Demain l’▶Europe ! — ◀L’▶atmosphère ◀de▶ Strasbourg (11 septembre 1950)
Chers auditeurs,
Beaucoup de gens ignorent ◀le▶ fonctionnement des institutions politiques ◀de▶ leur propre pays. Comment pourraient-ils donc connaître ◀les▶ institutions naissantes ◀d’▶une Europe qui en est encore au stade des plans et des discussions sur devis ? Je ne crois pas inutile ◀de▶ rappeler brièvement ce que c’est que ◀le▶ Conseil de l’Europe, et ◀l’▶assemblée consultative ◀de▶ Strasbourg.
◀Le▶ Conseil de l’Europe est né au mois ◀de▶ mai ◀de▶ ◀l’▶année dernière, à ◀la▶ suite ◀d’▶une campagne vigoureuse conduite par ◀le▶ Mouvement européen. Il réunit 15 États de l’Europe sur ◀les▶ 19 situés à ◀l’▶ouest du rideau ◀de▶ fer.
Manquent à ◀l’▶appel ◀l’▶Espagne et ◀le▶ Portugal, parce qu’ils sont en régime ◀de▶ dictature, ◀l’▶Autriche parce que ◀les▶ Russes refusent encore ◀de▶ signer son traité ◀de▶ paix, et ◀la▶ Suisse parce qu’à Berne, on n’aime pas trop se presser…
◀Le▶ Conseil de l’Europe se compose ◀d’▶un Comité ministériel formé par ◀les▶ ministres des Affaires étrangères des États membres, et ◀d’▶une Assemblée consultative ◀de▶ 125 députés, élus par ◀les▶ parlements nationaux. ◀Le▶ rôle ◀de▶ ◀l’▶Assemblée consiste à étudier et à voter toutes mesures tendant à unir ◀l’▶Europe. ◀Le▶ rôle du Comité ministériel consiste à examiner ◀les▶ résolutions ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, et à ◀les▶ refuser régulièrement, sur ◀la▶ demande des Anglais. Après quoi ◀les▶ résolutions renvoyées à ◀l’▶Assemblée sont étudiées à nouveau, et soumises à des experts, lesquels répondent invariablement que ◀les▶ mesures qu’on propose sont prématurées, mais qu’il ne faut rien faire en attendant.
Comme vous ◀le▶ voyez, ◀le▶ mécanisme est parfaitement réglé pour s’enrayer à coup sûr avant chaque départ. On pourrait penser que c’est une farce. Mais on n’aurait pas entièrement raison. Car ◀les▶ ministres un jour se fatigueront peut-être ◀de▶ dire non. Et ◀l’▶Assemblée, un jour, peut se révolter contre ◀le▶ sempiternel veto ◀de▶ M. Bevin. Elle peut un beau jour passer outre, et décider que ses résolutions seront examinées par ◀les▶ parlements ◀de▶ chaque pays, qui sont plus stables que ◀les▶ ministres. Et ◀l’▶opinion, un jour, peut se fâcher, et dire clairement aux députés : faites quelque chose tout de suite, ou bien allez-vous-en ! Or ◀les▶ ministres, comme on sait, sont nommés par ◀les▶ parlements, et ◀les▶ parlements sont élus par ◀l’▶opinion réelle ◀d’▶un pays, celle qui vote au scrutin libre et secret. Celle qui ne ment pas. Tout dépend donc, en dernier ressort, ◀de▶ ◀l’▶opinion. Quand elle sera mûre, quand elle dira ce qu’elle veut, avec clarté, avec passion, ◀les▶ députés suivront, ◀les▶ ministres obéiront, et tout ◀d’▶un coup, malgré ◀les▶ arguments des experts, des prudents ou des lâches, ◀l’▶Europe se fera. Vous voyez que je n’ai pas ◀d’▶illusions. Mais je calcule nos chances, qui sont celles ◀de▶ ◀la▶ paix, et je trouve qu’elles ne sont pas si mauvaises. Encore faut-il que ◀l’▶opinion se réveille. ◀Le▶ canon ◀de▶ ◀la▶ Corée peut ◀l’▶y aider. ◀La▶ crise économique, qui s’approche à grands pas, peut ◀l’▶y pousser plus puissamment encore. Et Strasbourg demeure un espoir, en dépit de toutes ses faiblesses.
Si vous me demandiez maintenant : qu’a fait Strasbourg pendant ◀l’▶été ? Je serais forcé ◀de▶ vous répondre : pas grand-chose. Mais une évolution décisive se prépare.
Dans ◀l’▶atmosphère ◀de▶ ◀l’▶été orageux que je vous décrivais lundi dernier, cette deuxième session ◀de▶ ◀l’▶Assemblée fut beaucoup plus passionnée que ◀l’▶an dernier. On sentait que ◀les▶ choses devenaient sérieuses, non seulement en Corée, mais en Europe. Des oppositions plus tranchées se sont fait jour, des masques sont tombés. On a vu que ◀les▶ Anglais ne voulaient rien, à aucun prix, qu’ils fussent conservateurs ou travaillistes. Et qu’il était parfaitement inutile ◀de▶ consentir des concessions dont ils se moquent. On a vu que ◀la▶ fédération ne se ferait jamais qu’entre nations du continent. Et qu’elle ne se ferait point par des politiciens, mais par ceux qui ◀les▶ poussent au nom de ◀l’▶opinion. Et ◀l’▶on a vu enfin que ◀l’▶Assemblée réclamait plus énergiquement ◀les▶ droits que ◀les▶ ministres lui refusent.
C’est qu’elle se sent plus sûre ◀d’▶elle-même, mieux en contact que ◀l’▶an dernier avec ◀les▶ forces morales et politiques qui ◀la▶ poussent à ◀l’▶action rapide. Et puis, c’est un détail, mais qui a son importance, ◀l’▶Assemblée est chez elle, dans sa propre maison, qu’on lui a bâtie en quelques mois. Et quand ◀le▶ bâtiment va, tout va, dit un proverbe. ◀Le▶ Palais ◀de▶ ◀l’▶Europe a été édifié sur un ancien terrain ◀de▶ football. On y jouait un match ◀le▶ 1er mars encore. Aujourd’hui c’est une longue bâtisse moderne, où se jouent des parties non moins disputées. Il s’agit toujours et encore ◀de▶ se renvoyer ◀la▶ balle. Mais quelques buts ont été marqués.
Premièrement, ◀l’▶Assemblée a décidé ◀de▶ se réunir une seconde fois cette année, au mois ◀de▶ novembre. Et quatre fois ◀l’▶année prochaine. Voilà qui permettra ◀d’▶aller plus vite, et ◀de▶ maintenir ◀l’▶opinion en alerte.
Deuxièmement, ◀l’▶Assemblée s’est donné ◀le▶ droit ◀d’▶aborder ◀les▶ questions militaires, ◀de▶ parler ◀de▶ ◀la▶ défense de ◀l’▶Europe, qui est ◀le▶ problème ◀le▶ plus urgent. Je reviendrai lundi prochain sur ce sujet.
Troisièmement, elle a proposé à ◀l’▶examen du Conseil des ministres, un projet ◀d’▶Autorité politique européenne au-dessus des nations. Et c’est là ◀le▶ point capital. ◀Les▶ ministres ont deux mois pour répondre. S’ils refusent une fois de plus, j’ai ◀l’▶impression très nette que ◀la▶ session du mois ◀de▶ novembre verra des actes révolutionnaires, de la part des fédéralistes. Ceux-ci ne représentent, à vrai dire, qu’une minorité ◀de▶ ◀l’▶Assemblée. Mais ils se sentent soutenus par ◀l’▶opinion publique. Des groupes ◀de▶ jeunes fédéralistes, prêts à ◀l’▶action, animés par ◀le▶ professeur Daniel Villey, hantaient déjà, pendant ◀le▶ mois ◀d’▶août, ◀les▶ couloirs du Palais ◀de▶ ◀l’▶Europe, créant une atmosphère ◀d’▶urgence et ◀de▶ salutaire inquiétude. À ◀la▶ veille ◀de▶ la première séance ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, ils s’étaient réunis à ◀la▶ frontière franco-allemande, pour brûler ◀les▶ barrières et ◀les▶ poteaux ◀de▶ douane. Ce geste symbolique en annonce d’autres.
Ce feu ◀de▶ joie et ◀de▶ fraternité peut s’étendre à toutes ◀les frontières. On y travaillera ferme, au cours des semaines qui viennent.
Au revoir, chers auditeurs, à lundi prochain.