Pour une définition nouvelle du fédéralisme (1969)z aa
En 1863 paraissait le dernier grand ouvrage de Proudhon, Du Principe fédératif, où l’▶on pouvait lire cette phrase devenue célèbre : « ◀Le▶ xxe siècle ouvrira ◀l’▶ère des fédérations, ou ◀l’▶humanité recommencera un purgatoire de mille ans. » Dans quelle voie sommes-nous engagés après un siècle ? Celle des fédérations et de ◀l’▶harmonie des peuples, ou celle d’une renaissance des particularismes nationaux ? Je répondrai : dans ◀les▶ deux à la fois, et cela n’est pas contradictoire.
Un phénomène très général de convergence inspire ◀les▶ mouvements d’union continentale qui créent ◀le▶ Conseil de l’Europe et ◀le▶ Marché commun, puis leurs contreparties plus ou moins réussies dans ◀l’▶empire communiste (Comecon), dans ◀le▶ monde arabe, en Afrique et en Amérique latine, cependant qu’une volonté d’union mondiale anime les Nations unies et ◀l’▶Unesco, ◀le▶ Conseil œcuménique des Églises et Vatican II.
Simultanément, mais en sens inverse, un phénomène tout aussi général d’affirmation des diversités, des autonomies et des volontés d’indépendance, inspire ◀les▶ mouvements de résurgences communalistes, régionalistes et nationalistes, qu’on voit partout en plein essor, qu’il s’agisse de nations en instance de divorce avec ◀l’▶OTAN ou avec ◀le▶ Pacte de Varsovie, ou de nations au sens ancien du mot, régions ou ethnies en révolte plus ou moins ouverte contre ◀le▶ contrat étatique (inégal à leurs yeux) que jadis ou naguère leur imposa ◀l’▶élément formateur ou hégémonique de chacun de nos États unitaires. Renaissance donc des micronationalismes locaux, qui revendiquent leur autonomie au nom de leur langue, de leurs coutumes, ou des nécessités économiques nouvelles, et qui enfièvrent tour à tour ◀la▶ Bretagne, ◀les▶ Flandres ou ◀le▶ Pays basque.
Convergences et diversification, exigence simultanée de plus grandes unions supranationales et de plus petites communautés infranationales, solidarités et autonomies : ces deux mouvements contraires se prononcent en même temps, résultent en partie des mêmes causes, et entraînent des effets complémentaires, j’entends ◀le▶ dépassement de ◀l’▶État-nation à la fois par en haut et par en bas, d’une part vers des fédérations continentales et d’autre part vers un fédéralisme régional.
◀La▶ victime de ce double mouvement contradictoire, c’est en effet ◀l’▶État-nation, tel qu’il est né de ◀la▶ Révolution et du Premier Empire, produit de ◀la▶ confiscation d’une mystique — ◀la▶ nation — par un appareil administratif et policier — ◀l’▶État. Un État plus ou moins nationalisé ou une nation étatisée, modèle : ◀la▶ France, bientôt imitée par presque toute ◀l’▶Europe — et au xxe siècle, par une centaine de nations nouvelles. Centralisé, atomisé et trituré par ◀les▶ dynamismes contraires du xxe siècle, ◀l’▶État-nation européen nous apparaît, tel que ◀les▶ accidents de ◀l’▶Histoire nous ◀l’▶ont laissé, à la fois trop petit et trop grand. Il est trop petit pour assurer ce qu’on persiste à nommer son indépendance et sa souveraineté absolue : car nul pays de notre Europe n’est plus en mesure de jouer un rôle mondial, d’assurer seul sa défense, de se nourrir seul, au spirituel comme au physique. Et en même temps, presque tous nos États centralisés — et dans ◀la▶ mesure même où ils sont centralisés — se révèlent trop grands pour animer ◀la▶ vie économique, culturelle et surtout civique de leurs régions : celles-ci se sentent exploitées par ◀l’▶État, ses bureaux ou sa capitale et ◀les▶ accusent de colonialisme.
Il est certain que ◀la▶ prétention à une politique indépendante, au plein sens du terme, ne saurait être soutenue à ◀la▶ rigueur que par ◀la▶ Chine, ◀l’▶URSS et surtout ◀les▶ USA, s’ils acceptaient toutefois d’en payer ◀le▶ prix, lequel serait celui d’une autarcie presque totale ou d’une sorte d’isolation paranoïaque. En fait, ◀les▶ États-Unis, quoique de loin ◀les▶ plus forts, dépendent autant de ◀l’▶opinion mondiale que celle-ci du dollar ou de ◀la▶ télévision. Une interdépendance universelle dans tous ◀les▶ ordres tend à réduire ◀l’▶indépendance d’un État à une certaine liberté dans ◀le▶ choix de ses dépendances, à un certain jeu dans ◀l’▶aménagement de ses réseaux de relations plus ou moins contraignantes. Au surplus, je ne vois guère d’État-nation de type unitaire que ce double mouvement de convergence mondiale et de diversification locale ne mette en crise permanente. 855 votes en quelques années à ◀la▶ Chambre italienne sur ◀le▶ règlement du statut des régions autonomes. Risque d’éclatement de ◀la▶ Belgique. En France, floraison de projets officiels ou révolutionnaires tendant à régionaliser ◀l’▶Hexagone. Succès spectaculaires, aux dernières élections, des autonomistes gallois et écossais. Agitation basque et catalane sourde, mais profonde. Plasticages à Saint-Brieuc, dans ◀le▶ Tyrol du Sud, à Louvain et dans ◀le▶ Jura bernois. Mais en même temps, multiplication des jumelages européens entre communes de ces mêmes régions, créations d’organismes de coopérations multinationales du type de ◀la▶ Regio Basiliensis, mesures professionnelles et industrielles tendant à dévaloriser ◀les▶ frontières…
À tous ◀les▶ coups, c’est donc ◀l’▶État-nation qui perd. Il ne correspond plus ni aux conditions de liberté et de participation civique, apanage des petites communautés ou cités libres, comme Rousseau ◀l’▶avait si bien vu ; ni aux conditions de développement de rentabilité et de sécurité auxquelles ne peuvent répondre que de grands espaces économiques constitués à ◀la▶ mesure des possibilités et des besoins de ◀l’▶ère scientifico-technique.
Cet échec de ◀la▶ politique centralisatrice et unitaire, secrètement obsédée par un rêve d’autarcie, et cette mise en question, voire en accusation, de ◀la▶ formule stato-nationale élaborée par ◀le▶ xixe siècle, nous renvoient l’un comme l’autre à des formules de type fédéraliste. À ◀la▶ question que je me posais sur ◀la▶ prophétie proudhonienne, voici donc une première réponse : oui, nous sommes bel et bien au seuil d’une ère potentiellement fédéraliste.
Peut-on dire plus ? Sur ◀les▶ quelque cent-trente nations souveraines qui divisent notre humanité, je ne compte guère que deux douzaines d’États fédératifs, mais ils regroupent 40 % de ◀la▶ population du globe, et il est frappant de constater qu’on trouve parmi eux ◀les▶ plus grands États et ◀les▶ plus modernes des cinq continents — ainsi ◀les▶ États-Unis, ◀le▶ Mexique et ◀le▶ Brésil pour ◀les▶ trois Amériques, ◀le▶ Nigéria en Afrique, ◀l’▶Allemagne pour ◀l’▶Europe de l’Ouest et ◀la▶ Yougoslavie pour celle de ◀l’▶Est et au-delà ◀l’▶URSS, ◀l’▶Inde et ◀l’▶Australie.
Voilà qui réfute ◀le▶ cliché du fédéralisme « désuet ». Mais ◀l’▶étiquette fédérale couvre des marchandises de qualités au moins diverses selon qu’il s’agit par exemple de ◀l’▶empire soviétique, du Nigéria, ou de ◀la▶ Confédération suisse. Car ◀la▶ double exigence antinomique de ◀la▶ convergence et de ◀la▶ diversification n’est pas tellement mieux satisfaite dans ces trois États officiellement fédératifs que dans ◀les▶ nations unitaires : en URSS, ce sont ◀les▶ autonomies régionales et ◀les▶ diversités religieuses et politiques qui sont opprimées par ◀l’▶État central dont un parti unique s’est emparé ; au Nigéria, c’est au contraire une des régions fédérées qui s’érige en État unitaire ; en Suisse, c’est ◀le▶ régime fédératif lui-même qui se voit invoqué (non sans paradoxe d’ailleurs), pour refuser de se laisser entraîner par des mouvements de convergence européenne et mondiale, même s’ils disent s’inspirer du propre exemple de ◀la▶ fédération des cantons suisses !
Il est certain que dans ces trois cas, c’est moins ◀le▶ fédéralisme qu’on est en droit d’incriminer que sa trahison pure et simple, ou son usage mal compris, ou son blocage délibéré aux limites d’un État fédéral. Il ne s’agit pas d’un défaut du fédéralisme, mais d’un défaut de fédéralisme ! Et ◀l’▶on est en droit de penser que ◀l’▶application correcte de ◀la▶ méthode fédéraliste rétablirait bientôt ce double mouvement de diastole et de systole, vers des autonomies plus locales et vers des unions plus vastes, qui est ◀le▶ battement même du cœur d’un régime sain, j’entends immunisé contre ◀le▶ virus totalitaire. Mais si ◀le▶ fédéralisme apparaît bien comme ◀le▶ remède spécifique au stato-nationalisme, il faudrait, avant de ◀le▶ prescrire, être très sûr de sa formule. Or je ne vois pas de terme du langage politique qui prête à pires malentendus !
Un Français cultivé qui demande à son Littré ◀le▶ sens du mot fédéralisme trouve ceci : « Fédéralisme : substantif masculin. Néologisme. Système, doctrine du gouvernement fédératif. » Cette définition est assurément moins éclairante que ◀les▶ deux citations qui ◀l’▶illustrent : 1) « ◀Le▶ fédéralisme était une des formes politiques ◀les▶ plus communes employées par ◀les▶ sauvages. Chateaubriand, Amérique, Gouvernement. » 2) « Pendant ◀la▶ Révolution, projet attribué aux girondins de rompre ◀l’▶unité nationale et de transformer ◀la▶ France en une fédération de petits États. »
Pour ◀le▶ Français cultivé et qui a coutume de se reporter à son Littré quand il veut savoir ce qu’un mot signifie, ◀la▶ cause est jugée. Il s’agit d’un système qui est bon pour ◀les▶ sauvages et qui semble n’avoir été préconisé que par des traîtres à ◀la▶ République… Il est vrai que mon Littré date de 1865 : « fédéralisme » y est encore qualifié de « néologisme ». C’était deux ans après ◀le▶ livre de Proudhon. Depuis lors, ◀les▶ centaines d’études et de gros volumes parus sur ◀le▶ sujet auraient dû suffire, semble-t-il, à clarifier un terme que ◀le▶ problème européen et nos situations nationales nous amènent à utiliser quotidiennement. Mais pas du tout : ◀le▶ malheur congénital du fédéralisme reste d’être un concept dialectique, ambigu, et qui autorise — ou incite en tout cas — aux plus invraisemblables pataquès conceptuels. Je vous en citerai trois exemples. Il y a quelques années, je suggérai au comité directeur d’un congrès européen qu’une journée fût réservée à des travaux sur ◀le▶ fédéralisme. ◀Le▶ représentant du Conseil de l’Europe tint à déclarer aussitôt que ◀le▶ terme de fédéralisme étant tabou à Strasbourg, il se verrait obligé de quitter ◀le▶ comité si ◀l’▶on adoptait ma proposition. Je compris par ◀la▶ suite que ce haut fonctionnaire tenait ◀le▶ fédéralisme pour un système d’unification intégrale, sans respect pour ◀les▶ diversités et ◀les▶ autonomies des pays membres, c’est-à-dire très exactement ◀le▶ contraire de ce qu’il est. À ◀l’▶inverse, ◀le▶ fédéralisme est assimilé par beaucoup à une attitude de suspicion envers tout pouvoir central et à ◀la▶ défense ombrageuse des autonomies locales ou régionales. C’est ainsi qu’un illustre homme d’État belge, et grand Européen, écrivait récemment : « Ce n’est pas dans ◀le▶ fédéralisme, ce n’est pas en se repliant sur elle-même que ◀la▶ Wallonie trouvera son salut. » Plus étonnant encore, en Suisse même, il y a quelques années, on put entendre ◀le▶ recteur d’une de nos universités cantonales condamner ◀le▶ principe d’une subvention fédérale « parce qu’ici, disait-il, nous sommes fédéralistes » !
Pareils malentendus, s’ils sont ◀le▶ fait d’Européens professionnels ou de gardiens jaloux des traditions helvètes, que sera-ce ailleurs ? ◀Le▶ fédéralisme n’étant ni ceci, ni cela, mais ◀la▶ coexistence en tension de ceci et de cela, il semble que ◀le▶ danger d’interprétations partielles, donc ruineuses dans son cas, lui soit pour ainsi dire congénital.
Or s’il est vrai que ◀l’▶union de ◀l’▶Europe est ◀l’▶entreprise capitale de ce siècle et s’il est vraisemblable que cette union sera fédérale ou ne sera pas, on sent tous ◀les▶ dangers qu’entraînent en fait ◀les▶ malentendus que j’ai dits et par suite ◀l’▶importance pratique de tout effort de clarification des concepts de fédération et de fédéralisme.
Pour ma part, je voudrais maintenant proposer quelques définitions, puis ◀les▶ relier à des situations contemporaines choisies dans ◀les▶ domaines ◀les▶ plus variés et ◀les▶ moins politiques au sens étroit du mot.
Tout d’abord, trois définitions.
Je propose d’appeler problème fédéraliste une situation dans laquelle s’affrontent deux réalités humaines antinomiques, mais également valables et vitales, de telle sorte que ◀la▶ solution ne puisse être cherchée ni dans ◀la▶ réduction de l’un des termes, ni dans ◀la▶ subordination de l’un à l’autre, mais seulement dans une création qui englobe, satisfasse et transcende ◀les▶ exigences de l’un et de l’autre.
J’appellerai donc solution fédéraliste toute solution qui prend pour règle de respecter ◀les▶ deux termes antinomiques en conflit tout en ◀les▶ composant de telle manière que ◀la▶ résultante de leur tension soit positive (on dirait, dans ◀le▶ langage de ◀la▶ théorie des jeux de von Neumann et Morgenstern, qu’il s’agit de déterminer ◀l’▶optimum en lequel se concilient deux maxima contradictoires, — comme ◀l’▶offre et ◀la▶ demande dans un prix).
◀L’▶ensemble des problèmes et des solutions ainsi définies constitue ce que je nommerai ◀la▶ politique fédéraliste, au sens ◀le▶ plus large du terme.
Avant de chercher à quel type d’homme correspond une telle politique, et quel type d’homme elle entend préparer ou éduquer, constatons qu’elle traduit une forme de pensée, une structure de relations bipolaires dont ◀le▶ « modèle » nous est connu : c’est celui qu’ont élaboré ◀les▶ fondateurs de ◀la▶ philosophie occidentale dans ◀le▶ dialogue opposant ◀les▶ ioniens aux éléates au sujet de ◀l’▶antinomie fondamentale de l’Un et du Divers, ou encore de ◀la▶ permanence et du changement. Parallèlement se constituaient les premières définitions de ◀l’▶homme comme individu distinct et de ◀la▶ cité ou auto-nomie (littéralement auto-réglage) comme cellule de base des ligues et fédérations.
Voilà qui est proprement occidental : devant ce même problème de l’un et du divers, ◀les▶ métaphysiques orientales prennent ◀le▶ parti de supprimer ◀le▶ conflit en réduisant l’un de ses termes — ◀le▶ Divers — au prix d’une longue ascèse exténuante. Pour ◀le▶ brahmane, pour ◀le▶ bouddhiste, ◀le▶ but est d’effacer ◀l’▶individu, ◀la▶ différence, de tout fondre dans l’Un sans distinction. Mais ◀l’▶Occident, dès ◀l’▶aube grecque, cherche à maintenir ◀les▶ deux termes non pas en équilibre neutre, mais bien en tension créatrice, et c’est ◀le▶ succès de cet effort, toujours renouvelé et toujours menacé, qui dénote ◀la▶ santé de ◀la▶ pensée européenne, sa justesse, sa mesure conquise sur ◀le▶ chaos de ◀la▶ masse indistincte autant que sur ◀l’▶anarchie des individus isolés, qu’il s’agisse de réalités métaphysiques ou physiques, esthétiques ou politiques. « Ce qui s’oppose coopère et de ◀la▶ lutte des contraires procède ◀la▶ plus belle harmonie », dit un fragment célèbre d’Héraclite.
◀L’▶art et ◀la▶ science de cette mise en tension, de cette composition de réalités contraires mais également valables, voilà je crois ce qui définit ◀l’▶apport original et spécifique de ◀la▶ pensée occidentale ; or cette définition vaut également et intégralement pour ◀le▶ fédéralisme, du moins tel que je ◀l’▶entends, après avoir valu pour ◀la▶ Grèce des grands siècles avec sa dialectique de ◀l’▶individu et de ◀la▶ cité, conciliée dans ◀la▶ notion de citoyen.
Mais ◀le▶ moment crucial de toute ◀l’▶évolution spécifiquement occidentale vers ◀l’▶approfondissement et ◀l’▶expansion du modèle des contraires en tension créatrice, nous ◀le▶ trouvons dans ◀le▶ christianisme des grands conciles. À Nicée, puis à Chalcédoine, plusieurs centaines d’évêques et de docteurs se mettent d’accord pour définir en grec ◀la▶ nature à la fois triple et une du Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, et ◀la▶ personne à la fois une et double de Jésus-Christ. Et ils écrivent : « Nous enseignons un seul et même Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme… fils unique en deux natures, sans confusion [ni] séparation. ◀L’▶union n’a pas supprimé ◀la▶ différence des natures, mais plutôt elle a sauvegardé ◀les▶ propriétés de chaque nature, qui se rencontrent dans une seule personne… »
Abstraction faite de ◀la▶ foi que ◀l’▶on accorde ou non à ◀la▶ substance de ces énoncés, je retiens que leurs formes et structures posent un certain type de relations, posent donc une société et une politique.
De même que ◀le▶ modèle trinitaire des conciles sera utilisé par Kepler dans ses spéculations sur ◀le▶ cercle et leurs applications à ◀l’▶astronomie, ou par Hegel dans sa dialectique ternaire et ses applications au devenir historico-politique — source principale de ◀la▶ méthode marxienne — de même ◀le▶ modèle de ◀la▶ co-existence des deux natures « sans confusion ni séparation » et de ◀l’▶union qui « loin de supprimer ◀la▶ différence des natures sauvegarde leurs propriétés »ab sera repris par tous ◀les▶ penseurs occidentaux respectueux du réel et des conditions de ◀la▶ vie, qui sont : antinomies, oppositions, lutte des contraires « d’où procède ◀la▶ plus belle harmonie ». Je pense d’abord, bien sûr, aux esprits dialectiques, à Pascal, Kierkegaard ou Nietzsche, et aux doctrinaires politiques comme Rousseau, Tocqueville et Proudhon, mais aussi aux écoles récentes de physiciens et de logiciens pour lesquels ◀la▶ complémentarité de phénomènes, définis comme exclusifs l’un et l’autre, a cessé d’être un scandale, est même devenue principe fondamental d’interprétation du réel (je pense aux théories de de Broglie sur ◀la▶ lumière, faite de vrais corpuscules, mais aussi de vraies ondes…).
Notre modèle de pensée fédéraliste ainsi posé à ◀la▶ clé de ◀l’▶histoire européenne, il reste à repérer ◀les▶ principaux domaines de ◀la▶ réalité moderne où ◀l’▶on retrouve ◀les▶ structures typiques d’un problème fédéraliste.
À ◀la▶ base de notre analyse, plaçons une conception de ◀l’▶homme analogue au modèle bipolaire posé par ◀le▶ concile de Chalcédoine. ◀La▶ personne humaine, notion déduite des dogmes relatifs aux trois Personnes divines, et surtout à la deuxième, va nous servir de module. ◀La▶ personne humaine, c’est ◀l’▶homme considéré dans sa double réalité d’individu distinct et de citoyen engagé dans ◀la▶ société. Pourvu de libertés, mais de responsabilités, solitaire et solidaire (selon ◀le▶ mot de Victor Hugo repris par Camus), distingué du troupeau par cette vocation même dont ◀l’▶exercice ◀le▶ relie à ◀la▶ communauté, cet homme se constitue dans ◀la▶ dialectique des contraires. Et ce caractère va se transmettre à tous ◀les▶ groupes qu’il formera avec d’autres hommes, ses semblables. Ces groupes devront être à leur tour à la fois autonomes et solidaires : pour eux aussi, l’un n’ira pas sans l’autre, bien mieux : l’un — ◀la▶ solidarité — sera ◀la▶ garantie de l’autre — ◀l’▶autonomie.
Quelques exemples : 1° ◀Le▶ problème des universités résulte d’un couple d’exigences contradictoires, qui paraissent exclusives l’une de l’autre quoique indispensables l’une à l’autre : ◀la▶ spécialisation et ◀la▶ culture générale.
2° ◀Les▶ problèmes actuels de ◀l’▶habitat et de ◀l’▶urbanisme résultent de ◀la▶ croissante difficulté de satisfaire ◀les▶ exigences également valables, mais également frustrées dans ◀les▶ grands ensembles, de solitude et de sociabilité, de recueillement et de communication avec ◀les▶ autres.
3° Au niveau de ◀la▶ vie civique et politique, tout ◀le▶ problème revient à concilier ◀les▶ besoins contraires, mais vitaux d’autonomie locale et de grands espaces communs, de participation efficace à ◀la▶ vie d’un groupe concret et d’horizons ouverts, d’adhésion à des communautés plus vastes et de cadres qui rassurent, d’enracinement et de mobilité… ◀La▶ situation de ◀l’▶homme qui veut à la fois sa vie privée et une vie sociale est homologue de ◀la▶ situation de ◀la▶ région qui veut à la fois son autonomie et sa participation à un plus grand ensemble, en association.
4° Enfin, ◀le▶ problème général de ◀l’▶œcuménisme n’est-il pas ◀le▶ même en sa forme que ceux que nous venons d’évoquer, puisqu’il consiste à concilier des confessions distinctes dans ◀l’▶unité de ◀l’▶Église, c’est-à-dire, en dernière analyse, des vocations particulières au sein de ◀l’▶Être même de ◀l’▶Universel, source et fin de toute communauté.
Dans tous ces domaines d’existence, quels seront ◀les▶ principes de méthode dictés par ◀le▶ souci fédéraliste de respect des diversités, des conditions contradictoires de ◀la▶ vie, comme ◀la▶ liberté des personnes et ◀la▶ force de ◀la▶ communauté ?
◀L’▶analyse fédéraliste d’une situation part du concret, en ce sens que d’abord elle considère ◀la▶ nature d’une tâche ou d’une fonction particulière dont on aura reconnu ◀la▶ nécessité ou ◀l’▶agrément. Deuxième étape : elle évalue ◀les▶ dimensions optimales de ◀l’▶aire d’exécution requise, et elle ◀le▶ fait en fonction des trois facteurs suivants : possibilités de participation (civique, intellectuelle, économique), efficacité, économie des moyens. Enfin, troisième étape, une fois déterminée cette dimension et ◀l’▶unité correspondante (communale, régionale, nationale, continentale ou mondiale, selon ◀les▶ cas), il ne reste qu’à désigner ◀le▶ niveau de compétence où seront prises ◀les▶ décisions relatives à cette tâche. Il peut y avoir d’ailleurs plusieurs niveaux de décisions, hiérarchisés. Séparer ◀les▶ pouvoirs, ◀les▶ disperser, ◀les▶ répartir selon ◀le▶ bon sens, voilà ◀le▶ programme proudhonien de division fédéraliste de ◀l’▶État, inverse exact de ◀l’▶utopie totalitaire. De plus, ◀les▶ aires d’opération peuvent et doivent différer selon ◀les▶ tâches, j’entends selon qu’elles intéressent tous ◀les▶ hommes de toutes ◀les▶ régions, certains hommes de toutes ◀les▶ régions, certains hommes de certaines régions, tous ◀les▶ hommes de quelques régions, ou d’une seule.
Je conviendrai que ◀le▶ nombre des combinaisons auxquelles peut conduire cette méthode a de quoi donner ◀le▶ vertige aux fonctionnaires de tradition unitaire. Mais ◀les▶ ordinateurs vont prendre ◀la▶ relève. Lénine disait que ◀la▶ révolution communiste, c’était ◀les▶ soviets plus ◀l’▶électricité. Pour moi, ◀le▶ fédéralisme, c’est ◀l’▶autonomie des régions plus ◀les▶ ordinateurs, c’est-à-dire ◀le▶ respect du réel et de ses infinies complexités enfin rendu possible par ◀la▶ technique moderne. Ce débat n’est pas d’aujourd’hui. Aux projets de découpage géométrique de ◀la▶ France en carrés réguliers de dix-huit lieues de côté, comme ◀le▶ proposait Sieyès sous prétexte de simplifier ◀les▶ contrôles administratifs, Mirabeau répondait déjà par cette grande phrase : « ◀Le▶ but de ◀la▶ société n’est pas que ◀l’▶administration soit facile, mais qu’elle soit juste et éclairée. »
Nous allons voir, enfin, que nos critères d’évaluation des dimensions et d’attribution des niveaux décisionnels — ◀la▶ participation, ◀l’▶efficacité et ◀l’▶économie des moyens — sont en interdépendance générale.
Prenons ◀l’▶exemple de ◀l’▶habitat : ◀le▶ gigantisme des villes, ◀l’▶entassement dans ◀les▶ grands ensembles conçus pour rapporter, non pour servir ou plaire, ont produit une situation de crise dont ◀l’▶acuité se mesure notamment par ◀le▶ chiffre élevé des suicides. ◀L’▶homme des ensembles à bon marché, trop serré avec d’autres chez soi, et qui voudrait être enfin seul, sort et se mêle à ◀la▶ foule anonyme… Mais c’est une mauvaise solitude, née de ◀l’▶absence de communication avec ceux que ◀l’▶on côtoie comme s’ils n’étaient pas là. ◀La▶ solution consisterait à recréer ◀les▶ conditions de communauté, et tout d’abord certaines dimensions et structures architecturales : des unités d’habitation de 5000 à 25 000 habitants, dotées non seulement d’espaces verts, mais de rues réservées aux seuls piétons et d’une place remplissant ◀la▶ fonction de ◀l’▶agora ou du forum dans ◀la▶ cité antique, place délimitée par tous ◀les▶ bâtiments symboliques de ◀la▶ vie communautaire, églises, mairie, marchés, cafés, lieu de rencontres, d’intrigues, de flirts, de criée des journaux et de manifestations. ◀La▶ possibilité physique et morale de participation à ◀la▶ vie communale dépend de tels aménagements.
◀Les▶ dimensions, d’ailleurs, peuvent être numériques aussi bien qu’architecturales : prenez ◀les▶ conflits actuels dans ◀l’▶université, en tous pays et tous régimes politico-économiques : ils ont pour motif profond ◀l’▶antinomie entre ◀la▶ culture générale au sens traditionnel et ◀l’▶acquisition d’un savoir professionnel souvent d’autant plus rentable qu’il est plus étroitement spécialisé ; mais ◀la▶ révolte actuelle des étudiants, sorte de tourbillon dans ◀l’▶égarement, est un contrecoup mécanique de ◀l’▶explosion des effectifs. Multipliez par dix ◀les▶ dimensions d’un escalier, il devient impraticable. De même, ◀le▶ décuplement des effectifs estudiantins transforme en acrobatie toute participation réelle à ◀la▶ recherche et compromet toute ◀l’▶efficacité de ◀l’▶enseignement. Remède fédéraliste : commencer par réévaluer ◀les▶ dimensions d’une université digne du nom, ménageant des possibilités de recherches très spécialisées et de travaux interdisciplinaires, ◀l’▶analyse conduisant à souhaiter, comme module, de petits groupes ou unités de base de douze à quinze étudiants autour d’un enseignant (c’étaient ◀les▶ dimensions d’un studium de ◀la▶ Sorbonne au xiiie siècle), puis une fédération de petites unités en départements, et je retrouve ici ◀la▶ solution préconisée lors du fameux colloque de Caen, en 1966.
◀L’▶université fut une commune libre au Moyen Âge. Toute vie civique, depuis ◀la▶ cité grecque, est communale d’abord, municipale. C’est au niveau de ◀la▶ vie civique ou politique — c’est ◀le▶ même mot, selon ◀l’▶étymologie — que nous allons enfin retrouver ◀le▶ problème classique du fédéralisme : comment assurer ◀la▶ cohésion d’un ensemble assez vaste pour pouvoir se charger de tâches communes (telles que ◀la▶ défense, ◀les▶ affaires étrangères et ◀la▶ politique économique ou certaines recherches scientifiques) sans léser ◀les▶ droits essentiels et ◀l’▶autonomie des unités de base ? Comment devenir assez grand pour être fort, tout en restant assez petit pour être libre ?
Ce n’est pas ◀le▶ vote d’une constitution, de type plus ou moins fédéral, qui peut résoudre une fois pour toutes ce conflit permanent. Il y faut une méthode vivante, celle que j’ai dite : sans cesse évaluer à nouveau ◀les▶ dimensions des tâches à entreprendre, répartir en conséquence ◀les▶ pouvoirs de décision, opérer ◀les▶ concentrations de forces proportionnées à ◀la▶ puissance que ◀l’▶on veut obtenir et en même temps multiplier ◀les▶ petites unités de base de manière à maintenir ou renforcer ◀les▶ possibilités de participation civiques, intellectuelles et affectives.
C’est dans ce double dynamisme créateur d’unions plus vastes à proportion de tâches nouvelles, mais aussi de communautés plus petites correspondant aux exigences de ◀l’▶habitat, de ◀la▶ formation des esprits et de ◀l’▶exercice du civisme, c’est dans cette dialectique concrète que sont en train de se former sous nos yeux, en Europe, plus d’une centaine de régions à métropole destinées à devenir, à plus ou moins long terme, ◀les▶ unités de base de ◀la▶ future fédération continentale, en lieu et place des États-nations constitués au xixe siècle.
On s’aperçoit alors que ◀le▶ fédéralisme politique (intra ou interétatique), seul pris en considération par ◀les▶ auteurs classiques, n’était en réalité qu’un cas particulier d’une conception beaucoup plus large des relations humaines dans ◀la▶ cité, des relations publiques en général. C’est ce qu’avait bien vu ◀le▶ regretté Pierre Duclos, lorsqu’il relevait que « ◀le▶ fédéralisme vit d’une vie que ◀la▶ forme institutionnelle dénommée État ne suffit pas à qualifier et moins encore à épuiser » … Et il ajoutait :
◀Le▶ fédéralisme est autre chose qu’une simple recette juridique ou politique : il est un des grands types d’aménagement du rapport politique et peut-être plus encore, un des grands styles de vie et de civilisation, capable, au même titre que ◀le▶ libéralisme, ◀le▶ socialisme ou ◀la▶ démocratie, d’alimenter ◀la▶ pensée des sociétés et de dicter aux hommes ces « images de comportement » dont Bertrand de Jouvenel a si justement mis en vedette ◀l’▶importance historique40.
Nous voici loin de ◀la▶ forme politique bonne pour ◀les▶ sauvages dont parlait Littré. Mais loin aussi des définitions étroitement légales et constitutionnelles du xixe siècle. Nous voici sur ◀le▶ seuil de ◀l’▶ère de grandes unions et des petites unités fonctionnelles, et ◀l’▶on va peut-être trouver, dans ◀les▶ techniques ◀les▶ plus avancées, ◀le▶ moyen de leur composition.
En tant que méthode générale d’aménagement des relations humaines, ◀le▶ fédéralisme tel que j’ai tenté de ◀le▶ définir ne fait que commencer. Il n’est pas matière historique, mais prospective. Il a plus d’avenir que de passé.
[Suivent deux brèves interventions de MM. Léon Noël et Jean Fourastié, demandant d’abord si ◀le▶ modèle suisse est si facilement transposable aux régions françaises ; ensuite, de revenir sur ◀la▶ formule « ◀le▶ fédéralisme, c’est ◀l’▶autonomie plus ◀les▶ ordinateurs ».]
Je voudrais d’abord répondre à ◀la▶ question sur confédération ou fédération. Je crois que toute ◀l’▶histoire prouve que ◀les▶ confédérations sont des formules transitoires qui sont destinées à se défaire assez rapidement si elles ne passent pas à ◀la▶ fédération et qu’en général ◀les▶ pays qui aujourd’hui s’appellent confédération sont des fédérations qui, pour certaines raisons, n’ont pas voulu dire leur nom. C’est ◀le▶ cas de ◀la▶ Suisse, qui présente toutes ◀les▶ notes de ◀la▶ fédération absolument classique et pas du tout des confédérations. ◀La▶ confédération est une mesure d’opportunisme pour des gens qui voient que ◀l’▶on ne peut pas continuer sans faire quelque chose dans ◀le▶ sens d’une fédération, mais qui n’osent pas aller jusqu’au bout. Vous avez dit que ◀le▶ sens civique, en Suisse, pouvait seul permettre ◀le▶ fédéralisme. Je retournerai ◀la▶ proposition et dirai que, s’il y a un sens civique en Suisse, c’est dû précisément au système fédéraliste, c’est-à-dire aux dimensions des unités dans lesquelles un citoyen peut se manifester. Si ◀les▶ dimensions sont celles d’un peuple de 50 millions, qu’est-ce qu’il se produit ? On vote, de temps en temps, sur de grandes options générales, ou sur un homme ou sur un député ; cela n’est pas réellement ◀l’▶activité du civisme, c’est-à-dire ◀l’▶intervention dans ◀les▶ affaires qui regardent chacun : ◀les▶ affaires de ◀la▶ commune, de ◀la▶ région. Tandis que si vous avez de petites unités, données par ◀la▶ constitution, non seulement par ◀les▶ traditions, cela provoque ◀le▶ civisme en donnant ◀la▶ possibilité d’intervenir souvent. Je n’irai pas jusqu’à demander, comme Aristote, que ◀les▶ communes ne soient pas plus vastes que ◀la▶ portée de ◀la▶ voix d’un homme criant sur ◀l’▶agora, mais il faut garder cet exemple dans ◀l’▶esprit, si ◀l’▶on veut donner un contenu réel à ◀la▶ notion de civisme. Il y a interaction de ◀l’▶institution et du civisme. Si on trouve qu’il n’y a pas assez de civisme quelque part, le premier remède c’est d’appliquer ce critère des dimensions — communales ou régionales — de ◀l’▶unité de base de participation. Quant à savoir si ◀le▶ mouvement vers ◀les▶ régions aboutirait à une dissociation de ◀la▶ Suisse, on me pose souvent ◀la▶ question. Il faudrait s’entendre sur ce qu’on appelle région. Je ne m’étendrai pas sur cette question complexe, mais je crois que la plupart des craintes que ◀l’▶on a, en parlant de régions, viennent de ce qu’on s’imagine une région comme un petit État-nation. C’est autre chose. On peut très bien concevoir des régions comme celle qui est en train de s’organiser autour de Bâle, ◀la▶ Regio Basiliensis, qui chevauche trois pays : Bâle et son hinterland en Suisse, ◀le▶ Haut-Rhin et Mulhouse en France, ◀le▶ pays de Bade jusqu’à Fribourg en Allemagne. Cette regio est une unité essentiellement économique. Si une région se constitue vraiment et solidement, comme ◀le▶ veulent ses promoteurs, on croit souvent qu’elle doit nécessairement coïncider avec une région politique. Pas du tout, ni avec une région linguistique. On peut très bien continuer à y parler, comme en Suisse, plusieurs langues, bien que ◀l’▶allemand y soit majoritaire. Il faut s’orienter vers une vision de ◀l’▶Europe de demain correspondant aux réalités diverses qui sont des réalités techniques, culturelles, économiques, linguistiques, universitaires, finalement politiques. ◀Les▶ dimensions des diverses régions correspondant à ces divers niveaux ne seront pas nécessairement ◀les▶ mêmes, elles ne se recouvriront pas toutes comme ◀l’▶exige ◀la▶ tradition unitaire laquelle veut, à tout prix, imposer ◀les▶ mêmes frontières à des réalités qui n’ont rien en commun, totalement hétérogènes, comme ◀les▶ réalités culturelles, économiques, du sous-sol et de ◀l’▶état civil ou de ◀la▶ langue qu’on parle, et qui aboutit par exemple à ◀la▶ division de ◀la▶ région Ruhr-Moselle, qui est d’un seul tenant au point de vue du sous-sol, d’après ◀la▶ langue qu’on parlait d’un côté ou de l’autre d’une frontière tracée à ◀la▶ surface. Ce genre d’absurdité se révèle intenable et nous oblige à chercher autre chose du côté des régions. Il est certain que ◀le▶ système stato-national actuel n’est plus tolérable, ne fonctionne plus. ◀Le▶ mouvement de régionalisation sera-t-il assez puissant pour aboutir, pour former ◀la▶ base d’une fédération ? Je n’en sais rien. Nous devons y travailler d’une manière active.
Sur ◀la▶ question précise des ordinateurs, je peux vous citer un exemple tiré de ◀l’▶expérience suisse. Il s’est agi, il y a cinq ou six ans, de décider de ◀la▶ priorité pour ◀la▶ construction des autoroutes. ◀Le▶ plan général est fait à Berne, mais chaque tracé doit être discuté avec ◀les▶ cantons, qui sont maîtres d’œuvre, et avec ◀les▶ communes qui peuvent refuser qu’on ruine ◀la▶ vie d’une petite ville en ◀la▶ coupant en deux, par exemple. ◀La▶ question s’est posée de ◀la▶ priorité à établir dans ◀le▶ tracé de ces routes : il y avait 48 paramètres, dont il fallait tenir compte : ◀l’▶intensité du trafic, ◀le▶ prix des travaux d’après ◀la▶ nature du sous-sol, ◀les▶ questions de tourisme, de main-d’œuvre, d’aménagement urbanistique, etc. C’était insoluble pour ◀les▶ fonctionnaires, même ◀les▶ mieux entraînés, d’une vieille fédération. ◀Les▶ ordinateurs ont trouvé par quoi il fallait commencer. ◀Le▶ fédéralisme, c’est-à-dire ◀le▶ respect poussé aussi loin que possible des diversités, devient possible, aujourd’hui, à cause de procédés techniques comme ◀les▶ ordinateurs.