La▶ culture et ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe (avril 1962)ai
S’il est question ◀d’▶intégration européenne et qu’on lui parle ◀de▶ culture, ◀l’▶homme ◀d’▶aujourd’hui, qu’il soit d’ailleurs industriel ou philosophe, a d’abord un réflexe ◀de▶ doute.
◀L’▶Europe qui se fait, dans ◀la▶ réalité concrète, n’est-elle pas avant tout ◀l’▶Europe économique, c’est-à-dire ◀le▶ Marché commun ? ◀Le▶ traité ◀de▶ Rome, ◀les▶ Six, ◀les▶ accords agricoles, ◀la▶ candidature britannique, voilà ◀le▶ solide et ◀le▶ raisonnable. Mais qu’est-ce que ◀la▶ culture viendrait faire là-dedans ? Quelles contributions efficaces a-t-elle apportées à ◀l’▶union ? N’est-elle pas au contraire, ajoutent certains, l’un des derniers bastions ◀de▶ ◀l’▶esprit nationaliste, des particularismes périmés ?
Répondre à ces questions me paraît vital, et non seulement pour notre Fondation, mais pour tous ceux qui ont travaillé depuis longtemps à faire ◀l’▶Europe, chacun dans son domaine professionnel.
J’essaierai donc ◀de▶ démontrer ici, ◀d’▶une manière aussi simple que possible :
1° que ◀l’▶Europe unie est beaucoup plus que ◀le▶ Marché commun, moyen nécessaire mais non pas suffisant ;
2° que ◀le▶ Marché commun serait impensable (et au surplus n’aurait jamais vu ◀le▶ jour) s’il ne s’inscrivait pas dans une longue tradition culturelle européenne ;
3° que cette tradition, éclairant ◀la▶ conjoncture actuelle, exige ◀la▶ création ◀d’▶une Europe fédérale, et non pas ◀d’▶une Europe unitaire ;
4° que ◀le▶ fédéralisme et ◀la▶ culture s’appellent et se conditionnent réciproquement ;
5° enfin, que ◀l’▶Europe, sans sa culture, ne serait pas ◀l’▶Europe mais un cap de l’Asie.
Doutes sur ◀l’▶utilité ◀de▶ ◀la▶ culture
◀Le▶ grand public pense aujourd’hui que faire ◀l’▶Europe, c’est une question ◀de▶ tarifs douaniers, ◀de▶ prix ◀de▶ revient, ◀de▶ niveaux ◀de▶ vie, ◀d’▶ajustements sociaux et monétaires, en attendant peut-être, un jour, une sorte ◀de▶ confédération politique, — qui effraye encore beaucoup de nos États. ◀Les▶ problèmes culturels ne seraient par conséquent que des problèmes marginaux. ◀La▶ culture serait au mieux ◀l’▶ornement des loisirs, un luxe flatteur, une dernière touche que mettraient ◀les▶ décorateurs à ◀l’▶édifice du nouveau consortium européen. Elle deviendrait un parasite si elle insistait pour qu’on augmente son budget. Cette vue très populaire, née ◀d’▶un xixe siècle utilitariste et mercantile, est en fait partagée par ◀les▶ élites sociales ◀de▶ notre continent : il suffit pour s’en assurer ◀de▶ comparer nos budgets ◀de▶ ◀la▶ culture avec ceux ◀de▶ ◀l’▶URSS et des USA, puissances modernes ; et surtout ◀de▶ comparer ◀la▶ dotation globale des quelque 40 000 fondations américaines, qui se chiffre en milliards ◀de▶ dollars, avec celle des quelque 300 fondations culturelles existant dans nos pays, qui ne se chiffre qu’en millions ◀de▶ francs, marks ou florins. Mais quelle que soit sa popularité, cette courte vue matérialiste se révèle au premier examen non seulement fausse en soi mais particulièrement dangereuse pour ◀l’▶Europe.
◀L’▶équation européenne
Si ◀l’▶Europe a pu dominer ◀le▶ monde par son économie, ses armes et ses techniques, ◀de▶ ◀la▶ Renaissance jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, et si elle est encore aujourd’hui l’une des trois grandes puissances ◀de▶ ◀la▶ planète, ce n’est pas à ses richesses naturelles qu’elle ◀le▶ doit : simple cap de l’Asie (4 % des terres émergées du globe), un peu moins peuplée que ◀l’▶Inde et beaucoup plus pauvre en matières premières, ◀l’▶Europe avait moins ◀de▶ chances matérielles que ◀l’▶Inde ◀de▶ sortir ◀de▶ sa pauvreté primitive. Comment alors expliquer ◀la▶ différence spectaculaire que ◀l’▶on sait entre ◀le▶ destin ◀de▶ ◀la▶ péninsule indienne et celui ◀de▶ ◀la▶ péninsule européenne ? Sinon par ◀la▶ différence des cultures, au sens ◀le▶ plus large du terme, qui va ◀de▶ ◀la▶ religion à ◀la▶ technique en passant par ◀la▶ philosophie, ◀les▶ sciences, ◀les▶ arts, ◀l’▶éducation et ◀la▶ morale.
◀L’▶Europe est très peu de choses plus une certaine culture, qui a fait ◀d’▶une pauvre terre découpée et cloisonnée ◀le▶ cœur et ◀le▶ cerveau ◀de▶ ◀la▶ planète, pour plus ◀de▶ cinq siècles déjà, — et c’est bien loin ◀d’▶être fini !
Selon ◀la▶ plus célèbre équation ◀de▶ notre époque, celle ◀d’▶Einstein, ◀l’▶énergie est égale au produit ◀de▶ ◀la▶ masse par ◀le▶ carré ◀de▶ ◀la▶ vitesse ◀de▶ ◀la▶ lumière, et cela s’écrit :
E = mc2
En désignant ◀l’▶Europe par E, ◀la▶ petite masse physique ◀de▶ notre continent par m, et sa culture par c, nous obtenons une équation semblable et non moins chargée ◀de▶ conséquences :
E = mc2
Europe = Cap de l’Asie x culture intensive
Un combat sur deux fronts
Que veut dire, dans ces conditions, ◀l’▶expression courant : « faire ◀l’▶Europe » ?
◀L’▶Europe existe depuis des millénaires. Il n’est pas question ◀de▶ ◀la▶ créer ; mais simplement, ◀les▶ circonstances du xxe siècle, — très largement créées par nos œuvres, d’ailleurs ! — nous commandent impérieusement ◀de▶ réunir nos peuples et ◀de▶ mettre en pool leurs ressources, trop longtemps divisées entre une vingtaine ◀d’▶États tous trop petits désormais pour se suffire.
Tel étant ◀le▶ problème véritable, on voit qu’il est bien moins économique que politique, et en fin de compte, culturel. Car c’est ◀la▶ politique nationaliste (◀le▶ tabou ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue, ◀les▶ résidus ◀d’▶attitudes impérialistes, ◀l’▶orgueil national, ◀les▶ méfiances traditionnelles ◀de▶ peuple à peuple, etc.) qui s’oppose à ◀l’▶union nécessaire, admise et réclamée par tous ◀les▶ bons économistes.
Or cette attitude politique, ce tabou ◀de▶ ◀la▶ souveraineté, cet orgueil national, ces méfiances séculaires, pour périmés qu’ils soient, sont profondément enracinés dans un millénaire au moins ◀de▶ culture européenne.
◀L’▶obstacle principal à notre union réside dans ◀les▶ esprits, non dans ◀les▶ faits. C’est donc dans ◀les▶ esprits qu’il s’agit ◀de▶ ◀le▶ combattre. Et ceci n’est pas une question ◀de▶ technique ou ◀de▶ calculs tarifaires, mais une question ◀de▶ mentalité, ◀d’▶habitudes ◀de▶ pensée, ◀de▶ réflexes acquis — ◀de▶ sentiment autant que ◀de▶ raison. Donc une question ◀de▶ culture, ◀d’▶éducation nouvelle.
Mais « faire ◀l’▶Europe » ne veut pas dire seulement réduire ◀les▶ obstacles à ◀l’▶union. Et c’est là qu’intervient à nouveau ◀la▶ culture, ◀d’▶une manière positive, créatrice, et vitale.
Un ingénieur, un technocrate et un théoricien ◀de▶ ◀l’▶économie peuvent vous faire en trois jours un plan géométrique ◀d’▶unification rigoureuse du continent, supprimant non seulement ◀les▶ douanes, mais toutes ◀les▶ différences locales et nationales ◀de▶ traditions et ◀de▶ régimes ; ils peuvent vous démontrer que ce plan serait rentable, et que votre intérêt commande ◀de▶ ◀l’▶appliquer.
Un autre groupe peut vous rappeler que depuis Dante et Pierre Dubois, au début du xive siècle, en passant par ◀le▶ roi de Bohême, Georges Podiebrad, au xve siècle ; par ◀le▶ duc de Sully, ◀l’▶évêque morave Comenius, ◀le▶ philosophe Leibniz et ◀l’▶homme d’État William Penn au xviie siècle ; par ◀l’▶abbé de Saint-Pierre, Rousseau et Kant au xviiie siècle ; par Saint-Simon, Bentham, Mazzini et Proudhon au xixe siècle, jusqu’à Coudenhove-Kalergi, Briand et Churchill, ◀de▶ nos jours, — depuis six siècles donc, ◀les▶ meilleurs esprits et ◀les▶ meilleurs hommes politiques du continent n’ont cessé ◀de▶ préconiser une union fédérale ◀de▶ nos peuples, respectant leurs diversités.
Aux premiers vous direz : votre Europe technicienne marcherait sans nul doute, elle « rendrait » matériellement. Elle serait unifiée mais ne serait plus ◀l’▶Europe.
Aux seconds, vous direz : votre Europe harmonieuse serait sans nul doute plus conforme au génie ◀de▶ nos peuples divers, mais voilà six-cents ans qu’elle échoue dans tous ses efforts vers ◀l’▶union.
◀Les▶ uns et ◀les▶ autres ont raison, en ce sens qu’ils sont nécessaires, soit comme moteur, soit comme volant ; ◀les▶ uns et ◀les▶ autres ont tort quand ils se prétendent suffisants, à eux seuls. Leur dialogue est vital pour ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶Europe. Ce n’est pas un dialogue politique, et encore moins économique. C’est vraiment un dialogue culturel. ◀La▶ synthèse ◀de▶ ces deux doctrines, c’est ◀l’▶attitude fédéraliste : ◀l’▶union dans ◀la▶ diversité. Il faut prendre au sérieux ◀les▶ deux termes ensemble. Tel est ◀le▶ secret spirituel ◀de▶ notre avenir.
◀L’▶énergie tout à fait extraordinaire qu’ont dégagée ◀les▶ peuples ◀de▶ ce continent, et qui leur a permis ◀de▶ dominer ◀le▶ monde, a sa source dans ◀les▶ tensions produites par nos diversités, — ◀de▶ religions, ◀de▶ races et ◀de▶ coutumes, ◀d’▶idéologies, ◀d’▶ambitions.
Mais lorsque ces diversités s’absolutisent, se ferment sur elles-mêmes, et deviennent en fait divisions, ◀le▶ corps européen se déchire et s’étiole : c’est ce qui s’est produit par deux fois dans ◀la▶ génération à laquelle j’appartiens, et ◀l’▶Europe a risqué ◀d’▶en périr.
Insister sur nos seules diversités détruit ◀l’▶Europe matériellement. Vouloir nous unifier dans un cadre rigide détruit ◀l’▶Europe spirituellement.
◀Le▶ combat sur deux fronts pour une Europe unie, mais unie dans ses diversités, — voilà ◀la▶ tâche ◀de▶ ◀la▶ culture et sa vocation prospective.
Il n’y aurait pas ◀d’▶Europe sans tout ce que ◀la▶ culture a su tirer ◀de▶ nos pauvres conditions physiques. ◀De▶ ◀la▶ culture aussi sont venues nos divisions, presque mortelles. ◀De▶ ◀la▶ culture enfin doit venir ◀le▶ remède à nos maux, et il est double : réduire ◀les▶ préjugés nationalistes, qui s’opposent à toute forme ◀d’▶union ; et proposer un modèle efficace ◀d’▶union spécifiquement européenne, qui s’appelle ◀le▶ fédéralisme.
Double mission européenne ◀de▶ ◀la▶ culture
Traduisons maintenant ces principes en termes d’activités culturelles. Nous voyons que ◀le▶ programme commun des instituts, mouvements et associations ◀de▶ culture que notre Fondation entend soutenir, doit comprendre ◀les▶ deux tâches suivantes :
1° organiser ◀la▶ coopération des forces culturelles au-delà des frontières nationales ;
2° créer un état d’esprit favorable à ◀l’▶avènement ◀d’▶une union fédérale, seule conforme au génie « un et divers » ◀de▶ ◀la▶ culture européenne.
◀L’▶Europe n’est pas une addition ◀de▶ cultures nationales. Celles-ci sont des apparitions relativement récentes, et plus ou moins artificielles, qui ont tenté ◀de▶ prendre forme, grâce à ◀l’▶École surtout, pendant ◀l’▶ère nationaliste et colonialiste — seconde moitié du xixe et première moitié du xxe siècle — en s’appuyant sur ◀la▶ diversité ◀de▶ nos langues.
La première tâche sera donc ◀d’▶illustrer ◀l’▶unité ◀de▶ base ◀de▶ toutes ces cultures prétendument « nationales » ; ◀de▶ montrer que ◀la▶ culture commune des Européens est beaucoup plus ancienne que notre présent découpage en États qui se disent « souverains » mais qui seraient bien en peine ◀de▶ ◀le▶ prouver ; bref, ◀de▶ montrer que ◀la▶ culture, en Europe, est un phénomène à la fois pré-national et supranational, diversifié selon ◀les▶ époques, ◀les▶ régions, ◀les▶ écoles ◀de▶ pensée, mais fondamentalement commun. En inculquant ces vérités incontestables à ◀la▶ génération présente et aux générations montantes, — par ◀le▶ livre, ◀la▶ presse et ◀le▶ film, par un meilleur enseignement ◀de▶ ◀l’▶histoire, par des comparaisons globales entre ◀l’▶Europe et ◀les▶ cultures réellement différentes des autres continents, mais aussi et surtout par ◀l’▶exemple vécu ◀d’▶une coopération supranationale des savants, des sociologues, des éducateurs, des éditeurs, des publicistes, etc. — ◀les▶ instituts et associations culturelles militant pour ◀l’▶Europe unie apportent une contribution essentielle à ◀l’▶intégration du continent. Ils réduisent ◀les▶ obstacles mentaux qui entravent encore ◀la▶ construction économique et politique ◀de▶ ◀l’▶Europe.
La seconde tâche consiste à prendre au sérieux ◀les▶ principes ◀de▶ notre culture occidentale, et d’abord à ◀les▶ mieux connaître.
Que servirait ◀de▶ doter ◀l’▶Europe ◀d’▶institutions communes même techniquement parfaites, si ◀les▶ Européens ◀de▶ demain ne croyaient plus à leurs valeurs, à leurs idéaux, à tout ce qui a fait ◀la▶ grandeur ◀de▶ ◀l’▶Europe ? Et que sert ◀de▶ prêcher ◀l’▶union européenne à des gens qui répondent que ◀l’▶Europe n’est plus rien, qu’elle n’a pas ◀d’▶idéal à opposer aux ambitions mondiales du communisme, ni ◀de▶ valeurs à proposer au tiers-monde récemment libéré ? Vouloir faire ◀l’▶Europe par des procédés techniques, sans tenir compte ◀de▶ cette situation morale, ne serait pas seulement dangereux mais vain. Cette méthode soi-disant réaliste serait simplement utopique et vouée dès ◀le▶ départ à un échec sans gloire.
Prendre au sérieux nos principes et nos valeurs, c’est une affaire ◀d’▶éducation. Contrairement à ◀l’▶Asie et à ◀l’▶URSS, ◀l’▶Europe a toujours voulu former des hommes à la fois libres et responsables. C’est là son grand atout, c’est ◀le▶ secret ◀de▶ son dynamisme incomparable. Et cela se traduit dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ recherche, par ◀la▶ double exigence ◀de▶ ◀la▶ liberté ◀d’▶investigation individuelle d’une part, et ◀de▶ ◀l’▶organisation du travail en équipe selon un plan commun, d’autre part. Dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀l’▶éducation civique, par ◀la▶ double exigence du développement ◀de▶ ◀l’▶esprit critique et ◀de▶ ◀l’▶information d’une part, ◀de▶ ◀l’▶esprit communautaire et du sens des responsabilités sociales d’autre part.
Ces deux grandes tâches, je ◀le▶ répète, sont vitales et elles relèvent ◀de▶ ◀la▶ culture au premier chef, j’entends par là : ◀de▶ ◀la▶ recherche pure, ◀de▶ ◀la▶ philosophie, des sciences humaines, et surtout ◀de▶ ◀l’▶éducation.
Si ◀les▶ programmes des instituts européens, des chercheurs et des publicistes, des enseignants enfin (aux trois degrés orientés vers ◀l’▶Europe unie) ne sont pas fortement soutenus dès maintenant, ◀les▶ plus belles réalisations économiques ◀de▶ ◀l’▶OCDE et du Marché commun resteront pauvres ◀de▶ substance humaine, mal intégrées à la manière de vivre européenne et à ◀la▶ vocation fédéraliste ◀de▶ ◀l’▶Europe. Contre ◀la▶ volonté ◀de▶ leurs initiateurs, elles risqueront, un jour, ◀de▶ dénaturer cette Europe que ◀l’▶on croyait « faire ». Car, en fin de compte, pourquoi faut-il créer un grand marché européen ? Sinon pour mettre ou remettre ◀l’▶Europe en mesure ◀d’▶exercer sa fonction planétaire, qui est une fonction ◀d’▶animation, ◀d’▶échanges, et ◀d’▶équilibre dynamique dans ◀le▶ progrès ◀de▶ ◀l’▶humanité vers ◀les▶ libertés personnelles, — non vers ◀les▶ grandeurs nationales.
Au terme ◀de▶ ◀l’▶intégration européenne, s’il ne devait y avoir que dividendes, bombes atomiques, autos et frigidaires, ◀les▶ forces culturelles auraient ◀le▶ droit ◀de▶ s’occuper dès maintenant ◀d’▶autre chose. Mais sans ◀l’▶action éducatrice ◀de▶ toutes nos forces culturelles, décuplées par une aide puissante que ◀l’▶économie seule peut leur donner, ◀l’▶indispensable union économique ne pourra jamais prendre vie : trop ◀de▶ contre-courants psychologiques, trop ◀de▶ préjugés traditionnels et scolaires, trop ◀de▶ réflexes nationalistes continueront à ◀la▶ freiner. Et ◀les▶ Autres arriveront avant nous à des positions ◀de▶ puissance dont ils ne manqueront pas ◀d’▶abuser contre ◀l’▶homme, du moins tel que nous ◀le▶ concevons. En admettant qu’une armature ◀d’▶institutions s’impose tout de même à nos peuples passifs, si ◀les▶ forces ◀de▶ culture ne ◀l’▶animent pas, une Europe techniquement unifiée ne sera jamais qu’une coque vide.
◀L’▶apport vital des forces culturelles à notre intégration consiste donc d’abord à préparer ◀le▶ terrain pour ◀les▶ mesures politiques qui achèveront ◀l’▶union, mais aussi et surtout à orienter ces mesures, conformément au génie propre ◀de▶ ◀l’▶Europe, qui est celui ◀de▶ ◀l’▶union dans ◀la▶ diversité, c’est-à-dire du fédéralisme.
Si ◀l’▶on me dit que j’aligne ici des évidences, j’en serai content : telle était bien mon intention. Mais je demanderai que ◀l’▶on confronte ces évidences avec ◀les▶ croyances populaires que je rappelais en débutant, celles qui inspirent ◀la▶ méfiance courante à l’endroit de ◀la▶ culture et ◀de▶ son « utilité ». On verra qu’elles s’opposent diamétralement. Si ◀les▶ croyances populaires ont raison, ◀le▶ peu que ◀l’▶on a fait jusqu’ici pour ◀la▶ culture était ◀de▶ trop. Si au contraire mes arguments sont « évidents », alors il est grand temps que ◀la▶ très riche Europe en tire ◀les▶ conséquences logiques — et pratiques.