Au seuil d’▶une année décisive (février 1957)bh
◀La▶ preuve est faite
◀La▶ politique ◀d’▶union européenne est ◀la▶ seule politique dont ◀le▶ Centre s’occupe, et dont il doit se préoccuper pour des raisons bien évidentes : ◀l’▶avenir ◀de▶ notre culture étant lié à ◀l’▶union politique et économique ◀de▶ nos peuples, comme ◀l’▶âme est liée au corps ; ni plus ni moins.
◀L’▶année 1956 a permis ◀de▶ vérifier et ◀de▶ rendre claires et simples ◀les▶ thèses fondamentales des partisans ◀de▶ ◀l’▶union.
Chacun voit aujourd’hui que nous devons faire ◀l’▶Europe, non plus pour empêcher des guerres entre nos peuples — car elles sont devenues pratiquement impensables — mais bien pour que nos peuples trouvent ensemble ◀la▶ force ◀de▶ résister aux pressions formidables qui s’exercent contre eux ◀de▶ ◀l’▶extérieur. ◀La▶ crise ◀de▶ Suez a illustré cette situation. On a vu se dresser contre nous, à ◀l’▶ONU, ◀le▶ monde arabe soutenu par ◀le▶ groupe ◀de▶ Bandung qui est ◀l’▶Asie tout entière et une partie ◀de▶ ◀l’▶Afrique, ◀l’▶URSS nous menaçant ◀de▶ détruire nos capitales par projectiles téléguidés, enfin ◀les▶ États-Unis eux-mêmes (pendant quelques semaines tout au moins) dont ◀les▶ intérêts se trouvaient diverger des nôtres au Moyen-Orient.
Chacun voit aujourd’hui que nous devons faire ◀l’▶Europe parce que ◀la▶ souveraineté ◀de▶ ses nations n’est qu’un mythe et que, dès lors, ◀l’▶indépendance du continent doit être recouvrée au niveau de ◀l’▶Union. ◀L’▶aventure franco-anglaise en Égypte a démontré le premier point, et le second en découle logiquement. ◀D’▶où ◀la▶ nécessité, devenue bien évidente, ◀d’▶un pouvoir fédéral européen, seul capable ◀de▶ « faire ◀le▶ poids » dans ◀le▶ jeu des forces mondiales.
Chacun voit aujourd’hui qu’il nous faut faire ◀l’▶Europe pour assurer notre avenir économique, et parce qu’il n’est aucun ◀de▶ nos pays qui puisse encore s’en tirer seul. Illustration : nous souffrons tous ◀d’▶une certaine pénurie ◀d’▶essence qui affecte également tous nos peuples, sans distinguer entre ◀les▶ bons et ◀les▶ méchants, ◀les▶ neutres ou ◀les▶ « agresseurs ». Il dépend du seul dictateur ◀d’▶un petit pays « sous-développé » que nos voitures tombent en panne, que nos usines se vident et que nos hôpitaux se remplissent. Leçon ◀de▶ choses très élémentaire et salutaire, pour beaucoup ◀d’▶étourdis qui n’avaient pas remarqué que nous sommes tous, en Europe, dans ◀le▶ même bateau. ◀D’▶où ◀la▶ nécessité, devenue bien évidente, ◀d’▶un grand Marché commun et ◀de▶ ◀l’▶Euratom, conditions à la fois ◀de▶ notre prospérité et ◀de▶ notre indépendance énergétique.
◀L’▶atmosphère a changé
Il est certain que ◀la▶ cause européenne a fait ◀d’▶immenses progrès au cours des derniers mois. Suez et Budapest ont alerté ◀les▶ plus indifférents aux affaires politiques. ◀La▶ jeunesse se réveille dans ◀les▶ villes qui préparent ◀l’▶élection ◀d’▶un « Congrès du peuple européen ». ◀La▶ presse découvre que ◀le▶ sort ◀de▶ ◀l’▶Europe est un sujet ◀d’▶actualité. Des magazines à grand tirage, en France, tels que Match et Réalités, publient des appels à ◀l’▶union qui ont ◀l’▶éloquence urgente des faits et ◀d’▶une sûre documentation. ◀Les▶ parlements discutent — et quelques-uns acceptent — ◀le▶ projet ◀de▶ marché commun. ◀Les▶ Anglais eux-mêmes se réchauffent, et leurs ministres ◀les▶ préparent, avec prudence, à ◀l’▶idée révolutionnaire qu’il n’y a plus ◀d’▶îles qui comptent dans ◀le▶ monde actuel et que ◀la▶ Grande-Bretagne est une partie ◀de▶ ◀l’▶Europe. Adenauer proclame que ◀l’▶Europe fédérée a cessé ◀d’▶être une utopie, et qu’il s’agit maintenant ◀d’▶élire une assemblée constituante européenne. ◀Le▶ communisme est partout en recul. Et ◀l’▶idée ◀d’▶un parti européen prend corps.
Que manque-t-il donc encore pour que ◀l’▶Europe se fasse ? Pour qu’on cesse ◀d’▶en parler comme ◀d’▶un beau rêve, alors qu’elle est une dure nécessité ? Pour qu’elle balaye ◀les▶ « préalables » imbéciles multipliés sur ◀le▶ chemin ◀de▶ ◀l’▶union par ceux qui n’ont pas encore vu ◀le▶ danger que nous courons tous ?
◀La▶ leçon ◀de▶ Budapest
On ne pourra faire ◀l’▶Europe, et ◀la▶ doter ◀d’▶un pouvoir politique et ◀d’▶un marché commun, que si ◀l’▶on surmonte ◀les▶ obstacles qui s’opposent à ◀l’▶union immédiate, et qui résident principalement dans ◀les▶ esprits : préjugés hérités ◀d’▶une histoire mal apprise, intérêts mal compris, calculs à courte vue, nationalismes vantards et utopiques (genre « ◀la▶ France seule »), et surtout défaitisme intellectuel et manque ◀de▶ foi dans ◀l’▶idéal occidental.
Il faut donc persuader nos élites et nos masses que ◀l’▶Europe reste ◀la▶ patrie des libertés fondamentales ◀de▶ ◀l’▶homme moderne, et ◀le▶ foyer vivant ◀d’▶une civilisation que ◀le▶ monde entier lui jalouse : on ◀l’▶attaque, on ◀la▶ dit décadente, morte avec ◀le▶ colonialisme, condamnée sans recours, mais on ◀l’▶imite partout. Et ceux qui se croyaient sûrs ◀de▶ recueillir ses dépouilles, au nom de ◀l’▶Avenir et ◀d’▶une Histoire fatale, ce sont ceux-là qui ont vu se révolter contre eux, au nom de ◀l’▶Europe précisément, ◀la▶ jeunesse et ◀les▶ ouvriers, c’est-à-dire ◀les▶ porteurs ◀de▶ ◀l’▶avenir et du progrès ◀de▶ ◀l’▶histoire selon Karl Marx !31)
Budapest a montré au monde que ◀l’▶Europe divisée reste impuissante, mais aussi que ◀l’▶idéal européen reste plus fort et plus vivant au cœur des hommes que toutes ◀les▶ doctrines qu’on lui oppose, même appuyées par ◀les▶ moyens ◀de▶ persuasion ◀les▶ plus insidieux ou brutaux.
Qu’il faille faire ◀l’▶Europe est maintenant évident. Mais que ◀l’▶on puisse ◀la▶ faire, c’est-à-dire qu’on ◀la▶ veuille, dépendra ◀d’▶un immense effort ◀d’▶information, ◀d’▶éducation, et pour tout dire, ◀d’▶hygiène civique.
Notre tâche
Plus que jamais résister à ◀l’▶esprit ◀de▶ démission, ◀d’▶autodénigrement morbide, qui affecte une bonne partie ◀de▶ notre « intelligentsia » trop longtemps fascinée et bluffée par ◀l’▶arrogance ◀d’▶une certaine barbarie et par ses prétentions à représenter ◀la▶ « fatalité historique ». Plus que jamais affirmer ◀la▶ mission ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀l’▶universalité ◀de▶ son message32.
Plus que jamais informer ◀l’▶opinion, former des cadres responsables, éduquer ◀la▶ jeunesse, réformer ◀les▶ manuels, documenter ◀les▶ militants fédéralistes, promouvoir des études scientifiques sur ◀les▶ moyens ◀de▶ réaliser ◀l’▶union.
◀Le▶ programme ◀de▶ notre institution tient presque tout entier dans ces deux paragraphes. Notre but général reste ◀de▶ faire ◀l’▶Europe en formant des Européens.
Voilà pourquoi ◀le▶ CEC vient de reprendre à sa charge ◀les▶ expériences-pilotes ◀d’▶éducation et ◀de▶ formation des cadres, élaborées et financées en grande partie par ◀la▶ Fondation européenne ◀de▶ ◀la▶ culture. Voilà pourquoi ◀le▶ CEC vient de lancer un bulletin ◀de▶ presse, diffusant gratuitement ◀de▶ brefs articles et des nouvelles européennes, à ◀l’▶usage ◀d’▶un millier ◀de▶ journaux dans nos trois langues principales. Et voilà ◀la▶ raison ◀de▶ ◀la▶ récente création ◀de▶ notre « Service européen ◀de▶ conférences ». Et ◀de▶ notre plan — prêt à se réaliser — ◀d’▶un pool européen ◀de▶ ◀l’▶édition.
C’est dans ◀le▶ même cadre que prennent place nos deux séminaires ◀de▶ recherches sur ◀le▶ Marché commun et ◀les▶ loisirs — l’un terminé, l’autre en préparation — contribuant à ◀la▶ réflexion scientifique sur ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶Europe.
C’est enfin ◀la▶ même intention qui rend compte du choix des sujets ◀de▶ nos derniers numéros spéciaux : Éducation européenne et ◀L’▶Europe s’inscrit dans ◀les▶ faits en 1956, ◀L’▶Europe et ◀l’▶École en 1957.
◀Les▶ mois qui viennent vont sans doute enregistrer ◀d’▶importants progrès vers ◀l’▶union : Marché commun et Euratom ont ◀d’▶assez fortes chances ◀de▶ succès dans nos différents parlements.
Mais il serait insensé ◀de▶ crier victoire. ◀La▶ construction ◀d’▶une Europe politique reste à faire ou à reprendre à ◀la▶ base ; elle attend encore sa « relance ». ◀L’▶opinion bouge, ◀la▶ jeunesse bouge, ◀le▶ danger croît, mais ◀les▶ parlements restent cois.
Suez et Budapest n’auraient-ils pas suffi ? Faudra-t-il d’autres catastrophes ?
Ou ne serait-t-il pas moins coûteux ◀de▶ soutenir des efforts constructifs, et ◀de▶ financer, par exemple, une très puissante campagne ◀d’▶information, capable ◀de▶ pousser, ou même ◀de▶ « bousculer » — selon ◀l’▶expression fameuse ◀de▶ Spaak — ◀les▶ gouvernants et leurs majorités ? Seule une Union rapide, complète, et sans réserve, peut encore redresser ◀les▶ destins chancelants ◀de▶ ◀la▶ communauté humaine qu’on nomme Europe.