Demain l’Europe ! — Un tiers-ordre européen (30 janvier 1950)
Chers auditeurs,
J’ai reçu l’autre jour une modeste brochure d’▶une douzaine ◀de▶ pages, qui ne portait pas ◀de▶ titre, et qui était signée Daniel Villey, professeur ◀de▶ droit à Poitiers. Cette brochure était un appel adressé aux jeunes gens ◀de▶ France. Elle m’a ému plus que tout autre chose que j’aie pu lire depuis longtemps. Je voudrais vous la lire tout entière. Faute ◀de▶ temps je me bornerai à vous en citer des extraits, — et tout d’abord je vous dirai le peu que je sais ◀de▶ son auteur : il n’est pas inutile ◀de▶ le situer, pour vous faire mieux comprendre la portée ◀de▶ son geste, le simple et beau courage que son acte révèle.
Daniel Villey doit avoir aujourd’hui 35 ans tout au plus. Je l’avais rencontré, à Paris, dans les petits groupes personnalistes qui lançaient la revue Esprit , vers 1935 je pense. Je me souviens ◀d’▶un très jeune homme, ◀d’▶un visage bien arrondi, à l’expression attentive, presque candide, ◀d’▶un esprit vif et scrupuleux tout à la fois. Le contraire ◀de▶ l’image courante du meneur ◀d’▶hommes, du jeune chef impatient ◀de▶ s’affirmer. Et puis la guerre est venue, nos chemins ne se sont plus croisés, le jeune Daniel Villey est devenu professeur et père ◀de▶ 5 ou 6 enfants. Écoutez maintenant ce qu’il nous dit, ◀d’▶une voix calme et tout unie, cette voix tranquille ◀de▶ ceux qui ont pris leur décision, et que l’on peut croire.
Tout d’abord, il a interrogé ses étudiants ◀de▶ la faculté ◀de▶ Poitiers, et il les a trouvés indifférents, désabusés, et résignés au pire, c’est-à-dire à la guerre qu’ils jugent inévitable, au communisme, aux camps ◀de▶ concentration. Nous n’y pouvons rien, déclarent-ils. Travaillons dignement, en attendant les catastrophes. Nos cris ou notre action n’y sauraient rien changer.
Est-ce bien vrai ? s’est demandé le jeune professeur ? Ce découragement est-il fondé, ou bien ne serait-il pas une sorte ◀de▶ maladie morale, qu’un espoir neuf pourrait guérir ? L’Europe, avec son potentiel immense ◀de▶ ressources humaines et techniques ne peut-elle pas encore se sauver, et tout sauver si elle s’unit ? Mais que faire, par où commencer ? Peut-être n’avons-nous pas plus ◀de▶ deux ans pour nous unir, ou pour périr. Et voici, nous dit-il modestement voici « ce qui m’est venu à l’idée ». Ici je vais citer ses propres phrases :
Un certain nombre ◀de▶ jeunes gens et ◀de▶ jeunes filles (une dizaine par exemple pour commencer, une centaine si possible au bout de quelques semaines, pas nécessairement davantage) décideront ◀de▶ donner non pas deux ans ◀de▶ leur ◀vie▶, mais toute leur ◀vie▶ pendant deux ans — au service ◀de▶ l’Europe unie.
Je crois à la vertu ◀de▶ la ◀vie▶ donnée… Une ◀vie▶ donnée est un témoignage et en a la force. Ces jeunes se lieront jusqu’au 1er janvier 1952 par une promesse… Cette promesse les obligera à se consacrer entièrement et exclusivement à l’Europe, jusqu’à son expiration ou sa révocation. Ils devront interrompre leurs études ou leur carrière professionnelle. Ils recevront en principe ◀de▶ l’organisation une mensualité pour subvenir à leurs besoins en menant la ◀vie▶ pauvre qui convient à leur engagement… Il est souhaitable que tous soient — et demeurent pendant deux ans — célibataires. (Quiconque a la charge d’autres ◀vies▶ que la sienne ne peut se moquer ◀de▶ l’argent ni ◀de▶ sa carrière…) Ils s’engageront à obéir avec la plus exigeante discipline aux ordres du chef ◀de▶ l’organisation. J’assumerai ce rôle jusqu’à ce que se révèle un chef plus digne et plus apte… L’organisation sera au service des objectifs définis par le Mouvement européen, dont elle demeurera distincte, mais comme une avant-garde, comme un corps franc.
J’interromps ici mes citations. Vous avez tous compris, je pense, ce que Daniel Villey va faire : en demandant à quelques jeunes gens ◀de▶ consacrer deux ans ◀de▶ leur ◀vie▶ à une action précise pour l’Europe, dans la pauvreté, le célibat et l’obéissance, il fonde un ordre. Ce sont les ordres qui ont créé la civilisation ◀de▶ l’Occident. Lui-même quittera sa chaire ◀de▶ professeur. Et tous ensemble, ou deux par deux, ils s’en iront par les villages et par les villes, expliquer, travailler, convaincre. Il ne s’agit plus ◀de▶ groupes ◀d’▶études, ◀de▶ discussions intéressantes, ◀de▶ comités ou ◀de▶ manifestes. Il s’agit ◀d’▶une croisade. Il s’agit ◀d’▶un grand risque.
À tous les jeunes, dit encore Daniel Villey, je demande ◀de▶ sonder leur cœur et ◀de▶ le soupeser. Je leur propose un risque et un sacrifice. Excède-t-il leur générosité ? Deux ans ◀d’▶interruption dans vos études ou votre carrière, est-ce vraiment plus que vous ne pouvez donner ? Tant de vos aînés ont, à votre âge, été mobilisés, prisonniers, volontaires dans la Résistance, déportés plus longtemps que cela… Même humainement, c’est bien souvent que l’on sauve sa ◀vie▶ en consentant à la perdre. Pensez à la tâche exaltante qui s’offre à vous. À la chaleur ◀de▶ l’amitié qui vous unira à vos compagnons ◀de▶ lutte. À la reconnaissance ◀de▶ tous les humbles qui mettront en vous leur espoir. Et que le témoignage ◀de▶ quelques ◀vies▶ peut, à toute une génération, rendre ◀de▶ l’espoir, ◀de▶ l’enthousiasme, ◀de▶ la ferveur… Pensez qu’il n’y a pas ◀d’▶exemple qu’une grande entreprise n’ait conduit à ◀de▶ grandes choses… Pensez à Jeanne d’Arc. Songez qu’il y a aujourd’hui grande pitié sur la terre ◀d’▶Europe. Voulez-vous, comme Jeanne, quitter vos moutons, chevaucher sur les routes, relever une cause qui semble désespérée ? Vous donner ◀de▶ tout votre être à une tâche très précise et très concrète, humblement temporelle (comme la délivrance ◀d’▶Orléans) et la poursuivre ◀de▶ toutes vos forces par les moyens les plus réalistes. Relisez l’histoire ◀de▶ Jeanne d’Arc, et écoutez ce qu’elle vous dira. J’attends votre réponse, et je vous attends.
Chers auditeurs, je ne veux rien ajouter à cet appel noble et direct. Pour les détails pratiques, je vous renvoie à la brochure ◀de▶ Daniel Villey. S’il se trouve parmi vous quelques jeunes gens ou jeunes filles qui ont entendu cet appel dans leur cœur, qu’ils m’envoient simplement leur nom et leur adresse. Ils recevront cette modeste brochure qui peut les faire entrer demain dans la grande aventure ◀de▶ notre temps et ◀de▶ leur ◀vie.
Au revoir, à lundi prochain.