Demain l’▶Europe ! — ◀Les▶ politiciens et ◀l’▶Europe (3 avril 1950)
Chers auditeurs,
◀L’▶expression « faire ◀l’▶Europe », qui est ◀le▶ refrain ◀de▶ mes chroniques, a plus ◀d’▶un sens. Pour ◀les▶ fédéralistes, dont je suis, faire ◀l’▶Europe signifie pratiquement créer sans retard des institutions communes, au-dessus des États — et rallier pour cette œuvre tous ◀les▶ groupes organisés et vivant dans tous nos pays. Pour certains ministres au contraire, faire ◀l’▶Europe signifie : dire qu’on veut bien ◀la▶ faire, puisque ◀l’▶opinion publique ◀le▶ demande, mais empêcher par tous ◀les▶ moyens qu’elle se fasse vite, et affirmer surtout qu’il est urgent ◀d’▶attendre, avec une obstination aussi acharnée qu’anglo-saxonne. Pour ◀les▶ uns, faire ◀l’▶Europe, c’est une croisade. Pour ◀les▶ autres, c’est une combinaison diplomatique. Pour ◀les▶ uns, c’est sauver notre culture, nos libertés et ◀le▶ sens même ◀de▶ notre vie, pour ◀les▶ autres, c’est réunir des commissions, qui convoqueront des comités, lesquels nommeront des bureaux, dont il peut être intéressant ◀de▶ faire partie. Ainsi va ◀le▶ monde. Prenons-◀le▶ comme il est, et demandons-nous ce soir, à la lumière de ◀l’▶actualité, ce que signifie « faire ◀l’▶Europe » pour un homme comme Winston Churchill, d’une part, et pour ◀le▶ Comité des ministres qui vient de se réunir à Strasbourg, d’autre part.
On a souvent écrit et répété — ◀la▶ semaine dernière encore, dans tous nos journaux — que M. Churchill avait été ◀l’▶initiateur et ◀le▶ pionnier du mouvement pour ◀l’▶Europe unie. Ce n’est pas tout à fait exact. M. Churchill s’est fait, s’il me permet ◀de▶ ◀le▶ dire, ◀le▶ haut-parleur ◀d’▶un grand courant ◀d’▶idées qui circulait depuis longtemps déjà dans ◀les▶ milieux ◀les▶ plus divers, et parfois ◀les▶ plus éloignés ◀de▶ celui ◀de▶ ◀l’▶homme d’État conservateur. Mais ◀le▶ fait est que, quand certains d’entre nous répétaient depuis 1945, qu’on ne pouvait résoudre ◀le▶ problème allemand qu’en intégrant ◀l’▶Allemagne dans une Europe fédérale, ◀le▶ grand public n’entendait rien, certains souriaient, quelques-uns se fâchaient. Or, l’autre jour, M. Churchill a prononcé un grand discours à ◀la▶ Chambre des communes, préconisant ◀l’▶intégration ◀de▶ ◀l’▶Allemagne dans une Europe unie, et tout le monde s’est écrié : voilà une idée géniale, voilà enfin un homme qui ose dire ◀la▶ vérité, et qui voit loin !…
Mais il n’est pas besoin ◀de▶ voir très loin pour voir que ◀le▶ problème allemand est ◀le▶ problème numéro un ◀de▶ ◀l’▶Europe actuelle, et qu’il n’a qu’une seule solution : ◀l’▶Europe unie. Il suffit ◀de▶ voir ce qui est, dans ◀l’▶immédiat, et sous nos yeux. ◀L’▶étonnant, ◀le▶ stupéfiant, ce n’est pas que M. Churchill, après ◀les▶ fédéralistes et avec eux, ◀l’▶ait vu ; mais c’est que ◀les▶ autres hommes d’État ne ◀le▶ voient pas, ou qu’ils agissent comme s’ils n’avaient rien vu.
◀La▶ seule nouveauté véritable du discours ◀de▶ M. Churchill, c’est qu’il a proposé que ◀l’▶Angleterre soutienne effectivement ◀la▶ France, au cas où celle-ci s’unirait à ◀la▶ jeune République allemande, comme ◀le▶ propose avec une belle hardiesse ◀le▶ chancelier Adenauer. Prions ◀le▶ Ciel pour que M. Churchill soit entendu dans son propre pays !
Donc, pour ◀le▶ grand homme politique anglais, celui qui a seul tenu tête à Hitler, et qui nous a sauvé du fol orgueil allemand, faire ◀l’▶Europe aujourd’hui signifie avant tout réconcilier ◀l’▶Allemagne avec tout ◀l’▶Occident, et ◀l’▶accueillir dans ◀la▶ famille des peuples libres.
C’est aussi ce qu’a pensé ◀le▶ Comité des ministres, réunis avant-hier à Strasbourg, dans ◀le▶ cadre du Conseil de l’Europe.
Il a décidé ◀d’▶inviter ◀la▶ République fédérale ◀de▶ Bonn à venir siéger dans ◀l’▶Assemblée consultative, qui doit se réunir au mois ◀d’▶août à Strasbourg, pour sa deuxième session normale. On attend désormais ◀la▶ réponse des Allemands, très divisés sur cette question à cause ◀d’▶une affaire ridicule.
◀Les▶ Français voudraient que ◀la▶ Sarre entre en même temps que ◀l’▶Allemagne au Conseil de l’Europe. Mais ◀les▶ Allemands voudraient y entrer avant. Car ◀les▶ Français voudraient que ◀la▶ Sarre soit autonome, donc soumise à leur influence, tandis que ◀les▶ Allemands ◀la▶ veulent allemande, et s’offensent ◀de▶ ◀la▶ voir traitée en État libre. Je dis que ◀l’▶affaire est ridicule, s’agissant du Conseil de l’Europe, puisqu’il est clair que, dans notre fédération, ◀de▶ tels problèmes précisément ne se poseraient plus, — et voilà bien pourquoi il faut ◀la▶ faire.
Faire ◀l’▶Europe, ce n’est pas seulement réconcilier ◀l’▶État français et ◀l’▶État allemand, mais c’est surtout, et avant tout, faire ◀de▶ ces deux pays, et aussi ◀de▶ ◀la▶ Sarre, des cantons sans frontière dans ◀la▶ grande république européenne. Il s’agit à Strasbourg ◀de▶ dépasser ◀le▶ stade des points ◀d’▶honneur nationalistes. Mettre comme condition à ◀l’▶entrée ◀de▶ ◀l’▶Allemagne dans ◀l’▶union supranationale une question ◀de▶ nationalisme, c’est un non-sens dont ◀les▶ politiciens devraient rougir jusqu’aux oreilles, tant à Paris qu’à Bonn, et même à Londres. Mais un politicien peut-il rougir ?
Nous saurons, à ◀la▶ fin du mois, si ◀l’▶Allemagne entre ou non dans ◀le▶ Conseil de l’Europe. ◀De▶ son refus ou ◀de▶ son acceptation dépendra ◀le▶ succès ◀de▶ ◀l’▶entreprise ◀de▶ Strasbourg. Si ◀le▶ Conseil de l’Europe, mis sur pied grâce aux efforts privés ◀de▶ notre Mouvement réussissait à absorber ◀les▶ Allemands dans une vaste union, son rôle serait justifié devant ◀l’Histoire. S’il y échoue, eh bien nous ferons autre chose, — comptez sur nous !
Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.