La▶ technique, facteur ◀de▶ paix (6 mars 1965)q r
Je ne suis pas un technicien, ni au sens étroit du terme, sujet ◀de▶ récentes controverses et ◀d’▶une votation fédérale, ni au sens noble ◀d’▶un ingénieur diplômé, ou ◀d’▶un savant ◀de▶ ◀l’▶électronique ou ◀de▶ ◀la▶ science subnucléonique. Une prudence élémentaire m’incitera donc à ne point vous parler ◀de▶ ◀la▶ technique elle-même mais seulement ◀de▶ son rôle dans notre société, et non pas ◀de▶ ce que j’en sais, mais plutôt ◀de▶ ce que j’en puis faire comme usager moyen et homme qui réfléchit sur cet usage dans notre civilisation. Disons, symboliquement, que ◀l’▶éclairage à ◀l’▶électricité étant donné, je m’interroge sur ses avantages et ses défauts par rapport au confort quotidien, sans prétendre connaître ◀la▶ nature intime ◀de▶ ◀l’▶électricité et ◀de▶ ◀la▶ lumière : j’ignore si elle est ondulatoire ou corpusculaire, ou ◀les▶ deux à la fois, mais je sais que j’aime bien y voir clair pendant ◀la▶ nuit.
I
Comme ◀la▶ très grande majorité des hommes ◀de▶ notre siècle, sur tous ◀les▶ continents, ◀la▶ technique me passionne et m’amuse, j’en voudrais tout savoir, et je voudrais pouvoir jouer ◀de▶ ses procédés et possibilités comme je peux jouer avec des mots ou des concepts, et en tirer quelques effets nouveaux ou justes. Faute ◀de▶ quoi, je me vois réduit à poser quelques grandes questions des plus naïves, et qui ne portent pas sur tel ou tel problème précis que se posent ◀les▶ techniciens, mais sur ◀le▶ phénomène technique en général.
Première question : Comment s’explique ◀le▶ fait patent que ◀la▶ technique moderne — mettons depuis ◀le▶ xviie siècle — ait été ◀la▶ création ◀de▶ ◀l’▶Europe seule — et, par ◀la▶ suite, ◀de▶ ses filiales américaine et russe — alors que ni ◀l’▶Afrique des tribus et des sorciers, ni ◀l’▶Inde des castes et des sages, ni ◀la▶ Chine des mandarins et des paysans, n’avaient pu ou voulu produire ◀de▶ machines, ◀de▶ turbines ou même ◀de▶ canons, jusqu’à ces toutes dernières décennies, et n’y auraient pas songé ◀d’▶elles-mêmes, sans ◀l’▶exemple et ◀le▶ défi occidental ?
Que signifie ◀l’▶effort technique des Européens, et quelles sont ses racines profondes dans ◀la▶ psyché occidentale ?
J’ai tenté ◀de▶ répondre à ces questions dans un livre intitulé ◀L’▶Aventure occidentale ◀de▶ ◀l’▶homme , et je me suis vu amené à établir une chaîne continue sinon ◀de▶ causes et ◀d’▶effets, du moins ◀d’▶attitudes spirituelles permettant et favorisant certaines recherches plutôt que d’autres, recherches qui à leur tour devaient conduire à certaines découvertes plutôt qu’à d’autres, — chaîne continue qui va des grands conciles des ive et ve siècles, comme ceux ◀de▶ Nicée et ◀de▶ Chalcédoine, jusqu’à ◀la▶ bombe atomique. Voilà qui peut surprendre, mais qui est en somme très simple : ◀la▶ religion prépondérante ◀de▶ ◀l’▶Europe se fonde sur ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀l’▶Incarnation. Or qu’est-ce que ◀l’▶Incarnation, sinon Dieu lui-même, ◀l’▶Esprit pur, qui choisit ◀de▶ se rendre connaissable dans un corps ◀d’▶homme. Il en résulte que ◀le▶ corps physique, et ◀la▶ matière du même coup, se trouvent fortement valorisés comme objet des recherches ◀de▶ ◀l’▶esprit. Corps et matière sont bien réels aux yeux de ◀l’▶Occidental christianisé, et ne sont pas une simple illusion, une partie du voile ◀de▶ Maya que tout ◀l’▶effort spirituel doit tendre à dissiper, comme ◀le▶ veulent ◀les▶ religions brahmanique et bouddhiste. ◀Le▶ corps et ◀la▶ matière et toute ◀la▶ création, désormais, paraissent « dignes ◀d’▶être contemplés », comme ◀le▶ dira Kepler, bien plus, ◀d’▶être transformés par ◀l’▶homme spirituel et sauvés, ainsi que ◀l’▶avait déjà dit saint Paul, dont je rappelle ici une déclaration réellement fondamentale : « ◀La▶ création tout entière, dans une attente ardente, attend ◀la▶ révélation des fils ◀de▶ Dieu, avec ◀l’▶espérance qu’elle aussi sera affranchie ◀de▶ ◀la▶ servitude ◀de▶ ◀la▶ corruption… pour avoir part à ◀la▶ liberté ◀de▶ ◀l’▶Esprit. » Il y a là un programme grandiose ◀d’▶action sur ◀le▶ cosmos, qui s’offre à ◀l’▶homme en tant que spirituel, précisément. Programme grandiose, pratiquement infini, ou qui ne finira qu’avec ◀la▶ fin des temps. Mais ◀la▶ croyance en un Dieu créateur et régulateur du cosmos ◀le▶ rend cependant concevable pour ◀la▶ foi.
Il faut voir là sinon ◀l’▶origine immédiate ◀de▶ ◀la▶ science, du moins ◀l’▶annonce ◀de▶ ◀l’▶attitude fondamentale, ◀de▶ ◀l’▶option ◀de▶ base qui va rendre ◀la▶ science possible et qui va donner bonne conscience à ◀la▶ recherche appliquée non plus à ◀l’▶esprit seul, absolu et impersonnel, comme en Inde, ou aux esprits surnaturels, comme dans ◀la▶ magie africaine, mais aux corps et à ◀la▶ matière et à toute ◀la▶ Nature naturée — Nature à laquelle il ne s’agit plus ◀de▶ se conformer, mais qu’il faut au contraire transformer hardiment, illuminer el finalement sauver : c’est cela que ◀la▶ Nature attend ◀de▶ ◀l’▶homme, une action qui ◀la▶ maîtrise et ◀la▶ libère, et non pas une révérence dévotieuse et craintive.
D’autre part, ◀la▶ religion judéo-chrétienne ◀d’▶un Dieu incarné, qui appelle ◀l’▶homme à ◀la▶ liberté dans sa condition concrète et non dans ◀l’▶évasion mystique, se combine, peu à peu, non sans peine, avec ◀le▶ rationalisme critique ◀de▶ ◀la▶ Grèce et son exigence ◀de▶ vérité, voire ◀de▶ véracité contrôlée et mesurée. Cette synthèse, qui est ◀l’▶œuvre du Moyen Âge, dès ◀le▶ xiiie siècle, produit ses effets à partir de ◀la▶ Renaissance, dans ◀la▶ création ◀de▶ ◀la▶ science moderne, et j’entends bien ◀d’▶une science des corps et ◀de▶ ◀la▶ matière qui ne se veut pas seulement spéculative, mais transformatrice du réel. Ajoutez-y ◀le▶ goût du travail, vertu ou vice des populations nordiques, d’ailleurs approuvé par ◀les▶ ordres monastiques : laborare est orare ; et enfin, ◀la▶ nécessité ◀de▶ survivre dans un petit coin du monde peu favorisé par ◀les▶ dons gratuits ◀de▶ ◀la▶ Nature, — j’entends notre péninsule occidentale ◀de▶ ◀l’▶Asie, et vous aurez ◀les▶ conditions enfin réunies ◀de▶ ◀l’▶apparition ◀de▶ ◀la▶ technique en Europe : effort plus ascétique que magique, et plus rigoureux qu’hédoniste, ◀de▶ maîtrise et ◀de▶ transformation ◀de▶ ◀la▶ matière et ◀de▶ ◀la▶ Nature, effort ◀de▶ création ◀d’▶un milieu artificiel, au service des fins propres ◀de▶ ◀l’▶homme.
II
Mais ici se pose une deuxième question : ◀les▶ étapes ◀de▶ ◀la▶ technique ainsi définie dans ses motivations n’ont-elles pas coïncidé historiquement avec ◀les▶ guerres, c’est-à-dire avec des explosions ◀de▶ passions tout à fait naturelles et païennes, plutôt qu’avec ◀les▶ développements ◀de▶ ◀la▶ vie spirituelle en Occident ?
Et ◀de▶ fait, que ce soit ◀la▶ technique occidentale qui ait favorisé ◀les▶ guerres, ou ◀l’▶inverse, ce que ◀l’▶on observe à coup sûr, c’est un parallélisme ou une interaction constante entre ◀le▶ progrès ◀de▶ nos techniques et ◀l’▶aggravation du pouvoir destructeur des guerres.
◀Le▶ couteau ◀de▶ silex puis ◀le▶ glaive sont ◀les▶ armes du combat singulier entre chefs. ◀L’▶arquebuse, ◀les▶ machines ◀de▶ siège, ◀les▶ lances et ◀les▶ cuirasses permettent ◀d’▶armer ◀de▶ petits corps ◀de▶ troupe qui ne dépendent pour leurs fournitures ◀de▶ guerre que des forgerons et des menuisiers. Cet artisanat primitif correspond à ◀la▶ guerre entre communes et fiefs. Avec ◀le▶ canon puis ◀le▶ fusil apparaissent ◀les▶ guerres ◀de▶ peuple à peuple, puis ◀de▶ nation à nation. Ce type ◀d’▶armement s’accroît quantitativement avec la première révolution industrielle, qui aboutit à ◀la▶ Materialschlacht de Verdun. ◀La▶ fin ◀de▶ ◀la▶ guerre ◀de▶ 14-18 voit intervenir un élément nouveau, fourni par ◀la▶ technique : ◀le▶ moteur (auto, char, avion). Mais ◀le▶ point final ◀de▶ la Deuxième Guerre mondiale, qui fut une guerre motorisée, est posé par ◀la▶ bombe ◀d’▶Hiroshima, début ◀d’▶une ère ◀de▶ fantastique accélération des sciences physiques et ◀de▶ ◀la▶ technique. Désormais, ◀les▶ dimensions ◀de▶ ◀la▶ guerre débordent largement ◀la▶ nation et deviennent continentales, voire mondiales.
Dans cette évolution, on peut se demander si ◀l’▶élargissement ◀de▶ ◀la▶ guerre a vraiment résulté du progrès ◀de▶ ◀la▶ technique, ou si ce n’est pas plutôt ◀la▶ technique qui a bénéficié des commandes militaires.
Entre ◀les▶ deux guerres mondiales, Paul Valéry notait cette remarque désabusée : ◀la▶ science a su donner aux hommes des moyens ◀de▶ s’armer, mais non pas ◀de▶ désarmer. Et il est vrai que ◀les▶ armes nouvelles inventées par ◀les▶ techniciens n’ont guère fait que s’ajouter aux anciennes, curieusement appelées « conventionnelles », et que ◀l’▶effort ◀de▶ ◀la▶ science, mobilisée au service des États, a dû se borner en fait à chercher des ripostes à ◀l’▶emploi ◀de▶ ces armes, et non pas ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀les▶ éliminer ou ◀de▶ ◀les▶ rendre inutiles.
Pourtant, il semble bien que ◀l’▶excès même ◀de▶ ◀la▶ puissance des armes inventées par nos sciences ait tout ◀d’▶un coup bloqué ce processus ◀d’▶interaction conduisant à des destructions toujours plus étendues. ◀La▶ bombe A, puis ◀la▶ bombe H, n’ont certes pas amené ◀le▶ désarmement, ni même ralenti ◀la▶ production des armes conventionnelles, mais elles ont rendu leur emploi pratiquement impossible à grande échelle, depuis près ◀d’▶une vingtaine ◀d’▶années. ◀L’▶immense utilité ◀de▶ ◀la▶ bombe H, c’est en somme qu’elle n’est pas utilisable. Elle se trouve interdire ◀de▶ ◀la▶ sorte, ou limiter rigoureusement, ◀l’▶emploi des armes moins puissantes, simplement parce que cet emploi risquerait ◀de▶ nous jeter dans une guerre atomique qu’il semble bien qu’on ait décidé ◀de▶ ne pas faire.
On a donc atteint une limite, une sorte ◀de▶ point mort ◀de▶ ◀la▶ guerre, qui permet à ◀la▶ paix ◀de▶ durer tant bien que mal, et c’est ce que ◀l’▶on a baptisé ◀l’▶équilibre ◀de▶ ◀la▶ terreur. ◀La▶ prodigieuse réussite technique que représente ◀la▶ bombe H sert ◀la▶ paix en ceci qu’elle a suscité un sentiment encore plus violent que ◀les▶ passions nationalistes ou idéologiques, et qui neutralise ou refoule ces passions — ◀la▶ peur, commencement ◀de▶ ◀la▶ sagesse des nations. Encore faut-il s’entendre sur ce terme ◀de▶ peur. Je pense bien moins ici à ◀la▶ peur des masses et des individus dont on parle tant, peur ◀d’▶une espèce ◀de▶ fin du monde qu’entraînerait ◀la▶ guerre atomique, et que j’avoue ne pas ressentir très fortement ni en moi, ni autour de moi, tant il est vrai que ◀l’▶idée ◀d’▶un malheur universel et définitif agit peu sur ◀l’▶imagination : malheur ◀de▶ tous, malheur ◀de▶ personne en particulier. Je n’ai pu observer ◀la▶ peur ◀de▶ ◀la▶ menace atomique qu’aux États-Unis, il y a trois ans, à une époque où toute ◀la▶ presse parlait ◀de▶ ◀la▶ construction ◀d’▶abris antiatomiques familiaux : si quelques-uns avaient des chances ◀d’▶échapper, alors ◀la▶ menace devenait beaucoup plus sensible aux autres… ◀L’▶équilibre ◀de▶ ◀la▶ terreur repose bien moins sur une angoisse panique des peuples qui s’opposerait — on ne sait comment — à un conflit atomique, que sur une crainte bien raisonnée, basée sur des informations précises, qui retient ◀les▶ gouvernants ◀de▶ peser sur ◀le▶ bouton rouge, crainte plus forte que toute autre passion, conviction ou ambition, et qui ◀de▶ ◀la▶ sorte dévalorise ◀les▶ enjeux idéologiques et démystifie ◀les▶ passions politiques.
C’est donc bien à ◀la▶ technique, en dernière analyse, que nous devons ce blocage ◀de▶ ◀la▶ guerre en Europe et au sein du plus grand Occident. Sur notre continent, ◀la▶ technique a créé des réseaux si serrés ◀d’▶interdépendance économique et industrielle, qu’un conflit armé entre deux ◀de▶ nos nations paraît devenu impraticable. ◀Le▶ charbon et ◀l’▶acier, ◀l’▶énergie électrique, ◀les▶ oléoducs, ◀les▶ matières fissiles une fois mis en commun — c’est en bon train ◀de▶ se faire — avec quoi se battrait-on, au bout de quelques semaines ? Avec des bâtons, des couteaux. ◀Les▶ bombes atomiques ne seraient guère utilisables ◀de▶ nation à nation, en Europe : nous sommes trop près ◀les▶ uns des autres, et celui qui en lancerait une risquerait ◀d’▶en recevoir dans ◀l’▶heure suivante ◀les▶ retombées mortelles. J’entendais débattre cette question, l’autre jour, aux Rencontres ◀de▶ Genève, et je songeais que ces armes ◀d’▶une puissance folle nous laissent en fait à ◀la▶ merci ◀d’▶une saute ◀de▶ vent.
Mais si ◀l’▶on peut admettre que ◀la▶ technique a réussi à pacifier ◀l’▶Europe en désarmant et jugulant pratiquement ses passions nationalistes, sources des guerres ◀les▶ plus atroces ◀de▶ ◀l’▶Histoire, et, si ◀l’▶on constate d’autre part que ◀la▶ menace atomique tient en respect ◀les▶ deux empires occidentaux ◀de▶ ◀l’▶Est et ◀de▶ ◀l’▶Ouest, malgré ◀les▶ conflits idéologiques qui semblaient devoir ◀les▶ opposer irréductiblement, quels ont été ◀les▶ effets ◀de▶ ◀l’▶expansion technique dans ◀le▶ reste du monde ? Ici, ◀le▶ tableau change à vue.
C’est ◀la▶ technique née en Europe, dans ◀le▶ contexte spirituel et culturel que j’évoquais tout à ◀l’▶heure, qui a mis en relation ◀les▶ divers continents et qui a révélé à leurs peuples ◀l’▶existence d’autres civilisations, à certains égards plus développées, en tout cas plus prospères. C’est ◀la▶ technique qui a fait voir ◀l’▶Occident aux peuples ◀de▶ ◀l’▶Afrique, du monde arabe, ◀de▶ ◀l’▶Inde et ◀de▶ ◀l’▶Extrême-Orient. Au temps de ◀la▶ colonisation, ◀les▶ peuples du tiers-monde ne connaissaient ◀de▶ nous que ◀d’▶assez rares exemplaires ◀de▶ colons et ◀de▶ soldats, qui n’avaient rien ◀de▶ bien attirant. Mais aujourd’hui, ◀le▶ cinéma leur fait voir ◀de▶ leurs yeux et comme à bout portant nos villes, nos mœurs, ◀le▶ cadre ◀de▶ nos vies et notre luxe matériel quelque peu idéalisé. Désormais ◀la▶ comparaison entre leur sort précaire et notre sort prospère s’impose à eux et suscite leur envie, leur jalousie. Ils prennent conscience ◀d’▶une misère relative, qui autrefois leur paraissait normale ou en tout cas inévitable, dans ◀l’▶ignorance où ils étaient ◀de▶ ◀la▶ simple possibilité ◀d’▶une vie meilleure ou différente, plus affranchie des dures nécessités et limitations naturelles. Ils voient cela, et ils exigent nos machines, mais ils ne voient pas, hélas, ce qui ◀les▶ a rendues possibles. Ils croient qu’ils pourraient acheter ces beaux objets (ou plutôt se ◀les▶ faire donner) et en user mais sans payer leurs frais ◀d’▶investissement humains et culturels : ◀le▶ travail ◀de▶ nos masses ouvrières et leurs sacrifices, ◀le▶ sens ◀de▶ ◀l’▶exactitude rigoureuse, ◀de▶ ◀la▶ véracité, et ◀d’▶une sorte ◀d’▶ascèse disciplinée, dont ils n’ont guère ◀la▶ notion, et encore moins ◀le▶ goût.
Mais ◀la▶ technique occidentale fait bien plus que leur révéler cette misère relative : dans une mesure sans cesse croissante, elle ◀la▶ crée. Il a suffi ◀de▶ leur communiquer ◀les▶ rudiments ◀de▶ notre hygiène pour provoquer chez eux un accroissement démographique vertigineux, et qui dépasse ◀de▶ très loin ◀l’▶accroissement ◀de▶ leurs ressources dans ◀le▶ même temps : or ces dernières étaient déjà beaucoup trop faibles… Voilà ◀le▶ drame, et ◀la▶ menace plus grave que celle ◀de▶ ◀la▶ bombe H.
Ainsi ◀le▶ contact avec ◀l’▶Occident non seulement persuade ◀le▶ tiers-monde ◀de▶ sa misère, mais ◀l’▶aggrave et augmente ◀le▶ déséquilibre entre eux et nous. Tout le monde sent bien qu’un tel déséquilibre peut devenir un jour facteur ◀de▶ guerres planétaires ; non pas demain, car ils sont encore faibles et démunis, mais après-demain, si une grande nation ayant ◀la▶ bombe ◀les▶ regroupe et se met à leur tête. Que peut faire ◀l’▶Occident, pour éviter ce désastre qui serait bien pire que tout ce que nous faisait redouter ◀la▶ guerre froide au temps de Staline ? Il semble hors de question que ◀l’▶Occident puisse nourrir ◀les▶ milliards ◀d’▶affamés qui se multiplient sans frein dans ◀le▶ tiers-monde. ◀Les▶ philanthropes qui nous adjurent ◀de▶ nous priver ◀de▶ notre superflu pour apaiser ◀la▶ faim du monde sont hélas en pleine utopie. Ils entretiennent notre mauvaise conscience sans fournir ◀les▶ moyens ◀de▶ nous en délivrer par une action concrète, réalisable. Tous nos surplus alimentaires et ◀les▶ investissements ◀les▶ plus massifs ◀de▶ nos capitaux réunis arriveraient peut-être à couvrir au maximum un sixième ◀de▶ ◀la▶ demande actuelle du tiers-monde, et cette demande aura au moins doublé d’ici vingt ans. À supposer même que notre science découvre ◀les▶ moyens ◀de▶ créer des aliments synthétiques, tirés ◀de▶ ◀l’▶air et ◀de▶ ◀l’▶eau, et qu’elle réussisse à nourrir des dizaines ◀de▶ milliards ◀d’▶humains, ceux-ci seront obligés ◀de▶ manger debout — selon ◀les▶ prévisions ◀de▶ nos démographes. On ne peut pas agrandir ◀la▶ terre.
Il faut donc que notre technique, qui a créé sans ◀le▶ vouloir ce problème gigantesque, branché sur des passions fondamentales comme ◀la▶ faim, ◀le▶ racisme et ◀le▶ sentiment ◀d’▶infériorité, crée maintenant ◀les▶ moyens ◀de▶ ◀le▶ résoudre : et cela suppose un effort immédiat ◀d’▶éducation qui permettra seul au tiers-monde ◀de▶ freiner ◀l’▶accroissement ◀de▶ sa population et en même temps ◀de▶ développer lui-même ◀les▶ ressources nécessaires, que d’ailleurs il possède matériellement. Si un peu de technique a créé ◀la▶ famine, beaucoup plus ◀de▶ technique assimilée par un effort éducatif et culturel peut seule permettre ◀de▶ ◀la▶ surmonter. (Ce sont là ◀d’▶énormes problèmes, qu’une conférence prochaine, à Bâle, sur ◀le▶ thème « ◀L’▶Europe et ◀le▶ monde », essaiera ◀de▶ poser clairement, sinon ◀de▶ résoudre.)
Je suis donc amené à formuler ◀la▶ thèse suivante : ◀la▶ technique, en principe, n’est pas plus un facteur ◀de▶ paix qu’un facteur ◀de▶ guerre. Elle fournit aux armées des moyens ◀de▶ faire ◀la▶ guerre, mais ce n’est pas elle qui cause ◀les▶ guerres, ce sont au contraire ◀les▶ passions, qui utilisent ◀la▶ technique comme instrument. C’est ◀l’▶explosion des nationalismes en 1914 qui a déclenché la Première Guerre mondiale, et non pas ◀la▶ mitrailleuse, ou ces avions biplans qui volaient tout juste assez vite pour ne pas tomber. (« Vole aussi bas que possible et surtout pas trop vite », écrivait une mère angoissée à son fils aviateur en 1915.) Mais ◀de▶ cette Première Guerre mondiale sont issus très rapidement ◀le▶ bulldozer et ◀l’▶avion ◀de▶ ligne. Et ce n’est pas ◀la▶ maîtrise ◀de▶ ◀l’▶énergie nucléaire, dont ◀les▶ principes et ◀les▶ brevets étaient déposés dès 1939 par ◀l’▶équipe Joliot-Curie, mais restaient ignorés par ◀les▶ gouvernements, qui a déclenché la Deuxième Guerre mondiale, mais au contraire, c’est sa réalisation par Fermi et Oppenheimer qui a mis fin à cette guerre ◀le▶ 5 août 1945, à Hiroshima.
Voilà donc ◀la▶ technique exonérée historiquement, et ◀de▶ ◀la▶ manière ◀la▶ plus précise, du reproche populaire ◀d’▶être fauteuse ◀de▶ guerre.
Par rapport à ◀la▶ guerre et à ◀la▶ paix, ◀la▶ technique n’est pas un facteur indifférent, mais bien ambivalent : pas ◀de▶ guerre possible sans elle, mais si elle bénéficie des guerres, c’est elle aussi qui leur met fin, et aujourd’hui ◀les▶ freine ou même ◀les▶ bloque.
III
Ceci dit, reconnaissons que ◀la▶ guerre bloquée, ce n’est pas encore ◀la▶ vraie paix. Celle-ci ne peut naître qu’à ◀la▶ faveur ◀d’▶un équilibre qui ne soit pas celui ◀de▶ ◀la▶ terreur, mais des diverses facultés humaines développées dans ◀la▶ liberté et une certaine mesure ◀d’▶harmonie : harmonie entre ◀l’▶homme et ◀la▶ Nature, entre ◀la▶ personne et ◀la▶ communauté, entre ◀les▶ communautés nationales, et enfin, entre ◀les▶ cultures différentes.
◀La▶ technique peut-elle contribuer à établir et enrichir cet équilibre ? Ou au contraire, comme on a tendance à ◀le▶ croire dans nos élites humanistes, serait-elle un facteur ◀de▶ déshumanisation, qui ne substituerait aux explosions belliqueuses qu’une sorte ◀d’▶implosion des énergies humaines, domestiquées, mécanisées, canalisées du berceau à ◀la▶ tombe, et soumises aux seules lois ◀de▶ ◀la▶ production ◀de▶ série, conditionnant un bonheur tout fait et uniforme, une sorte ◀de▶ bonheur objectif ? (horribile dictu !) C’est la dernière question que je voudrais non pas traiter, ◀le▶ temps me manque, mais évoquer par trois exemples.
Sur ◀la▶ question ◀de▶ savoir si ◀la▶ technique favorise ou non ◀l’▶équilibre entre ◀les▶ différentes cultures qui se partagent aujourd’hui ◀la▶ planète, je viens de vous donner une réponse ambiguë : d’une part ◀la▶ technique a révélé et accentué des disparités intolérables, d’autre part elle pourrait ◀les▶ réduire, à condition de concerter ses plans avec ceux des éducateurs et des élites culturelles du tiers-monde autant que ◀de▶ ◀l’▶Europe, et j’entends ◀d’▶une Europe agissant comme un tout et non plus comme un concert discordant ◀de▶ nationalismes séniles.
Sur ◀la▶ question ◀de▶ savoir si ◀la▶ technique favorise ou tend à détruire ◀l’▶équilibre entre ◀l’▶homme et ◀la▶ Nature, ma réponse est également double. Certes, et je ◀l’▶ai dit en débutant, ◀le▶ progrès technique a consisté dès ◀les▶ origines ◀les▶ plus reculées non pas à inventer des gadgets, mais à transformer ◀la▶ Nature pour ◀la▶ mettre au service ◀de▶ ◀l’▶homme et ◀de▶ ses fins propres, pour surmonter ◀la▶ peur, ◀la▶ faim, ◀le▶ froid, ◀la▶ faiblesse physique et ◀la▶ fatigue, au moyen ◀d’▶outils puis ◀de▶ machines centuplant ◀la▶ force ◀de▶ nos bras, et reculant presque à ◀l’▶infini cosmique et microscopique ◀les▶ limites ◀de▶ perception ◀de▶ nos sens. Cet effort, après cent-mille ans ◀de▶ progrès lents, marqués par ◀la▶ maîtrise du feu, ◀l’▶invention ◀de▶ ◀la▶ roue, et ◀la▶ métallurgie, a subitement abouti, en Occident, au machinisme, aux produits synthétiques, aux anesthésiques et antibiotiques, à ◀la▶ victoire sur ◀la▶ distance géographique et à ◀la▶ vision instantanée ◀de▶ tout ce qui arrive ◀d’▶important sur ◀la▶ terre. Déjà nous vivons dans un cadre plus qu’à moitié artificiel. J’ai habité quelques années à New York dans un paysage urbain ◀d’▶une grande complexité, où ◀la▶ Nature n’était plus représentée que par des pans ◀de▶ ciel abstrait entre ◀les▶ parois des gratte-ciel, un coin ◀de▶ ◀l’▶East River canalisée, entre deux ponts, et quelques mouettes sur un îlot rocheux. Coupés du contact quotidien avec ◀la▶ terre et ◀la▶ végétation, en partie libérés des rythmes ◀de▶ ◀la▶ vie animale et même des saisons, ◀les▶ citadins du xxe siècle seraient-ils des monstres, pâles victimes ◀d’▶une technique qui ◀les▶ enferme dans un milieu ◀de▶ brique et ◀de▶ ciment, ◀d’▶air pollué et ◀de▶ vacarme révoltant ? C’était vrai au xixe siècle et ce ◀l’▶est encore en partie pour ◀le▶ prolétariat des villes industrielles. C’est ◀de▶ moins en moins vrai dans une époque où Paris, grâce aux trains, à ◀l’▶auto, à ◀l’▶avion, se vide à moitié sur ◀les▶ plages pendant ◀l’▶été. Et je mets en fait que ◀la▶ jeunesse qui ne parle, dit-on, que ◀de▶ marques ◀d’▶autos, connaît mieux ◀les▶ forêts, ◀les▶ montagnes et ◀les▶ plages ◀de▶ plusieurs régions ◀de▶ ◀l’▶Europe que ses ancêtres en redingote, qui ne parlaient que ◀de▶ politique. Un peu de technique industrielle rudimentaire nous avait écartés ◀de▶ ◀la▶ nature, beaucoup de technique bien habituée et maîtrisée y ramène. ◀La▶ technique au xixe siècle signifiait fumée noire, murs noircis, travail à ◀la▶ chaîne et ouvriers esclaves ◀de▶ ◀la▶ machine ; elle peut et doit signifier dès demain usines ◀de▶ verre entourées ◀d’▶arbres, automation qui libère ◀l’▶ouvrier, loisirs accrus, intimité nouvelle avec une nature mieux protégée que nous n’avons su ◀le▶ faire dans cette génération.
Enfin, il y a ◀la▶ grande question ◀de▶ savoir si ◀la▶ technique enchaîne ◀l’▶individu ou ◀le▶ libère, si nous sommes en réalité ◀les▶ esclaves ◀de▶ nos machines ou si elles nous servent, et surtout — cette question résumant toutes ◀les▶ autres — si ◀l’▶humanité saura maîtriser ◀la▶ bombe atomique, ou si un jour, prochain peut-être, à ◀la▶ suite ◀d’▶une erreur fatale commise au Pentagone ou au Kremlin, voire à ◀l’▶Élysée, ◀la▶ bombe nous anéantira…
Ces questions sont très populaires, non seulement dans notre presse et chez ◀les▶ publicistes à grand tirage, mais chez ◀les▶ écrivains et philosophes ◀les▶ plus sérieux. Bernanos a écrit un livre plein ◀de▶ verve et ◀d’▶indignation patriotique et prophétique intitulé : ◀La▶ France contre ◀les▶ robots. Et une littérature considérable produit depuis une cinquantaine ◀d’▶années des variations sur ◀le▶ thème pessimiste ◀de▶ « ◀la▶ Technique contre ◀l’▶humain ».
Eh bien, messieurs, tout cela repose en fin de compte sur une illusion enfantine : celle qui consiste à battre ◀la▶ table à laquelle on s’est heurté. ◀La▶ technique n’est pas une puissance indépendante ◀de▶ ◀l’▶homme et qui pourrait se tourner subitement contre lui. ◀La▶ technique n’est pas matérialiste, seul ◀l’▶homme peut ◀l’▶être, quand il se laisse aller à ses instincts abâtardis ou quand il se laisse dominer par ses propres mécanismes psychologiques. ◀La▶ technique n’est pas davantage utilitariste, et je dirai plus : dans ses intentions primitives, dans sa genèse, elle n’est même pas utilitaire ! ◀L’▶histoire des grandes inventions, ◀de▶ celle du feu à celle ◀de▶ ◀la▶ fusée spatiale, n’est pas ◀l’▶histoire ◀de▶ « besoins » qui auraient existé avant elles, c’est plutôt ◀l’▶histoire ◀de▶ nos rêves. ◀L’▶hypothèse si longtemps admise sur ◀l’▶origine utilitaire ou économique ◀de▶ ◀la▶ technique, aux premiers âges ◀de▶ ◀l’▶homme, est aujourd’hui abandonnée au profit ◀d’▶explications par ◀la▶ magie ou ◀les▶ rites religieux. ◀D’▶une manière générale, et plus près de nous, ◀les▶ grandes inventions qui ont modifié nos vies — je ne parle pas ◀de▶ nos gadgets — ne sont pas nées pour satisfaire des besoins matériels que personne n’éprouvait avant elles, mais c’est généralement ◀l’▶inverse qui s’est produit. Personne n’avait besoin ◀d’▶autos quand il n’y en avait pas encore — à part quelques rêveurs un peu bizarres. C’est du rêve ◀de▶ voler qu’est né ◀l’▶avion, et du rêve ◀de▶ partir au hasard sur ◀les▶ routes qu’est née ◀l’▶auto : vous en trouverez ◀le▶ récit détaillé dans ◀l’▶autobiographie ◀de▶ Henry Ford. Ce rêveur incurable, bricoleur sans culture ni génie, était obsédé par ◀l’▶idée ◀de▶ construire une « locomotive routière », comme il ◀l’▶appelait, c’est-à-dire un véhicule rapide qui ne fût pas astreint à suivre ◀la▶ loi rigide des « voies ferrées » et ses horaires, mais pût aller à ◀l’▶aventure : phantasme typique ◀de▶ ◀l’▶adolescence. ◀Le▶ jeune Ford ◀le▶ réalise en 1893, quelques années après que ◀l’▶Allemand Otto eut inventé ◀le▶ moteur à explosion interne. On n’ignore pas d’ailleurs que des dizaines ◀d’▶ingénieurs — en France surtout — avaient construit des prototypes variés ◀d’▶automobiles avant Ford. Son invention, ou sa réinvention indépendante n’en demeure pas moins exemplaire, par ses motifs réels, ◀d’▶ordre psychologique, autant ou plus que par ses succès ultérieurs. Aujourd’hui, ◀l’▶on entend ◀les▶ belles âmes soupirer que ◀l’▶homme est devenu ◀l’▶esclave ◀de▶ sa voiture, et c’est vrai dans ce sens que ◀l’▶homme moyen croit qu’il ne pourrait plus se passer ◀de▶ cet objet, mais ◀le▶ fautif n’est pas ◀la▶ voiture, c’est ◀la▶ publicité, ◀la▶ mode, ◀la▶ vie sociale — c’est donc ◀l’▶homme et non pas ◀la▶ technique.
Je voudrais observer au surplus que s’il est bien certain que ◀l’▶invention ◀de▶ Ford est née ◀d’▶un rêve ◀d’▶évasion hors des voies imposées ◀de▶ ◀la▶ civilisation, hors des « chemins de fer » au nom évocateur ◀de▶ dure contrainte, tandis que ◀le▶ préfixe « auto » évoque ◀la▶ liberté ◀de▶ ◀l’▶individu, cette invention n’était certes pas ◀la▶ mieux adaptée à ses fins, ni ◀la▶ mieux calculée pour répondre à des besoins pratiques, utilitaires : on ◀le▶ voit bien aujourd’hui, dans nos villes embouteillées, et quand il faut payer ◀les▶ autoroutes. Si je veux être libre ◀de▶ rêver, c’est justement un train que je vais prendre. Dans mon wagon, je lis, je dors, je mange et je puis méditer à loisir. À mon volant, rien ◀de▶ pareil : tout ce que je peux lire, ce sont des chiffres, des ordres ◀de▶ police routière ; si je mange, ce n’est guère qu’un sandwich, si je rêvasse un klaxon me réveille brutalement, et si je m’endors, c’est pour toujours…
Cet exemple, entre mille, nous fait voir ◀l’▶ambiguïté, ◀l’▶ambivalence fondamentale non seulement des motifs et des buts ◀de▶ ◀l’▶invention technique, mais ◀de▶ ses effets sur ◀l’▶homme et sur ◀la▶ société.
Tout ce que j’avais à vous dire aujourd’hui se résume en propositions ◀d’▶une extrême simplicité.
◀La▶ technique est un instrument qui ne saurait être, en soi, mauvais ou bon. Tantôt révérée comme instance et compétence suprêmes, quand on invoque par exemple « ◀les▶ exigences techniques » pour trancher en dernier ressort ◀de▶ grands problèmes qui appelleraient en réalité des décisions politiques ou morales, tantôt mise en accusation parce qu’elle aurait produit ◀le▶ danger atomique ou voudrait nous réduire à ◀l’▶état ◀de▶ robots, elle ne mérite en vérité ni cet excès ◀d’▶honneur ni cette indignité. Elle n’est que ◀le▶ moyen ◀de▶ nos passions et ◀de▶ nos rêves, ◀le▶ moyen ◀de▶ nos vraies fins, que nous voulions ignorer, ou bien que nous avions perdu ◀de▶ vue ; et alors nous trichons, et nous nous persuadons que ◀la▶ technique n’est après tout qu’un ensemble ◀de▶ procédés ingénieux et utilitaires, destinés à nous faciliter ◀la▶ vie, mais voilà que tout ◀d’▶un coup, par une inexplicable malice des choses, dont nous ne serions pas du tout responsables, elle menace au contraire ◀d’▶anéantir toute espèce ◀de▶ vie sur ◀la▶ terre.
◀La▶ technique n’est qu’un instrument, n’est qu’un moyen, soit ◀de▶ ◀la▶ guerre, soit ◀de▶ ◀la▶ paix, soit ◀de▶ ◀la▶ tyrannie des choses, soit ◀de▶ ◀la▶ liberté ◀de▶ notre action.
Mais surtout, par ses progrès mêmes, par ◀les▶ moyens ◀de▶ puissance toujours plus formidables et, en même temps, toujours plus facilement maniables qu’elle met entre nos mains — il suffit du plus petit geste, comme ◀de▶ presser sur un bouton pour produire ◀les▶ plus grands effets ◀de▶ toute ◀l’▶histoire — ◀la▶ technique nous met au défi ◀de▶ prendre conscience ◀de▶ nos options réelles devant ◀la▶ vie.
Telle qu’elle est devenue ◀de▶ nos jours, obsédée ◀d’▶efficacité immédiate et rentable à court terme, pour ◀la▶ défense militaire, ◀l’▶économie, ◀l’▶hygiène ou ◀le▶ simple confort, il n’est peut-être pas ◀d’▶activité humaine qui paraisse moins métaphysique en soi que ◀la▶ technique. Mais en même temps, il n’en est pas qui nous contraigne davantage, et avec une urgence plus dramatique, dans ◀le▶ cas ◀de▶ ◀la▶ Bombe par exemple (mais aussi des techniques chimiques et biologiques) à nous interroger sur ◀le▶ meilleur usage des pouvoirs inouïs qui sont devenus les nôtres.
Ainsi, qu’on ◀le▶ veuille ou non, c’est ◀la▶ technique elle-même qui nous oblige à reconsidérer ◀d’▶une manière tout à fait concrète ◀la▶ question des vraies fins ◀de▶ notre vie et ◀de▶ ◀la▶ vraie nature ◀de▶ ◀l’▶homme. Ne serait-ce pas là, peut-être, son plus grand miracle ?