiées38. Je ne puis indiquer ici que ◀le▶ principe ◀de▶ cette solution. Mais cela suffit à faire voir comment cette attitude personnaliste se traduit normalement dans tous ◀les▶ plans — et jusque dans ◀le▶ détail ◀de▶ ◀la▶ « pratique » — par un dépassement des vieux conflits. Au lieu de ◀la▶ lutte stérile dont nous souffrons en Suisse, entre ◀le▶ parti des centralisateurs et ◀le▶ parti des régionalistes, ◀le▶ personnaliste envisage ◀la▶ recherche en commun ◀d’▶un arrangement technique, orienté par une conscience vigilante des buts derniers ◀de▶ toute fédération.
12. Le troisième enseignement négatif que nous devons tirer ◀de▶ ◀l’▶expérience suisse est ◀d’▶un ordre plus quotidien et intime. ◀Le▶ morcellement ◀d’▶un pays — ou demain ◀de▶ ◀l’▶Europe — en régions autonomes et ◀de▶ faible étendue, a pour avantage ◀d’▶écarter toute possibilité ◀d’▶impérialisme, tout gigantisme inhumain, tout délire ◀de▶ puissance. Mais il a pour inconvénient ◀de▶ restreindre ◀les▶ horizons, et ◀de▶ créer une certaine médiocrité ◀d’▶esprit, rançon ◀de▶ ◀la▶ grandeur matérielle sacrifiée. Nous sommes ici en présence d’une maladie spécifique du fédéralisme.
Elle se manifeste par divers symptômes non trompeurs : intolérance morale, timidité intellectuelle, méfiance à l’égard du voisin ◀de▶ langue ou ◀de▶ confession, crainte perpétuelle ◀d’▶être majorisé.
Notons que cette maladie a fait son apparition en Suisse à partir du moment où ◀les▶ cantons ont conclu une alliance unique et uniforme, au lieu qu’auparavant chacun faisait partie ◀de▶ plusieurs réseaux ◀d’▶alliances superposées. Ainsi chacun s’est refermé sur soi, tendant à une espèce boiteuse ◀d’▶autarcie. Chacun s’est trouvé isolé en présence de tous ◀les▶ autres. ◀D’▶où sa timidité déguisée en prudence par gain ◀de▶ paix ou par faiblesse. ◀D’▶où sa crainte ◀de▶ s’affirmer trop nettement différent. ◀D’▶où finalement ◀l’▶espèce ◀de▶ gêne morale, puis ◀d’▶intolérance sourde et larvée qui paralyse chez nous ◀les▶ esprits « trop » entreprenants.
Pour prévenir cette maladie, dans ◀l’▶Europe ◀de▶ demain, comme en Suisse, il est essentiel ◀d’▶insister sur ◀le▶ caractère non systématique et non unitaire du fédéralisme sain. Il est essentiel que ◀les▶ groupes, ou ◀les▶ individus qui ◀les▶ composent, gardent ◀le▶ droit, ◀le▶ souci et ◀le▶ goût ◀de▶ se rattacher à plusieurs organismes supra-régionaux.
Je préciserai par un exemple très concret : en Suisse, ◀les▶ esprits ◀les▶ plus libres et ◀les▶ plus personnels sont ceux qui se rattachent : sentimentalement à une région ; légalement à ◀l’▶État suisse ; religieusement à une Église dont ◀les▶ frontières sont bien plus vastes que celles ◀de▶ ◀l’▶État ; intellectuellement à l’une des grandes cultures voisines ; etc. et cela en toute conscience et authenticité ; non seulement par ◀le▶ fait (naissance ou tradition) mais encore et surtout, par volonté. Leur esprit, leur personne, retrouvent ainsi plusieurs grandes dimensions, au-delà des limites ◀de▶ leur canton natal, et sans nul détriment pour ce dernier, bien au contraire. Tandis que ◀les▶ petits esprits intolérants sont ceux qui ne conçoivent ◀le▶ « fédéralisme » que sous ◀la▶ forme du Kantönligeist, c’est-à-dire ◀d’▶un patriotisme autarcique et totalitaire en miniature ; ceux qui veulent être ◀de▶ leur canton d’abord ou uniquement et appellent cela « fédéralisme », alors qu’ils ruinent ◀le▶ principe même dont ils forment ◀le▶ nom ◀de▶ leur parti.
Convient-il ◀d’▶insister encore ? Oui, car tout cela risquerait ◀d’▶apparaître à beaucoup de Suisses négligents un peu banal, « tout naturel »… Je rappelle donc que ◀la▶ formule ◀de▶ ◀la▶ tyrannie maxima est celle ◀de▶ ◀l’▶État qui prétend que ses frontières douanières et politiques soient en même temps celles ◀de▶ ◀la▶ religion des citoyens, ◀de▶ leur culture, ◀de▶ leur honneur, ◀de▶ leur amour… sinon ◀de▶ leur avidité.
Construire ◀la▶ fédération européenne, ce sera peut-être simplement développer tout d’abord, et affirmer, une pluralité ◀d’▶organismes déjà existants, religieux, culturels, linguistiques, idéologiques ou économiques, à condition qu’ils aient ceci ◀de▶ commun : ◀l’▶œcuménicité, ◀la▶ volonté ◀de▶ relativiser ◀les▶ frontières politiques. (Nul besoin ◀d’▶abolir celles-ci, comme ◀le▶ voulaient ◀les▶ Internationales : si ◀l’▶on garde ◀le▶ droit ◀de▶ ◀les▶ déborder dans plusieurs domaines, elles gardent aussi leur légitimité relative.)
13. ◀La▶ fédération européenne, si elle se fait, sera faite par des personnes, et non point par des troupes, au sens politicien du terme.
◀Les▶ troupes, ◀les▶ masses, portent automatiquement au pouvoir des systèmes totalitaires. ◀Les▶ personnes, telles que je ◀les▶ définis, ne peuvent vouloir qu’un organisme fédéral.
Or il existe en Suisse un « personnel » plus apte qu’aucun autre à préparer ◀les▶ bases ◀de▶ ◀la▶ fédération européenne. (Un « personnel » : il faut sauver ce mot ◀de▶ sa déchéance bureaucratique. Normalement, il devrait désigner non pas une troupe ◀d’▶employés anonymes, mais une équipe ◀de▶ personnes responsables.)
C’est ◀le▶ charisme ◀de▶ ◀la▶ Suisse que ◀de▶ produire des hommes dont ◀la▶ fonction est avant tout ◀de▶ connaître ◀l’▶Europe : juges et négociateurs ◀d’▶accords internationaux, cosmopolites ou « Suisses ◀de▶ ◀l’▶étranger »39, directeurs ◀d’▶unions universelles, secrétaires ◀d’▶alliances œcuméniques, membres du Comité international ◀de▶ ◀la▶ Croix-Rouge, etc., etc. ◀Le▶ « Suisse international » est un homme qui peut et doit connaître ◀l’▶Europe, par tradition, par goût et par nécessité. Et ◀la▶ connaître non pour ◀l’▶utiliser au bénéfice ◀de▶ quelque impérialisme, mais ◀la▶ connaître pour ◀la▶ faire. Pour ◀la▶ servir, et non pour s’en servir.
14. ◀La▶ mission historique ◀de▶ ◀la▶ Suisse fut, à partir du xiiie siècle, ◀de▶ garder libres pour ◀les▶ peuples et ◀les▶ princes ◀les▶ cols du centre ◀de▶ ◀l’▶Europe. Mission pratique, devenue symbolique. Désormais, il nous appartient ◀d’▶en proclamer ◀la▶ signification moderne : c’est ◀la▶ défense du cœur spirituel ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀la▶ garde montée autour du drapeau rouge à ◀la▶ ◀croix▶ blanche, où ◀le▶ rouge est couleur ◀d’▶Empire, c’est-à-dire ◀d’▶union des nations, et ◀la▶ ◀croix▶ signe ◀de▶ salut.
Gardienne des cols par où s’échangent ◀les▶ richesses, gardienne ◀de▶ ◀l’▶idéal ◀d’▶où renaîtra ◀la▶ paix si Dieu ◀le▶ veut, ◀la▶ Suisse tient ◀les▶ clefs ◀de▶ ◀l’▶Europe, et c’est là sa vraie vocation. Elle est ◀le▶ lieu et ◀la▶ formule, ◀le▶ génie tutélaire ◀de▶ ◀l’▶Empire.
◀De▶ cet Empire, on a bien dit que nous sommes le dernier vestige. Toute ◀la▶ question est ◀de▶ savoir si c’est là notre dernier mot — ou le premier ◀d’▶un chapitre nouveau ; toute ◀la▶ question est ◀de▶ savoir si ce vestige ne va pas devenir un germe !
Un germe, ce n’est jamais grand : ◀l’▶image convient à notre taille. Encore faut-il que ◀le▶ petit grain soit fécondé… Il y a beaucoup à faire pour que ◀la▶ Suisse puisse prétendre à jouer le rôle de germe ◀d’▶une Europe nouvelle. Mais il y va ◀de▶ notre indépendance autant que ◀de▶ ◀la▶ paix occidentale. Si nous n’embrassons pas cette mission-là, ◀l’▶Histoire aura tôt fait, n’en doutons pas, ◀d’▶accepter notre démission — soit volontaire, soit forcée.