Demain l’▶Europe ! — ◀L’▶URSS et ◀l’▶Europe fédérée (2 mai 1949)
Chers auditeurs, si tous ◀les▶ lundis soirs je reviens vous parler ◀de▶ ◀l’▶Europe et des problèmes variés que pose son union, c’est parce que je suis convaincu que cette union fédérative est l’une des conditions ◀de▶ ◀la▶ paix, et sans doute sa première condition. Quand tout le monde aura compris cela, je me tairai ou bien je vous parlerai ◀de▶ littérature. Mais ◀la▶ question ◀de▶ ◀la▶ paix et ◀de▶ ◀la▶ guerre prime tout, dans ◀le▶ monde ◀d’▶aujourd’hui. Courons donc au plus pressé, et parlons ◀de▶ ◀la▶ paix. Ou plutôt non ! ne parlons pas ◀de▶ ◀la▶ paix — assez ◀de▶ congrès bavardent à son sujet — mais essayons ◀de▶ faire quelque chose ◀de▶ précis pour ◀l’▶établir. Pratiquement, je propose ◀de▶ faire ◀l’▶Europe.
Cette attitude me paraît claire et nette. Elle inquiète, cependant, un certain nombre ◀de▶ personnes, dont je ne mets pas en doute ◀l’▶entière bonne foi. Ces personnes ont ◀la▶ grande obligeance ◀de▶ m’apprendre qu’il existe un certain rideau ◀de▶ fer, que ce rideau coupe ◀l’▶Europe en deux, et que, dans ces conditions, toute tentative ◀de▶ fédérer ◀l’▶Europe est vouée, dès ◀le▶ départ, à ◀l’▶échec. Sur quoi d’autres ajoutent, ◀d’▶un ton excité, que ◀la▶ fédération européenne, loin ◀d’▶être un élément ◀de▶ paix, ne serait en réalité qu’une machine ◀de▶ guerre, car, assurent ces personnes : « Vous êtes en train de faire ◀l’▶Europe avec Churchill contre ◀les▶ Russes ! »
Je répondrai ce soir à ces deux objections.
Tout d’abord, est-il bien exact ◀d’▶affirmer que ◀le▶ rideau ◀de▶ fer coupe notre Europe en deux, par ◀le▶ milieu ? Rappelons ◀les▶ chiffres : ◀de▶ notre côté du rideau, nous sommes 300 millions. Du côté Est, 105 millions seulement, même en comptant ◀les▶ Yougoslaves et Tito pour ◀la▶ bonne mesure. ◀Les▶ pays ◀de▶ ◀l’▶Est ne forment donc au plus qu’un quart ◀de▶ ◀l’▶Europe. Habité en majorité par une population agraire, dont chacun sait qu’elle n’est pas ◀la▶ plus évoluée du continent, au point de vue politique et civique, comme au point de vue ◀de▶ ◀l’▶industrie et ◀de▶ ◀la▶ culture. Ce qui ne signifie pas que nous devons ◀la▶ négliger, bien entendu, mais simplement qu’elle est très loin de représenter comme on ◀le▶ répète — tant par ◀le▶ niveau de vie que par ◀la▶ quantité — ◀la▶ moitié ◀de▶ ◀l’▶Europe.
Ensuite, je rappellerai que ce n’est pas nous qui avons tiré ◀le▶ fameux rideau. Et ce ne sont pas non plus ◀les▶ peuples des pays ◀de▶ ◀l’▶Est. Mais ce sont ◀les▶ chefs staliniens, partout où ils ont pu s’emparer du pouvoir. S’ils ont jugé bon ◀d’▶amputer notre Europe, provisoirement, ◀d’▶un quart ◀de▶ sa population, ce n’est pas une raison, bien au contraire, pour que nous renoncions à fédérer ◀le▶ reste, en attendant. Autrement, nous y passerons tous.
Il est donc vrai que ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Europe est en partie une mesure ◀de▶ défense contre ◀l’▶expansion russe, ou plus exactement contre ◀la▶ dictature stalinienne.
Mais là où nos critiques vont… un peu fort, c’est lorsqu’ils croient ou essayent ◀de▶ faire croire, que cette mesure ◀de▶ légitime défense cache un plan ◀d’▶agression contre ◀l’▶URSS. Où est ◀la▶ vraisemblance ◀d’▶une telle accusation ? On se borne à ◀la▶ répéter, sans avancer ◀l’▶ombre ◀d’▶une preuve. Un auteur communiste m’écrivait l’autre jour qu’à son avis, toute fédération régionale — comme ◀la▶ fédération européenne — représente nécessairement une coalition belliqueuse et une menace pour ◀la▶ paix. D’ailleurs, ajoutait-il avec candeur, un peu plus loin, ◀la▶ seule vraie fédération qui se soit constituée ◀de▶ nos jours, c’est celle qui groupe toutes ◀les▶ Russies dans ◀la▶ république des Soviets.
Tout le monde verra que ce raisonnement se retourne contre ◀les▶ Soviets, tout le monde, sauf son auteur : car à ses yeux quand ◀les▶ Russes se fédèrent, c’est pour ◀la▶ paix ; mais si d’autres en font autant, c’est pour ◀la▶ guerre.
Il est donc parfaitement inutile ◀de▶ poursuivre cette discussion, et ◀de▶ perdre à ces petits jeux-là un temps que ◀l’▶on peut employer pour faire ◀la▶ paix autrement qu’en paroles. Que ◀les▶ Russes et leurs communistes organisent des congrès ◀de▶ colombes, qu’ils y réclament ◀la▶ paix sur tous ◀les▶ tons, y compris ◀le▶ ton des injures, nous n’y voyons aucun inconvénient. Qu’ils parlent ◀de▶ ◀la▶ paix, pourvu qu’ils nous ◀la▶ laissent ! ◀L’▶Europe que nous voulons, libre et indépendante, ne peut faire peur qu’à ceux qui n’ont pas bonne conscience, qu’à ceux qui rêvent ◀de▶ nous forcer un jour à subir un régime policier dont nous n’avons ici ni ◀l’▶envie ni ◀le▶ besoin.
Qu’ils se rassurent pourtant : ◀l’▶Europe que nous faisons ne leur imposera qu’une seule chose — qu’ils ◀la▶ désirent ou non — et c’est ◀la▶ paix.
Je n’ai pas donné mes prévisions du temps depuis 15 jours, et je ◀le▶ regrette, car j’aurais dû faire souvenir du vieux proverbe : « En avril, n’ôte pas un fil ! » ◀Le▶ printemps n’a fait mine ◀d’▶entrer, et ◀le▶ rideau ◀de▶ fer ◀de▶ se soulever à Berlin, que pour laisser passer un flot ◀d’▶air froid. Durant ◀la▶ semaine qui vient, restons prudents. Cependant ◀le▶ brouillard va se dissiper enfin sur Londres : ◀la▶ presse du monde entier, dans quelques jours, publiera ◀les▶ statuts du Conseil de l’Europe et ◀de▶ ◀l’▶Assemblée consultative. À Berne, on reste calme, mais un peu plus chaud : ◀le▶ Conseil suisse pour ◀le▶ Mouvement européen vient en effet ◀de se constituer aujourd’hui même. Je vous en parlerai lundi prochain.