Chapitre VII
L’exploration de▶ ◀la▶ matière
◀De▶ Nicée à ◀la▶ bombe atomique
Que ◀les▶ options fondamentales décidées au concile ◀de▶ Nicée aient aussi décidé du genre ◀de▶ science que produirait ◀l’▶Europe christianisée, voilà qui paraît indéniable, et c’est ◀le▶ contraire qui aurait ◀de▶ quoi surprendre. Comment pourrait-on rendre compte du fait certain que ◀la▶ Science est liée à ◀l’▶Occident, si ◀l’▶on partait encore du vieux conflit entre ◀la▶ science et ◀la▶ religion, tel qu’il a dominé ◀le▶ xixe siècle ? Cette opposition même eût-elle pu se produire en dehors d’une civilisation qui a su valoriser ◀la▶ matière et ◀le▶ corps, objets ◀de▶ ◀la▶ science, en même temps que ◀la▶ liberté, sujet ◀de▶ conflits ? N’est-elle pas englobée par ce qu’elle veut nier ? ◀La▶ seule question sérieuse reste alors ◀de▶ savoir ◀de▶ quelle manière ◀la▶ science, agissant dans nos vies, procède des options ◀de▶ Nicée. ◀Le▶ rapport est-il positif, dialectique, ou purement négatif ?
◀Les▶ aspects négatifs ont été soulignés par deux siècles ◀de▶ polémiques aujourd’hui déprimées et stériles. Il est temps ◀de▶ renouveler ◀la▶ question et ◀de▶ rappeler ◀les▶ aspects positifs : ceux-ci sont à la fois plus « nouveaux » (voire choquants) pour ◀les▶ esprits encore mal nettoyés des routines ◀d’▶un passé récent, et plus féconds pour introduire une discussion des aspects proprement dialectiques.
◀La▶ doctrine ◀de▶ ◀l’▶Incarnation, précisée à ◀l’▶extrême par ◀les▶ Pères grecs, et maintenue par des soins jaloux au plus haut point du paradoxe, a créé un type ◀de▶ pensée en tension, ou mieux par tensions, qui sera jusqu’à nous ◀la▶ marque et ◀le▶ ressort ◀de▶ ◀l’▶esprit ◀de▶ recherche occidental, en contraste avec ◀le▶ monisme des ultimes sagesses orientales. Cette même doctrine, implicitement, confère au monde manifesté ◀de▶ ◀la▶ matière et ◀de▶ ◀la▶ chair — c’est-à-dire aux futurs objets ◀de▶ nos sciences physiques et naturelles — une dignité et une réalité que ◀l’▶Orient leur dénie par principe. Enfin, nous avons vu que ◀la▶ foi met un terme à ◀la▶ magie, aux mythes, aux religions naturelles, qui tenaient lieu de science aux sociétés antiques.
Ces structures et ces attitudes spécifiques ◀de▶ ◀la▶ pensée chrétienne ne pouvaient pas manquer ◀de▶ conditionner une certaine approche du réel. Formées et formulées par ◀la▶ théologie ◀d’▶où procèdent nos philosophies, elles ont déterminé dans une large mesure ◀la▶ problématique ◀de▶ nos sciences.
a) ◀La▶ pensée par tensions. — ◀Le▶ dogme du Dieu-homme fut ◀le▶ problème crucial ◀de▶ ◀la▶ spéculation des Pères et ◀de▶ leurs conciles. Il fut aussi ◀le▶ modèle suprême ◀de▶ ◀la▶ polarité impensable mais vraie, qui exige, dès qu’on ◀l’▶admet, une réforme profonde ◀de▶ nos catégories intellectuelles.
Si Jésus-Christ est à ◀la▶ foi « vrai Dieu » et « vrai homme » en une seule et même Personne, et si cette Personne à son tour est à la fois vraiment distincte et vraiment reliée au sein de ◀la▶ Trinité, il en résulte pour ◀l’▶esprit croyant ◀l’▶obligation ◀de▶ « penser ensemble » des termes vraiment opposés mais en même temps vraiment valables. On ne saurait donc chercher ◀la▶ solution ni dans ◀la▶ réduction ◀de▶ l’un des termes, ni dans une alternance du type diastole-systole, qui dissocierait ◀la▶ personne. Il s’agit bel et bien ◀de▶ vivre leur tension.
Et c’est ainsi qu’à tous ◀les▶ degrés, ◀de▶ proche en proche, sur tous ◀les▶ plans ◀de▶ notre pensée occidentale, ◀le▶ « scandale » des réalités contradictoires s’est propagé ou transposé : dès ◀l’▶instant qu’il était accepté au sommet, il devenait difficile ◀de▶ ◀le▶ refuser en droit dans ◀les▶ domaines subordonnés. Mais ◀la▶ transposition n’a pas toujours été légitime : il s’en faut ◀de▶ beaucoup.
Au couple ◀d’▶opposés vrai Dieu-vrai homme correspondent ◀d’▶une manière immédiate, terme à terme, ◀la▶ transcendance et ◀l’▶immanence dans ◀le▶ langage des philosophes, ◀la▶ vocation et ◀l’▶individu dans ◀l’▶anthropologie chrétienne, enfin ◀la▶ foi et ◀la▶ religion naturelle. Mais qu’en est-il des autres couples ◀d’▶opposés qui se sont multipliés dans notre histoire ? La plupart mettent en jeu des réalités purement humaines, de même nature, qui ne se rapportent plus ◀de▶ près ni ◀de▶ loin, aux deux termes originaux.
S’il est vrai que ◀l’▶opposition entre ◀l’▶Église et ◀l’▶Empire (guelfes et gibelins) reflète encore celle du divin et ◀de▶ ◀l’▶humain (au prix des équivoques et des abus que ◀l’▶on sait) il n’en va plus de même des couples gauche et droite, liberté et autorité, ordre et mouvement, révolution et stabilité, individu et société, etc. dans ◀le▶ domaine politique et social. Et pourtant, ces polarités reproduisent ◀le▶ même type ◀de▶ tension nécessaire (◀les▶ deux termes sont vrais, contradictoires, mais essentiels) que ◀la▶ théologie avait élaboré en partant ◀de▶ ◀la▶ Révélation. Elles procèdent ◀d’▶une commune origine, dont ◀le▶ grand modèle historique fut montré comme objet ◀de▶ ◀la▶ foi par ◀les▶ Pères du concile ◀de▶ Nicée, mais devint par ◀la▶ suite une « manière ◀de▶ penser », un archétype mental ◀de▶ ◀l’▶Occident. Je ne dis pas que ce passage ◀de▶ ◀la▶ christologie à ◀la▶ psychologie soit légitime — ni ◀les▶ théologiens ni ◀les▶ savants ne devraient ◀l’▶accepter comme tel — mais je constate primo qu’il a eu lieu, et secundo qu’il appartient ◀de▶ fait à ◀la▶ définition ◀de▶ ◀l’▶Occident. Or ce type ◀de▶ pensée se manifeste aux étapes décisives ◀de▶ notre science. Certes, on ne peut dire que ◀le▶ modèle théologique ait précédé ◀la▶ découverte des antinomies du réel : ◀le▶ conflit qui opposa ◀les▶ éléates et ◀les▶ tenants ◀de▶ Pythagore remonte au ve siècle avant notre ère. Mais entre Parménide et Pythagore, c’est-à-dire entre l’un et ◀le▶ multiple, ou entre Démocrite et Aristote — ◀l’▶atomisme et ◀le▶ continu — ◀la▶ tension à vrai dire « n’existe » pas. Il s’agit simplement ◀de▶ ◀l’▶antagonisme ◀de▶ deux écoles isolées et hostiles, totalement exclusives l’une ◀de▶ l’autre. Seule ◀l’▶Europe — et de plus en plus à mesure qu’on se rapproche du xxe siècle — a osé ce mouvement ◀de▶ ◀l’▶esprit qui assume ◀les▶ incompatibles. ◀La▶ passion ◀de▶ ◀la▶ synthèse, ressort ◀de▶ nos recherches et ◀de▶ tout ◀l’▶effort scientifique, naît et renaît sans fin ni cesse ◀de▶ cette tension. S’il est vrai que ◀le▶ secret ◀de▶ ◀la▶ synthèse est ◀de▶ « comprendre » ◀les▶ incompatibles, cela ne peut se produire que dans un seul esprit. Aussi longtemps que ◀les▶ aspects contradictoires sont vus séparément par des esprits divers, il n’y a, dans ◀l’▶ensemble ◀d’▶une culture, qu’oscillations et alternances sans progrès, monismes séquestrés, scepticismes stériles. Ce fut ◀le▶ cas ◀de▶ ◀l’▶Antiquité. Ou bien ◀l’▶on pose, comme ◀les▶ sagesses ◀d’▶Orient, ◀l’▶identité des contraires apparents : tout est dans tout, bien sûr, mais ◀la▶ science n’a pas lieu. Or, ◀la▶ physique actuelle est caractérisée par ◀la▶ reconnaissance ◀de▶ ses incompatibles : ◀le▶ problème onde ou corpuscule en est ◀l’▶exemple ◀le▶ plus pur55. Certes, il s’agit ◀de▶ phénomènes de même nature, et dont ◀l’▶opposition ne résulte peut-être que des méthodes ◀d’▶analyse employées. Mais ◀la▶ forme du problème est typique ; elle évoque une analogie dont ◀les▶ savants, sans doute, ont perdu ◀la▶ conscience, mais que ◀les▶ théologiens ne peuvent manquer ◀d’▶observer. Cette lumière qui consiste à la fois en « vraies ondes » et « vrais corpuscules », n’a-t-elle pas donné lieu à ◀d’▶infinis débats dans lesquels on pourrait retrouver — et ce jeu n’est peut-être pas vain — ◀l’▶équivalent des hérésies ◀les▶ plus connues, dualistes ou monophysites, arianistes ou docétistes, ◀l’▶orthodoxie étant alors représentée par MM. Einstein et ◀de▶ Broglie, non moins acharnés qu’Athanase à trouver une synthèse « catholique »…
Une démonstration analogue à celle que je viens ◀d’▶esquisser en partant ◀de▶ ◀la▶ christologie pourrait être faite à partir de ◀la▶ doctrine trinitaire. ◀De▶ Nicée à saint Augustin, puis à Anselme de Canterbury, à Thomas d’Aquin ou à Joachim de Flore, pour aboutir à Hegel, dont procèdent Marx et ses disciples, jusqu’à nous, ◀la▶ doctrine trinitaire n’a cessé ◀de▶ propager dans ◀les▶ domaines de plus en plus « humains » un type ◀de▶ dialectique à trois termes qui, finalement détaché ◀de▶ son objet primitif, est devenu une forme ◀de▶ notre esprit56.
b) ◀La▶ valorisation du monde manifesté. — Par son paradoxe essentiel, ◀la▶ christologie ◀de▶ Nicée n’a pas seulement conditionné ◀de▶ nouvelles formes ◀de▶ pensée, mais elle a prédéterminé, circonscrit et valorisé ◀le▶ champ même des recherches à venir.
Comment nier ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀la▶ matière et ◀de▶ notre chair, quand Dieu lui-même a choisi ◀de▶ se manifester en elles ? Il est bien vrai que ◀le▶ but dernier ◀de▶ ◀l’▶homme est ◀de▶ connaître Dieu, mais Dieu lui-même s’est rendu connaissable dans ◀la▶ chair. Et il est vrai aussi que « ◀l’▶Esprit seul vivifie, ◀la▶ chair ne sert ◀de▶ rien », mais pourtant c’est bien dans cette vie, dans cette existence toute charnelle 57 que ◀l’▶homme doit se convertir ; c’est « ici-bas », sans évasion possible, qu’est ◀le▶ lieu ◀de▶ son obéissance. Et il est vrai enfin que « ◀la▶ chair n’héritera pas du Royaume des cieux », et qu’elle est aujourd’hui sous ◀le▶ règne ◀de▶ ◀la▶ Loi, donc du péché et ◀de▶ ◀la▶ mort, mais ◀le▶ Credo n’en affirme pas moins sa délivrance finale et sa résurrection.
Cette dialectique violente et tourmentée, cette insistance des évangiles et des épîtres sur ◀la▶ réalité mortelle ◀de▶ ◀la▶ chair, et sur toutes ses contradictions, ce terme même ◀d’▶In-carnation et ◀le▶ mouvement descendant qu’il évoque, tout contribue à concentrer ◀l’▶attention vitale du croyant sur ◀la▶ réalité, déchue mais consistante, ◀de▶ « ◀l’▶ici-bas ».
Il y a plus : dans sa lettre aux Romains, saint Paul révèle que « ◀la▶ création tout entière soupire et souffre ◀les▶ douleurs ◀de▶ ◀l’▶enfantement » et qu’elle attend « dans un ardent désir ◀la▶ révélation des fils ◀de▶ Dieu… avec ◀l’▶espérance qu’elle aussi sera affranchie ◀de▶ ◀la▶ servitude ◀de▶ ◀la▶ corruption, pour avoir part à ◀la▶ liberté et à ◀la▶ gloire des enfants ◀de▶ Dieu. » Voici donc ◀l’▶homme chargé ◀d’▶une mission cosmique, armé par elle pour affronter un monde dont ◀la▶ réalité est attestée par Dieu, et qui attend son salut ◀de▶ ◀l’▶homme sauvé. Il est très important que Kepler ait écrit : « ◀Les▶ œuvres ◀de▶ Dieu sont dignes ◀d’▶être contemplées. » Ne voir là qu’une phrase édifiante interdirait ◀de▶ comprendre ◀le▶ motif primordial ◀de▶ notre science occidentale, et ◀la▶ raison pourquoi Descartes estime qu’un athée ne pourrait pas faire ◀de▶ physique. Certes, beaucoup ◀d’▶athées ont été physiciens, mais ◀le▶ mouvement créateur ◀de▶ ◀la▶ science — comme il est avéré par ◀l’▶histoire des génies — procède ◀d’▶une confiance intuitive dans ◀l’▶accord ◀de▶ ◀l’▶homme et du monde — accord réalisé une fois en Jésus-Christ, et promis au croyant par ◀la▶ Résurrection. Dès lors ◀le▶ témoignage ◀de▶ nos sens n’est pas vain : il est certes affecté ◀d’▶erreur par ◀le▶ péché, mais il peut être corrigé par ◀l’▶expérience, corrigeant à son tour ◀les▶ rêveries ◀de▶ ◀la▶ raison ; ◀la▶ parenté entre notre œil et ◀la▶ lumière, quoique mystérieuse, n’est plus une illusion ; et ◀le▶ cosmos n’est pas une fantasmagorie privée ◀de▶ cohérence, ◀d’▶ordre et ◀de▶ sens, mais il attend ◀de▶ nous, dans une profonde complicité ◀de▶ ◀l’▶espérance, ◀d’▶être à son tour interprété et révélé… Celui qui estime vraiment que ◀le▶ monde est absurde, on sent qu’il peut en faire ◀de▶ ◀la▶ littérature, mais non ◀de▶ ◀la▶ science. Einstein confirmera ◀l’▶intuition ◀de▶ Descartes, qui fut aussi celle ◀de▶ Newton et ◀de▶ Kepler58.
c) ◀Les▶ vertus scientifiques. — ◀La▶ non-absurdité et ◀la▶ réalité du monde manifesté ne suffiraient pas encore pour permettre ◀la▶ science. ◀Les▶ Grecs croyaient à ◀l’▶ordonnance cosmique, mais ils n’en retenaient pour vraie que ◀la▶ Beauté. ◀L’▶objet ◀de▶ ◀la▶ science ne peut vraiment devenir ◀la▶ totalité du réel que dans un monde créé par Dieu. Là, toute chose, belle ou laide à notre idée, implique une intention, trahit un sens, est intéressante et valable : « Dieu est aussi présent dans ◀l’▶intestin ◀d’▶un pou », déclare Luther — inaugurant ainsi ◀la▶ poésie moderne, sœur des sciences.
◀Les▶ « adversaires » du Christ ont souvent mieux compris que ses « défenseurs » attitrés ◀les▶ vraies implications du christianisme. C’est ainsi que Nietzsche, le premier, a su décrire ◀la▶ différence fondamentale qui sépare ◀la▶ science grecque ◀de▶ notre science moderne, laquelle ne pouvait naître, selon lui, que dans un monde christianisé.
Suivons ici ◀l’▶exégèse magistrale qu’a donnée ◀de▶ ◀la▶ pensée nietzschéenne Karl Jaspers59 :
Si ◀les▶ Grecs, qui fondèrent ◀la▶ science, ont pourtant ignoré ◀la▶ science universelle proprement dite, c’est que ◀les▶ mobiles spirituels et ◀les▶ impulsions morales nécessaires leur ont manqué. Au contraire, ◀le▶ chrétien a été capable ◀de▶ faire avancer cette science, grâce à son christianisme et ensuite contre son christianisme — du moins contre chacune des formes objectives que celui-ci a pu revêtir… Devant ◀l’▶immensité ◀de▶ ◀l’▶expérience possible, ◀le▶ Grec s’en tient à des images cosmiques fermées, à ◀la▶ beauté du cosmos tel qu’il ◀le▶ conçoit, à ◀la▶ transparence logique ◀de▶ ◀la▶ totalité posée par ◀l’▶esprit… Et il ne s’agit pas là seulement ◀d’▶Aristote et ◀de▶ Démocrite ; Thomas aussi, et même Descartes cèdent à cette impulsion grecque qui veut à tout prix établir une forme close, paralysant ainsi ◀la▶ science. Entièrement différente est ◀l’▶impulsion moderne, qui veut que ◀l’▶on reste ouvert sans réserve au tout ◀de▶ ◀la▶ réalité créée. ◀La▶ connaissance, alors, vise précisément, dans ◀le▶ réel, ce qui ne cadre pas avec ◀les▶ ordonnances et ◀les▶ lois établies précédemment. ◀La▶ pensée logique elle-même éprouve ◀le▶ besoin ◀de▶ se mettre sans cesse en échec, non pas en vue ◀d’▶une abdication, mais au contraire pour se retrouver ensuite élargie, enrichie, et poursuivre ce processus à ◀l’▶infini sans être comblée jamais. ◀La▶ science moderne est née ◀d’▶une rationalité qui, loin de se refermer sur elle-même, reste ouverte à ◀l’▶irrationnel et réussit même à y pénétrer en s’y subordonnant.
◀D’▶où vient cette exigence proprement insatiable, à la fois inquiète et sûre ◀d’▶elle-même, et ◀d’▶où vient ◀le▶ courage qu’elle suppose ? ◀De▶ ◀la▶ foi, qui est confiance en Dieu. Car « Si Dieu est ◀le▶ créateur du monde, il est désormais responsable ◀de▶ ce qu’est ◀le▶ monde et ◀de▶ ce qui s’y passe ». Il y a donc un sens, et il vaut ◀la▶ peine ◀de▶ ◀le▶ chercher — advienne que pourra ! Voilà pour ◀la▶ confiance. Et quant à ◀l’▶exigence :
Ce problème ◀de▶ ◀la▶ théodicée, ◀de▶ ◀la▶ justification ◀de▶ Dieu… provoque alors un effort passionné pour atteindre ◀la▶ vraie réalité divine, en pleine connaissance ◀de▶ ◀la▶ réalité du monde. Ce Dieu qui exige ◀la▶ vérité absolue ne veut pas qu’on ◀le▶ saisisse à ◀l’▶aide ◀d’▶illusions. Il rejette ◀les▶ théologiens qui tentent ◀de▶ consoler et ◀de▶ réconforter Job par des pensées spécieuses. Il exige ◀de▶ ◀l’▶homme un savoir qui cependant paraît sans cesse se tourner en réquisitoire contre lui-même. ◀La▶ passion ◀de▶ ◀la▶ science, à la fois universelle et incorruptible, naît ◀de▶ cette tension, ◀de▶ cette lutte avec ◀l’▶idée ◀de▶ Dieu jusque dans ◀la▶ connaissance du réel, qui pourtant vient de Dieu. […] Dieu n’est pas ◀l’▶objet ◀d’▶une foi véritable s’il ne peut pas supporter ◀d’▶être mis en question par ◀les▶ faits ; et toute quête ◀de▶ Dieu se rend en même temps ◀la▶ tâche plus ardue en refusant ◀les▶ approches illusoires. De même, toute recherche scientifique authentique veut que ◀le▶ chercheur lutte contre ses propres souhaits, ses propres prévisions. C’est un trait particulier du savant que ◀de▶ tenir pour suspecte toute pensée qui ◀d’▶avance ◀le▶ satisfait et ◀le▶ convainc.
Ainsi, c’est dans ◀la▶ mesure où ◀le▶ christianisme a signifié ◀la▶ fin des religions et des magies, nées ◀de▶ ◀la▶ peur, qu’il a permis ◀le▶ développement ◀de▶ ◀la▶ Science, recherche « impitoyable » ◀de▶ ◀la▶ vérité. Car ◀la▶ vérité, pour ◀la▶ foi, ne peut être que celle ◀de▶ Dieu, même quand elle semble nuire au groupe, à ◀la▶ tribu, à leurs lois et coutumes sacrées, que ◀l’▶on prend pour ◀l’▶Ordre et ◀le▶ Bien. ◀L’▶eppur ◀de▶ Galilée me paraît plus « chrétien » que ◀l’▶indignation ◀de▶ ses juges.
◀L’▶hérésie du matérialisme
Comparé aux religions ◀de▶ ◀l’▶Orient, ◀le▶ christianisme pourrait être qualifié ◀de▶ matérialisme, en tant que son dogme central postule ◀la▶ réalité du corps et ◀de▶ ◀la▶ matière. On vient de voir, au surplus, comment ◀la▶ science est liée à ◀l’▶attitude et à ◀la▶ dialectique fondamentales du christianisme. C’est pourtant ◀le▶ matérialisme, comme position métaphysique, qui devait faire éclater en Europe ◀le▶ conflit ◀de▶ ◀la▶ science et ◀de▶ ◀la▶ religion. Ponctuée ◀d’▶éclats sporadiques, ◀la▶ lutte couvait depuis longtemps ; avec ◀les▶ encyclopédistes elle se déclare, et jusqu’aux débuts ◀de▶ notre siècle, ◀la▶ majorité des savants tiendra pour ◀l’▶attitude matérialiste contre ◀l’▶ensemble des croyants. Finalement, ◀le▶ matérialisme devenu système général ◀de▶ pensée, sera décrété doctrine ◀d’▶État par ◀l’▶URSS. Mais tandis que dans ce pays, ◀l’▶hérésie s’organise en Église, ◀le▶ déclin ◀de▶ son prestige en Occident est précisément amorcé par ◀la▶ défection des savants.
Il est remarquable que ◀le▶ christianisme ait été menacé d’abord par une hérésie toute contraire : je veux parler du docétisme, qui tenait ◀le▶ corps du Christ pour une simple apparence, et ◀l’▶Esprit pour ◀la▶ seule et vraie réalité. La plupart des grandes hérésies des premiers siècles sont très nettement spiritualistes, ce qui indique bien que ◀l’▶orthodoxie chrétienne était ressentie comme trop matérialiste, dans un monde encore tout pénétré ◀de▶ conceptions du type oriental. C’est ◀la▶ rupture avec cet « Orient »-là, consécutive à ◀la▶ Renaissance, et consommée dès ◀l’▶aube ◀de▶ ◀l’▶ère technique, qui a donné libre cours à ◀l’▶extrémisme occidental que fut ◀le▶ matérialisme sous ses formes diverses : mécaniste, moniste, ou « dialectique ».
Qu’il s’agisse-là ◀d’▶une hérésie au sens précis60 c’est bien ce que j’ai tenté plus haut ◀de▶ mettre en lumière par ◀d’▶insistants rappels à ◀la▶ christologie, forme première ◀de▶ paradoxe vivant dont ◀le▶ spiritualisme, puis ◀le▶ matérialisme, sont deux manières ◀de▶ s’évader, l’une par en haut et l’autre par en bas.
Malgré ses prétentions à ◀l’▶objectivité, ◀le▶ matérialisme est demeuré, du moins chez ses théoriciens, un point de vue typiquement polémique, consistant à nier ◀l’▶Esprit même qui avait permis ◀de▶ valoriser chair et matière. Il se voulait moniste, mais né ◀d’▶un Occident profondément marqué au signe de la croix, il ne pouvait être senti que sous ◀la▶ forme ◀d’▶un manichéisme inversé, comme on ◀le▶ voit par ◀l’▶exemple ◀de▶ Marx. Pourtant, chez ◀les▶ savants qui acceptèrent son credo, il semble bien que ◀l’▶élément polémique ait été moins déterminant que ◀l’▶espèce ◀de▶ fascination qu’exerçaient ◀les▶ progrès accélérés ◀de▶ ◀l’▶exploration ◀de▶ ◀la▶ matière. Spirituellement analphabètes pour ◀la▶ plupart61, ◀les▶ hommes ◀de▶ science du xixe siècle durent se sentir ◀d’▶autant plus libres ◀de▶ s’enfoncer dans ◀la▶ matière et son étude, qu’ils se posaient moins ◀de▶ questions quant aux motifs et aux effets ◀de▶ leurs recherches. Peut-être fallut-il, en ce moment ◀de▶ ◀l’▶histoire et ◀de▶ ◀l’▶Aventure occidentale, cette grande poussée aveugle, cet enfoncement ◀de▶ taupe dans une galerie où ◀le▶ Soleil ne parvient plus — et ◀l’▶on finit par ◀l’▶oublier ou ◀le▶ nier — peut-être fallut-il ce dernier sacrifice, cette longue intermittence du spirituel, pour que ◀le▶ fond ◀de▶ ◀la▶ matière fût percé et qu’une nouvelle lumière encore diffuse, apparût ◀de▶ l’autre côté, comme au terme ◀d’▶une aride ascension s’ouvrit aux yeux de Balboa l’autre Océan ? Oportet haereses esse !
◀La▶ percée commença vers 1900. Un demi-siècle plus tard, Schrödinger écrivait : « ◀Le▶ physicien ◀d’▶aujourd’hui, à ◀l’▶intérieur du domaine propre ◀de▶ sa recherche, ne peut plus établir une distinction sensée entre ◀la▶ matière et quelque autre chose. » Et ce n’est pas seulement entre ◀la▶ matière et « autre chose », ou entre ◀l’▶énergie et quelque « ondulation » ◀d’▶on ne sait quoi, que ◀la▶ frontière intelligible s’est évanouie ; mais c’est aussi entre ◀le▶ vivant et ◀l’▶inerte, entre ◀le▶ soma et ◀la▶ psyché, peut-être enfin entre ◀les▶ mythes ◀de▶ ◀l’▶âme et ◀les▶ cosmogonies que nous croyons observer ou calculer… Nous verrons tout à ◀l’▶heure que cela n’affecte en rien ◀la▶ dialectique transcendance-immanence, et n’apporte aucun argument en faveur du Credo ◀de▶ Nicée ! Mais il faut voir tout de suite que cela ruine à jamais ◀les▶ certitudes ◀de▶ ◀la▶ pensée matérialiste. Celles-ci se fondaient sur ◀l’▶idée fixe que ◀la▶ preuve ◀de▶ réalité dans tous ◀les▶ cas et dans tous ◀les▶ domaines, est fournie par ◀les▶ seules expériences qu’on peut reproduire à volonté, toutes choses étant d’ailleurs matériellement égales62. ◀L’▶expression ◀de▶ « preuve matérielle » devint courante : elle signifiait ◀l’▶évidence absolue, mettant fin à toute discussion. ◀La▶ science était censée garantir ce point de vue, au nom duquel on pouvait écarter toute espèce « ◀d’▶hypothèse mystique ». Mais pendant que se vulgarisait dans ◀les▶ couches ◀les▶ plus étendues ◀de▶ ◀la▶ population occidentale ce « gros bon sens matérialiste », fondé sur un respect quasi religieux ◀de▶ ◀la▶ Science, ◀la▶ science réelle allait ailleurs. Elle retirait à ◀la▶ matière, l’une après l’autre, ses qualités classiques ◀de▶ vraie matière : ◀le▶ plein, ◀la▶ consistance, ◀l’▶immutabilité et ◀l’▶impénétrabilité. Fondement premier et refuge ultime ◀de▶ ◀l’▶idée ◀de▶ matérialité, ◀l’▶atome se résolvait en une sorte ◀de▶ vide animé ◀d’▶on ne savait trop quoi, sauf que « cela » restait calculable. « Une figure passagère à ◀l’▶intérieur ◀d’▶un champ ondulatoire, mais dont ◀la▶ forme et ◀la▶ complexité structurelle sont si clairement définies par ◀les▶ lois des ondes, que beaucoup de choses se passent comme si elles étaient des êtres substantiels et durables63. » Voilà ce qui reste ◀de▶ ◀la▶ matière aux yeux de ◀la▶ science ◀d’▶aujourd’hui.
Si ◀la▶ base du matérialisme était moins ◀la▶ matière classique que ◀la▶ négation ◀de▶ ◀l’▶Esprit, il n’en reste pas moins que ses arguments scientifiques se sont évanouis avec ◀les▶ caractères classiques ◀de▶ ◀la▶ matière ; car celle-ci a revêtu précisément ◀les▶ attributs que ◀les▶ matérialistes pensaient être ceux ◀de▶ ◀l’▶Esprit : ◀l’▶ubiquité, ◀l’▶invisibilité, une certaine indétermination — enfin ◀l’▶immatérialité ! Il en résulte que ◀le▶ matérialisme vulgarisé, survivant à ce qui fut sa base, n’est plus guère qu’une superstition. Il entretient religieusement des attitudes garanties par une science périmée, tout comme ◀les▶ rites des primitifs continuent des gestes sacrés dont ◀le▶ secret semble perdu, ou comme certaines ◀de▶ nos propres coutumes, à notre insu, remontent aux temps ◀de▶ ◀l’▶animisme. En revanche, ◀les▶ spiritualistes n’ont pas lieu ◀de▶ pavoiser, car, pour ◀les▶ mêmes raisons, leur idée ◀de▶ ◀l’▶esprit paraît fort compromise. Si ◀le▶ matérialiste est à bon droit gêné par ◀le▶ fait que ◀la▶ science subtilise sa matière, que dira ◀le▶ spiritualiste en voyant cette même science envahir son domaine ? Certains philosophes, se fondant sur ◀le▶ principe ◀d’▶indétermination ◀de▶ Heisenberg, ont cru pouvoir en déduire qu’il y avait ◀de▶ ◀la▶ liberté jusque dans ◀la▶ matière : mais n’était-ce pas admettre du même coup qu’il y aurait aussi ◀de▶ ◀la▶ détermination jusque dans ◀l’▶esprit ? Que ◀la▶ frontière s’efface entre ◀la▶ matière et ◀l’▶énergie, puis entre ◀l’▶énergie et quelque chose qui n’est plus exprimable qu’en formules mathématiques, et qui semble, par suite, appartenir à ◀la▶ pensée et à ses lois, voilà qui tendrait à prouver ◀l’▶existence ◀d’▶une continuité entre ◀la▶ matière brute et ◀la▶ pensée ◀la▶ plus abstraite. Il faudrait alors dissocier bien plus radicalement qu’on ne ◀le▶ fait ◀d’▶ordinaire ◀la▶ pensée humaine et ◀l’▶Esprit (mind and Spirit). Et ceci ramènerait ◀la▶ pensée sous ◀le▶ règne ◀de▶ ◀la▶ Loi, c’est-à-dire dans ◀la▶ « chair », telle que ◀le▶ définissent saint Paul et ◀l’▶Évangile.
◀De▶ ◀la▶ science à ◀la▶ théologie
◀La▶ question se ramène à savoir qui décide, et qui détient ◀la▶ preuve ◀de▶ ◀la▶ réalité. ◀L’▶Occidental moyen se figure qu’au Moyen Âge ◀le▶ sens général ◀de▶ ◀la▶ vie dépendait ◀de▶ ◀la▶ théologie, dont, depuis ◀la▶ Renaissance, ◀la▶ science et ◀la▶ raison ont une fois pour toutes pris ◀la▶ place. Ce changement représente à ses yeux un indiscutable progrès. Quand on lui demande pourquoi, il répond que ◀la▶ science libère ◀l’▶individu ◀de▶ ◀la▶ tyrannie jadis exercée par ◀les▶ prêtres. On lui a dit que chacun, désormais, peut fonder son jugement sur des faits qui sont « démontrés par ◀la▶ science », au lieu que ◀le▶ médiéval se voyait obligé ◀de▶ « croire aveuglément » ce que lui imposaient des autorités usurpées et d’ailleurs fondées dans ◀l’▶erreur. Mais comme cet homme moyen serait fort incapable ◀de▶ vérifier ◀les▶ faits affirmés par ◀la▶ science, cela revient à dire qu’il a choisi ◀de▶ « croire » — non moins aveuglément que ◀le▶ médiéval64 — ◀la▶ science ◀de▶ ◀la▶ matière, au lieu de celle ◀de▶ ◀l’▶esprit. Ce choix n’est donc pas scientifique, mais proprement théologique : c’est ◀l’▶hérésie que j’ai décrite.
Qu’en est-il du choix des savants ? Beaucoup d’entre eux, et non des moindres, ayant été conduits par leurs travaux bien au-delà ◀de▶ ◀la▶ superstition matérialiste, constatent que ◀les▶ frontières s’effacent entre ◀le▶ « fond » ◀de▶ ◀la▶ matière et ◀la▶ pensée. Ils en déduisent tout un système du monde qu’ils qualifient ◀de▶ panthéiste. Car si ◀le▶ cosmos est vraiment ◀l’▶infini à la fois dans ◀le▶ temps et dans ◀l’▶espace — comme ◀l’▶ont cru ◀les▶ atomistes grecs, puis Nicolas de Cuse et Giordano Bruno, et comme ◀l’▶affirment aujourd’hui plusieurs astronomes en renom — ou si ◀le▶ cosmos est pratiquement fini, mais cependant illimité, comme ◀le▶ pense curieusement Einstein, il en résulte que ce cosmos revêt certains des attributs ◀de▶ Dieu. ◀Le▶ divin prend alors ◀les▶ noms ◀les▶ plus bizarres : il est tantôt ◀la▶ forme archétypique organisant ◀les▶ ondes créatrices ◀de▶ ◀la▶ matière, tantôt ◀le▶ « superdispersive field » ou « sub-ether » dans lequel des informations venant ◀de▶ tous ◀les▶ points ◀de▶ ◀l’▶Univers se transmettraient « à ◀la▶ vitesse ◀de▶ ◀la▶ pensée », c’est-à-dire sans nulle perte ◀de▶ temps65. Mais là encore, ◀le▶ choix théologique reste aussi apparent qu’il est inévitable. Et il opère en général sur ◀d’▶assez grossières confusions : celle du temps infini et ◀de▶ ◀l’▶Éternité, celle ◀de▶ ◀l’▶immatériel et ◀de▶ ◀l’▶Esprit, celle enfin ◀de▶ ◀l’▶immanence et ◀de▶ ◀la▶ transcendance, dès ◀l’▶instant que la première est conçue comme ◀le▶ système total des lois ◀d’▶un Univers par ailleurs inimaginable. (◀D’▶où ◀la▶ tentation naturelle ◀de▶ ◀l’▶assimiler au divin.)
Au stade présent ◀de▶ ◀l’▶Aventure occidentale, dont ◀la▶ science est ◀la▶ pointe extrême en notre siècle, notre image du monde s’évanouit. Elle échappe à notre raison, comme elle avait déjà échappé à nos sens. Dépassée ◀la▶ matière, qui était pourtant devenue ◀l’▶objet principal ◀de▶ ◀la▶ science, nous butons contre ◀le▶ mystère que cette science avait cru pouvoir éliminer.
◀Le▶ Cosmos tout entier se résout en un voile tissé ◀d’▶ondes animant ◀le▶ Vide. 99 % ◀de▶ ◀la▶ matière cosmique consiste en hydrogène et en hélium produit à partir de ◀l’▶hydrogène. ◀Le▶ noyau ◀de▶ ◀l’▶hydrogène est un proton. Cet ultime substrat ◀de▶ ◀l’▶Univers physique est un « nœud ◀d’▶énergie » qui se produit dans un « champ » au sein duquel agissent on ne sait quels archétypes formateurs… ◀Le▶ monde phénoménal n’est plus qu’une apparence flottant sur ◀l’▶océan sans rivages et sans fond ◀de▶ ◀l’▶immatérielle Énergie. Voici donc retrouvée ◀la▶ Maya des hindous, au terme ◀d’▶un voyage dont ◀l’▶impulsion première avait pris pour tremplin ◀la▶ très ferme croyance en ◀la▶ réalité ◀de▶ ◀la▶ matière ! Mais derrière ce voile, qu’y a-t-il ? Cette question n’a pas ◀de▶ sens, nous dit-on. Dans ◀l’▶Univers ◀d’▶Einstein (illimité-fini) vous iriez aussi loin et longtemps que vous voulez, droit devant vous, pour revenir au même point. Essayez ◀de▶ penser cela, et vous verrez bientôt que ◀la▶ question ◀d’▶un au-delà ne se pose plus. Dans ◀l’▶univers en expansion ◀de▶ ◀l’▶abbé Lemaître et ◀de▶ Gamow, né ◀d’▶une explosion primitive, et qui reviendra peut-être à son point initial, vous n’irez pas plus loin ni plus longtemps que ◀la▶ plus extrême galaxie. Mais dans quoi tout cela se meut-il ? Il est vrai que ◀la▶ question n’a pas ◀de▶ sens : rien « au monde » ne peut y répondre ; mais aussi, elle dépasse ◀le▶ monde : rien en lui ne peut m’empêcher, ni moi-même, ◀de▶ me ◀la▶ poser. C’est ainsi que notre esprit sans relâche vient buter contre ◀la▶ transcendance.
Si ◀le▶ matérialisme immatérialisé ◀de▶ notre période einsteinienne revient à constater que ◀la▶ Maya est tout, et qu’il est fou ◀de▶ penser à n’importe quoi ◀d’▶autre, c’est qu’alors il est fou ◀de▶ penser Dieu, mais aussi ◀de▶ penser Liberté. ◀Le▶ refus qu’on oppose à ma question dernière dissimule un refus ◀d’▶être mis en question par autre chose que ◀le▶ monde et ◀la▶ mathématique.
Tout s’explique et s’implique dans ◀le▶ cosmos des sciences, et ◀l’▶invisible même s’y convertit sans cesse en matière composée ◀d’▶énergie qui retourne sans cesse au non-manifesté66. À ce cycle infini, ◀l’▶homme oppose sa Question. Nulle réponse, nul refus ◀de▶ répondre, et nulle interdiction ◀d’▶interroger, n’auront jamais raison ◀de▶ cette Question : elle nous juge et pose nos limites, qui sont celles du savoir humain, mais elle pose en même temps ◀l’▶existence ◀de▶ ◀l’▶idée ◀d’▶un Ailleurs absolu, ◀d’▶un totaliter aliter. Et rien ne peut faire qu’une telle idée provienne ◀d’▶un monde suffisant et fermé sur soi.
Cette « voie négative » ◀de▶ ◀la▶ science nous conduit à ◀l’▶Inconnaissable. C’est ◀le▶ nom ◀de▶ ◀l’▶absence ◀de▶ Dieu pour ◀l’▶homme.
◀L’▶infini et ◀l’▶omniprésence, ◀l’▶ordre et son principe immuable, ◀la▶ prescience et ◀la▶ totalité, ces attributs majeurs que ◀les▶ grandes religions avaient conçus comme ceux du Dieu suprême, ◀la▶ physique et ◀la▶ mathématique peuvent ◀les▶ transférer au Cosmos. Mais ◀le▶ Dieu que prient ◀les▶ chrétiens est celui qui s’est fait connaître par cela justement que ◀la▶ science ne connaît pas, et ne pourra jamais ni intégrer, ni réfuter comme illusoire. Et c’est ◀la▶ seule définition ◀de▶ Dieu donnée par sa révélation en Jésus-Christ : « Dieu est Amour. » (Dans ◀le▶ contexte ardu que ◀l’▶on vient ◀d’▶explorer, ◀le▶ mot prend un sens insolite : puisse-t-il s’en trouver purifié ◀de▶ ses associations pieuses et sentimentales.)