Demain l’▶Europe ! — ◀De▶ ◀l’▶Europe au monde (20 mars 1950)
Chers auditeurs,
Je suis frappé — et très reconnaissant — ◀de▶ constater que ◀les▶ lettres que vous m’envoyez sont pour ◀la▶ grande majorité des messages ◀d’▶adhésion, ou tout au moins ◀d’▶approbation. Quant aux critiques que certains formulent, et que je lis avec intérêt, je ◀les▶ répartis en deux classes : ◀les▶ uns reprochent au Mouvement européen ◀d’▶aller trop vite en besogne ou ◀de▶ viser trop loin ; d’autres pensent au contraire que nous venons trop tard : il faut vouloir ◀le▶ monde entier, pour ◀le▶ moins 2 ou 3 continents. C’est ce dernier point de vue que je voudrais examiner ce soir.
◀Le▶ terme ◀de▶ fédéralisme désigne en fait plusieurs grands mouvements qui ne diffèrent au fond que par ◀l’▶ordre ◀de▶ grandeur ◀de▶ leurs ambitions immédiates.
◀Les▶ fédéralistes européens sont, si vous ◀le▶ voulez bien, ◀les▶ moins gourmands : ils seraient contents ◀d’▶unir pour commencer ◀les▶ quelque 20 pays ◀de▶ notre continent déchiré. Quant aux fédéralistes mondiaux, disciples ou prédécesseurs ◀de▶ Garry Davis, ils vont tout de suite aussi loin que possible : rien ◀d’▶autre que ◀la▶ Terre entière ne saurait satisfaire leur appétit. On a parfois ◀l’▶impression que s’ils apprenaient que ◀la▶ planète Mars est habitée, ils songeraient à lui proposer sans retard un parlement commun et des échanges ◀d’▶étudiants pendant ◀les▶ vacances.
Entre ces deux extrêmes vient ◀d’▶apparaître une troisième tendance : celle des fédéralistes atlantiques. Ceux-ci estiment, à tort ou à raison, que ◀l’▶Europe est déjà trop petite pour constituer un ensemble viable, mais que ◀le▶ rêve des mondialistes n’est qu’un rêve, puisque ◀les▶ Russes et tous leurs satellites, auxquels vient de se joindre ◀la▶ Chine, refusent absolument et avec colère ◀l’▶idée ◀d’▶un gouvernement mondial. Ils proposent donc ◀la▶ création ◀d’▶une union fédérale des peuples libres, union qui engloberait ◀les▶ pays ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀le▶ Canada et ◀les▶ États-Unis.
Il me paraît utile ◀de▶ fixer rapidement ◀la▶ position ◀de▶ notre Mouvement européen devant ces deux tendances, ◀la▶ mondialiste et ◀l’▶atlantique, afin d’éviter, s’il se peut, que des oppositions artificielles ou des malentendus fâcheux ne se créent dans ◀l’▶opinion publique, ou même parmi ◀les▶ militants européens.
◀Les▶ fédéralistes européens ont adopté dès ◀le▶ début ◀de▶ leur campagne ◀le▶ slogan suivant : ◀L’▶Europe une dans un monde uni. C’est dire qu’ils n’ont jamais voulu séparer, isoler ◀l’▶Europe ◀d’▶une plus vaste assemblée ◀de▶ peuples, et que bien au contraire, dans leur pensée, ◀l’▶Europe unie représenterait la première condition, mais nécessaire, ◀d’▶une organisation fédérale ◀de▶ ◀la▶ Terre. Je vous ◀le▶ répète ici depuis un an déjà : faire ◀l’▶Europe, c’est vouloir transformer notre fameux panier ◀de▶ crabes nationalistes, source ◀de▶ tant de guerres et ◀de▶ doctrines perverses, en un puissant facteur ◀d’▶équilibre et ◀de▶ paix, capable ◀de▶ prévenir ◀le▶ choc des deux empires qui se livrent à ◀la▶ guerre froide.
Mais un problème nouveau se trouve posé par deux initiatives récentes et retentissantes. D’une part, une cinquantaine ◀de▶ sénateurs et députés américains viennent de déposer une résolution demandant ◀l’▶union des États-Unis et ◀de▶ ◀l’▶Europe. D’autre part, ◀le▶ délégué ◀de▶ ◀la▶ France au comité militaire des Nations unies, ◀le▶ général Billotte, vient de démissionner avec éclat, afin de consacrer tous ses efforts à ◀la▶ constitution ◀de▶ cette même fédération atlantique. ◀La▶ presse française, et une partie ◀de▶ ◀la▶ presse suisse, ont fait écho, très largement, à ◀l’▶acte et aux déclarations courageuses et intelligentes ◀de▶ ce jeune général français. Que disent ◀les▶ sénateurs américains, et que dit ◀le▶ général Billotte ? Ils constatent que ◀l’▶Europe ne saurait être défendue, dans son état présent ◀de▶ désunion, que par ◀la▶ force américaine. Ils constatent également que notre économie ne peut survivre que par ◀le▶ plan Marshall. Ils concluent donc à ◀la▶ nécessité ◀de▶ compléter ◀l’▶alliance militaire et ◀les▶ mesures économiques par une vaste union politique, sans s’attarder à ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Europe seule. ◀L’▶étape européenne, disent-ils, est dépassée. Moi, je veux bien, je ne m’opposerai jamais à ◀l’▶élargissement ◀de▶ notre union. Mais j’ai deux remarques à faire, qui me semblent décisives.
Premièrement, pour que ◀l’▶Europe puisse s’unir à ◀l’▶Amérique, il faut qu’elle forme un tout, et qu’elle dispose ◀d’▶un gouvernement capable ◀d’▶engager tous ses peuples à la fois. Sinon, ce serait ◀l’▶alliance du pot ◀de▶ terre et du pot ◀de▶ fer, et nous serions réduits au rôle ◀de▶ satellites.
Deuxièmement, qui dit fédération dit respect des autonomies dans ◀le▶ cadre ◀de▶ ◀l’▶union. Pour sauver ◀l’▶autonomie spirituelle ◀de▶ ◀l’▶Europe, ses mœurs et son esprit et ses authentiques grandeurs, il nous faut tout d’abord lui restituer ◀le▶ droit ◀de▶ parler ◀d’▶égale à égale avec ses grands voisins. C’est là notre tâche primordiale, et personne n’osera dire qu’à cet égard, ◀l’▶étape européenne est dépassée : elle est ◀l’▶étape ◀de▶ ◀la▶ restauration ◀d’▶une civilisation, et par elle, ◀de▶ ◀l’▶homme même. Je suis heureux ◀de▶ vous dire que ces deux objections, que j’ai pu faire valoir ces derniers jours auprès des porte-parole ◀de▶ ◀l’▶union atlantique, sont prises on considération ◀de▶ ◀la▶ manière ◀la▶ plus sérieuse. Beaucoup de franchise, certains ajustements ◀de▶ langage ◀de▶ part et ◀d’▶autre, nous permettront, je n’en doute pas, ◀de▶ fédérer bientôt tous ◀les▶ fédéralistes, c’est-à-dire ◀d’▶unir dans ◀l’▶action ◀les▶ quelques équipes grâce auxquelles des millions ◀de▶ sceptiques et ◀de découragés seront un jour peut-être, et malgré eux, sauvés.
Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.