Bilan simple (29 décembre 1961)w
Le▶ bilan ◀de▶ ◀l’▶année qui s’écoule me paraît simple à établir dans ses grandes lignes et à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀la▶ planète : l’une après l’autre, toutes ◀les▶ puissances ont perdu ◀la▶ face, — sauf ◀l’▶Europe.
◀L’▶URSS a perdu ◀la▶ face en tant que champion ◀de▶ ◀la▶ paix et du désarmement, en faisant éclater trente bombes atomiques en deux mois. À Goa, ◀l’▶Inde a perdu ◀la▶ face, en tant que champion ◀de▶ ◀la▶ non-violence. À Cuba, ◀les▶ États-Unis ont perdu ◀la▶ face en tant que champions ◀de▶ ◀la▶ non-intervention.
Au Katanga, ◀l’▶ONU a perdu ◀la▶ face en tant que champion ◀de▶ ◀l’▶arbitrage pacifique et du droit des petits États. Quant à ◀l’▶Allemagne de l’Est, c’est à ◀la▶ cause du communisme tout entier qu’elle a fait perdre ◀la▶ face, en bâtissant ◀le▶ mur ◀de▶ Berlin non pour se protéger contre une attaque, mais pour empêcher tout un peuple ◀de▶ fuir en masse ◀le▶ régime « populaire » !
Et tandis que ◀les▶ grands Moralisants du Monde humiliaient ainsi leurs principes, ◀l’▶Europe accomplissait sans bruit un redressement spectaculaire. Aux États-Unis, ◀d’▶où je reviens, il n’est question que du « miracle européen ». C’est un fait : ◀la▶ montée vers une prospérité sans précédent s’est opérée dans ◀le▶ temps même où ◀l’▶Europe achevait ◀de▶ libérer ses colonies — dont on prétendait qu’elle vivait ! A-t-on remarqué ◀le▶ parallélisme, si frappant, entre ◀la▶ fin ◀de▶ ◀la▶ domination mondiale par nos nations, et ◀les▶ débuts ◀de▶ leur union ? Tandis que ◀le▶ tiers-monde, copiant ses anciens maîtres, se livre à ◀la▶ passion nationaliste, qui veut ◀la▶ guerre, ◀l’▶Europe surmonte enfin ◀les▶ divisions mortelles qu’entretenait dans son sein cette même passion. Elle choisit ◀la▶ santé : elle veut se fédérer. Et bien sûr, tout n’est pas encore gagné. Mais en demandant son accession à ce Marché commun qu’elle affecta longtemps ◀de▶ traiter ◀d’▶utopie, ◀la▶ Grande-Bretagne a démontré que ◀l’▶Europe unie était d’ores et déjà bien autre chose qu’une rêverie ◀d’▶intellectuels. Tel est sans doute ◀le▶ fait majeur qui marquera ◀l’▶année 1961 aux yeux de ◀l’▶histoire.
En offrant au monde ◀l’▶exemple ◀d’▶une fédération pacifique — que ◀la▶ Suisse a toutes ◀les▶ raisons ◀de▶ ne plus bouder — ◀les▶ Européens reprendront ◀la▶ tête du progrès humain. Ils ne retrouveront pas seulement leur vraie puissance, morale et matérielle, mais ils indiqueront aux peuples nouveaux ◀de▶ ◀l’▶Afrique et ◀de▶ ◀l’▶Asie ◀les▶ voies ◀de▶ leur propre avenir. Une fois unie politiquement, ◀l’▶Europe exercerait sur ◀l’▶URSS, comme elle ◀le▶ fait déjà sur ◀les▶ États-Unis, une attraction irrésistible. Et ◀le▶ Grand Occident reconstitué serait garant ◀de▶ ◀la▶ paix mondiale.
N’est-il pas admirable que ◀l’▶année ◀de▶ ◀l’▶Europe ait coïncidé par hasard avec ◀l’▶année ◀d’▶une grande étape œcuménique, ◀la▶ Nouvelle Delhi ? ◀L’▶Église ◀de▶ Rome jouera sa part ◀l’▶année prochaine. Nous sommes au seuil ◀de▶ ◀l’▶ère des convergences, au-delà des nations souveraines et des églises refermées sur elles-mêmes. Une nouvelle Renaissance, qui est ◀le▶ fédéralisme, et une nouvelle Réforme, qui est ◀l’▶œcuménisme, attendent notre foi et nos œuvres. Beau programme pour ◀l’▶année qui vient et pour ◀la▶ suite ! Presque tout reste à faire, il est vrai. Sachons du moins à quels grands buts lointains nous pouvons adresser nos vœux.