Demain l’▶Europe ! — Pâques européennes (18 avril 1949)
On nous avait promis un très bel œuf ◀de▶ Pâques pour cette année. On nous avait laissés entendre que ◀les▶ statuts ◀de▶ ◀l’▶Assemblée européenne seraient terminés ces jours-ci, à Londres. Il eût été bien beau ◀de▶ faire coïncider ◀l’▶annonce du renouveau européen avec ◀la▶ fête ◀de▶ ◀la▶ Résurrection. Mais rien n’est venu jusqu’ici. Eh bien, si ce n’est pas pour Pâques, ce sera donc pour ◀la▶ Trinité ! — et cela ne veut pas dire, comme dans ◀la▶ chanson, que nous ne verrons jamais rien venir : car ◀l’▶élan est donné, ◀le▶ mouvement est en marche, et plus rien ne peut ◀l’▶arrêter. Nous aurons certainement ◀le▶ Conseil de l’Europe, et ◀l’▶Assemblée consultative. Certainement, ◀l’▶Europe va se faire. ◀La▶ seule question qui se pose encore, c’est ◀de▶ savoir comment elle se fera.
Peut-être n’est-il pas mauvais que ◀la▶ conférence des 10 ambassadeurs, à Londres, prenne son temps. Il y a deux semaines, elle faisait bon accueil aux propositions détaillées que ◀les▶ délégués ◀de▶ notre Mouvement lui soumettaient. Nous savons qu’elle ◀les▶ étudie. Puisse-t-elle se laisser inspirer par ce temps ◀de▶ Pâques et ◀les▶ vacances, et puisse-t-elle prendre non seulement son temps, mais aussi ◀les▶ distances nécessaires pour mieux voir ◀le▶ problème dans son ensemble, loin des détails et des difficultés techniques, — pour méditer, dans ◀la▶ campagne anglaise… J’y pensais hier, dans mon jardin, tout en cherchant des œufs ◀de▶ Pâques avec mes enfants, et je me disais : tout dépend ◀d’▶une seule chose, — ◀l’▶avenir ◀de▶ ces enfants et celui ◀de▶ nos pays, tout dépend ◀d’▶une seule chose, qui est celle-ci : ◀les▶ hommes d’État chargés ◀de▶ faire ◀l’▶Europe auront-ils ◀la▶ vision nécessaire ?
Il y a peu de grandes visions dans notre temps. ◀Le▶ souci des intérêts immédiats et surtout ◀la▶ peur ◀de▶ ◀la▶ guerre nous empêchent trop souvent ◀de▶ voir loin, ◀de▶ voir grand, ◀d’▶imaginer vraiment ◀la▶ paix, ◀la▶ paix vivante et passionnante qui reste encore possible, et qui dépend ◀de▶ nous. Il y a très peu de grandes visions. J’en connais trois.
Il y a celle du jeune Garry Davis. Elle est très vaste, mais aussi très vague. Il se promène ces jours-ci dans ◀les▶ rues et cafés ◀de▶ Paris, avec un gros livre sous ◀le▶ bras, quêtant ◀la▶ signature des amis ◀de▶ ◀la▶ paix. Il a déchiré son passeport, et quelques écrivains lui ont donné ◀l’▶appui ◀de▶ leurs noms célèbres, mais sans rien déchirer du tout. Il est sympathique et très pur. Il rêve ◀d’▶une assemblée mondiale et ◀d’▶un gouvernement unique pour toute ◀la▶ terre.
Mais ◀les▶ Russes ont aussi leur vision, leur idée ◀de▶ ◀l’▶unité du monde sous ◀les▶ auspices du Kominform et ◀de▶ ◀l’▶épuration permanente, — et ceci tue cela, ce n’est pas notre faute, ni ◀la▶ faute de Garry Davis…
Il y a enfin une troisième vision, celle ◀de▶ ◀l’▶Europe fédérée. Elle est moins vaste, en vérité que celle du jeune Américain, mais à cause de cela même, elle est plus claire et proche.
Je voudrais ◀l’▶appeler aujourd’hui ◀la▶ vision du beau temps européen, ◀la▶ vision ◀d’▶un printemps ◀de▶ ◀l’▶Europe où ◀les▶ frontières et ◀les▶ barrières entre nos peuples fondraient comme neige sous ◀le▶ soleil ◀d’▶avril. Imaginez ce grand jardin ◀de▶ ◀l’▶Europe où vous pourriez circuler librement sans passeports ni visas, sans restrictions ◀de▶ devises, sans anxiétés mesquines, avec seulement votre curiosité pour tant de beautés antiques et nouvelles, votre fraternité pour tant de peuples différents et si proches, — comme vous circulez aujourd’hui ◀d’▶un canton à l’autre de ◀la▶ Suisse. Imaginez cette Europe grande ouverte où ◀les▶ nations ne disparaîtraient pas davantage que nos cantons n’ont disparu en se fédérant, mais où ◀les▶ guerres entre nations deviendraient aussi impossibles que ◀la▶ guerre entre nos cantons.
Imaginez ensuite cette grande Europe aussi décidée que ◀la▶ Suisse à ne faire ◀la▶ guerre à personne, mais à défendre ◀d’▶un seul cœur son indépendance reconquise. Cette Europe inventant ◀la▶ paix, ◀l’▶imposant au besoin par ◀la▶ force tranquille ◀de▶ sa masse, ◀de▶ ses 300 millions ◀d’▶habitants rassemblés, rendus par leur union à une prospérité qui, selon certains économistes, pourrait multiplier par 3 ◀les▶ standards ◀de▶ ◀la▶ vie matérielle.
Paix, liberté, prospérité, tels ont été ◀les▶ grands motifs ◀de▶ toutes ◀les▶ confédérations qui ont vu ◀le▶ jour, au cours des siècles, et vous savez comment ◀la▶ Suisse a su atteindre ces 3 buts, en se fédérant, il y a 100 ans.
Si ◀l’▶on a bien vu cet enjeu, ◀la▶ possibilité ◀de▶ ◀le▶ gagner, et ◀la▶ nécessité ◀de▶ ◀le▶ gagner ◀d’▶urgence, non seulement pour nous en Europe, mais pour ◀la▶ paix du monde entier, alors ◀le▶ principal est fait. Et si ◀les▶ 10 ambassadeurs à Londres ont bien vu cela, ils ne se laisseront plus arrêter par ◀les▶ chicanes techniques et ◀les▶ experts.
Tout dépend ◀de▶ ◀la▶ vision qu’ils en auront.
Il n’est point ◀d’▶ordre politique qui serve ◀l’▶homme, s’il n’est orienté dès ◀le▶ départ par une vision libératrice, et fascinante. ◀L’▶Europe se fera, parce qu’une équipe ◀de▶ véritables résistants — ceux qui résistent à ◀la▶ fatalité — ◀l’▶auront vue et marcheront vers elle. Il se peut que ◀la▶ vision qui ◀les▶ guide cache une réalité finale qui ◀les▶ surprenne. Christophe Colomb voyait ◀les▶ Indes, on nommait ainsi sa vision. Centre vents et marées, contre tous ◀les▶ experts ◀de▶ son époque, il se mit en route pour ◀la▶ joindre, et c’est ainsi qu’il trouva ◀l’▶Amérique. Mais nous, quel continent nouveau allons-nous aborder demain ? Se peut-il que ce soit tout simplement ◀l’▶Europe, redécouverte à ◀la▶ faveur ◀de▶ son union ? Une Europe rajeunie qui deviendrait soudain, pour nos yeux étonnés, ◀la Terre promise !