Le▶ sens ◀de▶ nos vies, ou ◀l’▶Europe (juin 1952)g
Toute civilisation consiste, en fin de compte, à donner un sens à ◀la▶ vie. Par ◀les▶ règles qu’elle institue, religieuses, morales, juridiques, elle pose un ordre, distingue ◀le▶ bien du mal, définit ◀les▶ raisons ◀de▶ vivre et ◀de▶ mourir, et dresse chaque homme, dès son enfance à s’y adapter et conformer. ◀La▶ civilisation européenne, elle aussi, donne des normes générales. Mais au dressage elle substitue ◀l’▶éducation. Chez ◀les▶ Aztèques, ◀les▶ Égyptiens, ◀les▶ Sumériens, ◀les▶ Congolais et ◀les▶ Mongols, élever ◀l’▶enfant ou ◀le▶ jeune homme consistait à ◀le▶ rendre conforme aux modèles collectifs et sacrés, fixés par ◀les▶ dieux implacables ◀de▶ ◀la▶ fécondité et ◀de▶ ◀la▶ mort. Dans notre Europe moderne, éduquer signifie au contraire amener ◀le▶ jeune homme à son autonomie, au-delà des modèles tout faits, ◀le▶ rendre apte à juger par lui-même, ◀l’▶émanciper. ◀L’▶éducation, dans toutes ◀les▶ langues latines, comme en anglais, vient ◀d’▶educere, qui est « conduire au-dehors ». Donc libérer, non plus forcer dans ◀le▶ moule commun : voilà ◀l’▶Europe et sa révolution.
◀L’▶Oriental (je pense aux Hindous plus qu’aux Chinois), est ◀d’▶une caste, ◀d’▶un ordre, ◀d’▶un Karma, dont personne n’est jamais sorti que par ◀la▶ mort (ou par ◀la▶ sainteté, une fois sur des millions). ◀L’▶Oriental ne peut donc se poser ◀le▶ problème ◀d’▶un sens personnel ◀de▶ sa vie, divergeant ◀de▶ ◀la▶ voie tracée pour sa catégorie native. Quant au citoyen ◀d’▶un pays totalitaire, ◀le▶ parti sait pour lui quel est son bien, et lui prouve au besoin qu’il ◀le▶ sait mieux que lui. ◀L’▶idée ◀de▶ varier, ◀de▶ différer ou ◀d’▶innover, ◀l’▶idée ◀d’▶être soi-même « à son idée », voilà qui pour ◀l’▶Oriental suggère une inconvenance profonde ; tandis que toute initiative expose ◀le▶ sujet ◀d’▶une dictature totalitaire à ◀l’▶accusation ◀de▶ sabotage. S’ils tombent dans cette erreur et s’ils y persévèrent, ◀l’▶Oriental ◀l’▶expiera dans ses vies ultérieures, tandis que ◀le▶ Soviétique, dès cette vie-ci, sera « rééduqué » pour ◀l’▶avenir collectif.
Nous voyons au contraire ◀l’▶homme ◀d’▶Europe chercher ◀l’▶originalité, et presque tout ◀l’▶approuve en cet effort : ◀l’▶éducation au sens que je viens de rappeler ; ◀les▶ grands exemples qu’on lui vante, ◀les▶ héros, ◀les▶ champions, ◀les▶ saints — et ◀les▶ nécessités ◀de▶ ◀la▶ concurrence. Nous ◀le▶ voyons chercher sa voie selon ses goûts, ses croyances qui diffèrent (ou du moins il s’en flatte) ◀de▶ celles qui sont censées régner, ses talents qu’il expérimente, enfin sa vocation s’il en sent une et s’il y croit. Lorsqu’il entre en conflit avec ◀les▶ lois, ◀les▶ traditions, ◀les▶ préjugés ◀de▶ son milieu, il ◀les▶ déclare absurdes ou scandaleux. Cette manière ◀d’▶opposer ◀l’▶individu au tout, et ◀d’▶attribuer ◀l’▶absurdité non pas au moi qui ◀la▶ ressent, mais au monde ou à ◀la▶ société, voilà qui est proprement occidental. Cela donne ◀le▶ révolté, ◀l’▶objecteur ◀de▶ conscience, ◀le▶ révolutionnaire ou ◀le▶ réformateur ; mais cela donne aussi ◀le▶ chercheur dans ◀les▶ sciences et ◀l’▶innovateur dans ◀les▶ arts. Cela donne tout ce qui a compté dans ◀la▶ vie ◀de▶ ◀l’▶Europe, tout ce qui s’y est fait un nom et un visage distinct. Soulignons maintenant que ce drame permanent entre ◀le▶ moi et ◀le▶ destin social, entre ◀la▶ personne libre et ◀la▶ fatalité, ne serait pas concevable hors ◀d’▶un monde qui date ses années ◀de▶ ◀la▶ Crucifixion, hors ◀d’▶un monde né avec cette religion qui fit dépendre ◀le▶ salut ◀de▶ ◀l’▶homme non point ◀de▶ ◀l’▶observance des rites collectifs, mais ◀de▶ ◀la▶ conversion personnelle.
◀La▶ question du sens ◀de▶ nos vies, du sens particulier ◀de▶ chaque vie dans ◀la▶ vie, dénote et marque ◀l’▶Occident, et plus spécifiquement ◀l’▶Europe. On peut donc définir ◀l’▶Europe comme cette partie ◀de▶ ◀la▶ planète où ◀l’▶homme, sans relâche, se remet en question, et veut changer ◀le▶ monde ◀de▶ telle manière que sa vie personnelle y prenne un sens.
◀L’▶étrange exception
Ainsi donc, comparée et contrastée avec ◀les▶ civilisations sacrées ◀de▶ ◀l’▶Antiquité, ◀les▶ civilisations magiques ◀de▶ ◀l’▶Asie et ◀les▶ modernes entreprises totalitaires, ◀l’▶Europe nous apparaît comme une espèce ◀de▶ révolution permanente, révolution menée par ◀la▶ conscience humaine contre toutes ◀les▶ puissances qui oppriment ou qui nient ◀le▶ moi responsable et distinct. Lutte contre ◀le▶ destin natal, pour se forger une destinée ; contre ◀les▶ astres et ◀les▶ dieux écrasants ; contre ◀la▶ masse informe qui annule ◀les▶ personnes, mais aussi contre ◀l’▶arbitraire et ◀l’▶anarchie, qui vident ◀de▶ sens ◀l’▶effort ◀de▶ toute une vie ; lutte enfin contre ◀les▶ servitudes intimes du moi, afin de dominer ses mécanismes et ◀d’▶en tirer une liberté plus haute. Or ◀le▶ fondement ◀de▶ cette révolution, son ressort et sa cause finale, c’est ◀la▶ notion, chrétienne à ◀l’▶origine, ◀de▶ ◀la▶ valeur absolue ◀de▶ ◀la▶ personne humaine — ◀de▶ chaque personne humaine.
Pour beaucoup d’entre nous ◀l’▶expression est passée au rang ◀de▶ cliché. Mais ◀l’▶historien jugera différemment. Car à ses yeux cette notion fondamentale, cette conquête majeure ◀de▶ ◀l’▶Occident, n’est rien ◀de▶ moins que ◀la▶ résultante ◀de▶ trois grandes civilisations : celle qui permit ◀la▶ découverte philosophique ◀de▶ ◀l’▶individu et ◀de▶ ◀l’▶atome, ◀la▶ Grèce ; celle qui conçut ◀les▶ droits du citoyen, Rome ; celle, enfin, qui a donné au monde ◀la▶ notion totalement nouvelle ◀de▶ ◀l’▶incarnation ◀de▶ ◀l’▶esprit dans un homme particulier, ◀la▶ Judée. Toute ◀l’▶histoire ◀de▶ ◀l’▶Europe peut être interprétée à partir de ◀la▶ vaste synthèse ◀de▶ ces trois courants, culminant dans ◀les▶ notions ◀de▶ personne et ◀de▶ vocation, synthèse qui s’opéra durant les premiers siècles ◀de▶ notre ère, qui s’épanouit avec ◀la▶ Renaissance, et dont ◀la▶ dialectique interne aboutit, ◀de▶ nos jours, au conflit du collectivisme et ◀de▶ ◀la▶ liberté démocratique.
Je tenterai ◀de▶ faire voir, maintenant, comment ◀l’▶idée du moi distinct, ◀de▶ ◀la▶ personne — à la fois mère et fille ◀de▶ ◀l’▶Europe — forme nos vies, permet qu’elles aient un sens, et donne leur intérêt même affectif à la plupart de nos activités. Ôtez ◀le▶ moi distinct, ◀le▶ droit ◀d’▶être une personne, et du même coup nos vies n’auraient plus sel ni sens : voilà bien dans sa réalité ◀la▶ menace qui pèse aujourd’hui sur ◀l’▶Europe, disons plus : sur ◀l’▶espoir humain.
Ma thèse est simple. Elle consiste à rappeler que la plupart de nos valeurs et idéaux, à nous autres Européens, et la plupart de nos activités courantes, sérieuses ou non, dérivent ◀de▶ ◀la▶ notion ◀de▶ ◀l’▶homme introduite par ◀le▶ christianisme. Je ne parle pas ici ◀de▶ ◀l’▶homme proprement chrétien, au sens courant, ◀de▶ membre ◀d’▶une Église, ◀de▶ ◀l’▶homme pieux et moral. Je parle ◀d’▶une manière plus générale du type ◀d’▶homme (croyant ou non) que seul ◀le▶ christianisme a permis ◀de▶ concevoir, et que je nomme ◀la▶ personne. C’est un homme à la fois libre et responsable, libre parce qu’il est chargé ◀d’▶une vocation qui ◀le▶ distingue ◀de▶ ◀la▶ masse, lui donne une direction et un visage ; mais aussi responsable ◀de▶ cette vocation vis-à-vis de ses prochains et ◀de▶ ◀la▶ société ; c’est donc un homme engagé dans une aventure bien réelle, mais qu’il est seul à pouvoir courir. Cette valeur unique ◀de▶ tout homme, voilà ◀la▶ grande nouveauté, ◀le▶ grand contraste avec ◀le▶ monde antique, avec ◀le▶ monde magique ◀de▶ ◀l’▶Asie, avec ◀le▶ monde collectiviste. Je dis que nos valeurs modernes, actuelles (◀le▶ sens que nous donnons à nos activités) si elles ne traduisent pas toujours directement cette notion ◀de▶ ◀l’▶homme, en dérivent, en tout cas, ◀d’▶une manière démontrable, fût-ce par une suite ◀de▶ laïcisations ou même ◀de▶ dégradations, parfois aussi par extension plus ou moins abusive au plan collectif. Ces valeurs, ces activités, seraient proprement inconcevables sans cette notion originelle ◀de▶ ◀la▶ personne.
Prenons d’abord ◀le▶ phénomène ◀de▶ ◀la▶ révolution, si typiquement européen. Remarquez que ◀le▶ mot révolution a ◀le▶ même sens que ◀le▶ mot conversion : c’est se retourner complètement. On peut dire que ◀la▶ révolution est, pour une collectivité, ◀l’▶équivalent exact ◀d’▶une conversion. Or ◀la▶ conversion soudaine, radicale, changeant tout — ◀le▶ Chemin ◀de▶ Damas — est un phénomène caractéristique du christianisme. De même, nous constatons que ◀la▶ notion ◀de▶ révolution a ◀la▶ même extension dans ◀l’▶espace et ◀le▶ temps que ◀le▶ monde christianisé. ◀L’▶Asiatique, par exemple, ne peut ◀la▶ concevoir. Elle ne serait à ses yeux qu’indécence, blessure à ◀l’▶ordre du cosmos, crime absurde. Voyageant en Inde, ◀l’▶an dernier, j’ai pu vérifier sur place que ◀les▶ seuls hommes touchés par ◀l’▶idéologie communiste étaient ceux que ◀l’▶Occident avait contaminés : jeunes intellectuels éduqués en Angleterre, ou peuples ◀de▶ ◀la▶ côte du Malabar, très anciennement christianisés. Pour admettre ◀l’▶idée ◀de▶ ◀la▶ révolution et ◀de▶ sa fécondité possible, il faut avoir sucé avec ◀le▶ lait (celui ◀d’▶une Alma Mater tout au moins) ◀les▶ conceptions primitivement chrétiennes du changement brusque, du renouvellement possible ◀de▶ toutes choses ; et aussi, ◀de▶ ◀la▶ liberté, ◀de▶ ◀la▶ justice, ◀de▶ ◀la▶ mission reçue, et ◀de▶ leur valeur transcendante par rapport à ◀l’▶ordre établi — toutes choses qui ont permis ◀l’▶apparition du concept chrétien ◀de▶ personne ; ◀les▶ révolutionnaires ne peuvent se former que dans un monde qui tient ◀la▶ liberté et ◀la▶ vocation prophétique pour plus vraies que ◀l’▶Ordre du Monde et ◀l’▶obéissance aux lois sacrées.
Prenons maintenant ◀le▶ phénomène ◀de▶ ◀la▶ passion dans ◀les▶ rapports individuels. ◀La▶ passion, c’est ◀l’▶amour exalté non seulement au-delà ◀de▶ toute raison, mais au-delà ◀de▶ ◀l’▶instinct même et du plaisir. C’est ce qui jette Tristan et Iseut dans ◀la▶ mort, souhaitée comme un suprême accomplissement. ◀La▶ passion dans ◀l’▶amour nourrit toutes nos littératures depuis des siècles — depuis ◀les▶ troubadours — et grâce à ◀la▶ littérature, elle obsède nos rêves, elle met un « tourment délicieux » dans nos vies. Sous des formes à vrai dire dégradées, de plus en plus anodines et banales, c’est elle — bien plus que ◀le▶ sex-appeal — qui inspire ◀le▶ cinéma, ◀les▶ magazines féminins, et leurs courriers du cœur. Je constaterai maintenant que cette passion qui tient une telle place dans nos vies, ou tout au moins dans nos secrètes nostalgies, ◀l’▶Asie ◀l’▶ignore en toute sérénité, ◀l’▶Amérique ◀la▶ déprime, ◀la▶ Russie ◀la▶ supprime. ◀D’▶où cela vient-il ? Cela vient de ce que ◀la▶ passion, dans sa pureté originelle, suppose une croyance innée dans ◀la▶ valeur unique ◀de▶ ◀l’▶être aimé, irremplaçable, infiniment distinct ◀de▶ tous ◀les▶ autres. Or cette croyance, ◀l’▶Asiatique ne ◀l’▶a jamais eue. Ses religions ne ◀l’▶y préparent nullement, puisqu’elles tendent au contraire au dépassement du moi. Quant aux Américains, ils ont certes en commun avec nous ◀l’▶héritage ◀de▶ ◀la▶ littérature, vulgarisé par Hollywood. Mais j’ai pu observer qu’ils tendent de plus en plus à prendre à son sens littéral cette maxime ◀de▶ ◀la▶ démocratie qui dit qu’un homme en vaut un autre, et donc qu’une femme en vaut une autre. Disposition peu favorable, il faut ◀l’▶avouer, au développement ◀d’▶une grande passion. Enfin, ◀le▶ citoyen du monde soviétique se doit ◀de▶ rejeter avec une horreur officielle ◀l’▶idée non scientifique, bourgeoise et individualiste ◀de▶ ◀l’▶amour romanesque. Il estime à bon droit que ◀la▶ passion est une force antisociale, qui ne pourrait que gêner ◀le▶ rendement du stakhanoviste modèle.
Cette passion, donc, qui nous paraît si « naturelle », est en réalité exceptionnelle dans ◀le▶ monde. On peut ◀la▶ qualifier ◀d’▶extravagante ou ◀d’▶immorale, et ◀l’▶Église peut ◀la▶ condamner. Il n’en reste pas moins qu’elle a sa source vive — quoique lointaine — dans ◀la▶ révolution chrétienne et qu’elle est inconcevable hors ◀d’▶un monde où Pascal peut placer dans ◀la▶ bouche même du Christ cette phrase célèbre : « Je pensais à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes ◀de▶ sang pour toi. » Pour toi, dit bien Pascal, non pour ◀le▶ genre humain en général, ni pour maintenir par ◀la▶ vertu magique ◀d’▶un acte sacrificiel ◀les▶ rythmes du Cosmos et ◀les▶ lois ◀de▶ ◀la▶ fécondité — on dirait aujourd’hui : pour favoriser ◀le▶ plan ◀de▶ production — mais pour toi, que vient distinguer, dans toute ◀la▶ masse des hommes ◀de▶ tous ◀les▶ temps, mon amour personnel.
Ces deux exemples sont extrêmes. Nous ne sommes pas tous des révolutionnaires, ni ◀les▶ héros ◀d’▶une grande passion mortelle, mais ◀la▶ révolution et ◀la▶ passion sont pour nous tous des repères décisifs. Nos vies sont orientées par rapport à ces pôles.
Voici, plus près de nos vies quotidiennes, d’autres exemples : ◀le▶ besoin ◀d’▶originalité et ◀l’▶humour.
Il y a dans notre goût ◀de▶ ◀l’▶originalité, deux composantes : ◀l’▶esprit ◀de▶ concurrence et ◀le▶ besoin ◀d’▶exprimer son « vrai moi », comme on dit. À partir ◀d’▶un certain niveau ◀de▶ culture, en Europe, ◀le▶ non-conformiste est bien vu, tandis que ◀la▶ banalité disqualifie.
Tout ◀l’▶effort ◀de▶ ◀l’▶artiste européen, depuis un siècle, tend à « faire du neuf » ◀d’▶une manière personnelle. C’est même cela que nous nommons « créer ». Mais cette idée ◀de▶ ◀l’▶originalité, dans ◀les▶ arts ou dans ◀la▶ conduite, ne signifie rien ◀de▶ raisonnable pour ◀l’▶Asiatique, par exemple. Pour ◀l’▶artiste hindou, comme pour ◀le▶ sculpteur ◀de▶ ◀l’▶ancienne Égypte, ou ◀l’▶architecte aztèque, ou ◀le▶ grand sorcier nègre, ◀le▶ problème est non pas ◀de▶ différer, mais au contraire ◀d’▶appliquer ◀les▶ recettes, ◀de▶ traduire en symboles convenus ◀l’▶ordre cosmique et ◀les▶ grands gestes rituels. ◀La▶ variation, ◀l’▶innovation individuelle ne peuvent être à leurs yeux que des erreurs. Elles risqueraient ◀de▶ faire rater ◀l’▶opération magique ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀d’▶art. Je ne dis pas qu’entre ◀l’▶Occidental, qui tend à s’affirmer comme individu créateur, et ◀l’▶Oriental, qui tend à s’ordonner au monde des dieux, nous ayons à choisir. Je dis que nous avons choisi. Je ne dis pas que l’un vaut mieux que l’autre, mais qu’ils se donnent des buts tout à fait différents. Et je ne nie pas non plus que dans tous nos pays, il existe une majorité ◀de▶ conformistes, qui redoutent ◀l’▶épithète « ◀d’▶original » et préfèrent imiter ◀les▶ voisins. Je dis seulement que ◀les▶ modèles dont ils disposent pour leur conduite morale et dans ◀les▶ arts, demeurent en dernière analyse des créations individuelles, et non des conventions sacrées. Ils imitent moins des rites millénaires que des révolutions ◀d’▶hier ou ◀d’▶avant-hier.
Entre ◀le▶ conformiste et ◀le▶ révolté, ◀l’▶Europe connaît d’ailleurs un être intermédiaire : celui qui a ◀le▶ sens ◀de▶ ◀l’▶humour. ◀L’▶Occident a créé ◀l’▶étatisme, lequel tend à rejoindre, à ◀la▶ limite, ◀les▶ despotismes ◀de▶ ◀l’▶Orient ou ◀de▶ ◀l’▶Antiquité, au point de vue ◀de▶ ◀l’▶oppression des individus. Cependant, loin ◀d’▶adorer ces tyrannies qu’il laisse parfois s’établir dans son sein, ◀l’▶Occident leur résiste en mille manières. Non seulement par ◀la▶ rébellion ouverte et armée mais par des attitudes et des conduites qui affirment ◀la▶ liberté ◀de▶ jugement des individus. Ainsi ◀l’▶humour, forme larvée, sournoise, prudente, ◀de▶ ◀la▶ révolte quotidienne contre ◀la▶ tyrannie rationaliste, contre ◀les▶ préjugés et ◀les▶ routines et contre ◀le▶ droit du plus fort, toutes choses qui se résument aujourd’hui dans ◀le▶ pouvoir anonyme ◀de▶ ◀l’▶État. ◀L’▶humour est ◀la▶ combustion lente ◀de▶ ◀la▶ révolte des individus. C’est pourquoi vous ◀le▶ chercherez en vain dans toute ◀l’▶Asie. Et vous n’en jouerez pas impunément dans ◀les▶ États totalitaires, où il se voit réduit à ◀la▶ plus stricte clandestinité. Et c’est pourquoi, enfin, ◀les▶ créateurs ◀de▶ ◀la▶ démocratie moderne, ◀les▶ Anglo-Saxons, attachent une pareille importance à ◀la▶ possession du sense of humour : ils pensent que celui qui ne ◀l’▶a pas, n’a pas non plus ◀le▶ vrai sens ◀de▶ ◀la▶ vie. Je n’oublie pas que ◀l’▶humour consiste aussi, sinon d’abord, à se moquer ◀de▶ soi-même. Mais avant de pouvoir rire ◀de▶ soi-même, il s’agit ◀d’▶exister comme une personne consciente, et ◀de▶ prendre distance par rapport à ce que ◀l’▶on se voit être. Dans ◀l’▶humour, c’est donc ◀la▶ personne qui juge son propre individu… J’en viens à un dernier exemple, ◀le▶ Progrès, et notre attitude envers lui.
Il est ◀de▶ mode aujourd’hui ◀de▶ douter du Progrès. ◀Les▶ plus grands esprits ◀de▶ notre siècle, un Paul Valéry, un Eliot, un Toynbee, un Bergson ◀l’▶ont fait ; et ◀la▶ majorité ◀de▶ nos élites ◀les▶ a suivis. Certes, nous pouvons railler ◀les▶ illusions du siècle des Lumières et du siècle bourgeois-capitaliste ; nous pouvons répéter que notre industrie aboutit à ◀la▶ misère prolétarienne, notre science à ◀la▶ bombe atomique, nos révolutions à ◀l’▶État totalitaire ; que ◀le▶ Progrès n’est donc nullement fatal ; qu’il n’est plus même un idéal européen, mais bien russe et américain, et tout cela semble en bonne partie vrai. Mais il n’est pas moins vrai que ◀l’▶horizon ◀d’▶un progrès possible reste vital pour ◀l’▶homme européen ; et que nos vies perdraient leur sens, si vraiment nous cessions ◀de▶ croire qu’un lendemain plus vaste et plus libre reste ouvert. De plus, il serait faux ◀de▶ penser que notre idée européenne du progrès ait vraiment émigré en Russie ou en Amérique. Ce qu’on appelle « progrès », dans ces empires ◀de▶ masses, diffère profondément ◀de▶ notre idéal. Dans une dictature, par exemple, ◀l’▶idée ◀de▶ progrès perdra nécessairement ce qui fait, à nos yeux, tout son prix : elle cesse ◀d’▶être liée à ◀l’▶idée ◀de▶ liberté, c’est-à-dire à ◀la▶ perspective ◀d’▶une vie plus libre pour chacun ◀de▶ nous. Elle se lie à ◀l’▶idée ◀de▶ contrainte collective, qui est ◀la▶ négation même ◀de▶ son mouvement originel.
◀D’▶où nous vient, en effet, ◀le▶ concept du Progrès ? Il n’est apparu comme concept social qu’au xviiie siècle. Mais ses origines sont beaucoup plus anciennes et remontent incontestablement — encore une fois — au christianisme primitif.
Toutes ◀les▶ religions antiques et celles ◀de▶ ◀l’▶Asie, étaient des religions an-historiques, en ce sens qu’elles croyaient et enseignaient que ◀le▶ monde évolue ◀d’▶une manière cyclique, comme une roue qui tourne sur son axe et n’avance pas, ◀la▶ destruction succédant fatalement à ◀la▶ construction et ◀le▶ déclin à ◀l’▶ascension, selon ◀les▶ lois du Retour éternel. Pour ces religions, il n’était point ◀de▶ nouveauté, ◀de▶ véritable création possible. Leur nostalgie n’était pas dans ◀l’▶avenir, mais dans ◀le▶ temps mythique des origines ; ◀le▶ Paradis datait ◀d’▶avant ◀l’▶évolution. ◀L’▶idée que ◀le▶ lendemain puisse apporter des innovations imprévues, que ◀les▶ petits-fils puissent être plus heureux que leurs ancêtres, était donc étrangère aux Anciens, comme elle ◀le▶ reste à la plupart des Orientaux. Survint alors ◀le▶ christianisme, religion du Dieu incarné une fois pour toutes dans ◀le▶ temps, à un certain moment donné, daté, unique, — « sous Ponce Pilate », insiste ◀le▶ « Credo ». Dès ce moment, ◀l’▶Histoire devient possible. ◀L’▶évolution ◀de▶ ◀l’▶humanité n’est plus une suite indéfinie ◀de▶ cycles et ◀de▶ répétitions dont ◀l’▶homme ne saurait se libérer et dont il n’est pas responsable ; elle devient une longue aventure, où tout reste imprévu sauf ◀la▶ fin : ◀le▶ retour du Seigneur au jugement dernier. D’ici là, nous nous avançons dans ◀l’▶inconnu ◀de▶ ◀l’▶Histoire que nous créons nous-mêmes, dans ◀l’▶incertitude et ◀l’▶espoir. ◀Les▶ catastrophes restent toujours possibles, mais ◀le▶ progrès aussi devient possible : il traduit notre volonté ◀d’▶échapper aux fatalités. Et nous ◀l’▶imaginons comme ◀le▶ produit ◀de▶ toutes ◀les▶ créations accumulées par ◀les▶ grands hommes, héros, savants, législateurs et saints. Nous pensons que tout cela rendra ◀la▶ vie meilleure. Nous nous trompons peut-être, mais nous ◀le▶ pensons, et cela depuis près de deux-mille ans.
Cependant, ◀de▶ nos jours, notre foi dans ◀le▶ Progrès a cessé ◀d’▶être une foi naïve. Nous nous posons à son sujet des questions parfois angoissantes. Par exemple : comment mesurer ◀le▶ Progrès ? ◀La▶ question paraît insoluble. Nos créations sont toujours équivoques, chacun ◀le▶ sait au xxe siècle. ◀L’▶essor ◀de▶ ◀l’▶industrie nous a valu un certain confort matériel, mais aussi ◀les▶ problèmes sociaux. Nous traversons ◀l’▶Atlantique en huit heures, mais ainsi font ◀les▶ bombardiers géants. Etc. Qui peut savoir si ◀le▶ Progrès, au total, a vraiment un sens positif ? Dans ◀l’▶ensemble, il se peut qu’il n’en ait point, qu’il n’ait aucune direction vérifiable, et que ◀la▶ somme des modifications qu’il nous apporte, en bien et en mal, s’annule. ◀La▶ croyance au Progrès collectif demeure un pur et simple acte ◀de▶ foi, devant lequel il est permis ◀de▶ rester sceptique… En vérité, ◀l’▶idée ◀de▶ Progrès ne peut reprendre un sens certain que par rapport à notre vie individuelle. Car ◀le▶ Progrès à ◀l’▶origine signifiait une libération, et ◀de▶ nos jours encore ◀la▶ liberté ne peut avoir ◀de▶ sens que pour ◀l’▶individu (que serait une liberté en masse ?). Je définirai donc ◀le▶ Progrès véritable comme ◀l’▶augmentation continuelle des possibilités ◀de▶ choix qui sont offertes, tant matérielles que culturelles, à un nombre sans cesse croissant ◀d’▶individus. Et ◀la▶ mesure ◀de▶ ce Progrès, ce ne sera pas seulement ◀l’▶augmentation ◀de▶ notre sécurité, ◀de▶ notre confort, mais aussi et peut-être surtout, celle ◀de▶ nos risques personnels, des occasions et des moyens ◀de▶ nous décider nous-mêmes, donc ◀d’▶être libres.
Car ◀la▶ seule liberté qui compte pour moi — dira tout véritable Européen — c’est celle ◀de▶ me réaliser ; ◀de▶ chercher, ◀de▶ trouver et ◀de▶ vivre ma vérité, non celle des autres, et non celle que ◀l’▶État ou ◀le▶ Parti a décidé ◀de▶ m’imposer toute faite. Si je perdais cette liberté fondamentale, alors vraiment ma vie n’aurait plus aucun sens.
◀La▶ conscience du monde
Ainsi ◀l’▶Europe — telle que je viens de ◀la▶ décrire par quelques-uns ◀de▶ ses traits ◀les▶ plus typiques — ◀l’▶Europe est ◀la▶ patrie du moi distinct, des individus, des personnes, ◀de▶ ceux qui veulent se rendre compte ◀de▶ leur vie pour leur propre compte, et qui ont là-dessus leurs idées bien à eux — donc en définitive des hommes conscients.
Voilà pourquoi je disais en débutant, que ◀l’▶Europe est aussi ◀la▶ conscience du monde. J’illustrerai cette seconde thèse par trois remarques très simples, quoique peut-être inédites.
Première remarque : ◀l’▶Europe, qui ne représente en fait que 4 à 5 % des terres du globe, a découvert ◀le▶ reste du monde — et non ◀l’▶inverse.
Je ne parle pas seulement des grands voyages qui ont permis ◀de▶ relever ◀la▶ carte des continents et ◀de▶ dénombrer toutes nos races ◀de▶ Marco Polo à Vasco de Gama, et ◀de▶ Christophe Colomb au capitaine Cook. Ce ne sont pas ◀les▶ Aztèques ni ◀les▶ Bantous, ni même ◀les▶ Hindous qui nous ont découverts. C’est nous qui avons été y voir. Mais il y a plus. Nous avons en Europe des sinologues, des hindouistes, des arabisants, et même des spécialistes du monde soviétique. En revanche, je ne connais pas « ◀d’▶européologues » dans ◀les▶ empires extraeuropéens.
J’ajouterai que j’en connais trop peu dans nos pays, et que c’est précisément pour remédier à cette carence que nous avons fondé à Genève, ◀le▶ Centre européen de la culture, institution qui a pour but principal ◀de▶ fédérer nos forces culturelles afin de réveiller ◀la▶ conscience ◀de▶ ◀l’▶Europe comme unité, au-dessus ◀de▶ nos nations.
Deuxième remarque : ◀l’▶Europe est ◀le▶ Musée du monde. Et je ne pense pas seulement en disant cela, au Louvre, au British Museum, à tant de collections publiques et privées ◀d’▶art oriental, précolombien ou nègre — alors que c’est en vain que ◀l’▶on chercherait un musée ◀de▶ ◀l’▶Europe, même aux États-Unis… (Il y en avait un seul, à Leningrad : il est fermé depuis bien des années, ◀les▶ Soviets ayant décidé, en plein accord avec Goebbels, que notre art était décadent.) Nous avons fait bien plus que ◀de▶ collectionner, bien plus que ◀d’▶enregistrer sur disques et pellicules ◀les▶ chants, ◀les▶ danses, ◀les▶ rites, ◀les▶ voix et ◀les▶ visages ◀de▶ ◀l’▶innombrable humanité. Nous avons médité sur ◀les▶ mystères ◀de▶ toutes ◀les▶ civilisations qui précédèrent les nôtres et sur celles qui subsistent au xxe siècle. Nous avons déchiffré leurs hiéroglyphes, reconstitué et revécu leurs ambitions, et nous avons philosophé sur leurs problèmes avec autant ◀de▶ passion, souvent, que sur les nôtres. Voici ◀le▶ trait que ◀l’▶on doit souligner : tous ◀les▶ peuples du monde aujourd’hui, nous imitent — pour leur bien et leur mal à la fois — mais nous, bien au contraire, au lieu de ◀les▶ imiter, nous cherchons et nous parvenons à ◀les▶ comprendre. Cette attitude, absolument particulière, sans précédent dans ◀les▶ annales ◀de▶ ◀l’▶homme, caractérise ◀l’▶Europe comme volonté ◀de▶ conscience — et j’opposerai cette expression à celle ◀de▶ volonté ◀de▶ puissance.
Troisième remarque : ◀l’▶Europe ne se borne pas à tolérer ◀les▶ civilisations qui diffèrent ◀de▶ la sienne, mais c’est elle qui dans bien des cas retrouve leurs traditions perdues, et favorise leur réveil. Je connais tel chargé ◀de▶ mission culturelle en Amérique du Sud, tel missionnaire-ethnographe en Afrique, tel philosophe et théologien en Iran, qui savent bien mieux que ◀les▶ natifs, quels furent ◀les▶ grands moments ◀de▶ ◀la▶ recherche et ◀de▶ ◀l’▶essor spirituel dans ces pays, et qui vont découvrir au fond ◀de▶ leur retraite ◀les▶ derniers représentants ◀d’▶une tradition grandiose, pour ◀les▶ aider, ◀les▶ admirer, ◀les▶ éditer — c’est-à-dire pratiquement ◀les▶ sauver ◀de▶ ◀l’▶oubli, et peut-être initier leur renaissance.
Au-delà ◀de▶ ◀la▶ peur
Voilà donc notre Europe, patrie ◀de▶ ◀l’▶homme conscient, lieu ◀de▶ conscience extrême ◀de▶ toute ◀l’▶humanité — cette Europe, j’ose ◀le▶ dire, indispensable au monde — mais cette Europe aussi qui peut périr demain.
◀La▶ situation paraît tragiquement claire, encore qu’elle soit paradoxale.
D’une part, on peut ◀la▶ comparer aux heures ◀d’▶angoisse ◀de▶ Nicopolis, ◀de▶ Mohacs et du siège ◀de▶ Vienne par ◀les▶ Turcs ; mieux encore, à ces temps du xiiie siècle, où ◀la▶ marée mongole battait ◀les▶ portes ◀d’▶une Europe encore moins défendue qu’aujourd’hui. Il y a ◀la▶ menace ◀de▶ guerre d’abord. Il y a ◀la▶ menace totalitaire, ◀la▶ négation pratique ◀de▶ nos raisons ◀de▶ vivre. Il y a ◀la▶ menace ◀de▶ ruines économiques qui entraîneraient une tutelle étrangère et ses conséquences culturelles. Il y a surtout ◀la▶ menace du défaitisme à la fois politique, civique, et même psychique, si répandu dans nos élites — ◀le▶ pire danger, tant il est vrai que nous résigner à croire notre déclin fatal, ◀le▶ rendrait en effet fatal.
On me dira que ◀la▶ culture, c’est peu de chose pour arrêter ◀le▶ cours ◀de▶ nos fatalités. Si ◀l’▶on dit cela, on commettra ◀la▶ pire erreur qu’on puisse commettre à propos de ◀l’▶Europe. Ici, je devrais faire une autre conférence pour démontrer que notre culture fut bel et bien, dans ◀le▶ passé, ◀la▶ vraie raison ◀de▶ notre puissance, même matérielle, et qu’elle peut, et qu’elle doit ◀le▶ redevenir demain. Je vous conterai plutôt une petite histoire vraie.
C’était il y a deux ou trois ans. Je cherchais ◀de▶ ◀l’▶argent, comme il arrive, pour une entreprise culturelle. J’allai voir un industriel qui fabrique ◀d’▶énormes turbines. Il m’écouta, distrait d’abord, puis impatient ; m’expliqua finalement que dans ◀l’▶état des choses, ◀les▶ turbines, c’est sérieux, ◀la▶ culture n’est qu’un luxe, et que ◀l’▶important, c’était ◀de▶ lutter d’abord contre ◀le▶ communisme, qu’il confondait, je ◀le▶ crains, avec ◀les▶ réformes sociales. En sortant ◀de▶ chez lui, ◀les▶ mains vides, je me dis ceci : cet homme tire sa puissance ◀de▶ ◀la▶ turbine, mais après tout ce n’est pas lui qui ◀l’▶inventa. Qui donc ? J’ouvris une encyclopédie, et trouvai ceci : — Il y avait au xviiie siècle un très grand mathématicien. Il s’appelait Léonard Euler, et il vivait à Bâle, entre France et Allemagne, dans une atmosphère très savante mais pénétrée ◀de▶ spiritualité. Influencé par ◀le▶ piétisme, il pensait que sa science abstraite ne devait pas ◀l’▶empêcher ◀de▶ se rendre utile aux hommes. Aussi dessina-t-il, à temps perdu, ◀les▶ plans ◀d’▶une machine ◀d’▶un type nouveau, qu’il baptisa turbine.
Aussi grâce au génie ◀d’▶Euler, au milieu culturel ◀de▶ Bâle et au piétisme, des milliers ◀d’▶ouvriers et ◀d’▶ingénieurs gagnent leur vie, des paquebots traversent ◀l’▶Océan, ◀d’▶énormes capitaux s’amassent dans ◀le▶ pays.
Quand on me demande maintenant : quelle est donc cette Europe que vous voulez unir pour ◀la▶ sauver ? Je réponds que ce n’est pas celle des turbines, mais celle ◀de▶ ◀l’▶inventeur ◀de▶ ◀la▶ turbine ; non pas ◀l’▶Europe des faits, mais celle des actes. Sur le plan des faits bruts, ◀l’▶Amérique nous dépasse, ◀l’▶armée russe peut encore nous écraser, et notre union s’avère bien difficile. Mais ◀l’▶esprit créateur reste notre apanage, ◀l’▶esprit qui voit au-delà des faits et peut ◀les▶ transformer puisqu’il ◀les▶ a produits, ◀l’▶esprit qui sans relâche vient remettre en question et modifier ◀les▶ résultats acquis. Et c’est ◀l’▶esprit des hommes qui ont toujours préféré ◀le▶ droit ◀de▶ poser passionnément quelques questions au devoir ◀de▶ réciter toutes ◀les▶ réponses — ◀l’▶esprit ◀de▶ liberté qui peut encore sauver ◀d’▶un même mouvement et ◀l’▶Europe et ◀le▶ sens ◀de▶ nos vies.