Pour une métropole régionale Aix-Marseille-Étang de Berre [interventions] (juillet 1963)cr cs
Il peut paraître paradoxal qu’au moment où nous nous efforçons de▶ faire une vaste union européenne, ici, à Aix, vous vous efforciez ◀de▶ créer une métropole locale. ◀Le▶ paradoxe est purement apparent. En réalité, ce qui se produit maintenant avec ◀l’▶ouverture du Marché commun — et ce n’est qu’un petit début — c’est une ouverture ◀de▶ tous ◀les▶ pays ◀d’▶Europe ◀les▶ uns aux autres. ◀D’▶où une certaine dévalorisation du cadre national, surtout dans ◀les▶ pays qui étaient fortement centralisés, comme ◀la▶ France, et une libération des diversités régionales. ◀Les▶ deux phénomènes sont concomitants à mon avis. Si vous diminuez ◀l’▶importance des frontières nationales, ces frontières que ◀le▶ xix e et ◀le▶ xx e siècles ont imposées ◀d’▶une manière assez arbitraire à des réalités économiques, linguistiques et culturelles qui n’ont pas du tout ◀les▶ mêmes frontières ou extensions, si vous dévalorisez ces cadres, vous libérez ◀les▶ diversités. ◀Le▶ phénomène européen ◀d’▶aujourd’hui consiste à supprimer nos divisions pour donner leur jeu normal à nos diversités.
◀L’▶effort entrepris ici par M. Bigonnet me paraît donc aller dans ◀le▶ droit fil ◀de▶ notre effort européen.
[…]
Toutes ◀les▶ cultures, anciennes, ou nouvelles, ou renouvelées, qui se partagent ◀le▶ monde dans cette deuxième partie du xx e siècle, qu’il s’agisse ◀de▶ ◀la▶ culture européenne ou ◀de▶ ◀l’▶africaine, ou ◀de▶ ◀l’▶arabe, ou ◀de▶ celle ◀de▶ ◀l’▶Inde, toutes ces cultures sont en présence d’une même menace ou ◀d’▶un même défi : ◀la▶ civilisation technologique, qui a fait ◀le▶ tour du monde. Elle est née en Europe ◀de▶ toute évidence, dans ◀le▶ contexte ◀de▶ ◀la▶ culture européenne, mais elle est en train de s’objectiver, ◀de▶ se détacher ◀de▶ cette base, ◀de▶ ce foyer créateur qu’a été ◀l’▶Europe, et ◀de▶ se confronter avec toutes ◀les▶ anciennes traditions culturelles.
Dans ce sens, et comme ◀le▶ disait récemment à Genève Bertrand de Jouvenel, s’adressant à des représentants ◀de▶ cultures très diverses, nous sommes tous colonisés par cette même civilisation technologique et nous devons retrouver notre équilibre en présence du défi qu’elle nous jette. Ceci étant valable également pour ◀l’▶Occident, bien que ◀l’▶Occident ait une tradition ◀d’▶adaptation à ◀la▶ technique beaucoup plus vaste, puisqu’il a accompagné ◀le▶ développement ◀de▶ ◀la▶ technique, et grandi avec elle depuis cent cinquante ans.
Cette thèse peut paraître pessimiste, peut paraître se rattacher à tout ce qu’on a dit depuis un demi-siècle en Europe contre ◀la▶ technique destructrice ◀de▶ ◀la▶ civilisation. Mais nous sommes tombés d’accord, à Genève, pour penser que ◀la▶ technique est un progrès, en ce sens qu’elle augmente à la fois ◀les▶ risques ◀de▶ ◀la▶ culture et ses chances, ses possibilités.
Pour n’en donner qu’un exemple, que tout le monde connaît, je dirai que, grâce à ◀la▶ technique, aujourd’hui, ◀la▶ musique et ◀la▶ littérature trouvent des moyens ◀de▶ diffusion prodigieux, qui étaient inimaginables il y a vingt ou trente ans. ◀Le▶ développement du livre ◀de▶ poche a créé un public gigantesque totalement inexistant il y a cinquante ans encore. En Amérique, il a paru et il s’est vendu, en 1960, 360 millions ◀de▶ livres ◀de▶ poche, donc à peu près un million par jour. Ainsi, c’est à ◀la▶ création ◀d’▶un nouveau public, à ◀l’▶accession à ◀la▶ culture ◀de▶ couches immenses que nous assistons aujourd’hui.
Autre point non moins important : ◀la▶ création ◀de▶ loisirs. Nous arrivons au moment où ◀la▶ technique, parce qu’elle est suffisamment poussée, développe enfin ses effets véritables qui sont ◀de▶ créer des loisirs, ◀de▶ diminuer ◀le▶ temps ◀de▶ travail. Ce loisir sera occupé ou par des radios plus ou moins abrutissantes, ou bien par des méditations, par des promenades, des voyages, par ◀de▶ ◀la▶ lecture. C’est dans ce sens que je pense que ◀la▶ technique signifie un progrès pour ◀le▶ développement ◀de▶ ◀la▶ culture, et je souligne ◀l’▶ambiguïté ◀de▶ ce mot « progrès », ◀la▶ double possibilité qu’il représente : ou ◀de▶ ruiner ◀la▶ culture, ou ◀de▶ ◀la▶ porter bien au-delà des milieux où elle était cultivée, si je puis dire, autrefois. ◀Les▶ chances augmentant en même temps que ◀les▶ risques.
[…]
Avant que ◀l’▶on passe à ◀la▶ synthèse des opinions émises au cours de cette première partie ◀de▶ nos débats, je voudrais répondre en quelques mots à ◀la▶ question très pertinente qui m’a été posée par ◀le▶ professeur ◀de▶ Vernejoul, concernant ◀les▶ rapports ◀de▶ ◀la▶ technique et ◀de▶ ◀la▶ culture, question qui touche un des points vitaux, je crois, des préoccupations ◀de▶ ce colloque.
◀La▶ question était ◀la▶ suivante : est-ce que ◀la▶ spécialisation résultant ◀de▶ ◀la▶ technique n’est pas un danger pour ◀la▶ culture, étant entendu, d’autre part, que ◀la▶ technique apporte beaucoup à ◀la▶ culture ?
◀La▶ spécialisation est certainement un danger pour ◀le▶ spécialiste, dans ◀la▶ mesure où cela ◀le▶ ferme à tout autre domaine général, c’est-à-dire à tout ce qui définit ◀le▶ sens même ◀de▶ sa spécialité dans ◀l’▶ensemble des activités humaines. ◀Le▶ spécialiste qui n’est que cela fait littéralement un travail insensé. Il est perdu pour ◀la▶ culture qui est, en fin de compte — je crois que c’est ◀la▶ définition ◀la▶ plus simple qu’on puisse en donner — ce qui donne un sens aux activités humaines. Mais ◀la▶ spécialisation technique, il faut bien ◀le▶ signaler, n’est pas moins dangereuse pour ◀la▶ technique elle-même que pour ◀la▶ culture. Pour ◀la▶ technique et pour ◀le▶ développement scientifique, une spécialisation trop poussée et fermée s’oppose au progrès même, à ◀l’▶invention.
Il résulte ◀d’▶une série ◀d’▶études récentes faites en Amérique et en Angleterre sur ◀les▶ inventions techniques, que la plupart de ces inventions ne sont pas dues à des techniciens spécialisés mais à des hommes qui s’occupent ◀de▶ toutes sortes d’autres choses, qui ont un éventail très large ◀de▶ curiosités variées, et qui sont amenés par ces curiosités à faire des découvertes, à trouver du neuf qu’ils ne trouveraient pas s’ils étaient prisonniers des routines ◀de▶ leurs spécialisations.
◀Les▶ plus grands savants ◀d’▶aujourd’hui ◀le▶ confirment : j’en parlais encore il y a trois semaines avec Robert Oppenheimer, créateur ◀de▶ Los Alamos et ◀de▶ ◀la▶ bombe atomique. Il n’y a pas ◀de▶ progrès scientifique aujourd’hui, et par suite, pas ◀de▶ progrès technique, sans ouverture ◀d’▶esprit aux problèmes philosophiques, par exemple, et même, dirait M. Oppenheimer, aux problèmes esthétiques.
◀Les▶ Soviétiques, eux-mêmes, ont découvert cela récemment : après une période ◀de▶ spécialisation presque délirante sous Staline, qui ◀les▶ avait amenés à diviser ◀les▶ études en plusieurs centaines ◀de▶ spécialités et sous-spécialités, sans aucune possibilité ◀d’▶option pour ◀les▶ étudiants, ils en sont venus à restaurer ◀les▶ études générales ; à tel point que, dans un ouvrage récent publié en Amérique, qui compare ◀l’▶éducation américaine et ◀l’▶éducation soviétique, ◀l’▶auteur américain prétend que ◀le▶ jeune soviétique ◀de▶ 7e année qui fait ◀de▶ ◀l’▶anglais en sait davantage sur ◀les▶ littératures américaine et anglaise, que ◀le▶ jeune américain du même degré et du même âge.
Nous assistons là à un phénomène ◀d’▶auto-régulation, non pas au nom d’un idéal « ◀d’▶humanités », mais simplement parce que nous sommes conduits, par ◀les▶ nécessités mêmes du progrès technique et ◀de▶ ◀l’▶invention, à restaurer ◀les▶ études générales. Ceci, pour ◀les▶ meilleurs, pour ◀les▶ créateurs. Il reste évidemment ◀le▶ danger que ◀la▶ spécialisation nécessaire dans beaucoup de branches ◀de▶ ◀la▶ technique ne crée une sorte ◀de▶ caste, ◀de▶ sous-hommes qui ne seraient éduqués que pour une seule opération-modèle ou un seul geste, comme ◀les▶ ouvriers à ◀la▶ chaîne du xix e siècle. Mais c’est un problème ◀d’▶éducation. Un phénomène analogue se produit dans ◀l’▶évolution des techniques industrielles. On a beaucoup répété depuis cinquante ans que ◀la▶ machine asservit ◀l’▶homme. C’était vrai à un certain stade ◀de▶ ◀la▶ technique. Une technique insuffisante asservissait ◀l’▶homme à ◀la▶ machine. C’est ce que Marx a si bien décrit, en son temps, en écrivant que ◀l’▶ouvrier n’était que « ◀le▶ complément vivant ◀d’▶un organisme mort ». Cela correspondait à ◀la▶ période noire ◀de▶ ◀l’▶industrie, ◀la▶ période du charbon. Maintenant que nous sommes passés à ◀la▶ période blanche, ◀la▶ période ◀de▶ ◀l’▶électricité, ◀de▶ ◀l’▶électronique et ◀de▶ ◀l’▶atomistique, tout change et on s’aperçoit que ◀la▶ technique, loin ◀d’▶asservir ◀l’▶homme, arrive à ◀le▶ libérer. ◀L’▶usine automatisée, ◀l’▶usine sans ouvriers, n’a pas été obtenue par ◀le▶ marxisme mais par ◀le▶ développement même ◀de▶ ◀la▶ technique.
◀De▶ ces considérations générales, ce que nous avons à retenir ici, je crois, c’est que, entre ◀la▶ technique et ◀la▶ culture, ◀les▶ liens ne sont pas seulement souhaitables ◀d’▶un point de vue humaniste, mais qu’ils sont vitaux pour ◀la▶ technique et par suite pour ◀l’▶industrie elle-même. Pas ◀de▶ bonne technique sans une culture vivante, curieuse et même aventureuse et, en retour, pas ◀d’▶extension ◀d’▶une culture vivante et créatrice sans un support économique.
Pour illustrer ce deuxième point, ◀le▶ support économique indispensable au développement ◀de▶ ◀la▶ culture, je voudrais simplement faire un très bref rappel historique. ◀L’▶évolution en Europe ◀de▶ branches importantes ◀de▶ ◀la▶ culture comme ◀la▶ peinture et ◀la▶ musique a suivi, au cours des âges, à peu près ◀les▶ grands axes du commerce et ◀de▶ ◀l’▶économie.
◀La▶ peinture et ◀la▶ musique qui se développent en Italie du Nord au xiv e siècle et au xv e siècle se transmettent aux Flandres, le long du grand axe commercial ◀de▶ ◀l’▶époque qui était Venise-Bruges. Elles se développent dans ◀les▶ Flandres, redescendent par ◀la▶ Bourgogne. ◀Les▶ peintres flamands vont faire des portraits à Gênes. Plus tard, ◀les▶ Allemands passent ◀le▶ Brenner et vont apprendre leur art en Italie, Dürer, Schütz, etc. Je ne vais pas élaborer davantage, je voulais simplement souligner ◀le▶ lien vital entre ◀l’▶évolution culturelle et ◀l’▶évolution économique. Notons que ces évolutions ne sont jamais parties ◀d’▶une base « nationale » au sens contemporain du terme. Elles coupent une quantité ◀de▶ nos frontières actuelles, qui n’étaient pas ◀les▶ mêmes ou n’existaient pas dans ces époques-là. Elles ne vont pas ◀d’▶une nation à l’autre mais ◀d’▶un foyer ◀de▶ création à un autre foyer. Elles se propagent ◀de▶ lieu en lieu ; elles sont ◀les▶ créations ◀d’▶artistes évidemment individuels, mais attirés par un certain milieu local ou régional qui leur offre une tradition, une subsistance économique, un public, bref, une réponse à leur travail créateur.
Et ceci nous conduit à ◀l’▶idée ◀de▶ « métropole », qui est à ◀la▶ base du colloque qui nous réunit.
[…]
Au moment où ◀les▶ frontières s’ouvrent à des échanges plus libres, il faut qu’il y ait quelque chose à faire passer, des produits à échanger ! Cela suppose des centres et foyers ◀de▶ production renforcée, des « métropoles » qui soient autant ◀d’▶expressions locales ou régionales ◀de▶ ◀la▶ culture humaine, différenciées par ◀le▶ génie du lieu, par ◀l’▶accent mis sur tel ou tel aspect ◀de▶ ◀la▶ culture fondamentale et commune.
Quelles seront alors ◀les▶ fonctions possibles ◀d’▶une métropole en général ? Serait-ce, par exemple, ◀d’▶apporter ◀la▶ culture à ◀la▶ population ◀d’▶un lieu ? Ou, au contraire, ◀de▶ créer un foyer qui rayonnerait bien au-delà ? Je ne pense pas que ◀la▶ fonction première ◀d’▶une métropole soit ◀d’▶apporter ◀la▶ culture dans une région comme celle ◀d’▶Aix-Marseille, qui a déjà une forte densité culturelle. Il ne s’agit pas ici ◀d’▶une population culturellement sous-développée à laquelle on devrait apporter ◀les▶ lumières ◀de▶ Paris ! Il s’agit bien plutôt ◀de▶ faire participer ◀l’▶ensemble ◀d’▶une population active, y compris ses forces économiques, à ◀la▶ création ◀d’▶un grand foyer ◀de▶ production, qui serait ◀la▶ métropole. J’insiste sur ce mot participation. ◀La▶ culture, c’est quelque chose à quoi ◀l’▶homme participe, ce n’est pas seulement quelque chose qu’il reçoit ; et probablement, il ne peut en recevoir ◀les▶ dons que dans ◀la▶ mesure où il fait un effort créateur ◀d’▶une manière ou ◀d’▶une autre. M. Bigonnet a avancé ◀l’▶image, qui n’est pas originale mais tout à fait pertinente dans ◀le▶ cas présent, ◀d’▶un phare, pour définir une métropole culturelle et économique. Je trouve cette image parfaitement exacte en ceci qu’elle évoque un pouvoir émetteur, lequel va naturellement bien au-delà ◀de▶ sa source. Il n’est pas destiné seulement et en premier lieu aux gens du phare ou à ceux qui habitent autour, sur son île. Il est destiné à permettre et assurer ◀les▶ communications, ◀les▶ échanges et ◀les▶ mouvements. Il se peut que ceux qui ◀le▶ gardent en soient très fiers, mais ◀le▶ but ◀de▶ leur phare, ce n’est pas eux, c’est ◀le▶ reste du monde. Toute culture est échange parce qu’elle est d’abord expression, et qui dit expression dit communication, tendance à une communication. À mon sens, une métropole devrait jouer, mutatis mutandis, ◀le▶ rôle des petites cours ◀de▶ ◀la▶ Renaissance italienne ou flamande. Qu’est-ce que ces cours offraient ? Un appel aux créateurs, et une réponse à leurs créations. ◀L’▶appel, c’était ◀l’▶attrait ◀d’▶un climat, en prenant ce terme dans son sens ◀le▶ plus large : climat physique, climat intellectuel, génie du lieu, rassemblement ◀de▶ forces diverses, équilibrées ou en compétition dans un même lieu. ◀La▶ réponse, c’était ◀le▶ public présent, ◀de▶ bons juges, un milieu vivant, des instruments ◀de▶ création communautaire.
Autrefois, c’étaient ◀les▶ cours qui offraient cela, qui offraient en plus des titres et pensions, des amateurs éclairés, des collègues, une école. Aujourd’hui, dans ◀le▶ cas ◀d’▶Aix-Marseille, quels sont ◀les▶ éléments déjà existants ? Vous avez un festival, des revues, une grande université, un essor économique très puissant auquel on a souvent fait allusion ici, des groupements professionnels ou ◀d’▶éducation populaire. À quoi ◀l’▶on pourrait ajouter à ◀l’▶avenir bien des choses : un orchestre, une maison d’édition, des centres ◀de▶ recherches, des prix, des compétitions diverses. Toutes choses qui sont chères, toutes choses qui ne rapportent presque rien, et qui exigent un important mécénat public et privé, des richesses assez librement dispensées. Je reviendrai plus tard sur ce point… capital !
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Nous avons vu qu’une métropole, cela consiste en un attrait, un climat, et des ressources économiques, dont ◀la▶ combinaison assure ◀la▶ production et ◀le▶ rayonnement.
◀Le▶ climat, il existe ici, on ◀l’▶a décrit hier. Il est heureux, il est dense, il est plein ◀de▶ possibilités variées qui sont à ◀l’▶état naissant ou renaissant. Quant à ◀l’▶argent et aux devoirs ◀de▶ ◀l’▶argent, dont parlait si justement et si éloquemment Jean Ballard, directeur des Cahiers du Sud, c’est à ◀l’▶économie, qui ◀le▶ produit, ◀de▶ ◀le▶ faire servir au développement culturel dont elle vivra en retour.
◀La▶ culture et ◀l’▶éducation, je crois que nous sommes tous d’accord là-dessus, il n’y a pas ◀de▶ meilleur investissement pour ◀les▶ grandes industries. Une métropole digne ◀de▶ ce nom devrait donc financer en grande partie elle-même son rayonnement. Autrement, elle ne serait qu’une succursale plus ou moins lointaine ◀de▶ ◀la▶ capitale nationale qui consentirait à lui octroyer quelques subventions, et ◀l’▶on retomberait dans ◀la▶ mauvaise décentralisation…
Comment constituer cette masse ◀de▶ manœuvre monétaire qui correspondrait à ce qu’était autrefois ◀la▶ fortune ◀d’▶un prince où ◀d’▶un grand marchand ◀d’▶Anvers ou ◀de▶ Bruges au temps de ◀la▶ Renaissance, ou à ce qu’étaient ◀les▶ grandes familles ◀d’▶Athènes qui faisaient édifier un temple sur ◀l’▶Acropole ou à Delphes ? Quel est ◀l’▶équivalent moderne ◀de▶ ce mécénat ? C’est ◀la▶ « fondation », ◀de▶ type américain. Elle paraît être ◀la▶ formule ◀de▶ coopération idéale entre ◀l’▶économie et ◀la▶ culture. Elle est nourrie par ◀l’▶économie, qui à travers elle dirige ses dons vers ◀la▶ culture en espérant en recevoir ◀les▶ bénéfices à long terme.
C’est une formule qui a fait ses preuves aux États-Unis où quelques milliers ◀de▶ fondations détiennent à peu près 10 % ◀de▶ ◀la▶ fortune nationale. ◀Le▶ capital ◀de▶ ◀la▶ fondation Ford, nourri par ◀les▶ usines Ford, est actuellement ◀de▶ quatre milliards et demi ◀de▶ dollars ; je tiens ce chiffre ◀d’▶un ◀de▶ ses directeurs.
Cette fortune provient ◀d’▶une mesure très simple, qui est ◀la▶ détaxation des revenus versés à une fondation. En dotant richement une fondation, ◀les▶ grands industriels diminuent ◀d’▶autant ◀le▶ montant ◀de▶ leurs impôts. Finalement, c’est ◀l’▶État qui fait ◀le▶ sacrifice, mais ◀l’▶habitude est prise en Amérique, et, à part quelques enquêtes gênantes au Congrès où ◀l’▶on fait comparaître ◀les▶ dirigeants ◀de▶ fondations pour leur poser des questions ennuyeuses sur leur politique, tout se passe très bien. ◀La▶ chose est parfaitement admise et considérée comme bénéficiaire pour ◀l’▶ensemble des États-Unis.
Il s’agirait ◀d’▶obtenir des conditions analogues en Europe. Un projet ◀de▶ loi doit être déposé à cet effet devant ◀le▶ Conseil de l’Europe, tendant à généraliser ce régime ◀de▶ détaxation, qui favoriserait ◀la▶ création ou ◀l’▶enrichissement rapide ◀de▶ très nombreuses fondations. En attendant, il existe en Europe quelques 400 fondations culturelles, pour la plupart peu connues, et très spécialisées.
◀L’▶étude ◀d’▶un projet ◀de▶ fondation dans ◀la▶ métropole Aix-Marseille serait un test qui permettrait ◀de▶ mesurer ◀la▶ vitalité ◀de▶ cette métropole, c’est-à-dire ◀de▶ voir jusqu’à quel point ◀le▶ secteur industriel et ◀le▶ secteur culturel y sont réellement conscients ◀de▶ leur interdépendance vitale, ◀de▶ ce qu’ils doivent attendre ◀les▶ uns et ◀les▶ autres et ◀de▶ ce qu’ils peuvent s’apporter ◀les▶ uns aux autres.
Je suggère cette idée ◀de▶ fondation, dotée par ◀l’▶économie régionale, non pas dans ◀l’▶espoir qu’elle soit acceptée ni même discutée sérieusement aujourd’hui, mais parce qu’il me semble qu’elle pourrait servir à concrétiser, dans ◀les▶ conversations qui suivront ce colloque, ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ métropole à la fois culturelle et économique, et ◀le▶ problème des responsabilités ◀de▶ ceux qui entreprendront ◀de▶ ◀l’▶animer.