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Qu’est-ce que la▶ politique ?
1. ◀La▶ politique est en principe ce qui intéresse ◀la▶ cité. Aucun des habitants ◀de▶ ◀la▶ cité n’a donc ◀le▶ droit ◀de▶ s’en désintéresser. Ou, s’il ◀le▶ fait, il perd ◀le▶ droit ◀de▶ se plaindre quand ◀les▶ affaires, à son avis, vont mal. Ainsi parle un grossier bon sens.
2. Nous voyons aujourd’hui un nombre grandissant ◀d’▶intellectuels proclamer avec émotion leur volonté ◀de▶ s’intéresser à ◀la▶ cité dont ils sont membres. Cette émotion est celle ◀d’▶une découverte. Ils découvrent que ◀le▶ droit ◀de▶ se plaindre, dont ils avaient toujours usé, entraîne ◀le▶ devoir ◀de▶ modifier ◀la▶ situation dont ils se plaignent. Conséquence pour eux si nouvelle, qu’ils éprouvent ◀le▶ besoin ◀de▶ « justifier » leurs interventions politiques, — comme si cela n’allait pas de soi ! (Exemple : ◀les▶ Pages ◀de▶ journal ◀d’▶André Gide.)
Cette fausse honte ou cette mauvaise conscience, cette crainte ◀de▶ « trahir » en servant, ces raisons que ◀l’▶on s’efforce ◀de▶ donner, non sans maladresse, avant ◀d’▶assumer un devoir qui paraîtrait, en temps normaux, incomber à tout homme normal, révèlent une profonde incertitude : non seulement c’est ◀le▶ sens politique qui fait défaut, mais c’est ◀le▶ sens même ◀de▶ ◀la▶ politique en général qui n’est plus clairement aperçu, dans ◀l’▶élite ◀de▶ ◀la▶ nation.
On sent qu’un homme humain, intelligent, honnête et doué ◀de▶ sens critique, se devrait en tout temps ◀de▶ participer à ◀la▶ chose civique ; mais on sent aussi que ◀la▶ politique, telle qu’elle est conçue et pratiquée ◀de▶ nos jours, est une menace sérieuse pour ◀l’▶intégrité ◀de▶ ◀l’▶homme, son intelligence, son honneur et ses facultés critiques. À ◀la▶ question qui résulte ◀de▶ ce malaise : « faut-il ou non faire ◀de▶ ◀la▶ politique ? », on ne peut répondre avec sécurité que si ◀l’▶on a d’abord répondu à cette autre question : qu’est-ce que ◀la▶ politique ? Car si ◀la▶ politique est ce que ◀l’▶on pense ordinairement, c’est une peste, et tous ◀les▶ raisonnements qui voudraient nous y engager sont ◀de▶ misérables sophismes. Mais si ◀la▶ politique devient ce que nous voulons qu’elle soit, ◀la▶ question ◀d’▶en faire ou ◀de▶ n’en pas faire ne se pose même plus.
3. ◀La▶ politique, en France, revêt des formes beaucoup plus variées et complexes que celles qu’on lui voit prendre dans ◀les▶ États totalitaires (URSS et fascismes). J’essaierai ◀de▶ ◀la▶ définir par quatre ◀de▶ ses principaux caractères.
a) Elle consiste d’abord dans ◀la▶ lutte des partis. Pour un très grand nombre ◀de▶ citoyens, ◀le▶ but à atteindre n’est pas d’abord ◀d’▶assurer ◀le▶ bon fonctionnement ◀de▶ ◀l’▶État, ◀la▶ paix publique, ◀la▶ grandeur morale ◀de▶ ◀la▶ nation et ◀le▶ libre déploiement ◀de▶ ses forces créatrices. ◀Le▶ but est d’abord ◀de▶ faire triompher tel parti dont on est membre. On tient ◀le▶ parti pour plus grand que ◀le▶ tout. Ou encore : ◀le▶ but est simplement ◀de▶ militer bruyamment dans ◀le▶ parti, moins par amour passionné pour son idéal que par haine des autres partis, et souvent moins par haine des autres partis que par besoin ◀d’▶entretenir ◀de▶ vieux débats dont on connaît par cœur tous ◀les▶ arguments, et qu’on aime répéter comme ◀le▶ refrain ◀d’▶une chanson idiote mais « qui fait toujours plaisir ».
À droite on assimile volontiers ◀la▶ France, « ◀la▶ vraie », aux partis ◀de▶ droite. À gauche, on fait volontiers passer ◀la▶ fidélité au parti avant ◀la▶ fidélité au bien commun ◀de▶ ◀la▶ nation. Ainsi, quand tout va bien, quand ◀la▶ machine paraît rouler ◀d’▶elle-même, dans ◀l’▶intervalle des crises économiques, ◀les▶ partis deviennent des académies ou des écoles ◀de▶ rhétorique vulgaire, et ◀les▶ questions ◀de▶ personnes, ◀le▶ jeu des vieilles rancunes, y priment nécessairement toute espèce ◀de▶ souci ◀de▶ ◀la▶ cité dans son ensemble, et ◀de▶ son destin créateur. Et quand tout va mal, quand ◀la▶ crise est là, ◀les▶ partis se mettent à déchirer ◀la▶ nation avec une absence ◀de▶ scrupules qui rappelle des temps fort décriés : ceux ◀de▶ ◀la▶ grande féodalité guerrière, ◀le▶ pillage du pays par ◀les▶ barons.
Je dis que pratiquement — donc en laissant ◀de▶ côté ◀les▶ déclarations des congrès — ◀la▶ moderne féodalité des partis n’agit pas autrement vis-à-vis de ◀la▶ nation et ◀de▶ ses intérêts supérieurs, que ◀la▶ moderne féodalité des trusts et des banques, et que ◀l’▶ancienne féodalité des grands seigneurs. Partis : Bastilles à démolir ! Je dis ensuite qu’un honnête homme, et, de plus, patriote, se doit ◀de▶ rejeter tous ◀les▶ partis.
Prétendre entrer dans un parti — ◀le▶ moins mauvais ! — pour essayer ◀de▶ ◀le▶ réformer ou ◀de▶ ◀l’▶influencer par ◀l’▶intérieur, c’est aussi malin que ◀de▶ prétendre entrer au Conseil ◀d’▶administration des Forges pour essayer ◀de▶ rendre ◀les▶ canons inoffensifs : c’est ◀l’▶instrument même du parti qui est meurtrier.
b) On appelle aussi « politique » ◀la▶ rumeur confuse des idéologies que ◀les▶ partis prétendent servir. Tradition républicaine conservatrice, « doctrine » radicale, idée socialiste, mots d’ordre communistes… En marge de ◀l’▶action directe, abandonnée aux comités électoraux et aux députés, des millions ◀de▶ citoyens s’excitent sur ◀les▶ hebdomadaires ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche, où s’expriment ces idéologies. ◀L’▶influence ◀de▶ ces feuilles n’est plus niable. J’attends encore ◀l’▶homme sain qui osera faire leur éloge ! Elles nous présentent chaque semaine dans leurs échos et leurs leaders ◀l’▶anthologie ◀de▶ ◀la▶ mauvaise foi, ◀de▶ ◀l’▶ignorance, des préjugés crétinisants, des rancunes ◀de▶ personnes médiocres et des plaisanteries à tant ◀la▶ ligne ◀la▶ plus propre à nous faire envier ◀la▶ suppression des libertés ◀de▶ ◀la▶ presse. (Si ◀les▶ journaux des pays fascistes ou communiste se livrent parfois, eux aussi, à des débauches ◀de▶ mensonges haineux du même calibre, du moins sait-on que ◀la▶ dictature en est seule responsable. ◀La▶ honte n’en retombe pas sur des hommes « libres » !)
À lire ◀les▶ revues et ◀les▶ hebdomadaires ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite, rédigés par des intellectuels, on est bien forcé ◀d’▶avouer qu’il n’y a plus en France ◀de▶ véritable idéologie politique. Ce qu’on nous offre sous ce nom n’est qu’un lamentable ramassis ◀de▶ phrases empruntées à des révolutions étrangères ou périmées, et ◀de▶ mots d’ordre soi-disant « tactiques », mis au service non point ◀d’▶un idéal communautaire, mais ◀de▶ passions et ◀d’▶intérêts sans grande portée. Pour réfuter ◀le▶ colonel de la Rocque — petit jeu pour ◀les▶ débutants — ◀les▶ intellectuels ◀de▶ gauche n’ont rien trouvé ◀de▶ mieux que ◀le▶ mot ◀de▶ « fasciste », qui est ridicule en ◀l’▶occurrence, et ◀l’▶accusation ◀d’▶être comte et ◀de▶ s’appeler Casimir, qui me paraît un peu subtile. Et pour réfuter ◀le▶ communisme — ce qui serait plus intéressant tout de même — ◀les▶ droites se bornent à affirmer, contre toute évidence, que ◀la▶ doctrine ◀de▶ Marx est un facteur ◀de▶ désordre et qu’elle entraîne ◀la▶ ruine ◀de▶ ◀la▶ famille.79
Si ◀la▶ politique, c’est cela, je dis qu’un honnête homme, et au surplus intelligent, se doit ◀de▶ n’y pas tremper fût-ce du bout ◀de▶ son stylo.
c) Justement écœurés par ◀les▶ politiciens, comitards ou « idéologues », beaucoup en viennent à définir ◀la▶ politique comme une simple technique ◀de▶ gouvernement. Il serait souhaitable en effet que ◀le▶ ministère des Colonies soit géré par un homme qui connaisse autre chose que ◀les▶ potins ◀de▶ sa circonscription ; et celui des finances par un homme honnête ; et celui des Affaires étrangères par un homme qui connaisse ◀la▶ langue des pays voisins et ◀l’▶esprit ◀de▶ leurs institutions. Mais ceux qui veulent des techniciens, des ingénieurs et des banquiers dans ◀les▶ Conseils ◀de▶ ◀l’▶État et qui pensent que dès lors tout marcherait ◀de▶ soi, ceux qui envient ◀le▶ brain trust ◀de▶ Roosevelt, oublient que ◀la▶ mission ◀d’▶un peuple n’est pas une affaire ◀de▶ calcul. Ils réduisent toute ◀la▶ politique au jeu subalterne des fonctions étatiques. En somme, ils donnent à ◀la▶ majorité des citoyens ◀d’▶excellentes raisons ◀de▶ se désintéresser ◀de▶ ◀la▶ conduite ◀de▶ leur cité. Et bien qu’ils se recrutent en général parmi ◀les▶ « gens ◀de▶ droite », ils représentent ◀la▶ tendance ◀la▶ plus rigoureusement matérialiste.
d) À ◀l’▶inverse du désir ◀de▶ ces nouveaux « physiocrates », nous voyons, depuis peu, ◀la▶ politique prendre ◀l’▶aspect ◀d’▶un mysticisme, et cela surtout chez ◀les▶ intellectuels du Front populaire. On attend ◀d’▶elle ◀la▶ création ◀d’▶un « homme nouveau », ◀d’▶une humanité riche, heureuse, orgueilleuse ◀de▶ sa force, libérée ◀de▶ tout tragique, et comme délivrée par ◀l’▶État ◀de▶ ◀l’▶oppression du péché originel, sombre invention « réactionnaire ». On s’exalte à qui mieux mieux sur ◀les▶ « immenses espérances » éveillées par ◀le▶ communisme. On prêche, on s’attendrit, on excommunie, on crie au blasphème, on dénonce ◀les▶ obscurantistes, on prophétise ◀le▶ règne du Bonheur, ◀de▶ ◀la▶ Raison, ◀de▶ ◀la▶ Richesse et du Progrès. Et ◀l’▶on se croit pour autant « révolutionnaire » ou simplement communiste.
Je dis que cette « politique » sentimentale, cet ersatz ◀de▶ religion, cette renaissance des mythes bourgeois : 1° n’est qu’un mauvais négatif du christianisme ; 2° ne peut mener qu’à une forme avachie ◀de▶ fascisme, car ◀le▶ fascisme et surtout ◀le▶ national-socialisme préconisent eux aussi toutes ces « valeurs », et y ajoutent celles ◀de▶ ◀la▶ race et ◀de▶ ◀la▶ nation, qui donnent à ◀l’▶ensemble un dynamisme physique autrement impressionnant ; 3° correspondent, en politique, à ◀l’▶étatisme ◀le▶ plus tyrannique.
Si donc « faire ◀de▶ ◀la▶ politique » consiste à recouvrir ◀de▶ fleurs ◀de▶ rhétorique rationalo-sentimentale une opération très précise ◀de▶ spoliation des libertés ◀de▶ ◀la▶ personne par ◀l’▶État (que ce soit au nom d’une classe ou ◀de▶ ◀la▶ race n’y change rien), j’estime être plus utile à ◀la▶ cité en faisant ◀de▶ ◀la▶ philosophie et ◀de▶ ◀la▶ théologie pures.
4. Mais — ◀la▶ politique est à nos yeux toute autre chose que ce que ◀l’▶on a coutume ◀d’▶appeler ainsi, quand on se demande s’il faut en faire ou non.
Traditionnellement, ◀la▶ politique est, d’une part, ◀la▶ science des rapports ◀de▶ ◀l’▶individu et ◀de▶ ◀l’▶État — politique intérieure —, d’autre part ◀la▶ science des rapports ◀de▶ ◀la▶ nation et des autres nations — politique extérieure.
Dans ◀le▶ cas ◀de▶ ◀la▶ France, si un homme se sent poussé à ◀l’▶action publique par des motifs qu’on peut admettre généreux, il se voit condamné aussitôt à des complicités honteuses et moralement dégradantes. Bien peu y échappent : ce ne sont pas ceux qui réussissent. Dans ◀le▶ cas d’autres pays, qui auraient conservé ◀la▶ conception traditionnelle ◀de▶ ◀la▶ politique, ◀l’▶homme se voit entraîné dans ◀la▶ vie civique par devoir, au nom des « intérêts » ◀de▶ ◀l’▶État, ou au nom des « intérêts » ◀de▶ ◀la▶ nation. ◀La▶ politique reste quelque chose ◀d’▶extérieur à son être véritable. ◀D’▶où ◀la▶ distinction bien connue entre ◀la▶ vie publique et ◀la▶ vie privée. Cette distinction conduit nécessairement à ◀la▶ création ◀d’▶une caste ◀de▶ politiciens, permettant à ◀la▶ majorité des citoyens ◀de▶ se désintéresser, en pratique, du bien commun. Et ◀l’▶on admet alors qu’il existe deux morales, l’une privée et l’autre politique, la plupart du temps contradictoires, ou en tous cas, sans commune mesure.
5. Pour nous, personnalistes, c’est tout ◀le▶ contraire : ◀la▶ vraie politique ne saurait être qu’une expression ◀de▶ ◀la▶ personne même. Elle s’enracine dans ◀l’▶homme, en tant qu’il est actif, créateur et responsable vis-à-vis de ◀la▶ communauté. Elle n’est pas une obligation imposée par ◀l’▶État ou ◀la▶ nation, mais, au contraire, ◀l’▶État et ◀la▶ nation ne sont que ◀les▶ émanations, ◀les▶ représentations extérieures ◀de▶ ◀la▶ tension personnelle ◀de▶ chaque homme, ◀de▶ chaque membre ◀d’▶une communauté.
Toute personne, lorsqu’elle se manifeste comme telle, crée aussitôt une tension. D’une part, elle organise ses appuis matériels, d’autre part, elle s’élance vers un but nouveau. Cette double activité aboutit à ◀la▶ création ◀de▶ ◀l’▶État — secteur organisé — et ◀de▶ ◀la▶ nation, idéal commun. Elle implique une hiérarchie : ◀l’▶organisation devant être normalement subordonnée à ◀la▶ création.
Il résulte ◀de▶ cette définition ◀de▶ ◀la▶ politique que tout homme, dans ◀la▶ mesure où il agit personnellement, se trouve engagé par là même dans ◀la▶ vraie politique. Car d’une part, il a besoin ◀de▶ ◀la▶ base matérielle assurée par ◀l’▶État, d’autre part, il ne peut créer dans ◀le▶ vide, et sa création, quelle qu’elle soit, se répercute et prend toute sa valeur dans ◀le▶ domaine national80.
◀Les▶ grandes lignes ◀de▶ ◀la▶ politique personnaliste se trouvent ainsi déterminées. C’est en vertu de notre conception ◀de▶ ◀la▶ personne que nous voulons subordonner ◀l’▶État à ◀la▶ liberté créatrice ◀de▶ ceux qui forment ◀la▶ nation. C’est en vertu de notre conception ◀de▶ ◀la▶ personne que nous voulons assurer à chacun un « minimum vital », c’est-à-dire une base matérielle ◀de▶ départ. (◀D’▶où notre définition du rôle ◀de▶ ◀l’▶État, limité et fort, et ◀l’▶institution du service civil.) C’est en vertu de notre conception ◀de▶ ◀la▶ personne que nous voulons restaurer ◀le▶ sens ◀de▶ ◀la▶ mission nationale des Français. C’est en vertu de notre conception ◀de▶ ◀la▶ personne, enfin, que nous jugeons désirable et féconde ◀la▶ pluralité des vocations, des idéaux et des nations, et leur fédération sur pied ◀d’▶égalité.
Ainsi encore, notre méthode dichotomique — que beaucoup ont tant de peine à comprendre — est ◀la▶ méthode politique par excellence, au sens que nous venons de donner du politique. Elle consiste à faire ◀la▶ part, dans ◀l’▶activité des personnes aussi bien que dans celle des peuples, ◀de▶ ce qui est organisation et ◀de▶ ce qui est création ; et à subordonner à tous ◀les▶ étages ◀les▶ moyens aux fins, ◀les▶ outils à ◀l’▶idée directrice, ◀les▶ mécanismes matériels aux œuvres spirituelles, enfin ◀l’▶État à ◀la▶ nation.
Dès lors il ne peut plus y avoir ◀d’▶opposition entre ◀la▶ morale privée et ◀la▶ morale publique. Car ◀la▶ politique ne fait que reproduire à une vaste échelle ◀le▶ mouvement même ◀de▶ ◀la▶ personne en exercice, ce double mouvement ◀d’▶organisation des appuis matériels, et ◀d’▶élan vers des buts que ◀l’▶esprit imagine. ◀La▶ politique véritable, de même que toute conduite personnelle, supposera toujours à la fois une technique précise et un effort spirituel. Et ◀la▶ plus haute réussite sera toujours ◀d’▶adapter avec souplesse ◀la▶ technique aux buts qu’elle doit servir.
6. On nous dira : tout cela est bien beau, bien cohérent, — trop cohérent… Quel est ◀le▶ peuple qui ait jamais pratiqué une telle politique, dans ◀l’▶histoire du monde ? ◀La▶ politique, voyez-vous, c’est un jeu beaucoup plus impur, c’est ◀la▶ bataille des intérêts, des orgueils et des appétits. Selon leur tempérament, ◀les▶ uns s’en détournent avec dégoût et font ◀de▶ ◀la▶ littérature ou du commerce, ◀les▶ autres s’y abandonnent avec délices et deviennent ces êtres absurdes et maléfiques qu’on nomme des politiciens, ou ces espèces ◀d’▶obsédés maniaques qu’on nomme des vieux militants. — On nous dira aussi : vous n’êtes que des intellectuels…
À ceux qui nous diront cela, je demande :
1° Est-ce une raison, parce que personne au monde n’a jamais mené une vie parfaitement morale, pour renoncer à affirmer une morale ? Est-ce une raison, parce que ◀les▶ « politiques » pratiquées jusqu’ici avec ◀le▶ succès que ◀l’▶on sait, voir ◀la▶ crise présente, ont été fausses, malfaisantes, dégradantes, pour continuer ◀de▶ gaieté ◀de▶ cœur à ◀les▶ pratiquer, ou au contraire pour commettre cette espèce ◀de▶ suicide que nous recommandent ◀les▶ clercs purs ?
Oui ou non, sommes-nous en pleine crise ? Oui ou non, cette crise couronne-t-elle ◀la▶ « politique » des « réalistes » ?
Nous nous adressons à ceux qui veulent en sortir, et non pas aux syndics ◀de▶ faillites, ni aux faillis qui se réjouissent ◀de▶ ◀l’▶être.
2° Nous sommes « intellectuels », certes, dans ce sens que nous voulons nous servir aussi ◀de▶ notre intelligence pour travailler à mettre en marche un ordre neuf.
Quant à ceux qui nous reprocheraient ◀d’▶être ce qu’on appelle « ◀de▶ purs intellectuels », c’est-à-dire des êtres ignorants des conditions concrètes ◀de▶ ◀la▶ vie actuelle, nous ◀les▶ invitons cordialement à participer à notre prochaine expérience ◀de▶ service civil : remplacer un manœuvre dans une usine pendant 15 jours, et lui assurer ainsi des vacances payées, tout en contribuant à ◀l’▶élaboration ◀d’▶un nouveau régime du travail, voilà l’un des aspects ◀de▶ notre « intellectualisme » !
En vérité, il serait temps que ◀les▶ hommes, doués ◀de▶ raison, qui s’intéressent au sort de ◀la▶ cité, reconnaissent ◀l’▶évidence suivante : ◀la▶ cause profonde ◀de▶ ◀la▶ crise mondiale n’est autre que ◀la▶ bêtise des « réalistes » et ◀de▶ leurs politiciens. Bêtise qui se traduit d’une part par un attachement borné aux seuls intérêts immédiats — ◀les▶ capitalistes n’ont pas vu plus loin que ◀le▶ bout ◀de▶ leur nez — d’autre part par une effrayante absence ◀d’▶imagination — ◀d’▶où ◀l’▶étroitesse, ◀la▶ timidité, ◀la▶ puérilité des réformes que ◀l’▶on nous propose à gauche et à droite.
Nous dirons, encore plus simplement, à ceux qui nous reprochent ◀de▶ vouloir une politique vraie, et même intelligente : — Continuez donc ! Militez dans ◀le▶ front populaire ou ◀le▶ front national ! Faites ◀de▶ ◀la▶ « politique » en dépit de toute dignité humaine et ◀de▶ toute réalité européenne et mondiale. Si vous aimez ça, restez dedans. Mais alors, ne vous plaignez plus. Et si notre mariée vous paraît trop belle, nous ◀la▶ réserverons pour une nouvelle jeunesse.
Mais si vous n’aimez pas ça, si vous voulez en sortir, réfléchissez, examinez notre doctrine. Et ne vous contentez pas ◀de▶ traiter ◀de▶ « fascistes » des hommes qui veulent subordonner ◀l’▶État aux libertés — ce qui est ◀l’▶inverse ◀de▶ ◀l’▶effort fasciste — ni ◀de▶ communistes des hommes qui veulent ◀la▶ liberté ◀de▶ ◀l’▶esprit.
◀Les▶ grandes politiques naissent ◀de▶ grandes visions, ◀d’▶utopies créatrices, ◀d’▶idéaux jaillis des profondeurs ◀de▶ ◀l’▶homme et ◀d’▶une large considération des réalités mondiales. Elles ne sont pas ◀le▶ fait des petits calculateurs locaux, des comitards, des techniciens électoraux, des requins ◀d’▶affaires ou des vieux routiers du parlementarisme. Et encore moins ◀de▶ chefs ◀de▶ partis aveuglés par ◀les▶ intérêts peut-être valables, mais limités et provisoires, ◀de▶ leurs électeurs.
Plusieurs puissances pratiquent dans ◀le▶ monde ◀d’▶aujourd’hui ◀de▶ grandes politiques et même des politiques démesurées. Que va faire ◀la▶ France dans ce monde ? Quelle est sa mission, sa raison ◀d’▶être, sa raison ◀de▶ subsister et ◀de▶ créer ? A-t-elle une politique intérieure qui corresponde au rôle que ◀les▶ autres puissances ◀la▶ mettent au défi ◀de▶ jouer ? A-t-elle une conception ◀de▶ ◀l’▶homme qui lui soit propre, et qu’elle puisse opposer victorieusement aux conceptions nouvelles ou rétrogrades que ◀les▶ autres puissances exaltent ?
Toutes ces questions sont des questions ◀de▶ vie ou ◀de▶ mort pour ◀l’▶ensemble ◀de▶ ◀la▶ nation. Ceux qui leur donneront une réponse efficace, donneront du même coup un but commun aux efforts ◀de▶ tous ◀les▶ citoyens, par-dessus ◀les▶ partis et leurs pauvres vieilles idéologies. C’est-à-dire qu’ils donneront enfin une base, une perspective et un avenir commun à ◀la▶ politique, à ◀la▶ culture, à toutes ◀les▶ forces créatrices ◀de▶ ce pays.
(paru dans L’Ordre nouveau , 1936.)