Deuxième partie
Hitler ou l’▶alibi
13. Où paraît ◀la▶ nécessité ◀d’▶un alibi
Il est étrange ◀de▶ constater que depuis ◀la▶ fin du Moyen Âge, depuis que Luther lui jeta son encrier en pleine figure, à ◀la▶ Wartburg, nous n’avons pas su composer une vision moderne du diable. Seul Kierkegaard ◀l’▶avait peut-être reconnu précisément sous ◀les▶ espèces ◀de▶ ◀l’▶encre ◀d’▶imprimerie, lorsqu’il notait qu’on ne peut plus prêcher utilement ◀le▶ christianisme dans un monde dominé par ◀la▶ presse quotidienne.
Toutefois, ◀l’▶incognito du Prince ◀de▶ ce monde devint difficile à maintenir au cours du premier tiers ◀de▶ notre siècle, tandis que des catastrophes trop voyantes ébranlaient ◀les▶ bases ◀de▶ notre optimisme et ◀de▶ notre foi naïve dans ◀l’▶élimination progressive du mal par ◀la▶ Science et ◀l’▶Éducation.
Sur nos têtes, au ciel ◀de▶ nos villes, ◀de▶ grands oiseaux tournaient avec un bourdonnement sinistre, et ces oiseaux nous attaquaient !
— Si cela continue, se dit ◀le▶ diable, ◀les▶ hommes s’apercevront que j’existe toujours. Or il faut que cela continue, mais je ne tiens pas à ce que ◀l’▶on me reconnaisse. Délaissons donc cet insoutenable incognito pour quelque prudent alibi… ◀La▶ fausse piste ◀la▶ plus tentante…
14. Le deuxième tour
Et c’est ainsi qu’à partir de 1933, ◀le▶ diable nous fit croire qu’il était simplement M. Adolf Hitler, et personne ◀d’▶autre.
Ce fut son second tour.
15. Hitler est-il ◀l’▶Antéchrist ?
Je tiens ◀l’▶action ◀d’▶Hitler pour plus réellement diabolique que ne ◀l’▶imaginent ceux qui croient qu’Hitler est ◀le▶ diable en personne.
Si ◀le▶ Führer était ◀le▶ diable ou ◀l’▶Antéchrist, ce serait peut-être un peu trop simple. Il suffirait ◀de▶ ◀le▶ supprimer pour supprimer tout ◀le▶ mal qui est dans ce monde. Et, qu’on me pardonne, si ◀le▶ diable était ◀le▶ Führer, il ne serait qu’un assez pauvre diable.
Quand nous nous figurons qu’Hitler est ◀le▶ diable, nous faisons évidemment trop ◀d’▶honneur à ◀l’▶ex-caporal autrichien ; mais surtout nous nous faisons illusion sur ◀la▶ réelle stature ◀de▶ Satan. N’oublions pas que Satan est Légion ! Supprimer un dictateur ne suffirait nullement à débarrasser notre époque des maux profonds qui ◀la▶ travaillent.
Il me souvient ◀d’▶avoir entendu en Suisse, au début ◀de▶ cette guerre, ◀le▶ grand théologien Karl Barth répondre à ◀la▶ fameuse question ◀d’▶Hitler et ◀de▶ ◀l’▶Antéchrist. Voici ce qu’il disait en substance, et pour autant que ma mémoire ne ◀le▶ trahit pas : — « Cet homme qu’il est inutile ◀de▶ nommer, et dont ◀la▶ censure d’ailleurs m’a fait oublier ◀le▶ nom, ce n’est certainement pas ◀l’▶Antéchrist. Car il n’a pas ◀de▶ pouvoir sur notre salut éternel. ◀Le▶ véritable Antéchrist ne se révélera qu’à ◀la▶ fin des temps, comme notre accusateur impitoyable. Et alors, nous n’aurons plus ◀d’▶autre intercesseur auprès de Dieu que Christ lui-même ! Mais ◀l’▶homme auquel vous pensez n’est encore qu’un petit monsieur, un premier avant-coureur ◀de▶ ◀l’▶Antéchrist. Et ◀la▶ lutte qu’il mène contre ◀les▶ Églises et ◀le▶ monde chrétien n’est qu’un premier avertissement à nous armer pour ◀le▶ Combat final, pour ◀le▶ Jugement dernier. » Réponse à la fois drôle et profonde, dont on ne sait s’il faut admirer davantage ◀la▶ sévérité ou ◀la▶ dévastante modération. Mais ce « petit monsieur » et cet avertissement, nous voici bien forcés ◀de▶ ◀les▶ prendre au sérieux ! Pour n’être pas ◀le▶ diable en personne, on peut être tout de même passablement diabolique. Et je vois peu ◀d’▶aspects ◀de▶ ◀l’▶action du Führer qui ne portent en évidence ◀l’▶insigne satanique.
16. ◀Le▶ diable en chemise brune
Hitler n’est pas ◀le▶ grand ange déchu. Mais certains pensent pour ◀l’▶avoir éprouvé en sa présence par une espèce ◀de▶ frisson ◀d’▶horreur sacrée, qu’il est ◀le▶ siège ◀d’▶une « domination », ◀d’▶un « trône » ou ◀d’▶une « puissance », ainsi que saint Paul désigne ◀les▶ esprits ◀de▶ second rang, qui peuvent aussi déchoir dans un corps ◀d’▶homme quelconque et ◀l’▶occuper comme une garnison.
Je ◀l’▶ai entendu prononcer l’un ◀de▶ ses grands discours, et je ◀l’▶ai vu à la sortie de son culte, debout dans sa voiture qui longeait très lentement une rue étroite, mal éclairée. Une seule chaîne ◀de▶ SS ◀le▶ séparait ◀de▶ ◀la▶ foule. J’étais au premier rang, à deux mètres ◀de▶ lui. Un bon tireur ◀l’▶eût descendu très facilement. Mais ce bon tireur ne s’est jamais trouvé, dans cent occasions analogues. Voilà ◀le▶ principal ◀de▶ ce que je sais sur Hitler. On peut réfléchir là-dessus. Réfléchir ou même délirer.
On ne tire pas sur un homme qui n’est rien et qui est tout. On ne tire pas sur un petit-bourgeois qui est ◀le▶ rêve ◀de▶ 60 millions ◀d’▶hommes. On tire sur un tyran, ou sur un roi, mais ◀les▶ fondateurs ◀de▶ religion sont réservés à d’autres catastrophes. Certes il y a des fous, des accidents ◀de▶ circulation et des erreurs ◀de▶ ◀l’▶histoire. ◀Le▶ Führer déclarait un jour qu’il ne craint pas ◀les▶ Ravaillac, parce que sa mission ◀le▶ protège. Il faut croire un homme qui dit cela. Qu’il soit un instrument ◀de▶ ◀la▶ Providence comme il ◀l’▶affirme, ou qu’il soit un fléau ◀de▶ Dieu (c’est une nuance !) son destin ne dépend plus des hommes, pas même ◀de▶ ◀l’▶homme Adolf Hitler. À plus forte raison, notre jugement sur lui doit être indépendant des mérites qu’il a ou n’a pas, ◀de▶ ◀la▶ sympathie ou des haines qu’il excite. Et cela définit un génie, au sens démonique ◀de▶ ce terme. ◀D’▶où lui vient ◀le▶ pouvoir surhumain qu’il développe pendant un discours ? Une énergie ◀de▶ cette nature, on sent très bien qu’elle n’est pas ◀de▶ ◀l’▶individu, et même qu’elle ne saurait se manifester qu’autant que ◀l’▶individu ne compte plus, n’est que ◀le▶ support ◀d’▶une puissance qui échappe à nos psychologies. Ce que je dis là serait du romantisme ◀de▶ ◀la▶ plus déplorable espèce si ◀l’▶œuvre accomplie par cet homme — et j’entends bien par cette puissance à travers lui — n’était pas une réalité qui provoque ◀la▶ stupeur du siècle. On demande s’il est intelligent. Ne voit-on pas qu’un homme intelligent, qu’il ◀le▶ soit très peu ou follement, si cela compte en lui ◀le▶ moins du monde, il ne vaut rien pour un destin pareil ? Un génie n’est ni fou ni bête, ni sensé ni intelligent. Il ne s’appartient pas, n’a pas ◀de▶ qualités propres, ◀de▶ vices ou ◀de▶ vertus, ni même ◀de▶ compte en banque, et à peine un état civil. Il est ◀le▶ lieu ◀de▶ passage des forces ◀de▶ ◀l’▶Histoire, ◀le▶ catalyseur ◀de▶ ces forces qui déjà sont dressées devant vous ; et après cela, vous pouvez ◀le▶ supprimer sans rien détruire ◀de▶ ce qui s’est fait par lui.
Qu’il y ait eu dans ces temps aveugles à toute réalité non numérable ◀le▶ fait qu’il vous faut bien nommer Hitler, c’est une effrayante ironie machinée par ◀la▶ Providence : — « Ah ! vous ne croyez plus au mystère ? Eh bien, je pose ce fait dans votre histoire, expliquez-◀le▶ si vous pensez encore que cela suffit à vous en protéger. » Un homme quelconque, transfiguré par sa ténébreuse « mission », — Schickelgruber habité par un trône… On a ri. On a cessé ◀de▶ rire. Et ce n’était pourtant qu’un petit envoyé…
17. ◀Le▶ directeur ◀d’▶inconscience
◀L’▶hitlérisme se présente à nous comme une catastrophe cosmique, comme un malheur plus étendu et plus profond que ◀l’▶Histoire n’en connut depuis ◀le▶ Déluge. Mais alors, comment se peut-il que des individus deviennent volontairement nazis ? Que des populations entières se laissent séduire ? Que dans tous ◀les▶ pays, et non pas seulement en Allemagne, des hommes et des femmes subissent ◀la▶ contagion ◀de▶ ce mal, changent subitement ◀de▶ visage, se raidissent, se ferment à tout raisonnement, à toute discussion sérieuse, à tout recours aux vérités fondamentales sur lesquelles s’édifia ◀la▶ civilisation ◀de▶ ◀l’▶Occident depuis des millénaires ?
C’est qu’Hitler est assez démoniaque pour avoir su réveiller nos démons, par une espèce ◀de▶ contagion, ou plutôt ◀d’▶induction spirituelle. Toute son œuvre ◀de▶ tentateur a consisté à priver ◀les▶ individus du sentiment ◀de▶ leur responsabilité morale, donc du sens ◀de▶ leur culpabilité. En ◀les▶ fondant dans une masse passionnée, il exalte dans ◀l’▶âme des plus déshérités une sensation ◀de▶ puissance invincible. Il leur répète ◀les▶ vieux slogans du diable : « Vous ne mourrez pas ! Vous serez comme des dieux ! » En combattant ◀le▶ traité ◀de▶ Versailles, « cette Gorgone terrorisant ◀le▶ peuple allemand qui vivait désarmé et humilié sous ◀le▶ regard ◀de▶ ces milliers ◀d’▶yeux » (Mein Kampf), il supprime ◀le▶ Juge, il supprime ◀la▶ faute, il ◀les▶ rend à ◀l’▶état ◀d’▶innocence première. Enfin, en condamnant tout ce qui est universel ou du moins supranational, ◀le▶ christianisme, ◀le▶ judaïsme, ◀le▶ droit, ◀la▶ culture, ◀la▶ raison, il enferme son peuple dans une autarcie psychologique semblable à celle que crée ◀la▶ passion dans Wagner ; il réduit ◀les▶ masses à un état ◀d’▶hypnose, ◀d’▶inconscience somnambulique, dans lequel ◀le▶ moins courageux sera capable ◀d’▶exécuter des actes étonnants ◀d’▶énergie et ◀de▶ discipline mécanique, jusqu’à ◀la▶ mort, terme idéal ◀de▶ toute passion.
Autrefois ◀les▶ hommes demandaient des directeurs ◀de▶ conscience. Mais ◀la▶ misère des temps et ◀le▶ sentiment ◀d’▶impuissance qu’éprouvent ◀les▶ individus dans notre monde démesuré, font qu’ils demandent et se donnent aujourd’hui des directeurs ◀d’▶inconscience collective. ◀L’▶extraordinaire, ◀l’▶effrayant, c’est ◀de▶ voir à quel point ◀le▶ Führer, ◀le▶ « guide », ◀le▶ directeur ◀de▶ ◀l’▶inconscience allemande, est en même temps conscient ◀de▶ ce qu’il fait, maître ◀de▶ sa technique, lucide et froid comme ◀le▶ serpent ! Dans Mein Kampf, il donnait dès 1924, des descriptions ◀d’▶une surprenante précision du réveil des puissances souterraines qu’il se proposait ◀d’▶opérer. « Tous ◀les▶ grands mouvements ◀de▶ ◀l’▶Histoire, sont des éruptions volcaniques ◀de▶ passions et ◀de▶ sensations spirituelles provoquées soit par ◀la▶ cruelle déesse ◀de▶ ◀la▶ Misère, soit par ◀la▶ torche ◀de▶ ◀la▶ parole jetée dans ◀les▶ masses. Seule une tempête ◀de▶ passion brûlante peut changer ◀les▶ destinées ◀d’▶un peuple. » Surtout ne donnez pas ◀de▶ raisons aux masses, car ◀de▶ tous temps, « ◀les▶ forces qui ont produit ◀les▶ plus grands changements dans ◀le▶ monde ont été trouvées non pas dans ◀la▶ connaissance scientifique, mais dans ◀le▶ fanatisme dominant ◀les▶ masses, et dans une véritable hystérie qui ◀les▶ pousse en avant. » Ailleurs il parle ◀de▶ « ◀l’▶appel aux forces mystérieuses » qui pourra seul réduire ◀les▶ « obstacles sentimentaux ou rationnels » et provoquer ◀l’▶hystérie nécessaire.
Mais le dernier obstacle, c’est ◀l’▶au-delà, parce qu’il limite ◀l’▶empire du Prince ◀de▶ ce monde. ◀Les▶ âmes vont lui échapper s’il subsiste un recours à ◀l’▶Éternel, c’est-à-dire à ◀l’▶autorité qui domine ◀les▶ pouvoirs terrestres. Il s’agit donc ◀de▶ supprimer ◀l’▶idée ◀d’▶au-delà, ◀de▶ transcendance ; ◀d’▶intégrer Dieu lui-même dans ◀la▶ Nation. Comprenons bien ce que signifie, dans cette perspective satanique, ◀le▶ terme ◀d’▶État totalitaire.
Un régime est totalitaire lorsqu’il prétend centraliser radicalement tous ◀les▶ pouvoirs temporels et toute ◀l’▶autorité spirituelle. Il se transforme alors en une religion politique, ou en une politique ◀d’▶allure religieuse. Et cela ◀d’▶autant mieux que ◀la▶ religion qu’il adopte ne connaît point ◀de▶ transcendance, et que ses buts purement terrestres non seulement ne divergent plus des buts normaux ◀de▶ ◀la▶ politique, mais se confondent avec ceux-ci.
Alors il n’y a plus ◀de▶ recours, plus ◀de▶ pardon à espérer : ◀la▶ communauté spirituelle ne peut pas en appeler à une instance supérieure à ◀l’▶État, puisque c’est lui qui ◀l’▶a créée pour ses seules fins, et qu’il n’existe rien au-delà.
◀La▶ religion politique, ou ◀la▶ politique religieuse totalitaire, a créé ◀le▶ type même ◀d’▶une communauté régressive, fondée sur ◀le▶ passé : ◀le▶ sang, ◀la▶ race, ◀la▶ tradition, ◀les▶ morts. Voilà pourquoi elle est intolérante au suprême degré, et plus qu’intolérante : on ne peut même pas s’y convertir ! Si ◀l’▶on n’a pas ◀les▶ mêmes origines, on ne pourra jamais y entrer — si ◀l’▶on n’est pas ◀de▶ sang aryen, par exemple — car cette religion n’admet pas que « ◀les▶ choses vieilles sont passées » selon ◀la▶ parole ◀de▶ ◀l’▶Apôtre. Elle n’admet pas ◀la▶ conversion spirituelle, à partir de laquelle il n’y a plus ni Juifs ni Grecs. Elle ne demande pas : que crois-tu ? qu’espères-tu ? mais elle demande : quels sont tes morts ? Religion du sang, religion ◀de▶ ◀la▶ terre et des morts, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis des millénaires, jamais passées, et qui réclament encore du sang, des morts, des cortèges funèbres, des cérémonies ◀d’▶imprécations, des sacrifices propitiatoires, ◀le▶ tam-tam des tambours lugubres, ◀d’▶hallucinants sabbats ◀de▶ nègres blancs ! Qui oserait encore nous soutenir que ce délire représente « ◀l’▶Ordre » ? Qui ne voit qu’une telle religion hait mortellement ◀la▶ foi chrétienne, tournée vers ◀le▶ pardon, ◀le▶ futur éternel, ◀le▶ rachat du péché ◀d’▶origine ?
18. Midas prolétarien
Nous disions que ◀le▶ Prince ◀de▶ ce monde peut tout avoir du monde sauf son âme, qui en fait ◀le▶ sens et ◀le▶ prix. De même Hitler, battant ◀la▶ terre entière, ne jouira jamais ◀de▶ sa victoire. Gagnant tout, il ne gagne rien. ◀Les▶ religions ◀de▶ ◀la▶ terre sont religions ◀de▶ ◀la▶ mort. Vieille vérité théologique, que ◀les▶ malheurs du temps illustrent et raniment : « Ne craignez pas ceux qui tuent ◀le▶ corps et ne peuvent rien faire de plus. » Beaucoup ont découvert ◀le▶ sens ◀de▶ cette parole quand ◀le▶ Führer est entré dans Paris. Pour ma part, j’écrivis ce jour-là une page qui trouve ici son sens ◀de▶ parabole.
À cette heure où Paris exsangue voile sa face ◀d’▶un nuage, et se tait, que son deuil soit ◀le▶ deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints.
Quelqu’un disait : Si Paris est détruit, j’en perdrai ◀le▶ goût ◀d’▶être un Européen. ◀La▶ Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert ◀de▶ hautes pierres sans âme, cimetière…
◀L’▶envahisseur avait prophétisé : ◀le▶ 15 juin, j’entrerai dans Paris. Il y entre en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant ◀l’▶esprit, devant ◀le▶ sentiment, devant ce qui fait ◀la▶ valeur ◀de▶ ◀la▶ vie.
Je songe au chef ◀de▶ guerre qui traverse aujourd’hui ces rues ◀les▶ plus émouvantes du monde : il ne ◀les▶ connaîtra jamais. Il ne verra que ◀d’▶aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais ◀de▶ quelque chose ◀d’▶irremplaçable, ◀de▶ quelque chose qu’on peut tuer mais qu’on ne peut conquérir par ◀la▶ force, et qui vaut plus, insondablement plus que tout ce que peuvent rafler dans ◀le▶ monde entier ◀les▶ servants des Panzerdivisionen. Quelque chose ◀d’▶indéfinissable et que nous appelions Paris.
C’est ici ◀l’▶impuissance tragique ◀de▶ ce conquérant victorieux : tout ce qu’il veut saisir se change à son approche — Midas ◀de▶ ◀l’▶ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse.
N’importe quel badaud ◀d’▶un soir ◀de▶ juin pouvait s’annexer pour toujours ◀le▶ bonheur ◀d’▶un couchant sur Saint-Germain-des-Prés, ◀le▶ grisant glissement ◀de▶ ◀la▶ foule ◀de▶ ◀l’▶Arc aux Chevaux ◀de▶ Marly, ◀les▶ siècles ◀de▶ grandeur, ◀de▶ misère, ◀de▶ sagesse, dont ◀le▶ visage ◀de▶ cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait ◀les▶ traces pacifiées. N’importe quel badaud, mais pas un conquérant.
◀La▶ confrontation stupéfiante ◀de▶ cet homme et ◀de▶ cette Ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde entier qu’il est des victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars ◀les▶ dons ◀de▶ ◀l’▶âme et ◀les▶ raisons ◀de▶ vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois ◀le▶ tour du monde ! Ils ne rencontreront partout que ◀le▶ fracas du néant mécanique. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que ◀le▶ jour ◀de▶ ◀la▶ pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun triomphe ne vaut pour eux ◀la▶ moindre des réalités humaines qu’ils ont tuées, « … car ils ne savent ce qu’ils font ».
19. ◀Le▶ Fléau ◀de▶ Dieu
S’ils ne savent pas ce qu’ils font, pitié pour eux, sans doute ? (Et pitié pour ◀le▶ diable et son angoisse…) Mais ◀le▶ pardon ne nous appartient pas. Et ◀l’▶hitlérisme enseigne ◀de▶ ◀le▶ mépriser.
Ce n’est pas ◀l’▶aspect ◀le▶ moins diabolique ◀de▶ ◀l’▶œuvre du Führer, que ◀le▶ caractère ◀de▶ châtiment sans pitié des faiblesses du monde moderne, que revêt ◀la▶ violence hitlérienne.
◀La▶ tactique et ◀la▶ stratégie ◀d’▶Hitler sont en somme très simples. Il est apparu dans ◀le▶ monde comme un maniaque qui entrerait dans une maison et qui essaierait ◀d’▶ébranler tous ◀les▶ meubles. Si ◀le▶ meuble résiste, on n’insiste pas. Si ◀le▶ meuble craque, on pousse à fond, jusqu’à ce qu’il s’écroule. Ainsi, partout où quelque chose était vermoulu dans notre monde, dans son économie ou dans sa morale, Hitler a poussé à fond, jusqu’à ce que tout s’écroule. Partout où une faiblesse s’est révélée, il ◀l’▶a châtiée sans scrupules ni pardon. Il est ◀le▶ châtiment automatique, ◀l’▶Attila ◀de▶ notre civilisation, — son Fléau ◀de▶ Dieu. Mais cette absence ◀de▶ pitié, justement, nous rappelle l’un des noms du diable que nous citions plus haut : ◀l’▶accusateur.
Nous ne savions plus distinguer ◀le▶ mal dans ◀la▶ paix et ◀la▶ prospérité. Nous avons mérité qu’Hitler nous ◀le▶ fasse voir, et par ◀le▶ seul moyen proportionné à notre insensibilité morale et spirituelle : par ◀les▶ bombes.
20. ◀Le▶ Faussaire
Beaucoup de gens pensent que ◀le▶ Führer doit être très méchant pour faire ainsi ◀la▶ guerre à tout le monde. Mais ce n’est pas sa plus ou moins grande méchanceté qui est en cause. Ce n’est pas elle qui serait particulièrement diabolique. Ce sont ◀les▶ justifications qu’il en donne, et c’est ◀l’▶espèce ◀de▶ douceur médiumnique dont il ◀la▶ revêt aux yeux de son peuple.
Ce n’est pas ◀d’▶envahir un petit pays qui est diabolique, cela s’est fait ◀de▶ tous ◀les▶ temps, c’était, si ◀l’▶on peut dire, égoïsme normal, soif ◀de▶ richesses, vulgaire impérialisme ; ce qui est diabolique, c’est ◀d’▶appeler cela « consolider ◀la▶ paix » ou « fonder ◀le▶ nouvel ordre ». Ce n’est pas ◀d’▶annexer ◀la▶ Tchécoslovaquie qui est diabolique, mais c’est ◀de▶ ◀le▶ faire au lendemain ◀d’▶un discours où ◀l’▶on invoque « ◀le▶ droit des peuples à disposer ◀d’▶eux-mêmes ». Ce n’est pas ◀de▶ transformer ◀le▶ territoire du voisin en champ ◀de▶ carnage et ◀de▶ bombardement, mais c’est ◀d’▶appeler ce champ ◀de▶ mort « espace vital ». Ce n’est pas ◀de▶ violer ◀les▶ traités, mais c’est ◀de▶ vouloir s’innocenter en proclamant en tête ◀d’▶un nouveau Code : « ◀Le▶ Droit est ce qui sert ◀le▶ peuple allemand. » Ce n’est pas ◀d’▶attaquer ◀les▶ Églises, mais c’est ◀de▶ ◀le▶ faire en nationalisant ◀la▶ Providence, et en son Nom. Ce qui est proprement diabolique, c’est moins ◀de▶ faire ◀le▶ mal que ◀de▶ ◀le▶ baptiser bien, quand on ◀le▶ fait. C’est ◀de▶ vider tous ◀les▶ mots ◀de▶ leur sens, ◀de▶ ◀les▶ retourner et ◀de▶ ◀les▶ lire à rebours, selon ◀la▶ coutume des messes noires. C’est ◀d’▶invertir et ◀de▶ ruiner par ◀l’▶intérieur ◀les▶ critères mêmes ◀de▶ ◀la▶ vérité. Et c’est enfin ◀d’▶aller loger ◀le▶ mensonge, ◀de▶ préférence, dans une parole ◀de vérité !