De▶ ◀l’▶État-nation aux régions fédérées (1968)w
Il y a vingt-et-un ans, dans cette même Université, avec une poignante éloquence, Winston Churchill appelait ◀la▶ création ◀de▶ quelque chose qui, disait-il, « s’appellerait — peut-être — ◀les▶ États-Unis d’Europe » et il s’écriait : « Je dois vous donner un avertissement. ◀Le▶ temps presse. Si nous devons constituer ◀les▶ États-Unis d’Europe, sous quelque nom que ce soit, il faut commencer maintenant… Debout ◀l’▶Europe ! »
Il y a vingt-et-un ans ◀de▶ cela. ◀L’▶Europe n’est toujours pas debout. Sans corps constitué, sans tête, comment pourrait-elle donc répondre à ◀l’▶appel pathétique du célèbre homme d’État ? Un appel ne pouvait suffire à ◀la▶ créer… Au lieu d’une Europe qui se fait, nous entendons aujourd’hui des déclarations inquiétantes, comme celle ◀d’▶André Malraux ◀le▶ mois dernier à un journal suisse :
◀Les▶ nations sont redevenues ◀le▶ phénomène fondamental du siècle. ◀L’▶évolution a joué et joue incontestablement dans ◀le▶ sens ◀de▶ ◀la▶ nation.25
Il est vrai que ◀le▶ même André Malraux quelques jours plus tard, interrogé par des jeunes gens à ◀la▶ radio, répond :
Faire ◀l’▶Europe est ◀la▶ seule chose véritablement importante ◀de▶ notre temps.26
Mais qui ne voit que ceci s’oppose à cela, dramatiquement, — que cette « réalité fondamentale du siècle » que serait ◀la▶ nation, est précisément celle qui fait obstacle à cette « seule chose véritablement importante ◀de▶ notre temps » ? Qui ne voit que si ◀l’▶Europe qu’appelait Winston Churchill n’est pas faite, c’est parce que ◀les▶ nations qu’exalte ◀le▶ ministre ◀d’▶État du général de Gaulle s’y opposent encore irréductiblement, ◀de▶ tout leur être ◀de▶ nations « souveraines » ?
Quand on nous affirme que ◀le▶ xxe siècle ne sera pas celui du triomphe ◀de▶ ◀l’▶internationale, comme Marx ◀l’▶avait dit, ni ◀le▶ siècle des fédérations, comme Proudhon ◀l’▶avait prévu, mais bien ◀le▶ siècle des nations, est-ce qu’on s’en félicite, ou bien est-ce qu’on dit cela comme on dirait ◀de▶ telle année : — C’était ◀l’▶année ◀de▶ ma pneumonie ? Autre chose est ◀de▶ constater que ◀la▶ réalité politique ◀de▶ notre temps est encore ◀la▶ nation, autre chose est ◀de▶ s’en féliciter, ◀d’▶affirmer qu’on ne peut rien y changer, que c’est là-dessus qu’il faut bâtir, et ◀d’▶appeler ça du réalisme. ◀Le▶ cancer et ◀les▶ maladies mentales sont aussi des réalités importantes ◀de▶ notre temps, mais je ne pense pas que ◀le▶ réalisme consiste à ◀le▶ proclamer avec fierté. Il ne consiste pas non plus à ◀les▶ nier, mais bien à faire en sorte qu’elles cessent ◀d’▶être réelles.
Que ◀les▶ nations soient encore bien réelles et très fortes à quelques égards, ◀l’▶impossibilité ◀d’▶unir ◀l’▶Europe ◀le▶ démontre avec une évidence presque écrasante.
Que ◀les▶ nations soient en même temps mal adaptées (pour dire ◀le▶ moins) à ◀l’▶évolution ◀de▶ notre société, ◀la▶ preuve incontestable en est fournie par ◀les▶ deux guerres mondiales, résultant du nationalisme et ◀de▶ ◀l’▶État totalitaire, — par ◀le▶ besoin ◀d’▶union au-delà des nations, partout ressenti et déclaré, et qui a donné naissance au Marché commun notamment, enfin par ◀l’▶existence ◀d’▶un problème chaque année plus aigu, celui du sous-développement ◀de▶ certaines régions ◀de▶ nos plus grands pays, contrepartie ◀de▶ ◀l’▶engorgement déjà presque intolérable ◀de▶ leurs capitales. Tous ces symptômes révèlent une inadaptation morbide ◀de▶ ◀l’▶État-nation aux réalités politiques, économiques, techniques et démographiques ◀de▶ notre temps. Ils ne me semblent pas confirmer que « ◀l’▶évolution joue dans ◀le▶ sens ◀de▶ ◀la▶ nation », mais bien plutôt que nous atteignons ◀le▶ stade ◀de▶ crise finale ◀d’▶une forme ◀d’▶association qui a dominé et animé ◀l’▶Europe du xixe siècle, mais qui ne pourrait que tuer ◀l’▶Europe du xxe siècle si elle n’est pas surmontée et remplacée à temps.
◀La▶ grande force ◀de▶ ◀l’▶État-nation, c’est que ◀les▶ hommes et ◀les▶ femmes ◀d’▶aujourd’hui qui ont passé par ◀l’▶école et croient savoir ◀l’▶histoire s’imaginent qu’il y a toujours eu des États, que ◀les▶ nations sont immortelles (en tout cas ◀la▶ leur !), que rien ◀d’▶autre n’est donc possible, et que d’ailleurs ◀l’▶État, ou ◀la▶ nation, c’est ◀l’▶aboutissement final, logique, normal et inévitable du Progrès.
Pour dissiper cette illusion, il faudrait enseigner dans nos écoles un minimum ◀d’▶histoire générale ◀de▶ ◀l’▶humanité et des formes politiques, assez pour rappeler ◀d’▶où viennent ◀la▶ nation, ◀l’▶État, et ◀l’▶État-nation qui est né ◀de▶ leur collusion moderne. Il faudrait rappeler qu’après ◀la▶ préhistoire qui ne connaissait que ◀les▶ tribus et leurs clans, ◀l’▶histoire commence avec ◀les▶ grands empires réunissant et fixant ◀d’▶innombrables tribus : empires ◀d’▶Égypte, ◀de▶ Sumer et ◀d’▶Akkad, plus tard ◀de▶ ◀la▶ Chine et ◀de▶ ◀l’▶Inde, puis ◀d’▶Alexandre, puis ◀de▶ Rome et ◀de▶ Byzance, et enfin, en Europe, empire ◀de▶ Charlemagne, puis Saint-Empire.
Il faudrait montrer que les premiers États nationaux n’apparaissent qu’après tout cela, au cœur du Moyen Âge, et se forment aux dépens de ◀l’▶Empire et ◀de▶ ◀la▶ papauté, voire même contre ces grands symboles ◀de▶ ◀l’▶unité du globe, ◀de▶ ◀l’▶universalité du genre humain. Et que ◀la▶ naissance ◀de▶ la première nation, ◀la▶ France, peut être datée ◀de▶ cette déclaration des légistes du Philippe de Bel : « ◀Le▶ Roy ◀de▶ France est empereur en son royaume », ce qui veut dire que ◀le▶ chef de l’État ◀d’▶un domaine ◀de▶ moyenne grandeur centré sur ◀l’▶Île-de-France ne se reconnaît plus ◀de▶ supérieur au monde, traite donc ◀l’▶Empire de haut en bas (faute ◀d’▶avoir pu se faire élire empereur !), fait gifler ◀le▶ pape, puis confisque ◀la▶ papauté elle-même, ◀l’▶installe sous sa protection en Avignon, et puis réalise aux dépens des Juifs qu’il fait dépouiller et des chevaliers du Temple qu’il fait exécuter, une merveilleuse opération sur ◀l’▶or ! (si ◀l’▶on veut bien me passer ce léger anachronisme).
Cet exemple ◀de▶ rejet ◀de▶ toutes ◀les▶ instances universelles, — sauf celle que ◀l’▶on peut contrôler — sera vite suivi par ◀les▶ rois ◀d’▶Angleterre et ◀d’▶Espagne, puis par ◀les▶ princes ◀de▶ ◀l’▶Italie, ◀de▶ ◀l’▶Europe de l’Est et du Nord, qui dès lors se déclarent eux aussi « souverains absolus », superiorem in terris non recognoscentes selon ◀la▶ formule du xive siècle.
Ce spectacle, qui est celui ◀de▶ ◀la▶ naissance des nations, remplit ◀d’▶effroi ◀les▶ sages ◀de▶ ◀l’▶époque. « Ô genre humain, tu es devenu un monstre aux multiples têtes ! » s’écrie Dante dans son traité ◀de▶ ◀La▶ Monarchie, appel désespéré, et qui restera vain, à ◀l’▶Empire condamné et bafoué.
◀Les▶ cinq siècles suivants verront se renforcer et se sacraliser de plus en plus ◀l’▶idée fatale ◀de▶ ◀la▶ souveraineté absolue — idée qui est à peine supportable quand un prince ◀l’▶incarne, s’il n’est pas un génie ou un saint, mais qui devient proprement révoltante — et par ailleurs massivement meurtrière — quand c’est un parti qui s’en empare au nom du peuple, comme ce fut ◀le▶ cas des jacobins et des « démocraties » plébiscitaires et totalitaires du xxe siècle.
◀La▶ confiscation ◀de▶ ◀l’▶idéal national par ◀l’▶appareil étatique, qui est ◀l’▶œuvre ◀de▶ Napoléon, ◀la▶ nationalisation ◀de▶ ◀l’▶État royal et ◀l’▶étatisation ◀de▶ ◀la▶ nation révolutionnaire, c’est cela qui va créer dans la première décennie du xixe siècle ◀le▶ modèle ◀de▶ ◀l’▶État-nation, bientôt imité dans toute ◀l’▶Europe monarchique autant que républicaine, et au xxe siècle, dans ◀le▶ reste du monde.
Qu’est-ce en somme que ◀l’▶État-nation ◀de▶ modèle napoléonien ? C’est ◀le▶ résultat ◀d’▶une volonté abstraite, peut-être folle, qui entend faire coïncider à tout prix dans ◀les▶ mêmes limites imposées du territoire hérité ou conquis, déclarées frontières naturelles, ◀les▶ réalités ◀les▶ plus hétérogènes, langues parlées dans ◀les▶ villes et richesses du sous-sol, monnaie et programmes scolaires, politique et industrie, et ◀les▶ régir à partir ◀d’▶un centre unique ◀de▶ décision, par ◀le▶ moyen ◀de▶ bureaux où se concentrent tous ◀les▶ pouvoirs administratifs, civils et militaires, fiscaux et policiers, mais aussi ecclésiastiques, scolaires, universitaires, et plus tard économiques, sous ◀l’▶hégémonie ◀d’▶une seule ethnie. Modèle monstrueux, si ◀l’▶on y réfléchit, mais c’est précisément ce que ◀l’▶on ne fait pas, parce que ◀l’▶État-nation est devenu sacré, intangible dans nos esprits, qui résistent à ◀l’▶idée qu’il pourrait n’être après tout qu’une forme transitoire, comme tant d’autres. On enseigne son catéchisme dans ses écoles, on célèbre son culte, on vénère ses statues sur toutes ◀les▶ places. « Il faut une religion pour ◀le▶ peuple » assure-t-on, et comme ce n’est plus guère ◀le▶ christianisme, ce sera donc ◀le▶ nationalisme, ◀le▶ culte ◀de▶ ◀la▶ patrie étatisée, seul Absolu auquel tout s’ordonne, et au nom duquel ◀les▶ maîtres de l’État peuvent mettre à mort leurs hérétiques, ce que ne peuvent plus faire ◀les▶ Églises, Dieu merci. ◀L’▶État-nation centralisé et unifié s’arroge ainsi tous ◀les▶ pouvoirs des grands empires traditionnels jusqu’au Saint-Empire médiéval, bien qu’il n’en ait ni ◀la▶ pluralité ethnique et linguistique, ni ◀le▶ caractère ◀d’▶universalité. Il se rêve et se veut fermé, complet, suffisant en lui-même tant pour sa culture que pour son économie, et seul juge non seulement ◀de▶ ses intérêts mais ◀de▶ ceux des autres27. C’est donc une partie qui se veut aussi grande que ◀le▶ tout. ◀L’▶État-nation moderne, unitaire et absolu n’est enfin qu’un empire manqué. Voilà ◀la▶ vérité fondamentale du xxe siècle des nations.
Et il faut souligner à ce propos une constatation des plus paradoxales : c’est que, si tous ◀les▶ États-nations unitaires ont été et sont des empires manqués, à commencer par celui ◀de▶ Napoléon, ◀les▶ seuls empires réussis ◀de▶ notre temps se trouvent être des fédérations : ◀les▶ USA et ◀l’▶URSS.
Regardons maintenant ces États-nations unitaires tels qu’ils sont dans leur être et leur agir concret, non plus dans leurs prétentions. Nous verrons aussitôt que tous, sans exception, sont à la fois trop petits et trop grands. Ils sont trop petits si on ◀les▶ regarde à ◀l’▶échelle mondiale. Ils sont trop grands si ◀l’▶on en juge par leur incapacité ◀d’▶animer leurs régions, et ◀d’▶offrir à leurs citoyens une participation réelle à ◀la▶ vie politique.
◀Le▶ problème du petit État dans ◀le▶ monde des grands (titre ◀de▶ ◀la▶ série dans laquelle s’inscrit ma conférence), c’est en vérité ◀le▶ problème ◀de▶ tous ◀les▶ États du monde, sauf trois, c’est-à-dire ◀d’▶environ cent-trente petits États confrontés aux trois seuls vrais grands.
Ils sont trop petits « à ◀l’▶échelle des moyens techniques modernes, à ◀la▶ mesure ◀de▶ ◀l’▶Amérique et ◀de▶ ◀la▶ Russie aujourd’hui, ◀de▶ ◀la▶ Chine demain », écrivait dès 1954 Jean Monnet. (Lettre ◀de▶ démission ◀de▶ ◀la▶ CECA.)
Ils sont trop petits pour se défendre seuls, même avec ◀l’▶aide ◀d’▶une petite ou moyenne force ◀de▶ frappe, pratiquement annulée par ◀les▶ barrages antimissiles des deux grands.
Ils sont trop petits dans ◀le▶ domaine économique pour répondre au « défi américain » — cela n’a plus à être démontré28 — mais aussi pour répondre au défi du tiers-monde, c’est-à-dire ◀de▶ tous ces États-nations inconsidérément multipliés sur tous ◀les▶ continents par ◀le▶ retrait des puissances naguère coloniales.
Enfin, ils sont trop petits pour agir politiquement au niveau des empires véritables qui dominent notre monde, et surtout pour résister à ◀la▶ satellisation politique ou économique.
Mais en même temps, ◀les▶ États-nations unitaires sont tous trop grands, trop grands pour pouvoir assurer ◀le▶ développement ◀de▶ toutes leurs régions et communes, — trop grands pour que leurs citoyens puissent y exercer normalement leurs devoirs civiques, et participer effectivement à ◀la▶ vie ◀de▶ ◀la▶ cité ; donc trop grands pour être encore ◀de▶ vraies communautés humaines, et cela, c’est ◀la▶ plus grave maladie qui puisse miner un corps politique.
Telle étant ◀la▶ crise présente ◀de▶ ◀l’▶État-nation, ◀le▶ régime à prescrire paraît facile à formuler :
Parce qu’ils sont trop petits, ◀les▶ États-nations devraient se fédérer à ◀l’▶échelle continentale ; et parce qu’ils sont trop grands, ils devraient se fédéraliser à ◀l’▶intérieur.
Facile à formuler, mais presque impossible à appliquer par nos États-nations, dirait-on.
En effet, ◀l’▶existence des empires ◀de▶ ◀l’▶Est et ◀de▶ ◀l’▶Ouest leur pose un dilemme aussi simple qu’inexorable :
— ou bien ils se contentent ◀de▶ proclamer leur volonté farouche ◀d’▶indépendance et leur souveraineté absolue, dont ils refusent ◀de▶ rien déléguer à une autorité supranationale, fédérale, et alors ils seront fatalement satellisés un à un ;
— ou bien ils font ce qu’il faut pour pouvoir résister, c’est-à-dire qu’ils décident ◀de▶ résister tous ensemble, et alors ils renoncent à leur souveraineté absolue au profit ◀d’▶une fédération qui ◀les▶ protège.
C’est ce second parti qu’ont adopté en 1848 nos vingt-cinq petits États suisses et bien leur en a pris. Mais comme je ◀le▶ rappelais au début ◀de▶ cet exposé, nos États-nations européens en plus ◀de▶ vingt ans n’ont pas fait un seul pas effectif en direction ◀de▶ leur fédération politique. Force m’est donc ◀de▶ penser qu’il y a quelque chose ◀d’▶essentiel dans leur nature même, quelque chose ◀de▶ constitutif qui ◀les▶ retient ◀de▶ s’unir. Et nous voyons mieux ce que c’est, maintenant que nous avons défini ◀l’▶ambition profonde et constitutive ◀de▶ ◀l’▶État-nation, sa volonté ◀de▶ souveraineté absolue, donc ◀d’▶indépendance totale, donc ◀d’▶autarcie, qui est son ambition proprement impériale. C’est donc par définition et par structure, non par méchanceté ou bêtise que ◀les▶ États-nations sont impropres à ◀l’▶union. Leurs relations normales sont ◀de▶ rivalité non ◀de▶ coopération. Leur mode ◀de▶ contact normal n’est pas ◀l’▶échange, mais ◀le▶ choc.
Bakounine ◀l’▶avait déjà dit, il y a cent ans exactement, lorsqu’au congrès ◀de▶ la première Internationale à Genève, en 1867, il avait dénoncé ◀l’▶impossibilité ◀de▶ constituer ◀les▶ États-Unis d’Europe sur ◀les▶ grandes nations étatistes.
◀Le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe à partir des États-nations paraissant insoluble en théorie autant qu’il ◀le▶ reste en pratique dans l’état actuel ◀de▶ ses données29, il va falloir ou bien renoncer à ◀l’▶union et alors il n’y aura plus ◀de▶ problème, ou bien modifier ◀les▶ données mêmes du problème, c’est-à-dire chercher à fonder ◀l’▶union sur autre chose que ◀les▶ États-nations.
Renoncer à résoudre ◀le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶union, c’est faire, en somme, ce que ◀l’▶on fait actuellement, c’est-à-dire laisser nos États continuer à prétendre à une indépendance ◀de▶ moins en moins croyable, et qui se borne en fait à ◀la▶ liberté (souvent illusoire) ◀de▶ choisir ◀les▶ dépendances ◀les▶ plus profitables.
Mais changer ◀les▶ données mêmes du problème ◀de▶ ◀l’▶union pour ◀le▶ rendre soluble, c’est d’abord accepter ◀de▶ remettre en question radicalement ◀le▶ sacro-saint État-nation, accepter ◀l’▶idée ◀de▶ renoncer éventuellement à cette formule périmée, en faire autant avec ◀la▶ notion sacro-sainte ◀de▶ souveraineté ; et c’est ensuite trouver ◀les▶ éléments nouveaux qui rendraient ◀l’▶union praticable.
Parlant ◀de▶ ◀la▶ mise en place progressive ◀de▶ structures fédérales en Europe, Louis Armand formulait récemment une règle ◀d’▶or qui trouve ici son application majeure :
Développons en commun ce qui est neuf. Laissons ◀de▶ côté ◀les▶ héritages du passé dont ◀l’▶unification prendrait trop ◀de▶ temps, demanderait trop ◀d’▶énergie, et soulèverait trop ◀d’▶oppositions.30
Bien avant ◀d’▶avoir lu ces lignes, j’écrivais de mon côté :
◀L’▶union, pour deux États-nations, n’est jamais qu’une mesure ◀de▶ fortune, voire un expédient désespéré (comme par exemple ◀l’▶union ◀de▶ ◀la▶ Grande-Bretagne et ◀de▶ ◀la▶ France proposée par Churchill en juin 1940), autrement dit : ce n’est jamais qu’une concession douloureuse à ◀la▶ nécessité, quand on se sent trop faible soit pour subsister seul, soit pour dominer et absorber ◀les▶ voisins.
Si ◀l’▶on veut unir ◀l’▶Europe, il faut partir ◀d’▶autre chose que ◀de▶ ses facteurs ◀de▶ division, il faut bâtir sur autre chose que sur ◀les▶ obstacles à ◀l’▶union ; opérer sur un autre plan que celui-là, précisément, où ◀le▶ problème se révèle insoluble. Il faut se fonder sur ce qui est destiné à devenir demain ◀la▶ vraie réalité ◀de▶ notre société, et je vais désigner par là une unité ◀d’▶un type nouveau, à la fois plus grande et plus complexe que ◀la▶ cnté antique, mais plus dense, mieux structurée et offrant un meilleur milieu ◀de▶ participation civique que ◀la▶ nation telle que nous ◀l’▶a léguée ◀le▶ siècle dernier : — ◀la▶ région.31
Il n’est rien dont ◀les▶ jeunes sociologues s’occupent avec plus ◀de▶ passion en Europe. C’est qu’en effet, il s’agit là ◀d’▶un phénomène complexe et neuf, que nous voyons lentement prendre forme au seuil ◀de▶ ce dernier tiers ◀de▶ notre siècle, comme un visage dont ◀les▶ traits se composent et s’illuminent peu à peu sur ◀le▶ fond chaotique ◀de▶ ◀la▶ société que ◀le▶ xixe siècle a laissé se faire au petit bonheur, ◀la▶ société stato-nationaliste et industrielle. Sur ce continuum, sans ordre ni structure, ◀d’▶anarchie arbitrairement quadrillée par ◀l’▶administration et ◀la▶ police, se détachent maintenant ◀les▶ régions, réalités absolument modernes. Ce ne sont pas ◀les▶ provinces ◀de▶ ◀l’▶Ancien Régime, effacées, encore moins ◀les▶ départements découpés par Napoléon, ni ◀les▶ « Länder » allemands, trop grands, ni ◀les▶ cantons suisses, trop petits, ni ◀les▶ nationalités ◀de▶ ◀la▶ Double-Monarchie ◀d’▶antan ou ◀de▶ ◀l’▶URSS ◀d’▶aujourd’hui, ni ◀les▶ « States » ◀de▶ ◀l’▶Amérique du Nord. Ce sont vraiment des créations ◀de▶ notre temps, des organismes en train de naître ◀de▶ ◀la▶ combinaison ◀de▶ forces ◀les▶ plus diverses, qu’il s’agit ◀de▶ capter et ◀d’▶harmoniser, dont ◀les▶ principales sont : ◀l’▶explosion démographique, ◀l’▶urbanisation galopante, ◀la▶ mobilité des industries, et par suite ◀les▶ nouvelles concentrations ◀de▶ ressources intellectuelles, techniques et bancaires autour des ressources matérielles et naturelles, ◀la▶ densité des réseaux ◀de▶ communications et ◀de▶ transports, et enfin ◀l’▶unité géographique, cette dernière n’étant d’ailleurs plus définie primairement par une frontière marquée sur ◀le▶ terrain à l’aide de bornes ou ◀de▶ réseaux ◀de▶ barbelés et sur ◀les▶ cartes en pointillés méticuleux, mais au contraire par ◀la▶ force ◀de▶ rayonnement ◀de▶ ce qu’on appelle une « métropole », grande ville ou complexe ◀de▶ villes moyennes formant ◀le▶ cœur, ◀le▶ foyer dynamique ◀d’▶un pays ◀d’▶une population minimum ◀d’▶un à deux millions et maximum ◀de▶ six millions. Ce qui donnerait, par exemple, neuf régions pour ◀la▶ France, une dizaine pour ◀l’▶Italie, deux ou trois pour ◀la▶ Hollande, quinze à vingt pour ◀l’▶Allemagne fédérale.
Pour tenter ◀de▶ faire sentir ◀le▶ concret du problème tel que je ◀l’▶ai découvert, voici un exemple vécu.
Il y a quelques années, je fus invité à un colloque qui allait se tenir à Aix-en-Provence sur ◀le▶ thème suivant : création ◀d’▶une « métropole régionale » basée sur ◀le▶ complexe Marseille-Aix-Étang de Berre, c’est-à-dire une grande ville portuaire et commerçante, une vieille cité universitaire et culturelle, dotée ◀d’▶un célèbre festival ◀de▶ musique, et une zone ◀d’▶intense production industrielle, où sont venues s’implanter ◀les▶ plus importantes usines atomiques françaises. Parmi ◀les▶ quelque soixante personnalités participantes : professeurs et industriels, présidents ◀de▶ chambres ◀de▶ commerce, députés et préfets, éditeurs et animateurs sociaux, je me trouvais ◀le▶ seul non-Français : j’en conclus que j’étais censé représenter dans ◀le▶ colloque ◀l’▶idée européenne. Invité à parler tout au début, j’improvisais donc sur ◀le▶ thème que voici :
Il peut sembler curieux, Messieurs, qu’à ◀l’▶âge ◀de▶ ◀l’▶union des nations et des intégrations continentales, vous vous préoccupiez d’abord ◀de▶ créer dans votre nation une région plus ou moins autonome. ◀L’▶effort ◀d’▶union et votre effort, qu’on soupçonnera ◀de▶ vouloir ◀la▶ division, peuvent sembler logiquement contradictoires. Mais en fait, je ◀les▶ vois complémentaires. Car au fur et à mesure que se dévalorisent ◀les▶ frontières ◀de▶ nos États-nations, ◀les▶ régions vont se mettre à vivre et respirer de plus en plus librement. ◀Les▶ États-nations ◀les▶ maintenaient dans ◀le▶ cadre rigide ◀de▶ frontières identiquement imposées aux réalités ◀les▶ plus hétérogènes, comme par exemple ◀la▶ langue, ◀l’▶économie, ◀l’▶état civil et ◀les▶ richesses minières. Ainsi ◀l’▶on coupait en deux ◀le▶ bassin ◀de▶ ◀la▶ Ruhr-Moselle qui est ◀d’▶un seul tenant quant au sous-sol, sous prétexte qu’à ◀la▶ surface ◀les▶ gens parlaient allemand ◀d’▶un côté, français ◀de▶ l’autre. ◀La▶ CECA, puis ◀la▶ CEE ont permis ◀de▶ surmonter cette absurdité manifeste, et plusieurs autres. Dans ◀l’▶Europe ◀de▶ demain, libérée ◀de▶ ◀la▶ tyrannie des frontières ◀d’▶état civil imposées aux réalités économiques, ◀les▶ régions vont très rapidement se dessiner, s’organiser et s’affirmer. Et comme elles seront jeunes et souples, pleines ◀de▶ vitalité, ouvertes sur ◀le▶ monde, elles noueront entre elles des relations ◀d’▶échanges aussi nombreuses et fréquentes que possible. Elles seront amenées à se grouper selon leurs affinités, selon leur voisinage, selon ◀les▶ réalités nouvelles qui ◀les▶ auront formées, par-dessus ◀les▶ anciennes frontières nationales désormais réduites au rôle mineur et invisible à ◀l’▶œil nu que jouent ◀les▶ délimitations entre ◀les▶ cantons suisses : simples commodités pour ◀le▶ cadastre, ◀l’▶état civil et ◀la▶ gendarmerie. Et c’est sur ces régions, Messieurs, que nous bâtirons ◀l’▶Europe, non sur ◀les▶ cadres en bonne partie vidés des vieilles nations.
Ces paroles éveillèrent un écho pour moi des plus inattendus : c’est qu’elles venaient à ◀la▶ rencontre non seulement des souhaits des organisateurs du colloque, qui connaissaient ◀les▶ besoins ◀de▶ leur région, mais ◀de▶ tout un mouvement ◀de▶ pensée politique, déjà beaucoup plus large et solidement fondé que je n’osais ◀l’▶espérer. Au cours de ces dernières années, on a vu se multiplier ◀les▶ recherches scientifiques, ◀les▶ articles ◀de▶ journaux, ◀les▶ volumes et ◀les▶ congrès sur ◀la▶ régionalisation des États européens. ◀Le▶ concept ◀de▶ région a pris une place considérable non seulement dans ◀les▶ préoccupations des sociologues, et chez ◀les▶ Six, qui dès 1961 réunissaient à Bruxelles un important colloque sur ce problème32, mais encore dans ◀les▶ milieux dirigeants du pays ◀le▶ plus centralisé du continent et ◀le▶ plus allergique, semblait-il, au fédéralisme à base régionale : j’entends ◀la▶ République française une et indivisible.
◀La▶ bibliographie des ouvrages consacrés en France aux problèmes ◀de▶ ◀la▶ région moderne comporte déjà une quarantaine ◀de▶ volumes, et une bonne centaine ◀d’▶études substantielles dues à des professeurs ◀de▶ sociologie, à des politologues, à des économistes, à des juristes, mais aussi à des responsables du Plan, à des hommes politiques comme Mendès-France, Pleven, Debré. Parmi ◀les▶ titres caractéristiques, je citerai : Décoloniser ◀la▶ province, ◀La▶ France des minorités, ◀La▶ Gauche et ◀les▶ régions, Paris et ◀le▶ désert français (ce fut ◀le▶ début), et enfin ◀la▶ Révolution régionaliste.
Au-delà ◀de▶ ce considérable effort ◀de▶ recherche scientifique et ◀de▶ renouvellement des conceptions ◀de▶ base se développe un véritable mouvement ◀de▶ revendications politiques. ◀Les▶ candidats ◀de▶ ◀l’▶opposition et un parti au moins, ◀le▶ PSU, demandent déjà des assemblées régionales élues, ◀la▶ promotion ◀d’▶une citoyenneté régionale, ◀la▶ mise en place ◀d’▶exécutifs régionaux, — toutes propositions qui étaient proprement impensables pour un esprit français il y a dix ou vingt ans encore.
Je viens de recevoir ◀le▶ manifeste ◀d’▶un nouveau mouvement politique « pour ◀le▶ fédéralisme et ◀le▶ progrès social », où je lis ces quelques phrases :
Nous proclamons ◀la▶ nécessité ◀de▶ ◀la▶ Révolution fédéraliste et progressiste française pour ◀la▶ construction ◀d’▶une VIe République.
Nous réclamons ◀la▶ création ◀d’▶États régionaux français. Ces États régionaux disposeront ◀de▶ pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires comparables à ceux qui existent, par exemple, pour ◀les▶ États-Unis d’Amérique.
◀Les▶ États régionaux français délégueront partie ◀de▶ leur souveraineté à ◀l’▶État fédéral français.
◀La▶ lutte pour notre indépendance nationale ne peut être menée que dans ◀le▶ cadre ◀de▶ ◀l’▶Europe unie, laquelle sera fédéraliste ou ne sera pas. Dans cette Europe unie ◀la▶ représentation du peuple français sera assurée par ◀l’▶État fédéral français.
Parmi ◀les▶ plus graves méfaits des bureaucrates et technocrates parisiens et parmi ◀les▶ plus lourdes conséquences ◀de▶ ◀l’▶exploitation abusive ◀de▶ ◀la▶ province par ◀le▶ centralisme parisien, on compte ◀le▶ sous-développement de plus en plus accentué ◀de▶ vastes régions ◀de▶ France. ◀La▶ nation doit réparation du tort ainsi causé.
On n’est pas loin de ◀l’▶agitation populaire et ◀de▶ ◀l’▶action directe.
Dans un hebdomadaire ◀de▶ gauche, je lis ceci :
Sur ◀les▶ murs des villes bretonnes, des affichettes jaunes clament : « ◀La▶ Bretagne crève ! Pas ◀d’▶emplois nouveaux, fermeture ◀d’▶usines, émigration des jeunes et des cadres… » ◀Le▶ dépérissement régional n’est pas particulier à ◀la▶ Bretagne. Mais ◀la▶ crise y est si aiguë, ◀la▶ conscience ◀de▶ ◀la▶ crise si vive et ◀l’▶oppression quasi coloniale ◀de▶ ◀la▶ région si ancienne que Saint-Brieuc était ◀l’▶endroit tout indiqué pour tenir le premier colloque socialiste régional sur ◀le▶ thème : « Décolonisez ◀la▶ province ! »
Tout cela est intéressant, me disent certains augures, mais n’allez pas y attacher trop ◀d’▶importance. ◀L’▶État français ne sera pas si aisément ébranlé. Son chef ◀le▶ tient très bien en main, et quelques excités ◀de▶ ◀la▶ région ne ◀l’▶impressionnent pas.
À quoi je répondrai deux choses :
1° De Gaulle lui-même ne peut tenir en main… que son État. Or ◀la▶ souveraineté ◀de▶ ◀l’▶État est devenue tout illusoire, quand elle n’est pas toute négative, ne consiste pas à dire non, ou à consentir un abandon. Ainsi, elle permet aux États ◀de▶ procéder à leur désarmement tarifaire, ◀de▶ renoncer aux droits ◀de▶ douane, ou au contraire elle leur sert ◀de▶ prétextes à refuser, ici ou là, ◀les▶ mesures nécessaires à ◀l’▶union. Mais elle ne peut rien faire de plus. On ◀l’▶a bien vu lors de la Première Guerre ◀de▶ Suez…
2° Derrière ◀l’▶agitation régionaliste naissante, il y a bien autre chose qu’un mécontentement accidentel, il y a ◀de▶ sérieuses nécessités, appelant des réformes ◀de▶ structure qui, ◀de▶ proche en proche, mèneront très loin…
Ce sont ces nécessités qui expliquent que ◀le▶ Marché commun ait cru devoir convoquer ◀le▶ très important colloque ◀de▶ Bruxelles sur ◀les▶ économies régionales, et que ses six États-nations membres y aient pris part.
C’est ◀l’▶arriération, ◀le▶ sous-développement ◀de▶ nombreuses régions ◀de▶ ◀la▶ France, ◀de▶ ◀l’▶Italie, ou même ◀de▶ ◀l’▶Allemagne qui a obligé ◀les▶ gouvernements ◀de▶ ces pays à étudier très sérieusement ◀le▶ problème ◀de▶ ◀la▶ régionalisation du territoire. On s’est aperçu que ce sous-développement provenait directement ◀de▶ ◀la▶ structure ◀de▶ ◀l’▶État unitaire, voire, comme ◀le▶ disent plusieurs auteurs, ◀de▶ ◀l’▶exploitation des régions par ◀l’▶État central. On s’est intéressé très spécialement aux régions périphériques, ◀les▶ plus négligées par ◀la▶ capitale, et cela a conduit à envisager ◀la▶ possibilité révolutionnaire ◀de▶ régions chevauchant des frontières, ◀d’▶unités socioéconomiques plurinationales.
Prenez ◀la▶ région lilloise, qui touche ◀la▶ Belgique. Vue ◀de▶ Paris, Lille est une gare terminus, et Roubaix-Tourcoing un cul-de-sac dans un coin ◀de▶ ◀l’▶Hexagone33.
Mais dans ◀l’▶optique du Marché commun ◀de▶ demain, tout change : effacée ◀la▶ frontière qui depuis cent-cinquante ans coupait ◀la▶ région ◀de▶ son aire ◀d’▶expansion naturelle, Lille devient avec ses cités satellites ◀la▶ métropole ◀de▶ près ◀d’▶un million ◀d’▶habitants ◀d’▶une région s’étendant sur ◀la▶ France et ◀la▶ Belgique, et au surplus liée au sud ◀de▶ ◀l’▶Angleterre.
Or Lille n’est qu’un exemple entre bien d’autres : nous avons, tout près d’ici, celui ◀de▶ ◀la▶ Regio Basiliensis rayonnant sur trois pays.
Imaginez maintenant que dans ces métropoles, peu à peu, se forment ces centres ◀de▶ décision régionaux dont tout le monde parle, et qu’ils acquièrent ◀de▶ ◀la▶ force : lorsqu’ils auront pris en fait (sinon en droit) plus ◀d’▶importance économique et culturelle que ◀les▶ capitales anciennes, ◀la▶ révolution régionale sera faite, et du même coup ◀la▶ fédération ◀de▶ ◀l’▶Europe se révélera immédiatement possible. Il se peut que cette évolution exige bien plus ◀de▶ temps que ◀les▶ pionniers ◀de▶ ◀l’▶Europe unie ne ◀l’▶exigeaient et ne ◀l’▶annonçaient dans ◀l’▶enthousiasme des premiers congrès fédéralistes, au lendemain ◀de▶ la Deuxième Guerre mondiale. Du moins, cette fédération ◀de▶ régions « immédiates à ◀l’▶Europe » — comme ◀les▶ communes libres médiévales étaient « immédiates à ◀l’▶Empire » et tiraient ◀de▶ là leurs libertés — sera-t-elle fondée sur des réalités en plein essor, non sur des vieilles carcasses historiques et des mythes vidés ◀de▶ leur pouvoir. Un des meilleurs sociologues français ◀d’▶aujourd’hui, spécialiste ◀de▶ ◀la▶ prospective, Jean Fourastié, disait il y a un an devant un colloque réunissant tous ◀les▶ préfets ◀de▶ ◀la▶ République :
◀L’▶Europe peut nous tomber sur ◀la▶ tête un beau matin… vers 1985. ◀La▶ région dans ◀le▶ cadre européen, est une unité géographique beaucoup plus opérationnelle que ◀le▶ département et même que ◀la▶ nation.
Qu’une telle déclaration ait pu être faite en France, et cela précisément devant ◀le▶ corps des fonctionnaires institués par Napoléon pour effacer jusqu’au souvenir des autonomies régionales, voilà qui nous donne à penser que ◀la▶ révolution régionaliste, condition ◀de▶ ◀l’▶Europe unie, est bien plus avancée que nous n’osions ◀l’▶espérer.
Toutefois, ne nous y trompons pas : ◀le▶ processus sera très long, et il nous paraîtra nécessairement très lent, au jour ◀le▶ jour. Nous n’en sommes encore, aujourd’hui, qu’au stade ◀de▶ ◀la▶ prise de conscience du phénomène région et des motifs ◀de▶ son apparition en ce moment précis ◀de▶ notre histoire et ◀de▶ ◀l’▶évolution ◀de▶ notre société occidentale. À peine avons-nous pris ◀la▶ mesure des perspectives qu’il nous invite à explorer, notamment institutionnelles. Des réalisations à ce niveau ne sauraient être décrétées sans transition. Il est normal qu’elles exigent une longue période ◀de▶ mise en place silencieuse des réalités ◀de▶ ◀la▶ région, puis ◀d’▶expériences concertées, et celles-ci connaîtront forcément des échecs. Organiser, structurer, animer des régions, et finalement ◀les▶ doter ◀d’▶institutions autonomes, ce sera ◀la▶ tâche au moins ◀d’▶une génération, vingt à trente ans, en admettant que tout se passe bien plus vite ◀de▶ nos jours qu’à ◀l’▶aube grecque ◀de▶ notre Histoire.
Je ne cite pas ◀la▶ Grèce par hasard. Car je tiens ◀la▶ région pour une forme ◀de▶ communauté aussi nouvelle dans notre civilisation que ◀le▶ fut au vie siècle avant notre ère ◀l’▶apparition ◀de▶ ◀la▶ polis, dans ◀la▶ société grecque archaïque. Et ◀l’▶on sait que ◀la▶ polis devint en moins ◀d’▶un siècle ◀l’▶unité ◀de▶ base ◀de▶ toute vie sociale et publique en Grèce. Elle donna même son nom à cette forme ◀d’▶activité : ◀la▶ politique !
De même que ◀la▶ polis — avec ses autorités collégiales et son régime ◀de▶ participation civique intense — s’opposa durant des siècles à ◀la▶ monarchie autoritaire et belliqueuse — créant ainsi la première civilisation européenne — de même ◀la▶ région va s’opposer aux faux comme aux vrais empires centralistes et monopolisateurs qui prétendent aujourd’hui se partager ◀le▶ monde.
Nous n’en sommes encore qu’à ◀la▶ petite aube ◀de▶ ◀la▶ formation des régions en tant qu’éléments ◀de▶ base ◀de▶ ◀l’▶Europe fédérale à venir, mais en revanche nous touchons déjà au crépuscule ◀de▶ ◀la▶ période des États-nations. Ce qui empêche la plupart des hommes ◀d’▶aujourd’hui ◀de▶ ◀le▶ voir, ou ◀d’▶en croire leurs yeux quand ils ◀le▶ voient, c’est ◀le▶ dogme inculqué dans ◀les▶ esprits pendant plusieurs générations par ◀les▶ soins ◀de▶ ◀l’▶école, ◀de▶ ◀la▶ presse, et ◀de▶ ◀l’▶éloquence politique, ◀le▶ dogme ◀de▶ ◀l’▶immortalité non seulement ◀de▶ ma nation, mais ◀de▶ ◀la▶ forme nationale en général.
Bien sûr, un coup d’œil sur ◀l’▶histoire suffit à réfuter cette croyance. Bien sûr, dès ◀la▶ fin du siècle dernier, Ernest Renan s’était écrié dans un discours célèbre à ◀la▶ Sorbonne :
◀Les▶ nations ne sont pas quelque chose ◀d’▶éternel. Elles ont commencé, elles finiront.
Et il ajoutait :
◀La▶ confédération européenne, probablement, ◀les▶ remplacera.34
Mais tout le monde n’a pas lu Renan, ◀de▶ nos jours…
Et cette succession qu’il annonce, ce remplacement des États-nations par ◀la▶ fédération, cela ne se fera point par ◀le▶ jeu spontané du fameux « mouvement ◀de▶ ◀l’▶Histoire ».
Il faudra que ◀la▶ succession, ◀le▶ remplacement s’opèrent dans ◀les▶ esprits d’abord, par ◀la▶ révolution ◀la▶ plus difficile à accomplir, celle des catégories ◀de▶ pensée dans lesquelles ont vécu tous nos ancêtres depuis des siècles, et que nous ont inculquées tous ◀les▶ classiques ◀de▶ ◀la▶ philosophie politique. Catégories ◀de▶ pensée non seulement invétérées jusqu’à se confondre avec une sorte ◀d’▶instinct, non seulement chargées ◀d’▶histoire assimilée par ◀l’▶inconscient, mais encore chargées ◀d’▶une extrême affectivité, irritabilité, résultant du souvenir ◀de▶ tant de guerres récentes, ◀de▶ cent ans ◀de▶ propagande des nationalismes, et ◀de▶ cette religion civique dont je vous disais qu’elle s’était substituée à ◀la▶ foi chrétienne dans ◀l’▶esprit des masses.
Je voudrais vous donner quelques exemples ◀de▶ ces mutations ◀de▶ concepts et ◀de▶ catégories politiques qu’exige ◀la▶ prise de conscience du phénomène régional opposé au stato-national.
Et d’abord, un changement dans ◀le▶ vocabulaire — tout commence toujours par là. Vous ◀le▶ sentirez tout de suite en entendant cette définition ◀de▶ ◀la▶ région que j’emprunte aux travaux du colloque ◀de▶ Bruxelles :
◀L’▶activité économique suscite dans ◀l’▶espace des formes ◀de▶ polarisation qui naissent ◀de▶ relations ◀d’▶interdépendance et ◀de▶ complémentarité géographique, économique et sociale […] un certain nombre ◀d’▶unités territoriales réunissant des activités économiques complémentaires et fortement liées, gravitant autour de centres urbains où se localisent ◀d’▶importantes fonctions économiques, en particulier ◀les▶ fonctions ◀de▶ décisions. En outre, ces centres jouent presque toujours un rôle très important du point de vue intellectuel et culturel. Ces agglomérations ont dès lors une importance essentielle pour ◀l’▶identification ◀d’▶une unité territoriale dont, en première approximation, ◀les▶ limites correspondent à celles des aires ◀d’▶influence ◀de▶ son ou ◀de▶ ses agglomérations principales.
Si on exagère leur taille, ◀les▶ régions tendent ou bien à se confondre avec ◀les▶ unités nationales ou bien à perdre leur signification comme unités fonctionnelles. Si on ◀les▶ prend trop petites, ◀le▶ nombre et ◀l’▶importance des fonctions économiques et sociales diminuent dans ◀l’▶unité territoriale considérée, de sorte que celle-ci tend à se confondre avec ◀la▶ simple unité locale.
Mais entre ces limites supérieure et inférieure ◀la▶ possibilité peut exister ◀de▶ plusieurs solutions intermédiaires entre lesquelles ◀le▶ choix peut dépendre ◀de▶ considérations contingentes et même comporter une part ◀de▶ subjectivité dans ◀l’▶appréciation.
En ce qui concerne ◀l’▶emplacement exact des limites, une certaine indétermination existe manifestement entre régions contiguës ◀de▶ taille donnée, en sorte que ces limites doivent être tracées avec une certaine liberté ◀de▶ jugement.35
Ainsi : — là où, dans ◀le▶ monde stato-national, on parlait d’abord ◀de▶ territoires et ◀de▶ superficies, on parle ici d’abord ◀de▶ pôles, ◀de▶ polarisations ; là où ◀l’▶on parlait frontières, on parle ◀d’▶ajustements variables définis par des aires ◀d’▶influence ; là où ◀l’▶on insistait sur ◀la▶ taille des domaines et sur des chiffres absolus ◀de▶ ◀la▶ population, on se préoccupe ◀de▶ fonctions, ◀de▶ potentiels et ◀de▶ densités. Tout se passe comme si ◀l’▶évolution moderne venait subitement ◀de▶ nous faire sortir ◀de▶ ◀l’▶ère néolithique, celle qui a été marquée par ◀la▶ fixation des tribus nomades sur des territoires cultivés, celle qui a donc été dominée pendant douze à quinze millénaires par ◀les▶ notions ◀de▶ terre sacrée, ◀de▶ bornes sacrées, ◀d’▶attachement au sol, bref par ◀les▶ réalités et ◀les▶ valeurs ◀de▶ ◀la▶ paysannerie, — qui brusquement font place aux réalités et aux valeurs ◀de▶ ◀la▶ société industrielle, scientifico-technique, essentiellement urbaine et mobile. ◀Le▶ terme même ◀d’▶État indique très bien ses origines agricoles : status, State, Staat, État, c’est stabilité, statisme, fermes assises, délimitation par des cadres invariables, et c’est aussi un symbole ◀de▶ durée. ◀La▶ région au contraire se définit par des dynamismes combinés, par leurs résultantes variables, par ◀la▶ densité des échanges et des transports, toutes choses mobiles, indépendantes du sol. Pour la première fois dans ◀l’▶histoire, ◀la▶ cité se détache du territoire, elle « décolle » ; une unité politique se définit non plus en termes de limites, mais en termes de rayonnement, non plus par son indépendance mais par ◀la▶ nature et ◀la▶ structure ◀de▶ ses relations ◀d’▶interdépendance.
D’ailleurs, ◀le▶ terme même ◀d’▶indépendance est en train de perdre son sens ancien, stato-national, majestueux et volontiers ombrageux. Louis Armand remarque que « ◀la▶ notion ◀d’▶indépendance économique a changé complètement ◀de▶ contenu. ◀Le▶ mot “indépendance” a perdu son sens simpliste ◀d’▶autrefois. C’est maintenant une question ◀d’▶échanges, ◀de▶ “flux” diraient ◀les▶ scientifiques : “il faut chercher à être aussi indispensables aux autres que ◀les▶ autres nous sont indispensables.36” » Je proposerais, pour ma part, que ◀l’▶on substitue au terme ◀d’▶indépendance celui ◀d’▶autonomie, qui a ◀l’▶avantage ◀de▶ rappeler ◀le▶ gouvernement des cités par elles-mêmes, et aussi, par sa sobriété, ◀de▶ ne pas réveiller ◀les▶ illusions ◀de▶ ◀l’▶absolutisme, ◀les▶ délires ◀de▶ ◀la▶ souveraineté sans limites. ◀L’▶autonomie est une notion relative et très précise, quand on parle par exemple ◀de▶ ◀l’▶autonomie ◀de▶ vol ◀d’▶un appareil, ou ◀de▶ ◀l’▶autonomie ◀de▶ décision ◀d’▶un échelon administratif. Préférons, dans ◀le▶ monde régional, cette liberté modeste mais bien réelle, aux ivresses ◀de▶ ◀l’▶indépendance absolue mais illusoire dont se vantaient ◀les▶ États-nations.
Enfin, il est une grande notion que ◀les▶ régions nous amèneront à mettre en lumière, c’est celle ◀de▶ ◀la▶ pluralité des allégeances soit ◀d’▶une personne, soit ◀d’▶un groupe ou ◀d’▶une région.
Au lieu que ◀l’▶État-nation voulait tout faire coïncider dans ◀le▶ même cadre : culture, ethnie, religion, existence économique, loyauté envers ◀le▶ Prince maître ◀de▶ tout, et ◀d’▶autant plus qu’il devenait anonyme et sans visage — dans ◀le▶ monde régional, ◀la▶ liberté ◀de▶ chacun et ◀l’▶efficacité ◀de▶ son action seront garanties par ◀la▶ possibilité ◀de▶ se rattacher et ◀de▶ donner son allégeance à des ensembles différents par ◀la▶ nature et par ◀les▶ dimensions, cité locale, idéologie nationale, culture continentale, religion universelle, domiciles multiples, associations et clubs lointains ou proches.
Mais ceci, qui est très nouveau et presque révolutionnaire pour ◀les▶ citoyens des États unitaires et surtout totalitaires, nous est très familier en Suisse…
Et à ce propos, je voudrais terminer par quelques remarques sur ◀le▶ rôle spécifique ◀de▶ ◀la▶ Suisse dans ◀la▶ révolution régionaliste qui vient, et qui verra, en cas ◀de▶ succès, ◀le▶ triomphe du fédéralisme intégral.
Depuis qu’il est question ◀d’▶une entrée éventuelle ◀de▶ ◀la▶ Suisse dans ◀le▶ Marché commun, j’entends répéter qu’elle y perdrait sa souveraineté, qu’elle s’y perdrait. Et si je parle ◀d’▶une fédération basée sur ◀les▶ régions, on me répond que ce serait pire encore, et que ◀la▶ Confédération dans ce cas serait « dissociée ».
Je réponds qu’il est temps, qu’il est grand temps que nous cessions ◀d’▶opposer un refus quasi automatique à toutes ◀les▶ propositions ◀d’▶union un peu hardies, sous ◀le▶ double prétexte « qu’on n’est pas sûr qu’elles réussiront », ou bien « qu’on n’est pas sûr que cela servirait nos intérêts ». Assez ◀de▶ cette politique fondée en fait sur ◀la▶ morale à courte vue qu’illustre ◀l’▶anecdote du patriarche vaudois : il réunit ses fils autour de son lit ◀de▶ mort et il leur dit : « ◀Le▶ secret ◀de▶ ma réussite tient à ce que j’ai fondé ma vie sur deux principes : Méfiance ! Méfiance ! » Politique bien typique ◀de▶ ◀la▶ paysannerie, et qui d’ailleurs a contribué à ◀la▶ réduire un peu partout au sort ◀d’▶assistée ◀de▶ ◀l’▶État.
Face au projet régionaliste, je voudrais que nous disions : Travaillons dans ce sens, car c’est celui ◀de▶ nos traditions fédéralistes.
◀Les▶ régions ◀de▶ demain seront ◀les▶ petits États que nous avons toujours voulu défendre, et à raison. Tout ce qui s’est fait ◀de▶ grand dans notre monde, s’est fait par ◀les▶ petits ; ◀de▶ sublime, par ◀les▶ infimes ; et ◀de▶ divin par un bébé qu’on ne savait trop comment déclarer…
◀Les▶ régions ◀de▶ demain seront en même temps ◀les▶ éléments ◀de▶ ◀la▶ grandeur requise dans beaucoup de domaines bien définis : car ◀les▶ régions, à ◀la▶ différence des États, sont faites pour s’unir et pour coopérer, comme ◀l’▶ont fait nos cantons, quand ils ont vu que ◀l’▶union fédérale était ◀la▶ condition ◀de▶ leur survie individuelle. ◀Les▶ régions combinent ainsi ◀les▶ avantages du petit État (culturels, ethniques, économiques, civiques) qu’avaient effacés nos nations écrasant toute diversité, et ◀les▶ avantages des grandes dimensions procurés par cette fédération dont ◀les▶ États-nations se révèlent incapables.
Acceptons donc ◀l’▶hypothèse ◀de▶ travail régionaliste : on verra bien ce qu’elle donne pour nous, quand nous aurons aidé au succès ◀de▶ ◀l’▶entreprise.
Si, au pire, certaines ◀de▶ nos villes et leur hinterland en venaient à nouer des liens économiques et sociaux avec ◀les▶ pays voisins, à s’intégrer dans des régions polynationales, ce ne serait pas encore « ◀la▶ fin ◀de▶ ◀la▶ Confédération », ◀la▶ perte ◀de▶ son identité et ◀de▶ sa vocation, car ces deux choses existent à un autre niveau, du moins je ◀l’▶espère. Belle raison ◀d’▶être nationale que celle qui dépendrait des seuls douaniers et qui serait à ◀la▶ merci ◀d’▶un accord tarifaire ! Si Genève, par exemple, supprimait ses frontières avec ◀la▶ Savoie et ◀l’▶Ain, s’intégrait au complexe nommé Rhône-Alpes, qui est sa région naturelle, croit-on vraiment que cela lui ferait perdre son caractère ◀de▶ cité suisse plus que ne ◀le▶ font sa population étrangère et ◀les▶ institutions internationales qu’elle est fière ◀d’▶accueillir ? Non, même « dissociée » économiquement, rien n’empêcherait ◀la▶ Suisse ◀de▶ cultiver sa vocation particulière, qui est ◀d’▶ordre politique et culturel, rien ne pourrait empêcher ◀les▶ Suisses ◀de▶ toutes ◀les▶ régions ◀de▶ continuer à se rattacher politiquement à ◀l’▶idéal fédéraliste — s’ils y tiennent vraiment — et ◀de▶ maintenir leur association.
Nous sommes ◀le▶ seul pays européen qui n’ait jamais été tenté ◀de▶ devenir un État-nation unitaire, ◀d’▶uniformiser tous ses éléments constitutifs, ethniques, religieux, linguistiques, sociaux ; ◀le▶ seul en somme qui soit une vraie fédération et qui ait une expérience séculaire ◀de▶ ◀l’▶existence fédérale. Cela nous indique, me semble-t-il, notre responsabilité propre vis-à-vis de ◀l’▶Europe.
Je ne crois pas que nous ayons mission ◀de▶ préconiser urbi et orbi ◀la▶ transposition pure et simple ◀de▶ notre fédéralisme, à ◀l’▶échelle du continent. Car ce fédéralisme date un peu : c’est un fédéralisme ◀d’▶États plus que ◀de▶ fonction, ◀de▶ défense plus que ◀de▶ coopération. Aujourd’hui, ◀le▶ fédéralisme doit se détacher, comme j’ai tenté ◀de▶ vous ◀le▶ montrer, des États, des territoires, des cadres fixes ; il doit « décoller » du sol, pour devenir de plus en plus une méthode ◀de▶ résolution ◀de▶ chaque problème selon ses dimensions et à son niveau. Et à cet égard, ◀les▶ sociologues français — ◀la▶ France, une fois de plus, va fournir ◀le▶ modèle ! — sont en train d’élaborer une théorie qui me paraît mieux adaptée à notre société industrielle et mobile. Mais ◀le▶ fédéralisme est aussi un esprit, une forme ◀de▶ pensée et ◀de▶ sentiment, un style ◀de▶ vie, une expérience et une morale. Or j’observe chez beaucoup de nos concitoyens une sorte ◀d’▶habitus fédéraliste, qui ◀les▶ fait dépasser en pratique ce qu’il y a ◀de▶ périmé en doctrine dans ◀la▶ Constitution ◀de▶ 1848. Voilà sans doute ce que ◀les▶ Suisses peuvent donner ◀de▶ meilleur à ◀l’▶Europe qui se fait : non pas seulement une grande idée qui est capable ◀d’▶ouvrir ◀les▶ voies ◀de▶ ◀l’▶avenir politique pour ◀l’▶Europe et ◀le▶ monde, mais mieux que cela : un exemple vécu.