L’▶Église et ◀la▶ Suisse (août 1940)g h
Je vous parlerai ce matin ◀de▶ ◀l’▶Église visible et non pas ◀de▶ ◀l’▶Église en général. Je vous parlerai des Églises telles que nous ◀les▶ voyons en Suisse ; et ◀de▶ ◀la▶ Suisse, telle que nous ◀la▶ voyons en ce mois ◀de▶ juillet ◀de▶ 1940. Ce ne sera pas une conférence bien bâtie, je tiens à vous ◀le▶ dire tout de suite, mais une simple introduction, un plan ◀de▶ travail, une invite à ◀la▶ discussion. Je vous ferai part ◀de▶ certaines critiques et ◀de▶ certaines suggestions, critiques peut-être dures, mais qu’il est temps ◀de▶ formuler pour préparer ◀la▶ voie ◀d’▶un renouveau, ou ◀les▶ moyens ◀d’▶une résistance efficace.
Et d’abord, une parole ◀de▶ confiance. Tout craque autour de nous, mais ce n’est pas une raison ◀de▶ se lamenter ou ◀de▶ se décourager, bien au contraire. C’est une grande occasion ◀de▶ travailler.
Voyons d’abord ◀la▶ situation ◀de▶ notre pays.
« Au cœur ◀de▶ ◀la▶ révolution européenne, ◀la▶ Suisse est réduite à elle-même. Elle n’a plus ◀d’▶autre garantie humaine que son armée, plus ◀d’▶autre allié que son terrain, plus ◀d’▶autre espoir que son travail. Contrairement à ce que beaucoup croient, cette situation n’est pas nouvelle dans notre histoire. Elle fut celle ◀de▶ nos grandes victoires et ◀de▶ nos grands renouvellements.6 » Aujourd’hui, comme aux heures héroïques ◀de▶ ◀l’▶ancienne Confédération, sachons voir et saisir notre chance et ◀les▶ chances nouvelles ◀de▶ ◀l’▶Esprit !
Quand toutes ◀les▶ positions morales et matérielles sont ébranlées, comme elles ◀le▶ sont depuis quelques semaines, alors sonne une heure favorable pour ◀les▶ examens ◀de▶ conscience, pour ◀les▶ réformes, et dans ◀le▶ cas présent, pour une nouvelle Réformation communautaire. Car c’est bien ◀de▶ cela qu’il s’agit : fonder à nouveau ◀la▶ cité, pour qu’elle résiste et qu’elle rayonne encore, quoi qu’il arrive, oui même si ◀le▶ pire arrive.
Au cœur physique ◀de▶ notre Confédération se dresse ◀le▶ massif du Gothard, mystérieux et inexpugnable. Bastion naturel ◀de▶ ◀la▶ Suisse, cœur ◀de▶ ◀l’▶Europe et rendez-vous des races, ◀le▶ Gothard est ◀le▶ grand symbole ◀de▶ notre mission politique et ◀de▶ notre sécurité. Et s’il fallait qu’un jour ◀la▶ Suisse fût envahie, j’imagine qu’elle pourrait garder pendant des mois, peut-être des années, un grand espoir et une grande fierté, parce qu’elle saurait que dans cette forteresse du Gothard, que n’atteignent ni chars ni avions, dans cet Alcazar ◀de▶ ◀l’▶Europe, quelques dizaines ◀de▶ milliers ◀d’▶hommes tiennent encore, montant ◀la▶ garde aux derniers sommets libres, autour du trésor ◀de▶ ◀la▶ Suisse. Oui, nous serions courbés, mais ◀le▶ grondement lointain des canons du Gothard nous dirait ◀d’▶espérer.
Maintenant, je poserai cette question : dans ◀la▶ situation extrême que je viens de décrire, à supposer que ◀la▶ Suisse soit envahie, pourrions-nous penser à ◀l’▶Église comme à notre Gothard spirituel ? ◀L’▶existence permanente — même secrète — et ◀la▶ parole ◀de▶ nos Églises aux catacombes suffiraient-elles à ranimer notre espérance, notre amour et notre foi, comme ◀le▶ canon lointain ranimerait nos courages ? Nos Églises trouveraient-elles ◀le▶ moyen ◀de▶ subsister et ◀de▶ s’organiser par ◀l’▶initiative des laïques, comme elles ◀l’▶ont fait dans un pays voisin ?
Je n’oserais pas répondre ce matin. Ni oui ni non. Mais je voudrais que cette question reste posée. C’est lorsque tout paraît désespéré qu’on voit ce qui était vraiment solide. ◀L’▶Église ◀de▶ Suisse est-elle vraiment solide ? Saura-t-elle résister comme un roc ? comme une montagne vers laquelle nous pourrons élever notre espoir ? Encore une fois, je ne puis pas répondre. Dieu ◀le▶ sait, et ◀l’▶événement seul fera ◀la▶ preuve ◀de▶ notre force ou ◀de▶ nos faiblesses. En attendant, mettons-nous au travail pour qu’au jour du danger — toujours probable ! —, nous nous trouvions aussi bien préparés qu’il est possible. Inspectons avec soin nos défenses, ayons ◀le▶ courage ◀de▶ dire franchement : ici ou là, nous sommes encore faibles. C’est ici et c’est là, qu’il faut porter ◀l’▶effort. Aujourd’hui ou jamais, notre Église a besoin ◀d’▶une rigoureuse critique, ◀d’▶une critique utile et positive, qui prépare et qui définisse ◀les▶ reconstructions nécessaires.
◀La▶ grande faiblesse ◀de▶ notre Église visible, ◀de▶ nos diverses Églises suisses, c’est qu’elles ont cessé ◀d’▶être ou n’ont jamais été ◀de▶ véritables communautés. Voilà ◀le▶ fait qui me paraît ◀le▶ plus grave, étant donné ◀les▶ événements actuels et ceux que nous devons prévoir.
Une Église devrait être ◀le▶ type même ◀de▶ ◀la▶ communauté vivante. Posons tout de suite un repère : ◀les▶ paroisses ◀de▶ ◀l’▶Église primitive étaient ◀de▶ vraies communautés. On y mettait tout en commun, même ◀les▶ richesses, et cela paraissait naturel, parce que ◀le▶ but et ◀le▶ fondement spirituel ◀d’▶une paroisse étaient alors plus importants que tout. ◀La▶ ferveur ◀de▶ ◀la▶ foi nouvelle liait ◀les▶ esprits et ◀les▶ cœurs avec une telle puissance que ◀les▶ sacrifices matériels devenaient simplement des services ◀d’▶amitié, ◀de▶ ces services qui vont de soi entre ◀les▶ membres ◀d’▶une famille. Et je ne parle même pas du « partage » spirituel, qui devait être ◀le▶ pain quotidien ◀de▶ ces communautés souvent persécutées. Certes, il ne faudrait pas s’imaginer que les premiers chrétiens étaient toujours des saints, et que ◀les▶ familles qu’ils formaient ne connaissaient jamais ◀de▶ querelles ◀de▶ familles ! ◀Les▶ épîtres ◀de▶ Paul suffiraient à dissiper cette illusion. Il n’en reste pas moins que ces premières Églises ont surmonté toutes ◀les▶ persécutions grâce à ◀la▶ cohésion ◀de▶ leurs paroisses, grâce à ◀l’▶esprit communautaire qui ◀les▶ soutenait. Pendant ◀la▶ décadence ◀de▶ ◀l’▶Empire romain, ces paroisses ont constitué ◀les▶ cellules ◀de▶ base ◀d’▶une nouvelle société7, ◀les▶ noyaux des cités futures, ◀les▶ refuges ◀de▶ ◀la▶ vraie liberté.
Nos paroisses actuelles, nos paroisses ◀de▶ Suisse, seraient-elles capables ◀de▶ jouer pareil rôle, ◀de▶ nos jours ? Souvent, en sortant ◀d’▶un ◀de▶ nos cultes, je regarde ◀les▶ gens qui se dispersent, et je me pose cette question : sont-ils prêts à mettre en commun autre chose que ◀la▶ pièce ◀de▶ monnaie qu’ils viennent de déposer dans ◀le▶ « sachet », avec ◀l’▶air ◀de▶ ne pas y toucher ? Sont-ils prêts à « partager » autre chose que des impressions générales sur ◀le▶ temps et ◀les▶ tristes événements ? Sont-ils vraiment des frères — et des frères dans ◀l’▶Église ? Oh ! je ne demande pas que nos paroisses décrètent du jour au lendemain ◀le▶ partage ◀de▶ tous ◀les▶ biens et décident ◀d’▶établir un régime communiste, au sens littéral ◀de▶ ce mot. Mais je me demande seulement si elles sont prêtes à envisager certains actes ◀de▶ solidarité pratique ; si elles acceptent, au moins en théorie, ◀de▶ faire quelque chose dans ce sens, à supposer que ◀les▶ circonstances ◀l’▶exigent un jour prochain. Je me demande si ◀les▶ fidèles ◀de▶ nos cultes se sentent plus fortement liés aux autres membres ◀de▶ ◀l’▶Église qu’ils ne sont liés à leur parti, ou à leur classe, ou à leurs intérêts professionnels. Je me demande ce qui compte à leurs yeux, ce qui compte avant tout et pratiquement — songeant au jour où il faudra choisir entre ◀l’▶Église et nos sécurités.
Je vois bien que nos Églises constituent des unités administratives, qu’elles réunissent régulièrement des auditoires assez nombreux, qu’il y a parmi leurs membres beaucoup ◀d’▶individus vraiment croyants, capables ◀de▶ faire pour leur part des actes quotidiens ◀de▶ charité chrétienne. Mais une administration, des auditoires et un certain nombre ◀d’▶individualités chrétiennes, agissant pour leur compte — plus qu’au nom de ◀l’▶Église — cela ne fait pas encore une vraie communauté. Des actes isolés, si beaux soient-ils, cela ne fait pas un esprit ◀de▶ corps, — et ◀l’▶expression « esprit ◀de▶ corps » devrait pouvoir s’appliquer à ◀l’▶Église plus qu’à nulle autre communauté au monde, puisque ◀l’▶Église est rassemblée par ◀l’▶Esprit saint, et puisqu’elle est ◀le▶ Corps même du Seigneur.
Ceci dit, et notre faiblesse une fois reconnue et confessée, ne perdons pas ◀de▶ temps à nous lamenter ou à critiquer vainement. Mettons-nous au travail pour essayer ◀de▶ refaire, avec ce dont nous disposons, quelque chose de plus solide, de plus vivant, quelque chose qui puisse opposer une victorieuse résistance au paganisme qui nous guette, et qui, lui, sait si bien s’organiser.
Je ne puis pas vous énumérer toutes ◀les▶ conditions nécessaires pour que nos paroisses redeviennent des communautés véritables. Mais il est trois ◀de▶ ces conditions, entre vingt autres8, qui me paraissent à la fois indispensables et pratiquement réalisables à bref délai, j’entends à ◀la▶ faveur du choc des événements récents et avant ◀les▶ crises plus graves qui se préparent.
Pour que nos Églises retrouvent ◀le▶ sens et ◀la▶ vertu communautaire, il faut :
1° qu’elles reprennent conscience ◀de▶ ◀la▶ nature éternelle et du but transcendant ◀de▶ ◀l’▶Église ;
2° qu’elles développent ou réveillent en elles ◀le▶ sens missionnaire, à ◀l’▶intérieur du pays ;
3° qu’elles aient ◀le▶ courage ◀d’▶être franchement des Églises visibles, organisées, douées ◀d’▶une discipline et ◀de▶ formes cultuelles fixes.
I
Le premier ◀de▶ ces trois points est avant tout théologique. Je n’insisterai donc pas : vous avez entendu et entendrez encore des orateurs beaucoup plus qualifiés que moi pour définir ◀l’▶essence et ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶Église. Je me contenterai ◀de▶ quelques remarques sur ◀les▶ rapports ◀de▶ ◀l’▶Église et ◀de▶ ◀la▶ Suisse, en tant qu’État.
D’abord ceci : notre Église suisse doit être, ou redevenir une Église ◀de▶ Dieu, et non pas ◀la▶ société des braves gens. Par exemple, on ne doit plus discuter ◀de▶ son administration et ◀de▶ ses rapports avec ◀l’▶État comme s’il s’agissait ◀d’▶un parti ou ◀d’▶une fondation ◀de▶ bienfaisance avec des traditions ◀de▶ famille et des donateurs attachés à leurs souvenirs. ◀L’▶Église n’est pas à nous, n’est pas notre œuvre, et ses affaires ne sont pas nos affaires d’abord, mais ◀les▶ affaires du Royaume ◀de▶ Dieu. Il me paraît profondément indécent que ces affaires soient débattues dans nos Grands Conseils, par des hommes qui parfois ignorent tout ◀de▶ ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀l’▶Église, corps du Christ.
Ensuite, sur ◀les▶ rapports ◀de▶ ◀l’▶Église et ◀de▶ ◀l’▶État, je vous proposerai deux formules :
1° ◀Le▶ service unique et suffisant que ◀l’▶Église doit rendre à ◀la▶ Suisse, c’est ◀de▶ rester ou ◀de▶ devenir une vraie Église, une Église ◀de▶ Dieu et non pas une Église patriotique ou une puissance ◀d’▶ordre politique.
2° ◀Le▶ service que ◀l’▶État suisse doit en retour, à ◀l’▶Église, c’est ◀de▶ ◀la▶ laisser être une vraie Église ◀de▶ Dieu et non pas une Église ◀de▶ ◀l’▶État suisse.
Il est bien vrai que notre État fédéral ne saurait se fonder concrètement que sur des bases chrétiennes ◀de▶ tolérance et ◀d’▶amour du prochain. Mais je tiens à redire ici ce que je disais cet hiver à Tavannes :
Nous ne devons pas être chrétiens parce que nous sommes Suisses, mais nous devons être ◀de▶ bons Suisses parce que nous sommes chrétiens d’abord. Gardons-nous du Schweizerchristentum ! À ces Schweizer Christen dont je viens de parler j’opposerai cette déclaration prophétique ◀d’▶un homme dont ◀la▶ pensée me paraît plus actuelle que jamais, Alexandre Vinet. « Veuillez d’abord avoir une religion pour vous et si vous n’en voulez pas pour vous, mais seulement pour tout ◀le▶ monde, faites-nous ◀la▶ grâce ◀de▶ n’en point vouloir ». Car « ◀la▶ société qui veut m’ôter ma religion, m’effraie bien moins que celle qui veut en avoir une ».
En résumé, la première condition indispensable pour que ◀l’▶Église devienne une vraie communauté, c’est que ◀l’▶Église soit indépendante ◀de▶ ◀l’▶État, je veux dire par là : constituée face à ◀l’▶État comme une autorité souveraine 9. Alors, si ◀l’▶État change, ◀l’▶Église ne changera pas. Et si ◀l’▶État devient païen, ◀l’▶Église pourra rester ◀le▶ lieu où ◀les▶ justes rapports entre ◀les▶ hommes sont ordonnés par ◀la▶ Parole et par ◀l’▶Esprit.
Si ◀l’▶on se remémore ◀les▶ événements qui ont amené ◀la▶ création ◀de▶ ◀l’▶Église confessionnelle en Allemagne, on comprendra ce que je veux dire, — et que ◀le▶ problème est urgent !
II
La seconde condition, c’est que nos Églises redeviennent missionnaires à ◀l’▶intérieur du pays, dans toutes ◀les▶ couches ◀de▶ notre peuple suisse.
Pour mille raisons qui tiennent à ◀l’▶évolution sociale du xixe siècle, nos Églises sont devenues des milieux bourgeois, dans la plupart des villes, et dans beaucoup de villages. Même si ◀de▶ nombreuses familles ◀d’▶ouvriers en font encore partie, c’est un fait que ◀le▶ ton des sermons, ◀le▶ maintien des auditeurs et ◀l’▶atmosphère en général y sont bien plus bourgeois que populaires. C’est sans doute l’une des raisons ◀de▶ ◀la▶ désaffection ◀de▶ ◀la▶ classe ouvrière vis-à-vis de ◀l’▶Église depuis plus ◀d’▶un siècle : elle ne s’y sent pas tout à fait chez elle ; elle n’y reconnaît pas son langage. Il y a là certainement quelque chose ◀d’▶anormal. ◀L’▶Église n’aurait jamais dû prendre ◀le▶ ton et ◀l’▶accent ◀d’▶un milieu social plutôt que ◀d’▶un autre. Elle devrait aujourd’hui abandonner résolument cette espèce ◀d’▶éloquence conventionnelle qu’on appelle ◀le▶ ton ◀de▶ ◀la▶ chaire et qui produit sur ◀l’▶auditeur occasionnel ◀de▶ nos sermons une impression fâcheuse ◀de▶ démodé, ◀d’▶inactuel, ◀d’▶irréaliste. Il n’y a vraiment aucune raison valable pour que notre prédication chrétienne abandonne aux tribuns politiques ◀le▶ privilège ◀de▶ savoir parler à ◀la▶ foule, ◀de▶ savoir ◀la▶ toucher par des paroles directes.
Vous me direz peut-être que cette question ne concerne que nos pasteurs. Je n’en suis pas sûr. C’est une question ◀d’▶atmosphère spirituelle, ◀de▶ disposition des esprits. C’est aussi notre affaire à nous laïques. Nous n’aimons pas à être dérangés dans nos petites habitudes du dimanche matin, et il arrive que nous soyons choqués quand un pasteur ne garde pas ◀le▶ ton convenu, ◀le▶ ton convenable. Nous oublions trop facilement que ◀la▶ Parole ◀de▶ ◀l’▶Église n’est pas réservée seulement à nos « milieux ecclésiastiques », mais à tous ◀les▶ hommes ◀d’▶où qu’ils viennent, qui ont faim et soif ◀de▶ vérité, sans ◀le▶ savoir ◀le▶ plus souvent. Il est grand temps que nous fassions en sorte que tous « ceux du dehors » puissent entrer, puissent écouter et puissent entendre sans éprouver ◀le▶ sentiment ◀de▶ s’être égarés dans un milieu où ils sont déplacés.
Que nos Églises se préoccupent donc davantage ◀d’▶être vraiment ouvertes à tous ! C’est une question ◀de▶ foi et ◀de▶ maintien, ◀de▶ tact humain, ◀de▶ charité. C’est aussi, et c’est avant tout, une question ◀de▶ zèle missionnaire, ◀d’▶amour des âmes. Si nous avons ce zèle et ce souci, ◀l’▶atmosphère un peu renfermée ◀de▶ certaines ◀de▶ nos paroisses se dissipera ◀d’▶elle-même, se fera plus accueillante. ◀L’▶étranger qui entrera dans nos temples ne se sentira plus perdu chez ◀les▶ braves gens, mais accueilli dans une maison ◀de▶ Dieu.
Ce que je voudrais dire encore sur ce sujet est peut-être un peu délicat. C’est une requête que je présente comme laïque à nos pasteurs, avec ◀l’▶espoir que ◀les▶ laïques ◀de▶ cet auditoire ◀l’▶appuieront pratiquement dans leurs paroisses. Je voudrais dire à nos pasteurs : soyez simples dans vos sermons, soyez plus simplement bibliques ! Ne vous fatiguez pas à faire une conférence, avec des idées personnelles. Notre époque ne demande pas des idées, des images plus ou moins originales. Elle demande des vérités sûres, ◀les▶ vérités ◀de▶ ◀la▶ Bible, qui sont toujours ◀les▶ plus actuelles, et qui sont seules à ◀la▶ hauteur ◀de▶ ◀la▶ situation présente. Ce ne sont jamais nos idées personnelles, nos commentaires et notre éloquence qui convainquent. J’ai entendu, il y a quelques semaines, une parole qui m’a fait ◀de▶ ◀l’▶impression. C’était dans un sermon, et ◀le▶ pasteur disait : « Laissons parler ◀la▶ Bible seule, car nous, nous ne sommes pas convaincants. » Parole profonde, parole qui devrait libérer plus ◀d’▶un pasteur ◀de▶ ses soucis, et résoudre en partie ◀le▶ problème du samedi soir… Encore faut-il que ◀les▶ paroissiens, à leur tour, acceptent que leur pasteur soit « simplement biblique », et ne jugent pas cela « trop simple ».
Jamais, au grand jamais, un pasteur ne sera trop simple ! Jamais il ne pourra se rapprocher assez ◀de▶ ◀la▶ simplicité des paroles ◀de▶ ◀la▶ Bible. « Nous ne sommes pas convaincants », disait ◀le▶ pasteur que je viens de citer. Nous ne sommes pas convaincants, ajouterai-je, quand nous cherchons à faire au lieu d’un sermon simple, des conférences intéressantes ou pathétiques. Nous ne sommes pas convaincants quand nous cherchons à discuter, à prévenir des objections que la plupart des auditeurs n’auraient pas eu ◀l’▶idée ◀de▶ faire. Comme laïque, je ne demande pas qu’on me persuade ◀de▶ croire, mais simplement qu’on nourrisse ma foi. J’attends qu’on me parle avec une calme autorité, et non pas que ◀l’▶on prenne au sérieux mes doutes éventuels. Notre génération n’est pas si tourmentée ◀de▶ doutes. Elle n’a guère ◀la▶ manie ◀de▶ discuter. Elle attend des directions positives. Elle est prête à croire, et elle demande à ◀la▶ prédication ◀de▶ parler à sa foi, non à son doute, avec ◀la▶ tranquille et familière assurance ◀de▶ ◀la▶ foi. Car ◀la▶ conviction seule est convaincante.
Tout ceci ne veut pas dire d’ailleurs que notre Église n’ait pas ◀le▶ droit ◀d’▶aborder ◀l’▶actualité sociale ou politique. Pour être missionnaire, ◀l’▶Église doit d’abord être convaincue ◀de▶ ◀la▶ valeur et ◀de▶ ◀la▶ nouveauté perpétuelle ◀d’▶un message purement biblique. C’est le premier point. Mais cela étant acquis, pourquoi ◀l’▶Église se priverait-elle ◀de▶ souligner ◀l’▶actualité ◀de▶ son enseignement ? Pourquoi ne parlerait-elle pas ◀de▶ politique, si elle ◀le▶ fait sur ◀la▶ seule base ◀de▶ ◀la▶ Bible ? On ne lui demande pas une théorie originale, surtout pas ! On lui demande simplement ◀d’▶appliquer à telle ou telle situation ◀les▶ paroles éternelles ◀de▶ ◀l’▶Évangile et des prophètes : par exemple, pour exhorter ◀les▶ fidèles à renoncer à leurs préjugés ◀de▶ partis, ou à leurs intérêts ◀de▶ classe ; ou pour montrer à notre peuple sa mission positive dans ◀l’▶Europe ◀d’▶aujourd’hui. Toutes ces choses peuvent et doivent être dites du haut ◀de▶ ◀la▶ chaire, à condition, je ◀le▶ répète et j’y insiste, qu’il ne s’agisse jamais des idées personnelles du pasteur ou ◀de▶ quelque écrivain qu’il cite, mais du seul et unique point de vue ◀de▶ ◀la▶ Bible.
En résumé, la deuxième condition indispensable pour que ◀l’▶Église reste ou devienne une vraie communauté, c’est que ◀l’▶Église ne parle pas ◀le▶ langage ◀d’▶un seul groupe social, ou ◀d’▶une seule classe ; ou ◀le▶ langage ◀d’▶une quelconque philosophie à ◀la▶ mode ou déjà démodée ; ou ◀le▶ langage personnel ◀de▶ Monsieur X, pasteur ou même théologien célèbre, — mais qu’elle parle uniquement et simplement ◀le▶ langage ◀de▶ ◀la▶ Bible, qui appartient à tous, qui est frappant pour tous, et dans lequel tous peuvent communier.
III
La troisième condition ◀d’▶une vraie communauté, je ◀la▶ définissais tout à ◀l’▶heure comme suit : que nos Églises aient ◀le▶ courage ◀d’▶être franchement des Églises visibles — solidement organisées, — douées ◀d’▶une discipline et ◀de▶ formes ◀de▶ culte fixes.
Je ne soulèverai pas ici ◀le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶épiscopat, encore que je sois persuadé qu’il se posera pour nous aussi un jour ou l’autre. Je ne parlerai pas non plus du rôle des laïques dans ◀la▶ paroisse, qui pourrait être développé encore, afin de décharger ◀le▶ pasteur ◀d’▶un lourd travail ◀de▶ bienfaisance. Je me bornerai au seul problème des formes du culte, au problème ◀de▶ ◀la▶ liturgie protestante.
C’est un laïque qui parle ici, je ◀le▶ répète. Ce n’est pas un docteur de l’Église ! ◀Les▶ théologiens élèveront peut-être ◀de▶ fortes objections contre ce que je vais dire. Je suis prêt à ◀les▶ écouter avec déférence. Mais je cherchais depuis longtemps ◀l’▶occasion ◀de▶ formuler certaines propositions qui trouveront aujourd’hui, peut-être, ◀de▶ ◀l’▶écho.
J’ai passé plusieurs années en France, et je me suis fortement attaché à ◀la▶ liturgie des Églises réformées ◀de▶ ce pays. J’entends ici par liturgie : ◀la▶ partie du culte qui n’est pas ◀le▶ sermon, ◀les▶ lectures, prières et chants réglés et réguliers. Depuis mon retour en Suisse j’éprouve avec intensité ◀l’▶absence ◀de▶ toute espèce ◀de▶ liturgie sérieuse dans nos cultes, à quelques rares exceptions près10. Et ce n’est pas seulement ◀le▶ défaut ◀de▶ liturgie qui me choque, mais ◀le▶ manque ◀de▶ sens liturgique que manifestent ◀les▶ essais tentés ici ou là, pour remédier à cette absence.
Nous avons bien, ◀de▶ temps à autre, des cultes que nous appelons « liturgiques » et qui consistent en lectures bibliques ou littéraires, entrecoupées ◀de▶ chants et ◀de▶ jeux ◀d’▶orgue. Eh bien, ◀le▶ seul fait ◀de▶ qualifier ◀de▶ « liturgiques » ces manifestations — peut-être parce qu’on ne saurait pas comment ◀les▶ définir autrement… ce seul fait démontre à ◀l’▶évidence que nous ignorons ◀le▶ sens et ◀la▶ portée ◀de▶ ◀la▶ liturgie véritable. Celle-ci suppose des formes fixes et invariables, connues ◀de▶ tous, et auxquelles tout ◀l’▶auditoire participe ◀d’▶une manière à la fois spontanée et réglée ◀d’▶avance. Or nos cultes soi-disant liturgiques sont exactement ◀le▶ contraire : ils sont composés selon ◀les▶ goûts et ◀les▶ idées du pasteur ; ils ne se déroulent pas d’après un plan traditionnel et chargé ◀de▶ sens dogmatique, mais font se succéder, dans un ordre plus ou moins arbitraire, des textes souvent inconnus, et des morceaux ◀de▶ musique dont ◀la▶ signification reste imprécise…
Voici un détail significatif, à mes yeux, ◀de▶ ce même défaut ◀de▶ sens liturgique : lorsqu’il arrive qu’on lise, au début ◀d’▶un ◀de▶ nos cultes, une prière liturgique isolée, comme ◀la▶ confession des péchés, certains pasteurs paraissent craindre ◀la▶ monotonie ◀de▶ ce vieux texte, et croient bien faire en y apportant quelques variantes personnelles, au gré ◀de▶ leur théologie ou ◀de▶ leur conception du style. Or justement, ◀la▶ valeur liturgique ◀d’▶un texte réside dans son invariabilité. C’est grâce à cette invariabilité que ◀le▶ fidèle peut vraiment suivre ◀le▶ texte, dire en lui-même ses paroles, redécouvrir chaque fois leur sens toujours nouveau. C’est grâce à cette invariabilité, enfin, que ◀la▶ liturgie crée dans ◀l’▶auditoire un sentiment ◀de▶ communion, ou ◀de▶ communauté spirituelle.
Une vraie liturgie doit être invariable ; de plus, elle doit être prévue par ◀les▶ auditeurs, et pleinement significative en chacune ◀de▶ ses parties. Elle doit former un ensemble, un tout cohérent et indivisible. Prenons ◀l’▶exemple ◀de▶ ◀la▶ liturgie des Églises réformées ◀de▶ France. Je vais vous ◀la▶ décrire dans ses principaux traits.
I. Invocation (◀l’▶assemblée debout). Psaume.
II. ◀La▶ Loi ou son sommaire (◀l’▶assemblée assise) (après ◀la▶ lecture, chant spontané : « Mon Dieu, ta loi est sainte… mais si tu comptes nos iniquités, qui pourra subsister devant toi ! »).
III. Confession des péchés (◀l’▶assemblée s’agenouille).
IV. Kyrie (un petit chœur ou ◀l’▶assemblée chante : « Seigneur, aie pitié ◀de▶ nous ! Christ, aie pitié ◀de▶ nous !… »).
V. Promesses ◀de▶ grâce et absolution collective (◀l’▶assemblée debout chante : « Ô qu’heureux est celui dont ◀la▶ transgression est remise… Mon âme, bénis ◀l’▶Éternel… »).
VI. Credo (lecture du Symbole des apôtres. ◀L’▶assemblée reste debout).
VII. Alléluia (chant spontané).
(À ◀la▶ fin du culte, après ◀l’▶Oraison dominicale, chant spontané ◀d’▶une strophe du Te Deum : « Gloire soit au Saint-Esprit… » Puis bénédiction.)
Telle est cette liturgie, exposé et témoignage collectif non seulement des dogmes fondamentaux ◀de▶ ◀la▶ foi réformée, mais aussi du drame chrétien dans son déroulement biblique : ◀la▶ Loi d’abord, qui nous condamne, puis ◀la▶ conscience, ◀le▶ péché, ◀la▶ repentance, ◀la▶ grâce accordée, et enfin ◀le▶ témoignage ◀de▶ ◀la▶ foi. À mon sens, cette liturgie est une des plus belles, dans sa simplicité, et des plus justes aussi, ◀de▶ toutes celles qu’utilisent ◀les▶ différentes confessions chrétiennes.
Je voudrais vous dire maintenant pour quelles raisons je pense que nos Églises suisses devraient se préparer à ◀l’▶adopter, telle qu’elle est.
Il y a d’abord une raison générale.
◀L’▶Église visible est aussi une société humaine. Comme toute société humaine, elle a besoin ◀de▶ signes extérieurs et ◀de▶ symboles collectifs qui manifestent publiquement sa cohésion spirituelle. Il y a là une grande loi sociologique qu’on ne peut pas négliger sans risques graves. Tous ◀les▶ fondateurs ◀de▶ régimes savent que pour créer une communauté nouvelle, il faut créer des signes et des rites : voyez ◀les▶ régimes totalitaires, communistes ou fascistes, avec leurs fêtes, leurs insignes, leurs saluts rituels. J’ai assisté à des cérémonies hitlériennes qui étaient déjà ◀de▶ véritables liturgies païennes. Ces abus manifestes ne doivent pas nous faire négliger ◀le▶ bon usage, ◀l’▶usage chrétien ◀d’▶une liturgie chrétienne. ◀La▶ science consommée des chefs totalitaires doit nous rendre attentifs à certains ◀de▶ nos défauts, afin que nous puissions ◀les▶ corriger à temps. Un peuple complètement privé ◀de▶ toute manifestation ◀de▶ ce genre risque ◀d’▶être une proie facile pour ◀les▶ caricatures ◀de▶ liturgie que ◀les▶ païens viendront lui offrir un jour, et qui seront alors une tentation, parce qu’elles répondront tant bien que mal à un désir, à un besoin normal, trop longtemps déçu.
Mon second argument en faveur de ◀la▶ liturgie est plus spécifiquement chrétien. Je dirais même qu’il est ◀d’▶ordre sermonnaire. Je m’explique. Imaginez une personne qui n’a jamais mis ◀les▶ pieds dans un ◀de▶ nos temples, qui ne sait rien du protestantisme, ou qui est incroyante. Vous réussissez à ◀l’▶amener, un beau dimanche, au culte ◀d’▶une ◀de▶ nos paroisses suisses. Elle sera d’abord, probablement, dépaysée, comme je vous ◀le▶ disais tout à ◀l’▶heure, par ◀le▶ ton du pasteur et ◀le▶ maintien un peu compassé ◀de▶ ◀l’▶auditoire. Mais cela n’est rien encore : si elle est ◀de▶ bonne volonté et avide ◀de▶ vérité, elle ne se laissera pas arrêter par ces détails. Ce qui est plus grave, c’est que ◀le▶ sermon, s’il n’est pas exceptionnellement bon, risque bien ◀de▶ ◀la▶ laisser sur sa faim. En sortant ◀de▶ là, elle ne saura pas exactement ce que nous croyons, elle pourra s’imaginer ◀les▶ choses ◀les▶ plus fausses. Ou bien encore, elle aura ◀l’▶impression ◀d’▶avoir surpris une réunion ◀d’▶initiés, habitués à un certain langage, dont personne ne lui aura donné ◀la▶ clef.
Il en ira tout autrement, si ◀le▶ culte débute par ◀la▶ liturgie que je viens de vous résumer. Cette liturgie, en effet, décrit d’abord dans une langue frappante ◀les▶ différents moments du drame du salut. Elle crée ◀le▶ cadre et ◀l’▶atmosphère spirituelle, elle introduit ◀le▶ sermon du pasteur, elle ◀le▶ situe dans ◀l’▶ensemble ◀de▶ nos dogmes, et elle rappelle notre Credo. Bref, quand ◀le▶ sermon commence, tout le monde, et même un étranger, peut savoir ◀de▶ quoi il s’agit.
J’avoue que pour ma part, et je ne pense pas être ◀le▶ seul ◀de▶ mon espèce, j’éprouve ◀le▶ besoin ◀d’▶entendre répéter chaque dimanche ◀les▶ grandes vérités ◀de▶ ◀la▶ foi, j’éprouve ◀le▶ besoin ◀de▶ participer, par ◀le▶ chant ou ◀la▶ récitation, à ce témoignage collectif, dans ◀la▶ communauté ◀de▶ mes frères, connus ou inconnus. Après cela, même si ◀le▶ sermon n’est pas des meilleurs, j’ai tout de même ◀le▶ sentiment ◀d’▶avoir approuvé mon Église, et ◀d’▶en avoir reçu ◀le▶ message essentiel.
Enfin, ma troisième raison se rapporte étroitement à mon sujet, aux relations entre ◀l’▶Église et ◀la▶ Suisse, ou pour être concret : aux relations entre nos Églises et nous, ◀les▶ Suisses.
◀Le▶ peuple suisse, en général, n’a pas un sens des formes très raffiné. Je vous dirai même une chose assez désobligeante, et qui vous surprendra peut-être : ◀le▶ peuple suisse souffre ◀d’▶un défaut qu’il me faut bien nommer ◀le▶ sans-gêne spirituel. Je ne sais pas si cela provient du fait qu’on parle un peu trop facilement du Bon Dieu, chez nous, et qu’il subsiste dans nos Églises pas mal ◀de▶ traces ◀d’▶un piétisme affadi. Je n’oserais pas suggérer que nous tenons à rester démocrates et sans façon jusque dans nos relations avec ◀le▶ Tout-Puissant, qui est pourtant nommé Monarque, Seigneur et Roi des rois, à toutes ◀les▶ pages ◀de▶ notre Bible. ◀Le▶ fait est que nous manquons ◀d’▶un certain respect religieux, de même que nous passons, à ◀l’▶étranger, pour être un peu trop familiers et manquer du sens des distances.
Je vous citerai ici, en guise d’illustration, une anecdote qui frise peut-être ◀la▶ caricature. J’ai entendu, ◀de▶ mes oreilles, un jeune pasteur remercier Dieu, du haut ◀de▶ ◀la▶ chaire, ◀de▶ ce que Dieu « nous a permis ◀de▶ lui parler tout simplement, ◀d’▶homme à homme »…
Je reste persuadé, pour ma part, que nous devons plutôt parler ◀d’▶homme à Dieu, et que nous ferions bien ◀de▶ nous pénétrer ◀de▶ cette vérité fondamentale et même ◀d’▶y conformer notre maintien. Sans aller jusqu’à imiter ◀les▶ génuflexions multipliées des orthodoxes russes, qui se prosternent jusqu’à toucher ◀le▶ sol ◀de▶ leur front, pourquoi refuserions-nous ◀de▶ nous agenouiller pour ◀la▶ prière publique, ou pendant ◀la▶ lecture ◀de▶ ◀la▶ confession des péchés, par exemple, comme cela se fait dans ◀les▶ Églises réformées ◀de▶ Paris ? Aurions-nous trop ◀de▶ dignité pour consentir à cette marque publique ◀d’▶humiliation ? Nous chantons dans un chant patriotique : « Devant Dieu seul, fléchissons ◀le▶ genou. » Mais pratiquement, nous restons assis, bourgeoisement et convenablement assis…
Ne pensez pas, surtout, que ces questions ◀d’▶attitude soient futiles, ou trahissent je ne sais quelle déviation catholique. Toutes ◀les▶ Églises ont toujours attaché ◀de▶ ◀l’▶importance à ces choses-là, et je pense qu’elles avaient ◀de▶ bonnes raisons ◀de▶ ◀le▶ faire. Elles savaient qu’une certaine participation personnelle, physique même, au culte public, n’est pas sans portée spirituelle. Se lever, prier ensemble à haute voix, s’agenouiller, chanter spontanément un répons, ce sont des gestes qui engagent, et par lesquels on témoigne. Ce sont des gestes qui manifestent, visiblement, ◀la▶ communauté ◀de▶ ◀la▶ foi, ◀de▶ ◀l’▶humiliation, ou ◀de▶ ◀la▶ joie chrétienne. Ce sont des gestes, enfin, qui favorisent ◀l’▶oubli ◀de▶ soi et qui libèrent des fausses pudeurs.
Pour en finir sur ce sujet, je vous demanderai ◀de▶ vous poser à vous-même cette seule question : alors que ◀les▶ orthodoxes, ◀les▶ anglicans, ◀les▶ catholiques, ◀les▶ luthériens et ◀les▶ calvinistes français jugent nécessaire et bon ◀d’▶avoir une liturgie, comment se fait-il que nos Églises suisses soient ◀les▶ seules sur ◀le▶ continent qui croient pouvoir s’en passer, sans dommage ?
◀L’▶absence ◀de▶ liturgie, remarquez-◀le▶, est un obstacle assez considérable à notre rapprochement avec d’autres Églises dans ◀le▶ mouvement œcuménique. (Je pense à ◀l’▶Église anglicane, qui attache à ◀la▶ liturgie une importance sans cesse croissante.) Et pourtant, ◀les▶ Églises ◀de▶ Suisse devraient avoir à cœur ce rapprochement, plus qu’aucune autre Église au monde. Nos traditions fédéralistes devraient nous préparer tout spécialement à cette mission ◀de▶ compréhension ◀d’▶autrui, ◀de▶ rapprochement, ◀de▶ mutuelle instruction, qui est ◀la▶ mission du jeune mouvement œcuménique.
Je me bornerai, en terminant, à vous rappeler ◀les▶ quelques thèses — critiques et suggestions — que je viens ◀d’▶esquisser devant vous.
Je vous ai indiqué tout d’abord que ◀la▶ situation actuelle exige ◀de▶ nos Églises un grand effort vers ◀la▶ communauté vivante. Ce sera peut-être une question ◀de▶ vie ou ◀de▶ mort, dans ◀le▶ monde qui se prépare.
Je vous ai suggéré trois directions ◀d’▶effort à la fois nécessaires et possibles : revenir d’abord à une compréhension moins superficielle ◀de▶ ◀la▶ nature ◀de▶ nos Églises, qui sont ◀les▶ membres du Corps ◀de▶ Christ, et non pas des associations comme ◀les▶ autres. Avoir ensuite ◀le▶ souci ◀de▶ « désembourgeoiser » notre atmosphère, notre ton, nos manières ◀de▶ prêcher ou ◀d’▶écouter, afin de rendre possible une action missionnaire dans toutes ◀les▶ couches ◀de▶ notre peuple. Poser enfin très sérieusement ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ liturgie, tant à nos bons théologiens qu’aux laïques, généralement ignorants ◀de▶ cette question, ou retenus par des préjugés à son égard.
Je me suis borné à soulever devant vous quelques problèmes urgents et tout pratiques, — considérant que ◀la▶ malice des temps nous invite au travail plutôt qu’à ◀l’▶éloquence.