Demain l’▶Europe ! — ◀Les▶ suites ◀de▶ Strasbourg (28 novembre 1949)
Chers auditeurs,
Mes trois dernières chroniques ont été consacrées à ◀l’▶examen ◀de▶ ◀la▶ position ◀de▶ ◀la▶ Suisse à l’égard du Conseil de l’Europe. Il était sans doute nécessaire ◀d’▶aborder franchement cette question, et ◀les▶ lettres que j’ai reçues me ◀l’▶ont abondamment confirmé. Cependant, quel que soit ◀l’▶intérêt — pour nous brûlant — ◀de▶ notre situation particulière — et je me permets ◀de▶ remarquer en passant que chacun ◀de▶ nos pays européens estime sa situation particulière, et digne ◀d’▶attentions spéciales ! — ◀le▶ monde a continué ◀de▶ tourner pendant ce temps-là, et ◀les▶ événements ◀de▶ se suivre, et il est temps, je crois, ◀de▶ résumer rapidement ◀les▶ développements récents ◀de▶ notre aventure européenne.
Je ne sais si vous aurez remarqué qu’il n’est plus possible ◀d’▶ouvrir un journal, depuis quelques semaines, sans y trouver un article, une dépêche, un écho, ou des allusions éditoriales, mentionnant ◀le▶ Conseil de l’Europe et ◀l’▶Assemblée de Strasbourg. Je ne parle pas seulement ◀de▶ notre presse suisse, mais aussi ◀de▶ ◀la▶ presse française, britannique, belge, allemande, et même ◀de▶ ◀la▶ presse ◀d’▶outre-Atlantique. Qu’il soit question ◀de▶ ◀l’▶aide économique américaine, ou du problème allemand, ou ◀de▶ ◀l’▶attitude si controversée des Britanniques, on a pris ◀l’▶habitude ◀de▶ se référer à Strasbourg ; Strasbourg est devenu un point ◀de▶ repère, et je dirai même un symbole. J’entendais l’autre soir ◀la▶ radio française annoncer que M. Robert Schuman venait ◀d’▶interrompre ◀les▶ débats ◀de▶ politique étrangère, à ◀la▶ Chambre, pour déclarer que son gouvernement, à ◀la▶ suite des accords passés ◀le▶ jour même avec ◀l’▶Allemagne, était prêt à soutenir ◀l’▶admission ◀de▶ ce pays dans ◀le▶ Conseil de l’Europe. Certes, ◀la▶ nouvelle était importante, quoique prévue. Mais ce qui m’a frappé, c’était ◀de▶ constater que ◀le▶ Conseil de l’Europe est désormais devenu une pièce considérable sur ◀l’▶échiquier ◀de▶ ◀la▶ politique des grandes nations, et que ◀la▶ chose a même ◀l’▶air ◀d’▶aller de soi. Et pourtant, si je me reporte à notre congrès ◀de▶ La Haye, il y a un an et demi, quel chemin parcouru ! Alors, ◀les▶ quelques fédéralistes qui osaient lancer ◀l’▶idée ◀d’▶une Assemblée consultative et ◀d’▶un Conseil de l’Europe, passaient pour des excités totalement dépourvus du sens des réalités politiques. Et c’était, je ◀le▶ répète, il y a un an et demi. « Pour aller trop vite en besogne, au mépris des méthodes éprouvées — nous disait-on ◀d’▶un air pompeux et doctoral — vous allez compromettre une cause généreuse », — et ceux qui nous parlaient ainsi pensaient évidemment : une cause pas sérieuse, une cause à laquelle je ne crois pas un instant. Ainsi va ◀le▶ monde. Il n’irait pas bien loin si ◀l’▶on en croyait ◀la▶ sagesse ◀de▶ certains éditorialistes, et leur goût des méthodes soi-disant « éprouvées », mais dont ◀l’▶histoire se moque sans pitié, et ◀la▶ preuve : c’est que notre utopie du mois ◀de▶ mai 1948, ◀le▶ Conseil de l’Europe, existe bel et bien, et que ◀l’▶Assemblée a déjà fait du bon travail, au cours de sa première session.
Mais, direz-vous, quelles sont ◀les▶ suites pratiques qu’on peut attendre des délibérations ◀de▶ Strasbourg ? ◀La▶ réponse n’est pas compliquée. ◀Les▶ suites pratiques ne peuvent être données que par ◀les▶ gouvernements, ◀l’▶Assemblée n’ayant pour ◀le▶ moment ◀d’▶autre pouvoir que celui ◀de▶ proposer, tandis que ◀les▶ États disposent. Or ◀les▶ États se font tirer ◀l’▶oreille, pour dire ◀le▶ moins. On s’y attendait.
Ils se sont résignés à faire quelque chose dans ◀le▶ sens ◀d’▶une union économique, au conseil ◀de▶ ◀l’▶OECE, lorsque M. Hoffman, directeur du plan Marshall, ◀les▶ y a fermement invités, mais dès qu’ils se sont retrouvés seuls et entre eux, au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, on peut dire qu’ils ont pris leur revanche ! ◀Le▶ fait est là : presque toutes ◀les▶ recommandations ◀de▶ ◀l’▶Assemblée de Strasbourg ont été soit refusées par ◀les▶ 13 ministres, soit renvoyées pour supplément ◀d’▶études à divers organismes plus ou moins somnolents, ou mal disposés. En particulier, ◀le▶ Comité des ministres s’est opposé à ◀la▶ convocation ◀de▶ commissions permanentes ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, travaillant entre ◀les▶ sessions.
Mais ◀la▶ riposte ◀de▶ ◀l’▶Assemblée ne s’est pas fait attendre. Au lendemain ◀de▶ ◀la▶ publication des décisions toutes négatives du du comité ministériel, M. Paul Reynaud annonçait tranquillement que, pour sa part, il convoquait ◀la▶ commission économique, dont il est ◀le▶ président. Et ◀la▶ commission permanente ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, qu’anime et préside M. Spaak, a fait entendre qu’elle ne comptait pas un instant se laisser arrêter ou intimider par ◀les▶ vetos des 13 ministres.
C’est donc à une épreuve ◀de▶ force entre ◀l’▶Assemblée et ◀le▶ Comité des ministres que nous assistons actuellement. Je vous invite à parier pour ◀l’▶Assemblée. Et j’ai pour cela trois raisons.
Je pense que ◀l’▶Assemblée gagnera ◀la▶ partie à ◀l’▶usure, parce que celui qui sait ce qu’il veut gagne toujours, à la longue, contre celui qui sait seulement ce qu’il ne veut pas. Je pense ensuite que ◀l’▶Assemblée gagnera grâce à ◀l’▶appui des parlements nationaux, qui ◀l’▶ont nommée, et dont ◀les▶ ministres dépendent. Je pense enfin que ◀l’▶Assemblée gagnera parce qu’elle aura, de plus en plus, ◀l’▶appui ◀de▶ ◀l’▶opinion publique européenne.
Vous ◀le▶ voyez : j’en reviens toujours à ◀l’▶opinion, car c’est ◀la▶ force principale ◀de▶ nos libres démocraties. Et si je n’y croyais pas, je ne vous parlerais pas.
◀Les▶ ministres ne pourront rien, M. Bevin lui-même ne pourra plus dire : « No ! » comme M. Vichinsky dit « Niet ! », ◀le▶ jour où ◀l’▶opinion en chœur clamera : « Oui, nous voulons ◀l’▶Europe unie ! » C’est à ◀la▶ formation ◀de▶ cette opinion, et au réveil du sentiment européen que ◀les▶ fédéralistes voueront tous leurs efforts pendant ◀les▶ mois qui viennent. À Lausanne, en décembre — du 8 au 12 décembre exactement — , va se tenir, sous ◀les▶ auspices du Mouvement européen, une Conférence européenne ◀de▶ ◀la▶ culture. Je vous dirai, lundi prochain, comment cette manifestation peut contribuer, et ◀d’▶une manière peut-être décisive, au réveil nécessaire ◀de▶ ◀la▶ conscience européenne. Et je vous dirai ◀les▶ deux ou trois raisons précises qui font que je suis certain qu’au mois ◀de▶ décembre, on parlera dans ◀le▶ monde entier ◀de▶ ce qui sera dit et décidé dans ◀la capitale vaudoise.
Au revoir, à lundi prochain !