Demain l’▶Europe ! — Une autorité politique européenne (25 septembre 1950)
Pendant toute ◀la▶ session ◀de▶ ◀l’▶Assemblée de Strasbourg, cet été, ◀les▶ députés n’ont pas cessé ◀de▶ recevoir des centaines ◀de▶ lettres ◀de▶ simples citoyens qui, dans tous nos pays, ◀les▶ adjuraient ◀de▶ faire quelque chose, et vite. Je me suis joint au mouvement pour ma part, en faisant imprimer une brochure ◀de▶ lettres aux députés européens où je ◀les▶ priais sur tous ◀les▶ tons ◀d’▶agir ou ◀de▶ s’en aller. Car, en effet, ◀le▶ néant déclaré vaut mieux qu’un faux-semblant.
Que voulaient dire ◀les▶ auteurs ◀de▶ ces lettres pressantes et angoissées, lorsqu’ils réclamaient avec une impatience sans cesse accrue par ◀le▶ danger ◀de▶ guerre — que quelque chose fût fait ? Ils voulaient dire, sans aucune équivoque : donnez-nous une autorité politique au-dessus des États, faites ◀le▶ saut, faites une révolution, créez un vrai gouvernement européen, capable ◀d’▶assurer notre défense commune, car isolés nous périrons,
Cet effort n’a pas été vain. Il a fortement contribué à transformer ◀l’▶ambiance ◀de▶ ◀l’▶Assemblée, à faire sentir à plusieurs députés que ◀l’▶opinion publique ◀les▶ suivait du regard, à renforcer ◀les▶ convictions ◀de▶ ceux qui en avaient, à mettre mal à l’aise ceux qui n’en ont aucune, et qui, par conséquent, usurpent leur fonction en passant leurs vacances à Strasbourg.
Créer au-dessus des États une autorité politique capable ◀d’▶obtenir ou ◀d’▶imposer ◀les▶ sacrifices indispensables au salut ◀de▶ ◀la▶ communauté, c’est ◀la▶ thèse des fédéralistes. Ceux-ci ne sont encore, dans ◀l’▶Assemblée, qu’une minorité certes très remuante, mais réduite à peu de chose quand on vote. La plupart des députés préfèrent à ◀la▶ formule ◀d’▶un gouvernement européen, celle ◀d’▶une série ◀d’▶autorités spécialisées, dont ◀le▶ plan Schumann du charbon et ◀de▶ ◀l’▶acier offre ◀le▶ meilleur exemple. Ils proposent que ◀l’▶on crée ◀de▶ ◀la▶ même manière une autorité régissant ◀les▶ transports en Europe, une cour ◀de▶ justice, une autorité sociale, un office européen ◀de▶ ◀la▶ production du blé, un Centre européen de la culture, et un état-major européen.
À quoi ◀les▶ fédéralistes répondent : d’accord, prenons ◀les▶ problèmes ◀les▶ uns après ◀les▶ autres après tout, on ne peut faire autrement dans ◀la▶ pratique. Mais rassemblons toutes ces autorités spécialisées en un gouvernement unique, doté ◀de▶ pouvoirs réels, c’est-à-dire réellement supérieurs à ceux des États. Tous ◀les▶ chemins sont bons, pour qui veut aboutir. Prenez ◀les▶ problèmes séparément, ou prenez-◀les▶ tous à la fois, peu nous importe. ◀L’▶important, c’est ◀de▶ ◀les▶ résoudre, et ◀de▶ nous unir effectivement en temps utile, avant que notre état ◀de▶ division n’ait provoqué ◀la▶ guerre, qui nous mettra tous d’accord dans ◀les▶ camps.
Mais il est apparu très clairement, à Strasbourg, qu’une fraction ◀de▶ ◀l’▶Assemblée ne voulait pas qu’on aboutisse à rien ◀de▶ sérieux. Je veux parler des Anglais et ◀de▶ certains Scandinaves, qui prennent leurs directives à Londres.
Depuis deux ans, ◀les▶ Anglais nous disaient : ne parlez pas ◀de▶ fédération, c’est utopique et théorique. Faisons plutôt quelque chose ◀de▶ concret dans un domaine bien limité. Sur quoi M. Schumann leur a offert son plan, qui est parfaitement concret, dans un domaine bien défini : celui du charbon et ◀de▶ ◀l’▶acier. Mais tous ◀les▶ Anglais ont dit non, qu’ils soient conservateurs ou travaillistes. ◀Les▶ conservateurs, par ◀la▶ voix ◀de▶ M. Macmillan, ont déposé un contre-projet. Ils acceptaient en principe ◀le▶ plan Schumann, disaient-ils, mais à une condition : c’est que ce plan n’ait aucune autorité, qu’il ne limite en rien ◀la▶ souveraineté sacrée ◀de▶ ◀l’▶État anglais, et n’exige ◀de▶ sa part pas ◀le▶ moindre sacrifice, soit ◀d’▶intérêt soit ◀d’▶orgueil national.
Il est bien évident qu’un tel état d’esprit rend toute union réelle impraticable. Comment peut-on se marier, si ◀l’▶on réserve ◀d’▶avance ◀le▶ droit ◀de▶ se séparer à la première scène ◀de▶ ménage ?
◀La▶ question s’est donc trouvée posée dans toute son acuité : faut-il faire ◀l’▶Europe sans ◀les▶ Anglais — ou faut-il rechercher ◀de▶ nouveaux compromis dans ◀l’▶idée ◀de▶ plaire un jour à ces messieurs, qui finalement refuseront quand même ?
Je vous parlerai, lundi prochain, ◀de▶ ◀la▶ possibilité ◀de▶ faire ◀l’▶Europe sans ◀les▶ Insulaires, sans ◀l’▶insolent M. Dalton et avec ◀la▶ bénédiction toute platonique ◀de▶ M. Churchill.
Mais puisque j’ai entrepris, dans mes premières chroniques, ◀de▶ vous donner un compte rendu ◀de▶ ce qui s’est fait — ou non — à Strasbourg, cet été, je terminerai par ◀les▶ précisions suivantes :
◀L’▶Assemblée a fini par se mettre d’accord pour proposer au Comité des ministres ◀l’▶institution ◀d’▶une série ◀d’▶autorités européennes. Pour permettre aux ministres ◀de▶ se prononcer, M. Spaak a décidé ◀de▶ suspendre ◀la▶ session à ◀la▶ fin ◀d’▶août, et ◀de▶ ◀la▶ reprendre en novembre. C’est donc à ◀la▶ fin ◀de▶ novembre, seulement, que nous saurons si ◀l’▶Assemblée a fait quelque chose ◀de▶ concret, ou si elle a seulement fait semblant ◀de▶ vouloir faire quelque chose en dépit des Anglais.
Sans attendre ◀les▶ résultats des laborieuses négociations diplomatiques en cours, ◀les▶ fédéralistes, conscients des dangers mortels que court ◀l’▶Europe, ont dressé leurs plans ◀d’▶action. Je vous en informerai bien sûr dès qu’il sera convenu ◀de▶ ◀les faire connaître à tous, afin que beaucoup puissent y prendre leur part.
Au revoir, à lundi prochain.