L’▶Europe et ◀le▶ monde [Introduction] (février 1965)db
◀Les▶ motifs ◀d’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe ont beaucoup évolué depuis 1945. Dès cette année-là et au cours des cinq années suivantes, ◀les▶ groupes ◀de▶ militants fédéralistes issus ◀de▶ ◀la▶ résistance à ◀l’▶hitlérisme dans tous ◀les▶ pays en guerre — y compris ◀l’▶Allemagne — se réunirent en petits colloques, puis en congrès de plus en plus spectaculaires, pour affirmer leur volonté ◀d’▶empêcher ◀le▶ retour ◀de▶ nos guerres nationales, c’est-à-dire ◀de▶ nos guerres civiles européennes. ◀Le▶ motif dominant ◀de▶ ◀l’▶union était alors ◀de▶ rendre impossible une nouvelle guerre franco-allemande : ◀le▶ discours ◀de▶ Churchill à Zurich, en 1946, ◀le▶ dit expressément. Et tout cela conduisit à ◀la▶ création du Conseil de l’Europe à Strasbourg en 1949.
Au cours des années 1950 à 1960, devant ◀l’▶impossibilité ◀d’▶aller plus loin sur le plan politique, un nouveau motif ◀d’▶union passa au premier rang : rétablir ◀la▶ prospérité économique du continent : et cela conduisit à ◀la▶ création ◀de▶ ◀la▶ CECA, puis du Marché commun et ◀de▶ ◀l’▶Euratom, enfin ◀de▶ ◀l’▶AELE par contrecoup, et ◀d’▶un nombre sans cesse croissant ◀d’▶ententes industrielles, commerciales, professionnelles, etc.
Pendant ce temps, ◀l’▶Europe avait perdu ses positions mondiales ◀de▶ puissance politique et militaire, mais sa culture faisait ◀le▶ tour du monde — ou du moins ◀les▶ produits matériels et certaines idéologies, certaines formes ◀de▶ vie publique, que cette culture seule expliquait. Alors parut un troisième motif ◀d’▶union : représenter ◀l’▶Europe comme un ensemble dans ◀la▶ rencontre des cultures. ◀La▶ conférence ◀de▶ Bâle sur ◀l’▶Europe et ◀le▶ monde veut marquer ◀la▶ prise de conscience ◀de▶ ce nouveau motif, ◀le▶ motif planétaire.
◀L’▶idée maîtresse qui ◀l’▶inspire est ◀la▶ suivante :
— il faut que ◀l’▶Europe tienne sa place et réalise sa vocation particulière dans ◀le▶ monde nouveau-né ◀de▶ ◀la▶ décolonisation et ◀de▶ ◀la▶ diffusion simultanée ◀de▶ ◀la▶ civilisation industrielle et technologique née du complexe européen ;
— il faut que ◀les▶ Européens prennent ◀l’▶initiative ◀de▶ coopérer à ◀l’▶établissement ◀d’▶un équilibre mondial, et trouvent pour cela ◀les▶ moyens ◀d’▶une aide conçue ◀de▶ telle manière qu’elle n’augmente pas ◀les▶ déséquilibres existants, et qu’elle ne se retourne pas contre ◀l’▶Europe ;
— et il faut que ◀les▶ Européens se préoccupent ◀de▶ présenter au monde nouveau et aux cultures différentes une Europe qui ne soit ni impérialiste ni démissionnaire, ni agressive ni masochiste, et pour laquelle ◀l’▶universalisme ne signifie plus ◀l’▶ambition naïve ◀d’▶imposer à ◀la▶ Terre entière une certaine idée unitaire, rationaliste et tenue pour seule « normale » ◀de▶ ◀l’▶homme, mais au contraire ◀l’▶idée ◀d’▶un pluralisme des cultures entrant en dialogue, et admettant qu’elles sont autant ◀de▶ manifestations valables, précieuses et nécessaires, autant ◀de▶ styles ou ◀d’▶écoles dans ◀la▶ recherche ◀de▶ ◀la▶ vie meilleure.
◀Le▶ respect mutuel, ◀le▶ dialogue, supposent, à la fois ◀la▶ diversité, ◀la▶ personnalité bien marquée des interlocuteurs, et ◀le▶ désir ◀d’▶une unité finale, dans ◀la▶ vérité, sinon chacun s’enferme en soi — ou c’est ◀la▶ guerre. Or d’une part nous ne pouvons plus nous enfermer, il est trop tard, déjà tout communique, par ◀la▶ faute ou par ◀la▶ vertu ◀de▶ nos techniques occidentales ; d’autre part nous savons aujourd’hui qu’aucune guerre ne peut être gagnée, et qu’elles sont toutes perdues par toute ◀l’▶humanité.
◀Le▶ sujet du dialogue est immense, il est littéralement planétaire, il prête et il invite à toutes ◀les▶ confusions imaginables. Pourtant, on ne peut plus ◀l’▶esquiver. Il domine toute espèce ◀de▶ réflexion sur ◀la▶ culture, au seuil du dernier tiers du xxe siècle. Il remet en question toutes nos valeurs, bien plus profondément que ◀les▶ grandes découvertes ne ◀le▶ firent au xvie siècle.
Nous avons donc pensé que ◀le▶ concours ◀d’▶un grand nombre ◀de▶ compétences éprouvées pourrait aider sinon à résoudre ◀le▶ problème, du moins à définir ses termes, à décrire ses vraies dimensions, à mieux faire sentir son urgence et ◀la▶ nécessité ◀de▶ ◀l’▶affronter honnêtement.
Un petit groupe ◀d’▶animateurs s’est réuni à Genève et à Paris dès 1961, pour faire du « brainstorming », puis pour tenter ◀d’▶établir ◀le▶ programme ◀d’▶un congrès, marquant avec éclat ◀la▶ prise au sérieux, ◀la▶ prise de conscience commune du problème symbolisé par ◀l’▶ellipse Europe-Monde.
◀Le▶ groupe a commencé par établir une liste idéale des participants. On en voulait environ 150. On en a invité plus ◀de▶ 300. Près de 200 ont accepté, et finalement 150 sont ici (55 souhaitaient venir, mais sont occupés dans ◀le▶ tiers-monde à faire ce dont nous tentons ici ◀de▶ mieux voir comment il faut ◀le▶ faire).
◀Le▶ groupe s’est ensuite occupé ◀de▶ sonder ◀l’▶opinion ◀de▶ nos élites, et ◀de▶ réunir des rapports sur ◀les▶ points principaux ◀d’▶un programme très vaste, avec ◀l’▶ambition (que certains jugeront presque délirante) ◀de▶ couvrir ◀l’▶ensemble des questions inévitables. Une cinquantaine ◀de▶ rapports ont été demandés. Quarante-huit figurent dans vos dossiers, quelques-uns nous sont arrivés hier, d’autres vous seront présentés oralement. C’est dire que ◀la▶ réponse a dépassé ◀la▶ demande, quoique avec un certain retard, qui explique ◀le▶ déluge ◀de▶ papier auquel vous êtes soumis en dernière heure, plus ◀de▶ 800 pages ◀de▶ texte, y compris ◀le▶ Bilan ◀de▶ ◀la▶ coopération européenne en matière culturelle.
Ces quelque 50 rapports ont été attribués à une première série ◀de▶ quatre commissions chargées ◀de▶ discuter ◀la▶ philosophie du Dialogue des cultures, puis à une seconde série ◀de▶ commissions chargées ◀de▶ proposer des solutions pratiques. Je ne parlerai ici que des premières, celles qui vont se mettre à ◀l’▶ouvrage cet après-midi et demain matin.
À la première commission, qui traitera des valeurs européennes reconsidérées dans une optique mondiale, sont attribués une quinzaine ◀de▶ rapports. On peut ◀les▶ répartir en quatre groupes. ◀Les▶ uns traitent ◀de▶ ◀la▶ notion du genre humain, ◀de▶ ◀l’▶égalité des hommes, ◀de▶ ◀la▶ liberté et ◀de▶ ◀l’▶esclavage. Il était juste ◀de▶ relever d’abord ◀le▶ rôle décisif qu’ont joué ◀les▶ Européens, et eux seuls, des stoïciens grecs et romains aux Pères de l’Église et aux rationalistes du xviiie siècle, en passant par ◀les▶ grands religieux espagnols du xvie siècle : las Casas, Vitoria, Suárez, dans ◀l’▶élaboration ◀d’▶une doctrine du genus humanum, ◀de▶ ◀l’▶humanité.
Un deuxième groupe ◀de▶ rapports traite du dynamisme particulier aux Européens, et ◀de▶ ◀l’▶aventure européenne, qui commence avec Prométhée, avec Ulysse, avec Icare, et qui aboutit aux sciences et à ◀la▶ technique moderne. Il paraît indispensable, en effet, ◀d’▶expliquer aux Occidentaux ◀d’▶aujourd’hui autant qu’aux hommes du tiers-monde, comment et pourquoi ces sous-développés qu’étaient ◀les▶ Européens du Moyen Âge et ◀de▶ ◀la▶ Renaissance par rapport aux Arabes, aux Hindous et aux Chinois, sans demander ni recevoir ◀d’▶assistance technique, ont fourni ◀la▶ carrière mondiale que ◀l’▶on sait.
Un troisième groupe ◀de▶ rapports traite des liens entre ◀le▶ christianisme et ◀la▶ civilisation européenne, du sécularisme — phénomène typique ◀de▶ notre culture —, du problème des missions, et des vieux clichés sur ◀le▶ « matérialisme occidental » et ◀le▶ « spiritualisme oriental » : dans quelle mesure traduisent-ils des réalités, et dans quel contexte faut-il ◀les▶ replacer ?
Enfin, ◀la▶ question des influences culturelles réciproques entre ◀les▶ cultures des autres continents et celles ◀de▶ ◀l’▶Europe est traitée par deux ou trois rapports, qui décrivent ◀la▶ faculté ◀d’▶assimilation ◀de▶ ◀l’▶Europe, non seulement du point de vue ◀le▶ plus élémentaire et physiologique (voir ◀le▶ rapport sur ◀les▶ aliments !) mais du point de vue des arts.
Deux tendances caractéristiques des élites européennes ◀de▶ ce siècle se dessinent dans ces rapports. ◀Les▶ uns comme M. Joseph Needham, ◀le▶ grand sinologue anglais (dans une longue lettre excusant son absence forcée ◀de▶ ce congrès, il est en Chine ces jours-ci) critiquent vivement toute tentative ◀d’▶affirmer nos valeurs et nos responsabilités européennes, recommandent ◀de▶ développer au contraire un sens « ◀d’▶humilité » devant ◀les▶ cultures orientales, dont on se demande si ils ne ◀les▶ tiennent pas, au fond et systématiquement, pour supérieures à ◀la▶ nôtre, par une sorte ◀de▶ réflexe ◀de▶ surcompensation. La seconde tendance, plus fortement représentée, consiste au contraire à soutenir que face au tiers-monde il convient que ◀les▶ Européens reprennent conscience ◀de▶ leurs vertus fondamentales et se concertent pour adopter une politique commune. ◀Les▶ uns nous mettent en garde contre notre orgueil, notre impérialisme, notre esprit missionnaire ; ◀les▶ autres, contre notre mauvaise conscience excessive, notre défaitisme, notre vertige ◀de▶ décadence. Il y a beaucoup à dire en faveur de l’une et ◀de▶ l’autre attitude.
Car il est bien certain que ◀les▶ Européens ont fait preuve, jusqu’à ce siècle, ◀d’▶une sorte ◀d’▶arrogance naïve à l’égard des autres cultures. Cela s’explique : ils ◀les▶ connaissaient mal, ils ◀les▶ connaissaient surtout par ◀les▶ récits ◀de▶ marins, ◀de▶ marchands, ◀de▶ colons pas nécessairement très cultivés, qui n’avaient pas compris grand-chose aux propos des sages subtils ◀de▶ ◀la▶ Chine et ◀de▶ ◀l’▶Inde : parce que ces sages essayaient ◀de▶ se mettre à ◀la▶ portée ◀de▶ leur intelligence souvent fruste, nos marins, marchands et soldats ◀les▶ jugeaient un peu enfantins… Imaginez ce que donnerait ◀le▶ récit par des marchands malais ou malgaches, ◀d’▶une visite à Heidegger, et dans quels termes ces hommes revenus chez eux décriraient ◀les▶ croyances « risibles et enfantines » à leurs yeux ◀de▶ ce grand sage occidental !
En revanche, à ceux qui affirment contre ◀l’▶Europe et pour lui faire ◀la▶ leçon, que toutes ◀les▶ cultures sont également valables, il est juste ◀de▶ faire observer que des Européens, presque seuls, ont pu penser cela ! Toutes ◀les▶ grandes cultures se sont considérées, partout et ◀de▶ tout temps, comme ◀la▶ vraie, ◀la▶ seule, ◀l’▶humaine par excellence. ◀Les▶ autres étaient barbares et plus ou moins grossières. Seuls ◀les▶ Européens, dès ◀le▶ xviiie siècle, ont accepté ◀de▶ se relativiser et ◀de▶ se juger objectivement, avec mesure et discrimination, sans se renier nécessairement, comme beaucoup ◀le▶ font aujourd’hui dans ◀le▶ tiers-monde encore plus que chez nous.
Retenons donc ◀la▶ notion ◀de▶ ◀l’▶égalité ◀de▶ toutes ◀les▶ cultures, comme une manière simple et commode ◀d’▶écarter ◀la▶ question insoluble et probablement insensée ◀de▶ ◀la▶ supériorité ou ◀de▶ ◀l’▶infériorité globale ◀d’▶une culture. Et ceci fait, cherchons en toute sincérité, sobriété et bonne conscience ce que nous autres, ◀les▶ Européens, avons à faire entendre dans ◀le▶ concert des cultures.
La deuxième commission va s’occuper des doctrines et formes ◀de▶ vie politique ◀de▶ ◀l’▶Europe, et ◀de▶ leur transposition dans d’autres contextes culturels. Une douzaine ◀de▶ rapports lui sont attribués, traitant surtout des effets ◀de▶ ◀l’▶adoption par ◀le▶ tiers-monde du plus néfaste ◀de▶ nos produits ◀d’▶origine : ◀le▶ nationalisme ; mais aussi ◀de▶ ◀l’▶usage que ◀le▶ tiers-monde voudrait faire ◀de▶ notre socialisme plutôt que ◀de▶ notre libéralisme et du droit ◀d’▶opposition, ◀de▶ nos formules syndicales, et ◀de▶ nos formules fédéralistes.
Là encore, il ne s’agit pas un instant, quoi qu’en aient pensé certains d’entre vous, ◀de▶ vanter nos produits, ou ◀d’▶essayer ◀de▶ ◀les▶ vendre au rabais dans ◀le▶ tiers-monde, mais bien plutôt ◀de▶ mettre ◀le▶ tiers-monde en garde contre leur usage inconsidéré, dans un contexte entièrement différent et sans que ◀les▶ conditions ◀d’▶une transposition valable soient réunies.
La troisième commission va s’atteler à ◀la▶ tâche capitale ◀d’▶une évaluation critique du concept ◀de▶ sous-développement ou simplement ◀de▶ développement.
Cinq rapports très importants lui sont soumis, et il me semble que chacun à sa manière, si différentes que soient ces manières et si opposées qu’elles puissent paraître, ces cinq rapports ont une vertu commune qui est ◀de▶ mettre en question ◀les▶ clichés ◀de▶ ◀l’▶économisme pur et ◀d’▶un philanthropisme naïf.
Ce sont ◀les▶ travaux ◀de▶ cette commission qui, personnellement, me passionneraient ◀le▶ plus, parce que c’est là que j’aurais ◀le▶ plus à apprendre, mais aussi ◀les▶ plus naïves questions à poser.
Est-il certain, par exemple, que ◀le▶ développement industriel et technique sur ◀le▶ modèle occidental soit une nécessité universelle et nécessairement bénéfique ? ◀Les▶ calculs qui sont à ◀la▶ base ◀de▶ ◀l’▶aide au développement par ◀les▶ Occidentaux ne reposent-ils pas sur ◀la▶ notion inconsciente, indiscutée mais très discutable ◀d’▶une réduction des peuples ◀les▶ plus divers par leur culture, à une sorte ◀de▶ commun dénominateur matériel ou physique, obtenu par réduction ou élimination des caractères psychiques et religieux qui ◀les▶ distinguent ? N’y a-t-il pas là une tendance déshumanisante, anticulturelle, barbarisante ?
◀L’▶exactitude ◀de▶ ces calculs ne suppose-t-elle pas que tous ◀les▶ peuples auraient accepté ◀les▶ options fondamentales, ◀les▶ valeurs et vertus spécifiques ◀de▶ ◀l’▶Occident moderne ? ◀Le▶ développement industriel et technique ◀de▶ ◀l’▶Occident moderne est-il une mesure fixe, comme ◀le▶ kilo, ◀le▶ mètre ou ◀l’▶erg, à laquelle on pourrait se référer en toute certitude ? ◀L’▶idée si répandue dans ◀le▶ tiers-monde ◀de▶ « rattraper » ◀l’▶Occident a-t-elle un sens, quand ◀l’▶Occident change et bouge tout ◀le▶ temps et de plus en plus vite, et sans toujours savoir où il va et nous emmène ?
◀Les▶ hommes ne sont pas tous pareils, même pas dans ce que ◀l’▶on nomme leurs besoins élémentaires. Ceux-ci peuvent varier dans une mesure telle, sous ◀l’▶influence ◀de▶ facteurs religieux, psychiques ou culturels, que toutes ◀les▶ lois ◀de▶ ◀l’▶économie s’effondrent, si justes qu’elles soient localement dans un milieu convenablement conditionné et réglé, comme ◀l’▶Occident moderne. Supposez qu’une épidémie ◀de▶ mystique ascétique se déclare dans une région ◀de▶ ◀l’▶humanité : toutes ◀les▶ prétendues lois ◀de▶ ◀la▶ consommation s’en trouveraient du même coup radicalement faussées. Cette hypothèse n’est pas gratuite, ou farfelue. Dans ◀l’▶Inde védique, ◀de▶ 1500 à 500 avant notre ère, ◀l’▶économie était en plein développement — et nous n’étions alors que des sauvages — lorsque se répandit ◀le▶ brahmanisme, bientôt suivi on ne sait trop pourquoi ni comment par ◀la▶ vogue dans ◀les▶ castes supérieures ◀d’▶une doctrine ◀de▶ ◀l’▶Absolu et ◀de▶ ◀l’▶Âme impersonnelle qui eut pour effet immédiat ◀de▶ ralentir et presque ◀de▶ bloquer tout ◀le▶ processus économique ◀de▶ ◀la▶ consommation, ◀de▶ ◀l’▶investissement et même ◀de▶ ◀la▶ fécondité.
De même, ◀les▶ prévisions sur ◀la▶ vente des autos deviendraient nulles et fausses si une région tout entière se convertissait à ◀la▶ croyance des mennonites, qui interdit ◀l’▶usage ◀de▶ ◀l’▶auto et n’admet que ◀le▶ chariot à deux grandes roues ou ◀la▶ marche à pied.
Ces exemples me paraissent ◀de▶ nature à nous rappeler que ◀le▶ niveau ◀de▶ développement économique ◀d’▶une culture donnée ne saurait être évalué, calculé ou prévu, comme si tous ◀les▶ hommes étaient pareils et comme si leurs croyances et leurs options fondamentales devant ◀la▶ vie et ◀la▶ nature ne jouaient qu’un rôle négligeable. En vérité, si ◀l’▶on entend « développer » à ◀l’▶occidentale un pays ◀de▶ culture différente, il faut bien voir que du même coup on s’attaque à son âme, ou en tout cas au mode ◀de▶ jonction et ◀d’▶articulation ◀de▶ son âme et ◀de▶ son corps. Cela, nous n’avons pas ◀le▶ droit ◀de▶ ◀l’▶ignorer ni ◀de▶ ◀le▶ cacher à ceux que nous nommons — et qui se nomment eux-mêmes — sous-développés. Nous avons au contraire ◀le▶ devoir impérieux ◀de▶ leur dire ce qu’il va leur en coûter ◀d’▶essayer ◀de▶ nous « rattraper », ◀de▶ dire aux Indiens par exemple qu’ils ne peuvent pas copier notre industrie et garder leurs rites, manger leurs vaches et continuer à ◀les▶ tenir pour sacrées.
Il y a plus grave encore et ◀l’▶on y viendra avec ◀les▶ rapports soumis à notre quatrième commission62, celle qui s’occupera ◀de▶ plusieurs sujets groupés sous ◀l’▶étiquette ◀de▶ questions sociologiques : ◀l’▶influence ◀de▶ ◀la▶ technique sur ◀les▶ mœurs, ◀le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶équilibre humain dans ◀le▶ monde technique, ◀l’▶urbanisme, ◀le▶ statut ◀de▶ ◀la▶ femme en Occident et dans ◀le▶ tiers-monde, enfin ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ population.
◀Les▶ publicistes à gros tirage et Lord Russell nous répètent depuis Hiroshima que ◀l’▶humanité est menacée ◀d’▶extinction par ◀la▶ Bombe, et ce danger virtuel ◀d’▶explosion atomique nous obsède et nous fascine au point ◀de▶ nous faire oublier ◀le▶ danger bien réel et présent ◀de▶ ◀l’▶explosion démographique.
Ce n’est pas ◀l’▶extinction du genre humain mais sa prolifération incontrôlée qui devrait épouvanter et pousser à une action immédiate à grande échelle !
Plusieurs des rapports qui vous sont soumis insistent sur ◀la▶ priorité qu’il faudrait donner à une planification démographique sur ◀la▶ planification économique ◀de▶ ◀l’▶aide aux sous-développés, car, sans la première, la seconde est désespérément illusoire, et peut même aggraver rapidement ◀la▶ famine qu’elle voulait prévenir à n’importe quel prix, fût-ce au prix de ◀l’▶âme des peuples.
Je ne vous parlerai pas ce matin des trois commissions finales qui auront à étudier une série ◀de▶ résolutions pratiques tendant toutes à favoriser ◀le▶ Dialogue des cultures, vrai but ◀de▶ ce congrès, et non pas son annexe un peu honteuse, comme ◀l’▶affirme assez bizarrement l’un ◀de▶ nos rapporteurs.
Cette brève introduction à ◀l’▶ensemble des rapports ◀de▶ base ne visait en somme qu’à rappeler ◀l’▶ampleur des objectifs ◀de▶ ce congrès, et que ◀le▶ problème que nous allons aborder est si vital, si central, et disons-◀le▶, si formidable, au sens étymologique du mot, que si nous arrivions seulement à ◀le▶ poser avec ◀la▶ clarté et ◀la▶ franchise nécessaires, cela suffirait peut-être à faire ◀de▶ ◀la▶ Conférence Europe-Monde une date dans ◀l’▶histoire ◀de▶ ◀la▶ conscience européenne.