La▶ règle ◀d’▶or, ou principe ◀de▶ ◀l’▶éducation européenne (1960-1961)ch ci
◀Les▶ deux fins ◀de▶ toute éducation
Quel est ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶Éducation pour ◀les▶ Européens du xxe siècle ? Et spécialement pour vous, futurs maîtres ◀de▶ classes du primaire et du secondaire ?
Nous sommes ici dans une Europe en train de s’unir, face à un monde transformé par elle, et disons plus : fait par ses œuvres. Car si ◀l’▶on peut parler du Monde, ◀de▶ ◀l’▶unité du « genre humain », comme chacun ◀le▶ fait aujourd’hui, c’est bien à ◀l’▶Europe qu’on ◀le▶ doit : c’est elle qui a découvert ◀la▶ Terre entière, c’est elle que ◀l’▶on imite partout, et c’est ◀d’▶elle enfin que ◀les▶ peuples ont reçu cette idée ◀de▶ ◀la▶ liberté et ces moyens ◀de▶ se libérer qu’ils ont hâte ◀d’▶appliquer d’abord à ses dépens ! Au moment où elle dépasse ses vieux nationalismes et regroupe ses forces ; au moment où ◀les▶ jeunes nationalismes ◀d’▶outre-mer s’affirment bruyamment et tendent à se grouper contre elle ; doublement remise en question, ◀l’▶Europe se voit contrainte ◀de▶ prendre une conscience neuve ◀de▶ ses buts généraux, et ◀de▶ ce qu’elle veut ◀de▶ ◀l’▶homme. C’est ◀le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶Éducation qui se pose ici dans son ampleur et son urgence.
Depuis des siècles, on a discuté ◀les▶ méthodes ◀de▶ ◀l’▶Éducation, comme si ◀les▶ fins ◀de▶ cette Éducation allaient de soi. Et en effet, durant des siècles, ces fins n’étaient guère contestées : un accord général existait quant à savoir sur quel modèle il s’agissait ◀de▶ former ◀l’▶individu. Il n’en va plus de même aujourd’hui. Nous ne sommes plus au Moyen Âge, avec ses idéaux bien encadrés du clerc, du chevalier et ◀de▶ ◀l’▶artisan. Nous ne sommes plus à ◀l’▶âge classique, avec son idéal ◀de▶ ◀l’▶honnête homme. Notre idée ◀de▶ ◀l’▶homme a changé. Mais quelle est-elle ? Nous continuons à parler ◀de▶ méthode ◀d’▶éducation et ◀de▶ pédagogie, sans déclarer leurs fins nouvelles.
On ◀l’▶a dit et on ◀l’▶a répété : toute politique implique une définition ◀de▶ ◀l’▶homme. De même, et a fortiori, toute méthode éducative. Qui veut ◀la▶ fin veut ◀les▶ moyens, dit ◀le▶ proverbe. Inversement, qui veut certains moyens sert, consciemment ou non, certaines fins. Derrière ◀l’▶écran ◀de▶ fumée que constituent ◀les▶ prétextes généralement invoqués pour ne pas reposer ◀la▶ question des fins — objectivité scientifique, routines et règlements, difficultés pratiques à surmonter d’abord, etc. — saurons-nous distinguer ◀les▶ buts humains ◀de▶ ◀l’▶éducation occidentale au xxe siècle ?
C’est ◀le▶ problème unique que je me pose ici, et je crois qu’il n’est pas impossible ◀d’▶y répondre. ◀La▶ méthode comparative, dont un Marc-Antoine Jullien se fit ◀l’▶avocat voici un siècle, pourra nous y aider. Mais avant de ◀l’▶appliquer aux trois grandes régions qui forment ◀l’▶Occident moderne — ◀l’▶Europe, ◀l’▶URSS et ◀les▶ USA — rappelons en quelques mots ce qu’a signifié ◀l’▶Éducation dans ◀les▶ grandes sociétés humaines ◀de▶ ◀l’▶Antiquité, ◀de▶ ◀l’▶Orient et ◀de▶ ◀l’▶Europe jusqu’à nos jours.
Éduquer ◀l’▶homme, dans tous ◀les▶ temps et dans toutes ◀les▶ cultures connues, a toujours consisté en deux efforts conjoints :
— transmettre ◀les▶ connaissances acquises par une société déterminée ;
— former moralement et socialement ◀le▶ jeune individu.
Dans ◀les▶ sociétés traditionnelles, régies par ◀le▶ Sacré (Antiquité, Asie) ◀la▶ transmission des connaissances prend ◀la▶ forme ◀d’▶une initiation, tandis que ◀la▶ formation morale et sociale consiste en un dressage ◀de▶ ◀l’▶individu, toute ◀l’▶opération ayant pour but ◀de▶ rendre ◀les▶ croyances, conduites et réflexes, conformes aux canons religieux établis et indiscutés.
Dans nos sociétés modernes, pluralistes et profanes, tout change. ◀La▶ transmission des connaissances n’est plus initiation mais instruction publique, c’est-à-dire communication directe, sans préparation religieuse, et à n’importe qui, ◀d’▶un savoir déclaré objectif. Cette instruction ne vise pas à introduire au mystère, mais au contraire à ◀l’▶éliminer. Elle distribue, comme au hasard, une certaine « somme ◀de▶ connaissances », ◀d’▶objets tout faits, avec leur mode ◀d’▶emploi ; tandis que ◀l’▶initiation supposait une préparation rituelle, créant une attitude ◀de▶ réceptivité à certaines « révélations » symboliques ou mythiques, — c’est-à-dire psychiques ou psychologiques, comme nous ◀le▶ dirions aujourd’hui.
En revanche, au dressage antique, ◀les▶ sociétés modernes ont substitué ◀la▶ promotion ◀de▶ ◀l’▶esprit critique en vue de ◀l’▶autonomie individuelle. ◀Le▶ dressage consistait dans un conditionnement des réflexes : il s’agissait ◀de▶ forcer ◀le▶ jeune homme à imiter exactement, et sans discussion, ◀les▶ conduites méticuleusement prescrites par ◀la▶ coutume sacrée. (Seul équivalent moderne : ◀le▶ drill militaire, d’ailleurs en voie ◀de▶ rapide disparition.) ◀La▶ préparation à ◀l’▶autonomie va dans ◀le▶ sens contraire : idéalement, elle vise à libérer ◀l’▶individu des conformismes périmés, des vérités toutes faites — même inculquées par ◀l’▶instruction — afin de ◀le▶ mettre en mesure ◀de▶ réaliser sa propre vocation. Au lieu de ◀le▶ forcer à devenir comme ◀les▶ autres, on veut ◀l’▶aider à devenir lui-même. Au lieu de ◀le▶ diriger dès sa naissance dans une voie tracée par ses astres, par sa caste, sa classe et sa famille, on ◀le▶ prépare à courir « sa » chance, son aventure particulière. Au lieu d’initiation, on parle ◀d’▶initiative.
Ces deux termes marquent ◀le▶ début et ◀la▶ fin ◀d’▶une évolution millénaire allant du sacré au profane, du collectif religieux-social à ◀l’▶individualisme, ◀de▶ ◀l’▶autorité indiscutée à ◀la▶ liberté aventureuse.
Un exemple très simple illustrera tout cela. On sait ◀le▶ rôle ◀de▶ ◀la▶ danse dans ◀la▶ culture hindoue. Danser, pour un Indien, c’est « s’inscrire dans ◀le▶ jeu circulaire ◀de▶ ◀la▶ terre et des astres » comme ◀l’▶écrit Nyota Inyoka. C’est reproduire sans faute de ◀la▶ manière prescrite, à ◀l’▶extrême ◀de▶ ◀la▶ précision, ◀les▶ gestes qui symbolisent ◀l’▶action ◀d’▶un dieu. Toute variation individuelle, trahissant ◀le▶ tempérament ou ◀la▶ personnalité du danseur, devient alors erreur ou impiété : elle frappe ◀de▶ nullité ◀le▶ rite. En Europe au contraire, il est courant que ◀le▶ maître inscrive au bas d’une rédaction ◀d’▶élève qu’il veut louer : « Bon travail, idées originales et style personnel. »
◀Le▶ vrai sens ◀de▶ ◀l’▶action ◀d’▶éduquer, dans notre ère, devient alors conforme à ◀l’▶étymologie même ◀de▶ ce verbe : e-ducere, « conduire dehors », conduire ◀l’▶individu ◀de▶ ◀l’▶ignorance au savoir, ◀de▶ ◀l’▶instinct à ◀la▶ raison critique, du royaume du sacré indiscutable et protecteur vers ◀l’▶aventure personnelle, vers ◀l’▶autonomie, vers ◀les▶ risques…
J’ai dit que ◀les▶ deux termes ◀d’▶initiation et ◀d’▶initiative marquent deux attitudes extrêmes, l’une autoritaire et l’autre libérale. N’allez pas croire, pourtant, que ◀l’▶humanité devait fatalement passer ◀de▶ l’une ◀de▶ ces attitudes à l’autre en vertu ◀de▶ quelque loi ◀de▶ ◀l’▶Histoire, devait abandonner l’une pour adopter l’autre, et que par suite ◀l’▶autorité serait quelque chose ◀de▶ « périmé », ◀de▶ « réactionnaire », et en tout cas, ◀de▶ condamnable, tandis que ◀la▶ liberté serait moderne, progressiste et louable en tous ◀les▶ cas. Car en fait toute éducation digne du nom comporte ◀les▶ deux éléments à doses variables. Autorité et liberté sont aussi nécessaires à ◀la▶ vie ◀de▶ ◀l’▶Éducation que ◀la▶ diastole et ◀la▶ systole du cœur à ◀la▶ circulation sanguine, ou que ◀l’▶attraction et ◀la▶ répulsion à ◀l’▶animation ◀de▶ ◀l’▶énergie nucléaire, des courants électriques, ◀de▶ ◀la▶ vie amoureuse.
Cependant ◀le▶ dosage des deux attitudes reste variable, et ses variations déterminent ◀les▶ diverses conceptions connues ◀de▶ ◀l’▶Éducation, selon ◀les▶ divers types ◀d’▶hommes qu’elle entend former.
Quels sont, dans ◀l’▶Occident moderne, ces types ◀d’▶hommes ?
Trois tendances principales en Occident
Du point de vue ◀de▶ ◀la▶ culture au sens large du mot, trois régions bien distinctes se sont dessinées au cours du second tiers du xxe siècle : ◀l’▶Europe, ◀l’▶URSS et ◀les▶ USA. Vous allez voir qu’elles se définissent aisément selon ◀le▶ dosage ◀d’▶autorité et ◀de▶ liberté qu’elles ménagent dans ◀l’▶Éducation.
a) ◀Les▶ États-Unis d’Amérique se caractérisent par ◀la▶ prédominance très marquée ◀de▶ ◀la▶ liberté sur ◀l’▶autorité. ◀Le▶ souci ◀de▶ respecter ◀l’▶individu y triomphe dans ◀l’▶enseignement, au point ◀d’▶y provoquer une crise aiguë, que ◀les▶ observateurs étrangers ne sont pas ◀les▶ seuls ni les premiers à détecter. Un nombre croissant ◀d’▶Américains, témoins ou victimes du système, ◀le▶ dénoncent sans pitié par ◀le▶ livre et ◀le▶ film.45
◀La▶ crainte ◀de▶ « créer des complexes » paralyse ◀le▶ maître et ruine ◀la▶ discipline. ◀La▶ crainte ◀d’▶imposer un effort intellectuel excessif aboutit à ne plus rien imposer du tout. Si un élève déclare qu’il n’a pas envie ◀de▶ faire ◀de▶ ◀l’▶arithmétique ce matin (et qui en a jamais envie ?) on lui répond en souriant qu’il n’a qu’à faire autre chose. ◀Les▶ méthodes nouvelles ◀d’▶enseignement tendent régulièrement à économiser pour ◀l’▶élève ◀l’▶effort ◀de▶ ◀l’▶intelligence, ◀de▶ ◀la▶ mémoire et ◀de▶ ◀l’▶attention. Elles ont formé une génération ◀d’▶enfants que plus rien ne tient en respect, qu’aucune loi ni règlement n’effraye plus. ◀L’▶École est devenue leur jouet, et ils ne peuvent comprendre qu’un maître ◀les▶ empêche ◀de▶ jouer avec lui comme il leur plaît. ◀L’▶idée générale est ◀la▶ suivante : si un texte est trop difficile, qu’on en choisisse un plus facile, un plus « moderne »… ◀Le▶ caractère ◀d’▶imprimerie devient toujours plus gros, ◀les▶ images plus nombreuses, et ◀l’▶on peut craindre qu’à ◀la▶ fin elles ne remplacent complètement ◀les▶ mots. ◀Le▶ langage subit une dégradation analogue. ◀Les▶ nuances ◀de▶ pensée tendent à disparaître avec ◀les▶ mots qui ◀les▶ traduisaient… ◀Le▶ niveau éducatif s’abaisse jusqu’au plus bas commun dénominateur, et voici ◀l’▶ironie : personne n’en tire bénéfice, même pas ◀l’▶élève ◀le▶ plus ignare, car il voit son ignorance acceptée comme ◀la▶ norme ! Quant aux plus intelligents, ils trouvent ◀de▶ moins en moins ◀d’▶incitations à se surpasser (challenge) dans ◀l’▶enseignement qu’on leur offre.
Ces jugements et cette description, je ◀les▶ extrais du livre qu’une institutrice écœurée publiait il y a quelques années aux États-Unis46. ◀Le▶ diagnostic qu’elle porte, et que vingt auteurs confirment, pourrait être résumé ◀de▶ ◀la▶ sorte : on pousse ◀le▶ respect ◀de▶ ◀l’▶individualité enfantine jusqu’au refus ◀de▶ ◀la▶ former. Mais précisons : si ◀la▶ formation intellectuelle qu’elle offre est de plus en plus médiocre, ◀l’▶école américaine n’en prétend pas moins préparer des « personnalités complètes et socialement adaptées ». Elle se substitue presque totalement à ◀la▶ famille, prenant ◀l’▶enfant dès 3 ou 4 ans (nursery, schools), ou au plus tard dès 5 ans (Kindergarten), pour ◀le▶ garder jusqu’à 18 ans, et cela non seulement pendant ◀les▶ leçons mais par ◀le▶ moyen ◀d’▶innombrables activités « sociales » qui absorbent ◀les▶ heures libres après ◀la▶ classe. Résultat global : baisse du niveau intellectuel, nivellement aux dépens des meilleurs, et toute-puissance des « modes » sociales sur ◀la▶ jeunesse. ◀Le▶ respect excessif ◀de▶ ◀l’▶individu, ◀la▶ crainte ◀de▶ ◀le▶ déformer en ◀le▶ formant par des disciplines exigeantes, aboutit à un conformisme tyrannique, dont souffre en premier lieu ◀l’▶élite virtuelle. On voulait faire des individus libres, et ◀les▶ amener à ◀la▶ liberté sans contraintes, on aboutit à faire des individus « ajustés » qui n’offrent plus ◀de▶ résistance aux modes, à ◀la▶ publicité, aux injonctions ◀de▶ ◀la▶ TV.
b) À l’autre extrême, prenons ◀le▶ cas ◀de▶ ◀l’▶URSS, dont ◀la▶ doctrine ◀d’▶État, marxiste ◀d’▶étiquette, bien qu’en réalité technocratique, entend éliminer tout individualisme et ne respecter que ◀les▶ droits ◀de▶ ◀la▶ collectivité. ◀Le▶ trait distinctif est ici ◀la▶ spécialisation dirigée par ◀l’▶État. ◀L’▶élève qui a réussi ses épreuves ◀de▶ sorties (après dix ans ◀d’▶école) peut entrer dans un des 800 instituts techniques existant en URSS (pour 33 universités seulement). ◀L’▶éducation technique se divise en cinq branches principales, qui se subdivisent en 24 sous-branches, comprenant 295 spécialités et 510 sous-spécialisations. ◀Le▶ plan ◀d’▶étude est rigoureusement prescrit pour chaque spécialité : ◀l’▶élève n’a aucun droit ◀d’▶option et il n’existe pas ◀de▶ cours facultatifs, ni ◀de▶ cours ◀de▶ culture générale (studium generale), à moins qu’on ne qualifie ainsi ◀les▶ cours ◀de▶ science politique, c’est-à-dire ◀de▶ marxisme-léninisme et ◀de▶ propagande du Parti, qui n’occupent que 6 % des études, 27 % étant consacré aux sciences et 67 % à ◀la▶ spécialisation. Quelques jours après ses examens finaux, ◀l’▶étudiant se voit assigner par ◀l’▶État un poste ◀de▶ travail pratique, et ce stage dure au moins trois ans. Après quoi, quelques-uns des meilleurs sont autorisés à poursuivre des études supérieures et à préparer un doctorat. Au cours des dernières 25 années, trois sur quatre des candidats ont été dirigés vers un doctorat en sciences47.
Ce sont ainsi ◀les▶ besoins du Plan, c’est-à-dire ◀les▶ besoins ◀de▶ ◀la▶ collectivité interprétés par ◀le▶ Parti et son État, qui déterminent ◀l’▶éducation. On revient au dressage utilitaire ◀de▶ ◀l’▶individu comme dans ◀les▶ sociétés sacrées religieuses, où tout est prescrit sans discussions. Nous sommes ici aux antipodes ◀de▶ ◀la▶ pratique américaine. À ◀l’▶excès ◀de▶ liberté dans ◀le▶ choix s’oppose ◀l’▶absence totale ◀de▶ choix pour ◀l’▶individu. Au respect ◀de▶ ◀la▶ personnalité enfantine ou juvénile poussé jusqu’à ◀l’▶évanouissement ◀de▶ ◀la▶ discipline (intellectuelle ou morale) s’opposent ◀le▶ mépris absolu des goûts individuels et ◀le▶ triomphe absolu du conditionnement social dirigé par ◀l’▶État. Et cependant ◀le▶ système américain, lui aussi, livre finalement ◀l’▶élève à une sorte ◀de▶ conditionnement social, non dirigé bien sûr, capricieux comme ◀la▶ mode, mais comme elle, contraignante pour ◀l’▶esprit.
Ainsi d’une part, ◀la▶ liberté anarchique aboutit au conformisme imposé par ◀la▶ mode ; d’autre part, ◀l’▶absence ◀de▶ liberté conduit au conformisme imposé par ◀l’▶État.
c) Ces deux repères extrêmes une fois posés, il nous est plus facile ◀de▶ définir ce qu’est ◀la▶ voie européenne. Posons-nous cette question très simple : Pourquoi sommes-nous choqués par ◀les▶ excès américain et soviétique ? Pourquoi ◀les▶ ressentons-nous comme des excès ? Sinon parce que ◀le▶ sentiment demeure en nous, exigeant et actif, ◀d’▶un équilibre nécessaire, ◀d’▶une voie médiane, ou comme il me paraît préférable ◀de▶ dire : ◀d’▶une mise en tension permanente, ◀d’▶une composition vivante des deux tendances : respect ◀de▶ ◀l’▶individu, volonté ◀de▶ ◀le▶ former.
Respecter ◀l’▶individu, c’est voir en lui ◀la▶ personne qu’il peut devenir s’il découvre sa vocation et reçoit ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀l’▶accomplir. ◀Le▶ former, c’est lui communiquer, par ◀le▶ moyen ◀de▶ disciplines souples mais fermes, ◀le▶ sens ◀de▶ ◀la▶ communauté (culturelle, politique et sociale) au sein de laquelle sa vocation s’exercera. Trop ◀de▶ liberté sans effort, trop ◀d’▶effort imposé sans liberté : ◀les▶ deux excès conduisent à des résultats analogues, qui sont ◀le▶ déclin du sens critique, ◀la▶ non-résistance aux modes ou aux réglementations sociales, ◀la▶ médiocrité du niveau culturel, et ◀la▶ stérilisation des élites futures. ◀L’▶idéal directeur ◀d’▶une éducation spécifiquement européenne apparaît alors bien clairement : il est ◀de▶ former et promouvoir des hommes à la fois libres et responsables, c’est-à-dire conscients à la fois ◀de▶ ce qu’ils se doivent en tant qu’individus à ◀la▶ recherche ◀de▶ leur vocation, et ◀de▶ ce qu’ils doivent à ◀la▶ communauté dans laquelle ils se trouvent engagés. C’est ce type ◀d’▶homme en équilibre dynamique qui mérite ◀le▶ nom ◀de▶ personne, et qui reste ◀le▶ but ◀de▶ toute éducation non seulement en Europe mais pour ◀l’▶Europe.
J’ai marqué trois tendances pratiquement dominantes dans ces trois régions ◀de▶ ◀l’▶Occident. Je vous laisse ◀le▶ soin ◀de▶ nuancer ◀le▶ tableau. Je vous accorde qu’il existe aussi des signes ◀d’▶un retour à ◀l’▶autorité aux USA, de même que se font jour dans ◀la▶ plus récente littérature soviétique des signes non trompeurs ◀d’▶une nouvelle faim ◀de▶ liberté. Je vous accorde enfin qu’en Europe même, quel que soit notre idéal, nous souffrons nous aussi, dans ◀la▶ pratique, des excès alternés ◀de▶ ◀la▶ tendance « russe » et ◀de▶ ◀la▶ tendance « américaine ». Mais mon objet, ici et aujourd’hui, n’était que ◀de▶ vous proposer un cadre ◀de▶ références, dessiné à grands traits.
Pour illustrer cette première partie ◀de▶ mon exposé, j’aurai recours à une parabole, que j’appellerai ◀la▶ Parabole des trois colombes.
Vous connaissez tous ◀la▶ colombe ◀de▶ Kant, celle qui s’imagine qu’elle volerait mieux dans ◀le▶ vide, sans ◀la▶ résistance fatigante que ◀l’▶air oppose au libre jeu ◀de▶ ses ailes. C’est ◀l’▶utopie ◀de▶ ◀l’▶éducation trop libre en Amérique.
◀L’▶utopie russe, c’est une colombe mécanisée, ou tout au moins conditionnée selon ◀les▶ théories ◀de▶ Pavlov : elle n’a pas à se poser à chaque instant ◀la▶ question : que faire ? où aller ? Tout a été réglé ◀d’▶avance par ◀le▶ Régime.
◀La▶ colombe européenne, elle, sait qu’elle a besoin pour voler ◀de▶ ◀la▶ résistance ◀de▶ ◀l’▶air, mais elle n’a pas reçu ◀de▶ « programme » invariable. Elle doit choisir sans cesse, résister aux courants, prendre ses risques. On ne ◀l’▶a préparée qu’à « voler ◀de▶ ses propres ailes ».
◀La▶ Règle ◀d’▶or
Permettez-moi, maintenant, cinq minutes ◀de▶ philosophie.
J’ai dit qu’à mon sens, ◀le▶ but ◀de▶ ◀l’▶éducation européenne est ◀la▶ personne, c’est-à-dire ◀l’▶homme à la fois libre et responsable, libre pour accomplir sa vocation, et engagé par cette vocation dans une communauté humaine devant laquelle il se voit responsable.
À partir de cette idée ◀de▶ ◀l’▶homme, il devient possible ◀d’▶interpréter ◀d’▶une manière cohérente ◀les▶ principaux domaines ◀de▶ notre civilisation. Ainsi notre idéal civique comporte à la fois ◀la▶ vocation personnelle et ◀l’▶amour du prochain : ◀la▶ tendance axiale, normative, ◀de▶ notre politique est ◀l’▶unité dans ◀la▶ diversité (que nous appelons en Suisse fédéralisme) ; et enfin ◀l’▶éducation comporte à la fois ◀le▶ dressage et ◀la▶ préparation à ◀l’▶autonomie. ◀Le▶ principe est toujours ◀le▶ même : équilibre entre deux antagonismes, tension maintenue entre deux pôles.
Remarquez que ◀la▶ personne, telle que je ◀la▶ définis, est une réalité dialectique par définition : elle est ◀la▶ résultante ◀de▶ deux tendances antinomiques, ◀la▶ liberté et ◀la▶ responsabilité, qui ne doivent jamais être séparées, jamais être sacrifiées l’une à l’autre, mais maintenues ensemble, et c’est cette tension, sans cesse renouvelée et restaurée, cet équilibre dynamique, qui définit ◀l’▶Europe et qui caractérise toute conduite méritant ◀d’▶être qualifiée vraiment ◀d’▶européenne.
◀La▶ règle ◀d’▶or ◀de▶ ◀la▶ culture européenne et ◀de▶ ◀l’▶éducation qui lui correspond, c’est cela : ◀l’▶équilibre en tension entre ◀l’▶autorité et ◀le▶ risque individuel, ◀l’▶unité et ◀la▶ diversité, ◀la▶ vocation unique et ◀le▶ service communautaire, et d’abord ◀l’▶amour du prochain comme ◀de▶ soi-même.
Quel est ◀le▶ but ◀de▶ ◀la▶ discipline ?
Prenez n’importe lequel ◀de▶ nos problèmes traditionnels ou modernes, sociaux, éthiques ou même économiques, et vous verrez qu’ils se rattachent tous, en Europe, à des problèmes ◀de▶ dosage, ◀d’▶équilibre vivant entre ces éléments.
◀Le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ discipline scolaire par exemple.
En faut‑il plus ou moins ? Faut‑il rétablir ◀les▶ punitions corporelles, comme on ◀le▶ discute à ◀la▶ Chambre des communes ? Faut‑il laisser plus ◀de▶ place à ◀la▶ spontanéité anarchique ◀de▶ ◀l’▶enfant ? Ou au contraire renforcer ◀les▶ exigences ◀d’▶exactitude et ◀de▶ ponctualité formelles, ◀la▶ propreté dans ◀la▶ tenue des cahiers, etc. ? Faut‑il plus ◀de▶ dressage, ou plus ◀de▶ développement du sens critique ? ◀Les▶ avis diffèrent sur des questions ◀de▶ degré, mais tout le monde admet tacitement qu’il ne peut s’agir que ◀d’▶un dosage des exigences contraires ◀de▶ liberté et ◀de▶ contrainte. ◀Les▶ Russes disent contrainte seule, ◀les▶ Américains liberté seule ; nous disons : ◀les▶ deux ensemble, bien plus, nous pensons que l’un ne va pas sans l’autre. En fait ◀la▶ règle ◀d’▶or veut que ◀les▶ contraintes soient conçues comme une préparation à ◀la▶ liberté, ◀la▶ discipline comme un apprentissage ◀de▶ ◀l’▶autonomie, et non point comme une restriction ◀de▶ ◀la▶ liberté et ◀de▶ ◀l’▶autonomie. Et quand nous critiquons telle conception ◀de▶ ◀la▶ discipline, c’est toujours au nom de cet idéal, ◀de▶ ce sens inné ◀de▶ ◀l’▶équilibre des contraires.
Une journaliste américaine interrogeait récemment des pères ◀de▶ famille français sur ◀l’▶éducation ◀de▶ leurs enfants, et l’un ◀d’▶eux répondit que sa méthode était ◀de▶ ◀les▶ dresser « comme des chiots ». Indignation ◀de▶ ◀l’▶Américaine ! Or ce Français à ◀l’▶ancienne mode entendait dire qu’il faut au jeune enfant un dressage suffisant pour lui permettre, un jour, ◀de▶ se débrouiller seul, ◀de▶ chasser pour son compte. Un Soviétique russe ou chinois eût invoqué ◀le▶ rendement technique dans ◀le▶ cadre du plan.
Notre conception ◀la▶ plus saine du dressage se situerait, me semble-t-il, à mi-chemin entre ◀l’▶entraînement (au sens sportif) et ◀l’▶hygiène mentale.
Quand vous exigerez ◀de▶ vos élèves une certaine immobilité pendant ◀les▶ leçons, que ce soit donc non pas en vertu de je ne sais quelle idée ◀de▶ « correction » formaliste et vexante, et non pas pour avoir ◀la▶ paix vous-même, mais pour favoriser ◀la▶ paix ◀de▶ leur esprit et ◀les▶ moyens d’abord physiques ◀de▶ concentrer leur attention.
Je me permettrai ◀de▶ vous signaler à ce propos deux déviations du sens ◀de▶ ◀la▶ discipline scolaire, que j’ai observées à mes dépens quand j’étais sur ◀les▶ bancs ◀de▶ ◀l’▶école primaire, en Suisse.
1° ◀La▶ discipline extérieure — tenue en classe, tenue des cahiers, pas ◀de▶ bavardages — était conçue sur ◀le▶ modèle militaire (celui du drill, des alignements au cordeau, du silence dans ◀les▶ rangs, des poils ◀de▶ ◀la▶ brosse à dents tournés à gauche dans ◀les▶ chambrées, et surtout que rien ne dépasse !), plutôt qu’en fonction du but à atteindre, ◀la▶ concentration intellectuelle. En revanche, on n’exigeait pas assez quant à ◀la▶ discipline intellectuelle : rapidité des réflexes, du raisonnement, élégance et précision ◀de▶ ◀l’▶expression. Je suis un fervent partisan du rétablissement ◀de▶ ◀la▶ classe ◀de▶ rhétorique avant ◀le▶ bachot, et ◀d’▶une extrême exigence quant aux bonnes manières à ◀l’▶école primaire, ◀les▶ mauvaises manières (ou ◀la▶ gaucherie gouailleuse) étant moins pénalisées que ridiculisées. C’est ◀le▶ contraire qu’on observe en général. (◀De▶ celui qui parle bien, ◀les▶ autres élèves disent : « Il raffine ! »)
2° La plupart des instituteurs suisses sont victimes ◀d’▶un goût dangereux ◀de▶ ◀l’▶égalité intellectuelle et ◀de▶ ◀l’▶homogénéité des esprits. Dans nos classes règnent ◀la▶ haine du cancre, ◀la▶ méfiance envers ◀les▶ meilleurs, ◀le▶ respect des médiocres et ◀l’▶honneur aux moyens. Si j’avais quoi que ce soit à vous recommander, ce serait ◀d’▶exiger des médiocres une extrême discipline, politesse, tenue morale et respect des meilleurs comme des cancres — Einstein fut un cancre à ◀l’▶école, renvoyé pour indiscipline — et en revanche, ◀de▶ favoriser ◀les▶ meilleurs, ◀de▶ ◀les▶ pousser, ◀de▶ tolérer leurs écarts ◀de▶ discipline, et ◀d’▶exiger ◀d’▶eux, intellectuellement, plus encore qu’ils ne donnent, relativement au reste ◀de▶ ◀la▶ classe.
Formation générale et formation technique
Un autre problème, plus nouveau, se pose à ◀l’▶éducateur européen ◀de▶ notre temps : c’est celui du dosage entre ◀la▶ préparation générale et ◀la▶ formation technique.
◀Les▶ Russes sacrifient tout à ◀la▶ spécialisation professionnelle, dans ◀le▶ cadre du Plan ◀de▶ production : ils veulent des techniciens efficaces. ◀Les▶ Américains au contraire sacrifient tout à ◀la▶ préparation à ◀la▶ vie sociale : ils veulent des citoyens bien adaptés. Nous voulons plus : nous voulons ◀les▶ deux choses à la fois et une troisième en plus. Nous voulons à la fois préparer ◀de▶ bons citoyens, ◀de▶ bons professionnels, et des hommes complets, des personnes autonomes. C’est dire que votre rôle ◀d’▶éducateurs est beaucoup plus difficile et complexe que celui ◀de▶ vos collègues ◀de▶ ◀l’▶Est et ◀de▶ ◀l’▶Ouest. Mais avouez qu’il est aussi plus passionnant.
Là encore, ◀l’▶Europe va se voir amenée à assouplir et à diversifier ses méthodes, à admettre une mesure beaucoup plus large ◀d’▶inégalité — disons ◀de▶ diversité — dans ◀la▶ préparation des élèves. Mais elle ne doit pas perdre ◀de▶ vue, pour autant, ◀la▶ nécessité fondamentale ◀de▶ maintenir un équilibre entre ◀la▶ spécialisation et ◀la▶ culture générale. Car une fois de plus, ◀de▶ cet équilibre en tension, dépend ◀la▶ fécondité ◀de▶ notre civilisation. Une civilisation trop purement classique, humaniste, libérale, au sens ancien, risque ◀de▶ se voir écrasée physiquement par ◀les▶ civilisations techniciennes. En revanche, une civilisation purement technicienne, après quelques triomphes spectaculaires, quelques Spoutnik et Lunik, risque ◀de▶ voir tarir ◀les▶ sources mêmes ◀de▶ sa créativité. Car il est bien connu que ◀la▶ science et ◀la▶ technique se nourrissent ◀d’▶autre chose que ◀de▶ recettes techniques et ◀d’▶équations : ◀les▶ plus grands savants novateurs ◀de▶ notre temps sont tous d’accord sur ce point. ◀La▶ poésie, ◀la▶ philosophie, ◀l’▶imagination, ◀l’▶inquiétude spirituelle sont plus créatrices, pour ◀les▶ sciences mêmes, que ◀les▶ cours ◀de▶ sciences et ◀de▶ technologie, indispensables certes, mais insuffisants lorsqu’il s’agit ◀de▶ créer, ◀d’▶innover librement.
◀La▶ vision du But
Vous ◀l’▶aurez remarqué : je n’ai guère parlé ◀de▶ méthodes. J’ai plutôt insisté sur ◀le▶ But — ◀la▶ personne — car à mon sens, c’est ◀la▶ vision du But qui peut seule nous dicter ◀les▶ méthodes adéquates pour ◀le▶ rejoindre.
« En toutes choses, il faut considérer ◀la▶ fin », dit ◀le▶ proverbe. Je dirais : « Avant toute chose, considérez ◀la▶ fin. » ◀La▶ fin seule ◀de▶ ◀l’▶Éducation doit et peut dicter ◀les▶ moyens, ◀les▶ méthodes ◀de▶ ◀l’▶Éducation.
Oserai-je vous confesser ici que je ne crois plus guère aux méthodes pédagogiques, qu’elles soient autoritaires ou libérales, actives ou fonctionnelles, traditionnelles ou révolutionnaires, existantes ou à inventer ? En effet, une méthode appliquée à tous ne peut préparer au mieux, si elle réussit, qu’un type humain uniforme, une classe, un genre, une espèce ◀d’▶hommes homogène : ◀le▶ technicien, ◀le▶ citoyen ajusté. Mais comment passer ◀d’▶une méthode, par définition générale, au But particulier, unique, ◀de▶ ◀l’▶éducation européenne, éducation pour ◀la▶ personne ? Il y a un saut à opérer. ◀Le▶ général ne conduit pas au particulier. Dans ◀la▶ mesure où nous décidons ◀de▶ créer une certaine classe ◀d’▶hommes, ◀d’▶inculquer un certain bagage ◀de▶ connaissances, alors bon, discutons méthodes. Il n’y en a pas ◀de▶ bonne, mais il y en a ◀de▶ pires que d’autres. Aucune n’est capable ◀de▶ conduire assurément au But, mais n’importe laquelle, appliquée avec liberté et mise ◀de▶ côté quand il faut, peut y conduire, à ◀la▶ seule condition qu’elle soit maniée par une personne qui a vu ◀le▶ But et qui se laisse guider et fasciner par lui. Vous serez ◀de▶ bons éducateurs dans ◀la▶ mesure où vous serez vous-mêmes sensibles à ◀la▶ réalité spirituelle, dialectique, antinomique, dynamique ◀de▶ ◀la▶ personne. Ces termes sont abstraits s’ils ne sont pas sentis. En voici une autre version plus à ◀la▶ mode. ◀L’▶homme personnel, ◀l’▶homme ◀de▶ sa vocation, c’est celui qui incarne ◀le▶ paradoxe formulé par Victor Hugo il y a un siècle, et repris récemment par Albert Camus : c’est un homme à la fois solitaire et solidaire.
◀Le▶ But étant donc ◀la▶ personne, c’est ◀la▶ réalité sentie ◀de▶ ◀la▶ personne qui doit nous inspirer ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀le▶ rejoindre.
Je terminerai par une seconde parabole, que je nomme ◀la▶ Parabole du But.
J’étais recrue dans ◀l’▶armée suisse. J’apprenais à tirer. On m’avait enseigné tous ◀les▶ gestes à faire, en grand détail, selon ◀la▶ méthode ◀la▶ plus sûre, ◀la▶ plus littéralement conforme au règlement : prendre ◀la▶ crosse en tournant avec ◀la▶ main droite, prendre ◀le▶ cran ◀d’▶arrêt, mettre en ligne ◀le▶ viseur, ◀le▶ point ◀de▶ mire et ◀la▶ cible après avoir assuré ◀la▶ hausse, bloquer ◀le▶ souffle, enfin tirer. Je faisais tout cela et ratais tout. ◀La▶ veille du grand concours ◀de▶ tir — nommé tir au galon, car ◀la▶ récompense des meilleurs était un petit bout ◀de▶ galon ◀d’▶or sur ◀la▶ manche — on me négligeait dans mon coin, j’étais un cas désespéré. Un jeune lieutenant, cependant, vint m’observer. « Vous tirez mal, dit-il, voulez-vous apprendre ? » — « Oh oui, mon lieutenant ! » — « C’est très simple, ça tient en trois mots : pensez au noir. » J’avais compris ! Mais comme je ne bougeais pas, il ajouta : « Ne pensez plus à ce que vous faites ◀de▶ vos mains, aux mouvements que vous avez appris. Regardez ◀le▶ noir ◀de▶ ◀la▶ cible, laissez-vous fasciner par lui, et ◀le▶ coup partira tout seul. » ◀Le▶ lendemain, je gagnais ◀le▶ galon ◀d’▶or.
Ce jeune lieutenant avait ◀le▶ sens du But, il a donc pu me ◀le▶ communiquer en quelques mots, et cette initiation a réussi, où ◀l’▶instruction avait échoué. J’ignore son nom, mais j’ai tiré ◀de▶ sa leçon toute une morale, et même tout un livre que je compte publier bientôt, et dans lequel je dirai tout au long ce que je n’ai pu, ici, qu’esquisser devant vous.