« Un pays traditionnellement neutre »
Parlant de▶ traditions, une question se pose : celle ◀de▶ leur ancienneté relative.
Il est remarquable que ◀la▶ neutralité ◀de▶ notre pays n’ait trouvé son premier historien qu’à ◀la▶ fin du siècle dernier34. Elle n’est devenue qu’au xxe siècle ◀la▶ maxime intangible et absolue ◀de▶ ◀la▶ politique du Conseil fédéral. Les premiers traités internationaux qui ◀la▶ définissent et ◀la▶ sanctionnent sont ◀les▶ traités ◀de▶ Vienne et ◀de▶ Paris, au lendemain ◀de▶ ◀la▶ chute ◀de▶ Napoléon. Et ce n’est guère « qu’au cours du xviie siècle que ce mot étranger ◀de▶ neutralité, issu du bas latin et intelligible en tout pays, doit être entré dans ◀l’▶usage des Suisses35.
◀La▶ neutralité suisse est donc un phénomène relativement récent en tant que doctrine, et qui ne se manifeste en tant que politique qu’au dernier tiers ◀de▶ ◀l’▶histoire des « louables cantons ».
◀Les▶ partisans ◀de▶ ◀l’▶abstention — Stillesitzen — dans ◀les▶ conflits locaux ou généraux qui se multipliaient au Moyen Âge n’ont pas manqué chez nous, mais on ne peut affirmer qu’ils aient plus qu’ailleurs prévalu. Ce qui est sûr, c’est que ◀la▶ pratique ◀de▶ ◀l’▶arbitrage s’inscrit dans nos premiers pactes ◀d’▶alliance et y survit à ◀la▶ dislocation ◀de▶ ◀l’▶Empire en nations souveraines n’admettant plus aucune instance supérieure. À cet égard, en théorie du moins, ◀les▶ Suisses sont demeurés fidèles au principe ◀de▶ ◀la▶ paix impériale, et certains veulent y voir ◀les▶ racines lointaines ◀de▶ ◀la▶ neutralité moderne.
Mais en fait, on ◀l’▶a dit plus haut, ◀les▶ cantons ne se privèrent pas ◀d’▶intervenir dans ◀les▶ conflits européens — guerres ◀de▶ Bourgogne, ◀de▶ Souabe et ◀d’▶Italie — tant qu’ils y trouvèrent leur profit. Leur promptitude à recourir aux armes, leur mauvaise tête et leur audace brutale n’étaient pas moins « traditionnelles » en ce temps-là, que ne ◀le▶ sont aujourd’hui leur prudence, leur goût du compromis, leur empressement à proposer des arbitrages.
C’est finalement ◀la▶ nature même ◀de▶ leurs alliances — entre eux et avec ◀l’▶étranger — qui ◀les▶ contraignit au retrait. D’une part, ◀le▶ lien confédéral était trop lâche, d’autre part ◀les▶ alliances nouées avec ◀l’▶empereur, ◀le▶ pape, Venise, ◀le▶ roi de France, Mathias Corvin, ◀la▶ Savoie, ◀la▶ Lorraine et Milan, ◀les▶ princes-évêques ◀de▶ Coire, ◀de▶ Constance et ◀de▶ Saint-Gall, variablement coalisés, souvent en guerre ◀les▶ uns contre ◀les▶ autres, accumulaient ◀les▶ cas ◀d’▶incompatibilité. ◀Le▶ système devait se gripper. Marignan fut ◀le▶ signal ◀d’▶alarme décisif.
◀La▶ neutralité militaire fut au début ◀la▶ résultante ◀d’▶une impuissance congénitale des Ligues à suivre une politique commune à ◀l’▶extérieur. Tôt après, ◀les▶ luttes religieuses qui allaient déchirer ◀le▶ pays pendant deux siècles, révélèrent sa nécessité interne pour sauver ◀l’▶union des cantons. Zwingli souhaitait une confédération solidement unifiée et pacifique ; ◀les▶ cantons intérieurs, demeurés catholiques, et formant ◀le▶ noyau dur des Ligues, n’hésitaient pas à se lier à ◀la▶ Savoie, à ◀la▶ France ou à ◀l’▶Espagne. ◀Les▶ succès alternés des deux partis, jamais définitifs, obligèrent à des compromis à ◀l’▶intérieur qui se traduisirent à ◀l’▶extérieur par une neutralité ◀de▶ fait : abandon progressif des alliances séparées. ◀L’▶épreuve majeure fut celle ◀de▶ ◀la▶ guerre ◀de▶ Trente Ans. Sollicitée par Gustave-Adolphe ◀d’▶un côté, par ◀l’▶Autriche ◀de▶ l’autre, ◀la▶ Diète manœuvra prudemment. En dépit des sermons enflammés du pasteur Breitinger, ◀de▶ Zurich, sur ◀le▶ texte ◀de▶ ◀l’▶Apocalypse : « Parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni chaud, je te vomirai ◀de▶ ma bouche » ; et malgré ◀les▶ pamphlets qui maudissaient « ◀le▶ monstre horrible, infâme et répugnant ◀de▶ ◀la▶ neutralité »36, ◀l’▶opinion générale des Ligues appuya ◀les▶ mesures ◀d’▶abstention prises par ◀la▶ Diète. (Seules, ◀les▶ Ligues grisonnes se laissèrent entraîner dans ◀le▶ conflit européen.)
Cette neutralité forcée était encore très loin ◀d’▶être une doctrine. Certes, en 1689, des membres ◀de▶ ◀la▶ Diète pouvaient décrire ◀la▶ neutralité comme un des « fondements ◀de▶ ◀la▶ République », mais c’étaient surtout ◀les▶ puissances étrangères qui insistaient sur « ◀la▶ neutralité ◀de▶ ◀l’▶honorable Confédération, considérée ◀de▶ tout temps comme une solide colonne maîtresse ◀de▶ sa quiétude »37. Rien ne pouvait mieux servir ◀les▶ intérêts des souverains qui levaient des troupes dans ◀les▶ cantons.
◀La▶ Révolution française et Napoléon vinrent bouleverser ce jeu ◀d’▶intérêts convergents. ◀Les▶ idéologies ne s’accommodent guère ◀de▶ compromis utiles mais peu logiques. « Vis-à-vis de moi votre neutralité est un mot vide ◀de▶ sens ! », déclarait Bonaparte aux délégués ◀de▶ ◀la▶ Diète. ◀La▶ chute ◀de▶ ◀l’▶ancienne Suisse, ◀l’▶occupation française, puis ◀la▶ libération du territoire par ◀les▶ armées ◀de▶ ◀l’▶Autriche amenèrent ◀les▶ meilleures têtes du pays à voir dans ◀la▶ neutralité non plus seulement une condition ◀d’▶union interne mais une garantie ◀d’▶indépendance. Et c’est pourquoi Pictet de Rochemont, représentant ◀la▶ Suisse au congrès ◀de▶ Vienne, n’eut ◀de▶ cesse qu’il n’eût obtenu pour son pays ◀la▶ reconnaissance officielle ◀de▶ sa neutralité systématique. C’est à lui que ◀l’▶on doit ◀la▶ phrase décisive ◀de▶ ◀l’▶acte ◀de▶ neutralité octroyé en 1815 et joint au traité ◀de▶ Paris :
◀Les▶ Puissances signataires… reconnaissent authentiquement par ◀le▶ présent acte que ◀la▶ neutralité et ◀l’▶inviolabilité ◀de▶ ◀la▶ Suisse et son indépendance ◀de▶ toute influence étrangère sont dans ◀les▶ vrais intérêts ◀de▶ ◀la▶ politique ◀de▶ ◀l’▶Europe entière.
On a beaucoup discuté sur ◀la▶ portée des mots « dans ◀les▶ intérêts ◀de▶ ◀l’▶Europe entière ». Pictet de Rochemont lui-même ◀les▶ expliquait ainsi : ◀la▶ paix ◀de▶ ◀l’▶Europe, désormais dominée par ◀la▶ Sainte-Alliance, tient au fait que ◀la▶ Suisse demeure inaccessible aux armées ◀de▶ ◀l’▶Autriche comme à celles ◀de▶ ◀la▶ France38.
Cette clause européenne limitait quelque peu ◀l’▶absolue souveraineté ◀de▶ ◀l’▶État dont elle garantissait ◀l’▶indépendance : ◀la▶ Suisse se voyait interdire toute politique ◀d’▶intervention et toute alliance militaire. Mais c’était désormais par libre choix et ◀d’▶un consentement unanime qu’elle se liait ◀les▶ mains juridiquement. C’est donc à tort que Mazzini devait ◀l’▶accuser plus tard (dans ◀la▶ Jeune Suisse, à ◀la▶ fin ◀de▶ 1835) ◀d’▶avoir cédé à ◀la▶ pression ◀d’▶une Sainte-Alliance désireuse ◀de▶ ◀la▶ retrancher du jeu ◀de▶ ◀la▶ politique européenne et ◀de▶ ◀la▶ mettre sous tutelle. (Metternich n’avait accepté qu’à contrecœur ◀l’▶acte ◀de▶ neutralité, qui arrangeait mieux ◀la▶ France.)
Il faut reconnaître aussi que ◀les▶ guerres nationales inaugurées par ◀la▶ Révolution tendaient à rendre ◀les▶ forces militaires proportionnelles aux populations : ◀le▶ temps était passé où ◀les▶ cantons pouvaient opposer à ◀la▶ France, à ◀la▶ Bourgogne ou à ◀l’▶empereur Maximilien des troupes égales en nombre et supérieures en puissance ◀d’▶attaque.
◀Le▶ rapport déficient entre une union politique faible et un potentiel militaire fort, qui avait contraint ◀l’▶ancienne Suisse à une neutralité ◀de▶ fait, se trouvait ◀de▶ ◀la▶ sorte inversé, et ◀la▶ neutralité devait à nouveau en résulter, mais elle avait changé ◀de▶ motifs. Elle allait devenir « ◀l’▶étoile fixe ◀de▶ ◀la▶ politique étrangère ◀de▶ ◀la▶ Confédération »39, et plus encore : une attitude morale, toujours plus caractéristique ◀de▶ ◀la▶ nouvelle Suisse fédérale.
Il faut cependant souligner que ◀la▶ neutralité ne figure pas au nombre des buts ◀de▶ ◀l’▶alliance fédérale, dans ◀la▶ Constitution ◀de▶ 1848. Comment s’explique cette omission, évidemment trop remarquable pour n’avoir pas été délibérée ?
Si ◀l’▶on se reporte aux comptes rendus ◀de▶ ◀la▶ commission qui rédigea ◀la▶ Constitution, et ◀de▶ ◀la▶ Diète qui ◀l’▶examina40, on s’aperçoit que trois motifs distincts amenèrent nos législateurs à observer sur ce chapitre une discrétion très significative.
1° ◀La▶ neutralité suisse, garantie par ◀le▶ traité ◀de▶ Vienne, était invoquée par ◀les▶ Puissances pour contester à ◀la▶ Confédération ◀le▶ droit ◀de▶ modifier son régime intérieur. Il paraissait donc inopportun ◀de▶ ◀la▶ mettre en évidence dans ◀la▶ Constitution nouvelle.
2° « On ne pouvait savoir s’il ne faudrait pas une fois ◀l’▶abandonner dans ◀l’▶intérêt ◀de▶ ◀l’▶indépendance nationale », lit-on dans ◀le▶ recès ◀de▶ ◀la▶ Diète du 17 mai 1848, qui résume ◀les▶ débats sur ◀l’▶article 2 ◀de▶ ◀la▶ Constitution. « ◀La▶ neutralité est un moyen en vue ◀d’▶un but ; elle est une mesure politique qui apparaît comme bien adaptée à ◀la▶ défense de ◀l’▶indépendance ◀de▶ ◀la▶ Suisse ; mais ◀la▶ Confédération doit se réserver ◀le▶ droit, dans certaines circonstances, pour autant qu’elle ◀l’▶estimerait convenable, ◀de▶ sortir ◀de▶ sa situation neutre. »
3° Toutefois, ◀la▶ neutralité est en effet si bien « adaptée à ◀la▶ défense de notre indépendance », à nos traditions et à notre sécurité, qu’il convient ◀de▶ faire obligation aux autorités ◀de▶ ◀la▶ respecter, dans leurs décisions politiques. ◀D’▶où ◀les▶ articles ◀de▶ ◀la▶ Constitution ◀de▶ 1848, chargeant ◀l’▶Assemblée fédérale puis ◀le▶ Conseil fédéral ◀de▶ « veiller au maintien ◀de▶ ◀l’▶indépendance et ◀de▶ ◀la▶ neutralité » ◀de▶ ◀la▶ Confédération.
Ainsi ◀la▶ Suisse, implicitement, se déclarait ◀la▶ seule maîtresse ◀de▶ sa neutralité. En omettant ◀d’▶en faire un principe constitutionnel, mais en chargeant ses gouvernants ◀de▶ ◀la▶ maintenir à titre de politique servant son indépendance, elle se donnait ◀le▶ pouvoir ◀de▶ ◀la▶ modifier ou ◀de▶ ◀l’▶abandonner, sans pour autant fournir prétexte aux Puissances garantes ◀d’▶intervenir dans ses affaires intérieures.
◀De▶ fait, à deux reprises au moins, ◀le▶ statut ◀de▶ neutralité a subi des altérations fondamentales. ◀Les▶ traités ◀de▶ Paris et ◀de▶ Vienne ◀l’▶avaient défini par rapport à ◀l’▶Europe. Mais ◀la▶ création ◀de▶ ◀la▶ Société des Nations, puis celle des Nations unies posèrent des problèmes mondiaux : que signifiait, à leur échelle, ◀la▶ neutralité suisse traditionnelle ? Elle avait été conçue d’une part comme pièce ◀de▶ ◀l’▶équilibre européen, d’autre part comme garantie ◀de▶ ◀la▶ cohésion des cantons. Ces deux motifs perdaient beaucoup de leur poids, s’agissant ◀de▶ sanctions contre un État agresseur (à ◀l’▶époque ◀de▶ ◀la▶ SDN) ou ◀de▶ ◀l’▶opposition entre ◀l’▶Est totalitaire et ◀l’▶Ouest démocratique, à ◀l’▶époque des Nations unies. ◀La▶ Suisse a réagi diversement à ces deux défis.
En 1920, elle a posé pour condition à son entrée dans ◀la▶ SDN ◀d’▶être dispensée ◀de▶ toute participation aux sanctions militaires que ◀la▶ Société pourrait être amenée à décréter. Cette neutralité dite « différentielle » n’a pas résisté à ◀l’▶épreuve des faits : dès 1937, refusant ◀d’▶appliquer même ◀les▶ sanctions économiques contre ◀l’▶Italie fasciste, qui attaquait ◀l’▶Éthiopie, ◀la▶ Suisse est revenue à une neutralité dite « intégrale ».
Mais en 1945, par son refus ◀de▶ signer ◀la▶ Charte ◀de▶ ◀l’▶ONU, qui cependant se prêtait mieux que celle ◀de▶ ◀la▶ SDN à ◀l’▶admission ◀d’▶un État neutre, ◀la▶ Suisse a fait un acte dont je doute parfois qu’elle ait mesuré toute ◀la▶ portée. Dégageant sa neutralité ◀de▶ toutes ◀les▶ circonstances européennes et intérieures qui ◀l’▶avaient justifiée jusqu’alors, elle en a fait une sorte ◀d’▶absolu, elle ◀l’▶a comme dégagée ◀de▶ ◀l’▶Histoire, elle ◀l’▶a élevée à ◀la▶ hauteur ◀d’▶un principe moral intangible, indépendant des contingences politiques et même peut-être ◀de▶ ses propres intérêts.
◀L’▶évolution qu’on vient de retracer se résume donc très bien par ◀la▶ maxime : Faire ◀de▶ nécessité vertu, qu’il faut prendre au sens littéral. Tout au long du xixe siècle et jusqu’à nous, ◀le▶ peuple suisse s’est accoutumé à tenir pour vertu morale ce qui n’était à ◀l’▶origine que tactique imposée par ◀les▶ faits. Dans ◀l’▶ensemble, il demeure convaincu qu’il doit à sa neutralité ◀d’▶avoir échappé aux désastres qui ont fondu sur tous ses voisins : par deux fois, Lot ◀le▶ juste a été épargné quand Sodome et Gomorrhe étaient punies.
On a dit bien souvent, et c’est peut-être vrai, qu’en 1914 ◀la▶ neutralité militaire pouvait seule empêcher ◀l’▶éclatement ◀d’▶un État dont ◀la▶ partie alémanique souhaitait généralement ◀la▶ victoire ◀de▶ ◀l’▶Allemagne, tandis que ◀la▶ partie romande faisait sienne ◀la▶ cause des Alliés, avec une passion exigeante41. Qu’on n’oublie pas toutefois que ◀la▶ guerre ◀de▶ 1914 ne mettait pas en cause ◀l’▶essence même ◀de▶ ◀la▶ Suisse. En dépit des intempérances ◀de▶ langage dont ◀les▶ Romands surtout ne se privèrent pas, cette guerre était loin ◀d’▶opposer deux conceptions ◀de▶ ◀l’▶homme et ◀de▶ ◀la▶ société dont l’une eût entraîné par son triomphe ◀la▶ destruction inévitable ◀de▶ nos libertés fédérales. ◀La▶ Suisse n’avait en somme pas ◀de▶ raison majeure ◀d’▶intervenir dans ◀le▶ combat douteux des nationalismes en délire. Il serait donc excessif ◀d’▶affirmer qu’elle doit à sa neutralité ◀de▶ s’être tenue à ◀l’▶écart ◀d’▶une guerre qui ne ◀la▶ concernait pas, et qu’elle fut ainsi protégée ◀d’▶une menace que personne ne brandissait contre elle.
Tout autre était ◀la▶ situation lorsque éclata ◀la▶ guerre ◀de▶ 1939. Hitler estimait sans nul doute, à l’instar de Napoléon, que ◀la▶ neutralité n’était plus qu’« un mot vide ◀de▶ sens », et ce n’est pas elle qu’il respecta et qui ◀le▶ retint un seul instant ◀de▶ nous envahir. En revanche, il pouvait à tout moment nous accuser ◀de▶ ◀la▶ violer nous-mêmes, et en prendre prétexte pour nous attaquer. Elle nous rendait donc vulnérables, loin de nous protéger, comme on ◀le▶ répète. Ce qui a sauvé ◀la▶ Suisse à ce moment-là, c’est son armée, bien accrochée au sol et contrôlant ◀le▶ passage du Gothard, vital pour ◀l’▶Axe. Pour en venir à bout, il eût fallu payer un prix en effectifs et en machines que ◀les▶ maréchaux du Führer, tout calcul fait, jugèrent trop élevé42.
Mais cette évaluation simplement réaliste du rôle ◀de▶ ◀la▶ neutralité pendant ◀les▶ deux guerres mondiales n’est pas généralement acceptée par ◀les▶ Suisses, loin de là. Si ◀l’▶on suggère, comme je ◀l’▶ai fait plus haut, que ◀la▶ neutralité ne ◀les▶ a pas protégés premièrement contre des États qui ne ◀la▶ mettaient pas en question en 1914, et deuxièmement contre un dictateur qui s’en moquait en 1939, ils vous répondent que ◀le▶ statut ◀de▶ neutralité a empêché ◀la▶ Suisse ◀de▶ se mêler à ces guerres. Dans ◀la▶ mesure où c’est vrai, cela tendrait à prouver que ◀le▶ statut ◀de▶ neutralité est une diminution ◀de▶ notre souveraineté : il nous protège en somme contre nous-mêmes. Mais avons-nous encore besoin qu’on nous retienne ? Je pense plutôt que ◀l’▶esprit ◀de▶ neutralité est une espèce ◀d’▶habitus acquis par notre peuple et par ses gouvernants depuis un siècle, et qui eût bien suffi à lui seul pour empêcher ◀la▶ Suisse ◀de▶ se jeter dans ces guerres. Il s’agit ◀d’▶une vieille propension à « concilier dans ◀la▶ pratique ◀les▶ incompatibilités couchées sur ◀le▶ papier » ; ◀d’▶une forme ◀d’▶esprit qui érige ◀la▶ prudence en vertu politique majeure ; et ◀d’▶un système ◀de▶ réflexes que ◀l’▶on peut comparer à ◀l’▶insularité des Britanniques, bref, ◀d’▶une évolution marquée, depuis un siècle, vers « ◀l’▶introversion politique » comme n’hésite pas à ◀le▶ reconnaître ◀l’▶historien consacré ◀de▶ notre neutralité43.
J’aurai ◀l’▶occasion, par ◀la▶ suite, ◀de▶ confronter ce comportement psychologique avec ◀les▶ réalités ◀de▶ ◀l’▶Europe contemporaine, qui ◀la▶ mettent à ◀la▶ plus rude épreuve.