(1951) Demain l’Europe ! (1949-1951) « Demain l’Europe ! — Les volontaires de Daniel Villey (10 avril 1950) » pp. p. 1

Demain l’Europe ! — Les volontaires de Daniel Villey (10 avril 1950)

Chers auditeurs !

Il y a quelques semaines, à ce micro, je vous lisais deux extraits d’un appel que venait de lancer le professeur Daniel Villey, de la faculté de droit de Poitiers. Il demandait à quelques volontaires de consacrer deux ans de leur vie à la lutte pour l’union européenne. Ces courts extraits d’une modeste brochure ont suffi pour que 150 de mes auditeurs de tous âges m’écrivent, écrivent aussi au professeur Villey, demandent plus de détails, et souvent même, offrent de faire partie de l’équipe des volontaires. Ces lettres me venaient pour la plupart de Suisse, mais quelques-unes aussi de France, ou d’Italie ; l’une même était datée de Tel-Aviv, en Palestine — où je ne soupçonnais pas que les ondes suisses fussent aussi bien écoutées et reçues.

Ces nombreuses marques d’enthousiasme pour l’initiative de Villey me font un devoir, aujourd’hui, de vous décrire la suite de cette belle aventure. Certes, elle en est encore à ses débuts, mais elle est déjà mieux qu’une promesse.

Daniel Villey, sans avoir fait d’autre publicité que l’envoi de sa brochure à ceux qui la demandaient — à la suite de quelques articles de Daniel-Rops, de Jules Romains, et de ma chronique — , Villey, donc, a reçu plus de 2000 lettres d’adhésion en quelques semaines. Sans secrétaire, aidé seulement par sa jeune femme, il a dépouillé cet énorme courrier, et s’est efforcé de répondre à ceux qui le demandaient. Surtout, il a opéré un choix dans ce courrier très disparate. Une cinquantaine de jeunes gens et jeunes filles ont été convoqués pour une première rencontre à Paris le 12 février. Le texte de la convocation avait été rédigé en termes exigeants, afin que puissent se distinguer celles de ces bonnes volontés qu’appuyait une solide résolution.

Le 17 février, en présence de M. Raoul Dautry, ancien ministre, et président du conseil français du Mouvement européen, un premier groupe de dix volontaires a prêté un serment solennel, et s’est engagé pour deux ans au service exclusif de l’unité européenne. Trois autres sont venus s’ajouter au noyau, le 8 mars. Au nombre de ces premiers volontaires, je relève deux étudiants, un secrétaire d’inspection de l’enseignement, un horticulteur, une directrice d’école d’infirmières, une diplômée en économie politique, une ouvrière de Toulouse et un voyageur de commerce.

Pour l’Europe, ils ont quitté leurs familles, interrompu leurs études ou leur carrière, accepté tous les risques d’une entreprise incertaine et d’une vie dénuée de toute assurance du lendemain.

Que feront donc ces volontaires ? C’est ce qu’un grand nombre de correspondants ont demandé à Daniel Villey, qui leur répond en ces termes :

Que feront les volontaires ? Question bien naturelle, mais peut-être aussi trop impatiente. Quiconque contracte un engagement militaire ignore sur quel front il devra se battre. Ce qui importe avant tout à mes yeux, c’est que les volontaires demeurent à tout moment disponibles pour provoquer les sursauts que réclameront les circonstances, pour lancer des campagnes que d’autres ensuite amplifieront. Il faut voler de chance en chance. Comment tracer d’avance l’itinéraire d’une telle démarche ?

Pourtant, des objectifs précis sont assignés d’ores et déjà à l’action des volontaires. Tout d’abord, ils devront répandre dans toutes les communes de France le drapeau de l’Europe, le E vert sur fond blanc, afin qu’il flotte au fronton des mairies à côté du drapeau national. Et ils prépareront l’institution d’une fête légale de l’Europe, pour le 10 août de chaque année. Ces deux mesures supposent une intense propagande dans les villages et dans les villes, pris un à un et « travaillés » en profondeur. Ensuite, les volontaires lutteront pour amener les esprits, en France, à accepter l’intégration de l’Allemagne dans la fédération, à exiger l’élection directe du Parlement européen, et la création d’un exécutif européen responsable devant ce Parlement. Agiter, réveiller, informer, rendre l’espoir au peuple : c’est leur mission.

Vous vous demanderez sans doute comment les Suisses qui ont été touchés par cet appel vont pouvoir participer, eux aussi, à la croisade. Craignant de décevoir tant de bonnes volontés qui s’étaient signalées spontanément, j’ai posé la question à Villey. Il m’a répondu ceci : son intention est de former d’abord sa première équipe pour la France. Un ou deux Suisses ont été invités à suivre de près l’expérience. Si celle-ci se révèle concluante, il faudra qu’une équipe analogue se constitue chez nous, comme dans d’autres pays, pour élargir l’action conduite en France, en adaptant ses méthodes à nos mœurs, à nos problèmes, à nos mentalités. Je souhaite que le succès de Daniel Villey en France permette une suite rapide chez nous, car je crois qu’aujourd’hui rien n’est plus nécessaire que ce travail direct dans la population. Son urgence apparaît clairement quand on voit ce que les gouvernements, laissés à eux-mêmes, sont capables de faire, ou plutôt de ne pas faire. C’est ainsi qu’à Strasbourg, tout récemment, les ministres du Conseil de l’Europe ont tenté d’étouffer le premier projet d’un organisme exécutif européen, en le renvoyant à des sous-commissions d’étude, d’approches, et de consultation indéfiniment préalables. On sait que la procédure est le meilleur moyen de s’occuper sérieusement et coûteusement à ne rien faire. Et l’on a honte de voir des hommes d’État se livrer à ce jeu d’escamotage des espoirs dont ils sont, après tout, responsables devant leurs peuples. On voudrait que Daniel Villey et sa petite troupe de jeunes croisés se présentent devant eux, simplement, et qu’ils leur fassent comprendre, sans discours, que le temps est venu d’être sérieux : leur seul exemple suffirait.

À Villey donc et à ses volontaires, j’adresse au nom de beaucoup nos vœux de joyeuses Pâques. Le printemps de l’Europe est à eux, cette année !

Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.