L’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe, modèle ◀d’▶union dans ◀la▶ liberté (fin des années 1960)
◀L’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe n’étant pas encore faite — ni dans ◀la▶ liberté ni autrement — il va sans dire que ◀le▶ titre ◀de▶ ce chapitre ne peut être conçu comme ◀la▶ constatation satisfaite ◀d’▶un phénomène historique qu’il n’y aurait plus qu’à analyser, mais seulement comme ◀l’▶expression ◀d’▶un vœu, ou plus exactement comme ◀la▶ désignation ◀d’▶un objectif qu’on voudrait assigner à ◀l’▶action des Européens, et d’abord à leur réflexion.
◀Les▶ concepts ◀d’▶union et ◀de▶ liberté ne s’appellent pas l’un l’autre et paraissent même s’exclure dans ◀la▶ mesure où toute union implique quelque limitation ◀de▶ ◀la▶ liberté des éléments qu’elle lie. Mais dans ◀la▶ réalité historique, union et liberté se sont trouvées généralement alliées ou en interaction ◀de▶ fait, quoique ◀de▶ deux manières très différentes :
a) des personnes ou des communautés trop faibles pour se défendre isolément nouent certains liens, calculés et spécifiés ◀de▶ telle sorte qu’ils créent ◀la▶ quantité ◀de▶ force nécessaire à ◀la▶ défense commune sans supprimer pour autant ◀les▶ caractéristiques individuelles, qu’il s’agit justement ◀de▶ défendre : association, fédération.
b) des personnes ou des communautés trop faibles pour imposer isolément leur volonté conçoivent et réalisent un plan ◀d’▶action unifiée et unifiante, visant à ◀la▶ puissance collective, et auquel d’autres personnes ou communautés se soumettent ou se voient soumises quitte à perdre certaines ◀de▶ leurs caractéristiques individuelles : ordre militaire, parti unique, nation.
Dans le premier cas, ◀l’▶union a pour fin ◀de▶ favoriser ◀la▶ liberté ◀d’▶action ◀de▶ chacun des constituants : ils ◀la▶ concluent donc librement.
Dans le second cas, ◀l’▶union a pour fin ◀de▶ favoriser ◀la▶ liberté ◀d’▶action ◀de▶ ◀l’▶ensemble constitué : elle ne peut donc être conclue qu’aux dépens d’une part importante ◀de▶ ◀la▶ liberté des constituants. Cette part ◀de▶ liberté est sacrifiée librement par une élite au profit du groupe initiateur, mais par ◀la▶ suite, ◀la▶ masse des autres individus et tous ◀les▶ autres groupes se voient unifiés ◀de▶ gré ou ◀de▶ force.
Rappelons d’abord dans quelle mesure ces deux types ◀d’▶union politique ont été préconisés et ont donné lieu à des réalisations plus ou moins consistantes et durables à ◀l’▶échelle régionale et nationale, puis à ◀l’▶échelle européenne, au cours du dernier millénaire.
Naissance ◀de▶ ◀l’▶idée ◀d’▶union fédérale ◀de▶ ◀l’▶Europe
◀L’▶idée ◀d’▶union européenne est apparue dans ◀le▶ temps même où les premières nations (c’étaient ◀la▶ France et ◀l’▶Angleterre) commençaient à se constituer face à ◀l’▶empire cependant que ◀la▶ querelle ◀de▶ ◀l’▶empereur et du pape mettait en cause ◀le▶ principe même ◀de▶ ◀l’▶Unité. ◀Les▶ deux premiers projets ◀de▶ « restauration » (comme on disait) ◀d’▶une sorte ◀d’▶unité ou universalité supérieure aux intérêts des monarchies en formation sont ceux du légiste français Pierre Dubois (1306-1307) et du partisan politique Dante Alighieri (1308-1311). Et ils proposent l’un et l’autre ◀de▶ surmonter ◀le▶ risque ◀de▶ division qu’est en train de créer précisément ◀le▶ pouvoir même que servent leurs auteurs : on sait que ◀le▶ ◀De▶ Monarchia de Dante est écrit pour saluer ◀la▶ venue en Italie ◀de▶ ◀l’▶empereur Henri VII, tandis que ◀le▶ ◀De▶ recuperatione terre sancte ◀de▶ Pierre Dubois est dédié en partie à Édouard Ier d’Angleterre, en partie à Philippe le Bel.
Sous ◀l’▶effet des rivalités entre ◀les▶ gouvernants, en ◀l’▶absence ◀de▶ toute « juridiction plus ample et qui tienne ◀les▶ princes en son pouvoir », ◀le▶ genre humain devient, selon Dante, « un monstre aux multiples têtes » et qui « se perd en efforts contradictoires ». Il faut donc instituer une monarchie universelle, seule capable ◀d’▶assurer ◀la▶ paix du genre humain et ◀les▶ libertés des « nations, royaumes et villes », lesquelles, possédant des « qualités différentes […] doivent être dirigées par des lois différentes », mais orientées par une seule vue générale. Or, selon Dante, cette opération n’est possible qu’à un seul, sous peine de confusion dans ◀les▶ principes universels (◀De▶ Monarchia, I, 14).
◀Le▶ même problème est posé par Dubois : comment rassembler, discipliner et ordonner en vue de ◀la▶ paix en Europe et ◀de▶ ◀la▶ guerre sainte contre ◀l’▶islam, des princes qui se tiennent pour souverains absolus superiores in terris non recognoscentes ? Mais ◀la▶ solution proposée est bien différente. Au lieu d’exalter ◀l’▶utopie ◀d’▶un « monarque du monde » ou empereur idéal, ◀l’▶avocat du roi de France préconise simplement une « République chrétienne » ou confédération des royaumes, seigneuries et cités ◀de▶ ◀l’▶Europe, qui, tout en restant souverains, soumettent leurs différends à un tribunal ◀d’▶ecclésiastiques et ◀de▶ prudhommes, dument assermentés. Si l’une des parties refuse ◀la▶ sentence, on recourt à ◀l’▶arbitrage du pape. Si ◀l’▶opposition persiste, on applique des sanctions temporelles déportation des trouble-paix en Terre sainte (ils veulent se battre ? bien, que cela serve au moins ◀la▶ chrétienté !) ou blocus économique du pays récalcitrant. « Projet trop réaliste pour une époque qui ne ◀l’▶était guère », note avec raison Christian L. Lange.11
Au cours des siècles qui vont suivre, jusqu’au nôtre, ce n’est pas ◀la▶ vision du poète ni sa logique sublime, mais ◀l’▶empirisme sans vergogne ◀de▶ ◀l’▶avocat normand qui inspireront ◀les▶ innombrables plans visant à unir tous nos pays christianisés (ou même tous ◀les▶ pays connus jusque et y compris ◀la▶ Chine, ◀la▶ Tartarie, ◀l’▶Inde et ◀l’▶Afrique, comme ◀le▶ proposent ◀le▶ Nouveau Cynée d’Émeric Crucé, Guillaume Postel, et, dans plusieurs ◀de▶ ses lettres, Leibniz, qui a lu Crucé et s’en souvient).
Quelques idées générales sont communes à presque tous ces auteurs et à leurs plans redécouverts depuis peu.12
Tous ont en vue ◀la▶ paix ◀de▶ ◀l’▶Europe qu’il s’agit ◀d’▶obtenir sans sacrifier ◀les▶ autonomies locales ou nationales. Tous cherchent à surmonter nos divisions sans supprimer nos diversités, et proposent ◀d’▶instituer à cette fin un concile, ou un parlement, ou une diète ou un tribunal ◀d’▶arbitrage, donc une instance collégiale et non pas unitaire ; une autorité commune respectueuse des variétés existantes ◀de▶ régimes et ◀de▶ coutumes et qui ne prétende pas ◀les▶ uniformiser ; une confédération ou une fédération et non pas un super-État-nation ou un empire centralisé sur ◀le▶ modèle romain, qui sera mis en système par ◀les▶ jacobins et mis en œuvre par Napoléon.
Paix, garantie des droits civiques, pluralisme des régimes, union dans ◀la▶ diversité, collégialité des pouvoirs, libre adhésion au pacte des égaux, on retrouvera ces traits dans tous ◀les▶ plans et projets auxquels ◀les▶ crises européennes ont donné naissance, ◀de▶ Pierre Dubois à Coudenhove-Kalergi, ◀de▶ Podiebrad à Churchill, et ◀de▶ Crucé au Mouvement européen, en passant par Saint-Simon et Proudhon.
Mais ces plans et projets ont hélas un autre dénominateur commun : c’est qu’aucun ◀d’▶eux n’a passé dans ◀les▶ faits, où pourtant sa nécessité était inscrite et bien lisible. Refusés par ◀les▶ princes, souvent ridiculisés par ◀les▶ élites intellectuelles qui auraient dû ◀les▶ soutenir et ◀les▶ exalter en premier lieu (qu’on songe aux sarcasmes déversés par Voltaire et ses amis sur ◀le▶ Projet ◀de▶ paix perpétuelle ◀de▶ ◀l’▶abbé de Saint-Pierre), ou pire encore, étouffés et ignorés, ils n’ont exercé aucune action mesurable sur ◀le▶ cours des événements ◀de▶ leur temps, et ils n’ont guère influencé, plus tard, que ◀les▶ auteurs d’autres plans et projets, d’ailleurs destinés à subir ◀le▶ même sort, jusqu’après 1945 tout au moins.
Ils n’en attestent pas moins ◀l’▶existence et ◀le▶ progrès ◀d’▶une forme ◀de▶ pensée spécifiquement européenne par ses sources et ses parentés, connexions et implications philosophiques, sociales et religieuses. Car il est typiquement européen ◀d’▶admettre que ◀l’▶unité et ◀la▶ diversité sont non seulement compatibles mais vitalement corrélatives, à la manière du corps et des organes. ◀Les▶ origines pauliniennes et patristiques (doctrines trinitaires, notamment) ◀de▶ cette conception ◀d’▶harmonie, non ◀d’▶unisson, et ◀d’▶équilibre vivant, non ◀de▶ géométries pesantes et figées, doivent être rappelées ici, de même qu’on attribuera principalement aux Grecs et aux Alexandrins ◀l’▶invention et ◀l’▶exaltation ◀de▶ ◀l’▶individu autonome, et aux Romains ◀le▶ culte des institutions unifiantes, — ◀l’▶individu et ◀la▶ collectivité figurant ◀les▶ deux termes ◀de▶ base ◀d’▶une dialectique qui est ◀le▶ ressort même ◀de▶ notre histoire européenne. Lorsque ces éléments ou termes ◀de▶ base sont séparés, isolés l’un ◀de▶ l’autre, et que l’un triomphe intégralement ◀de▶ l’autre, nous avons « ◀l’▶individualisme atomisant » ou ◀le▶ « collectivisme totalitaire ». Lorsqu’ils sont en revanche mis en tension, comme deux pôles électriques, ils se modifient du même coup : ◀l’▶individu devient personne, ◀la▶ collectivité devient communauté, et leur équilibre dynamique se nomme alors fédération. (Dans d’autres ordres que celui du politique, on parlera ◀de▶ mariage, ◀d’▶harmonie des sons, ◀de▶ couleurs complémentaires, etc.)
On déduira ◀de▶ ces considérations qu’une union ◀de▶ ◀l’▶Europe selon ◀la▶ formule fédéraliste serait particulièrement européenne non seulement dans ses fins, mais dans ses motivations, et par ses doctrines autant que par ses méthodes. On observera que ◀les▶ auteurs ◀de▶ plans ◀d’▶union fédéraliste ◀de▶ ◀l’▶Europe qu’on vient de citer (à ◀l’▶exception des deux derniers, au xx e siècle) se réclament tous du christianisme, ou au moins ◀de▶ son éthique communautaire. Enfin, ◀l’▶on constatera que ◀la▶ liberté et ◀la▶ paix sont ◀les▶ buts principaux qu’ils assignent à ◀l’▶union et qu’elle a pour fonction ◀de▶ garantir.
◀De▶ ◀l’▶union nationale à division continentale
À cette formule ◀d’▶union fédérale ◀de▶ ◀l’▶Europe, à la fois chrétienne et libertaire ou libérale, préconisée par ◀les▶ meilleurs esprits, mais qui n’a réussi jusqu’ici qu’à ◀l’▶échelle réduite ◀de▶ ◀la▶ Suisse, s’oppose ◀la▶ formule ◀d’▶union centralisée, uniforme et imposée par ◀la▶ contrainte, qu’illustrent quelques-uns des noms ◀les▶ plus fameux, mais non tous ◀les▶ plus respectables, ◀de▶ ◀l’▶histoire ◀de▶ ◀l’▶Europe : Louis XIV, Napoléon, Hitler.
« Une foi, une loi, un roi », disait-on sous Louis XIV pour justifier ◀la▶ révocation ◀de▶ ◀l’▶édit de Nantes. « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » dira trois siècles plus tard Hitler, dont ◀l’▶ambition était ◀d’▶unir tous ◀les▶ peuples européens sous ◀la▶ seule loi ◀de▶ son parti, tout comme Napoléon (et d’abord Bonaparte) avait rêvé ◀de▶ ◀le▶ faire au nom de ◀la▶ Révolution.
C’est ici ◀la▶ composante « romaine » ◀de▶ notre dialectique européenne qui tente ◀de▶ s’imposer seule et totalement, et ◀d’▶éliminer ◀la▶ composante « hellénique ». Elle récuse comme « réactionnaires » ou « traîtres » ceux qui préconisent un équilibre souple entre ◀les▶ forces divergentes du « corps social », données dans leur variété par ◀la▶ nature et par ◀l’▶histoire, ou formées par des rythmes ◀d’▶évolution différents. ◀La▶ société d’ailleurs n’est plus imaginée comme un corps, mais comme un mécanisme. ◀Les▶ groupes sociaux ne sont plus des organes assurant une fonction propre, mais doivent être réduits à ◀l’▶état substantiellement indifférencié ◀de▶ subdivisions territoriales, militaires, civiles, administratives définies par des cadres fixes, des chiffres et des règlements.
Il ne fait pas ◀de▶ doute que cette formule ◀d’▶union non plus dans ◀la▶ diversité, mais par ◀l’▶uniformisation, et non plus au profit des groupes composants, mais aux dépens de leur identité même, a sur ◀la▶ formule fédérale ◀l’▶avantage décisif ◀de▶ ◀la▶ simplicité. Elle est ◀d’▶une application facile dès qu’on dispose ◀de▶ ◀la▶ force (militaire, policière, financière ou électorale), tandis que ◀la▶ formule fédérale requiert un art et des talents, un génie ou au moins une longue patience que ne connaissent pas ou que méprisent ◀les▶ chefs ◀de▶ guerre et ◀les▶ « hommes forts » ou aventuriers et démagogues qui ont créé la plupart de nos nations. ◀La▶ formule ◀d’▶union nationale, unitaire, et centralisatrice n’a cessé ◀de▶ progresser, puis a triomphé en fait dans toute ◀l’▶Europe — sauf en Suisse — du xvii e jusque vers ◀le▶ milieu du xx e siècle.
Ses maximes lui ont été données par ◀les▶ penseurs politiques du xvi e siècle comme Jean Bodin, par Richelieu, par ◀les▶ ministres ◀de▶ Louis XIV, puis par ◀les▶ jacobins qui croyaient s’opposer à ◀l’▶ambition séculaire des rois ◀de▶ France, mais ◀la▶ réalisaient enfin avec une rigueur presque démente. Après ◀les▶ guerres napoléoniennes et ◀le▶ romantisme philosophique, un nouveau nationalisme apparaît : il ne cherche pas d’abord à organiser et centraliser ◀le▶ pouvoir absolu en vue de réduire ◀les▶ dissidences, mais au contraire à fomenter ◀l’▶élan créateur ◀d’▶une communauté populaire contre ◀les▶ « tyrans » au pouvoir (autochtones comme en France et en Allemagne en 1848, ou étrangers comme en Hongrie, en Pologne, en Italie). Vers ◀la▶ fin du siècle, cet élan populaire dit « nationalitaire » du temps ◀de▶ Mazzini, ◀de▶ Lamartine, ◀de▶ Mickiewicz, ◀de▶ Kossuth, et synonyme alors ◀de▶ liberté, ◀de▶ démocratie, ◀de▶ progrès, se voit capté par ◀les▶ pouvoirs étatiques (républicains ou monarchiques, nulle différence à cet égard). ◀Le▶ sentiment patriotique lui-même est « nationalisé » en attendant que ce soit ◀le▶ tour des grandes entreprises, des banques, puis ◀de▶ certaines sciences (◀la▶ physique atomique par exemple). Cette collusion du nationalisme classique et du nationalisme romantique, ◀de▶ ◀l’▶absolutisme et ◀de▶ ◀la▶ démocratie, va permettre ◀d’▶ajouter aux quelques vieilles nations ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀de▶ 1860 à 1919, une quinzaine ◀de▶ grandes, moyennes et petites unités étatiques plus ou moins inspirées du modèle français, fortement liées et uniformisées par une idéologie officielle inculquée dès ◀l’▶enfance par ◀l’▶École et imposée physiquement et visiblement par ◀l’▶Armée, l’une et l’autre universelles et gratuites mais obligatoires. Toutefois, dans ◀le▶ même temps qu’elle triomphe ◀de▶ ◀la▶ sorte à ◀l’▶échelle nationale, cette formule ◀d’▶union agit comme une formule ◀de▶ division à ◀l’▶échelle continentale.
◀La▶ résultante ◀d’▶une telle contradiction ne saurait être que ◀la▶ guerre : celle qui éclate en 1914 est ◀la▶ conséquence logique et pratique, rationnelle et affective, des passions collectives que, depuis ◀le▶ milieu du xix e siècle, nos États ont enseignées et organisées, et au nom desquelles ils ont cru pouvoir relever ◀la▶ prétention exorbitante des souverains absolus, c’est-à-dire superiores in terris non recognoscentes.
◀Le▶ totalitarisme fasciste et nazi, qui se manifeste peu après la Première Guerre mondiale et ◀la▶ révolution léniniste, ne fait guère que tirer ◀les▶ conséquences extrêmes ◀d’▶un processus que ◀les▶ doctrinaires jacobins et Fichte (cf. Der geschlossene Handelsstaat) avaient tenté ◀de▶ justifier rationnellement aux yeux des élites bourgeoises, mais que Napoléon et Bismarck avaient illustré ◀d’▶une manière plus convaincante aux yeux des masses13.
On déduira ◀de▶ ces considérations que ◀la▶ formule ◀d’▶union nationale, quoique opposée point par point à ◀la▶ formule fédérale (dont nous disions plus haut qu’elle était spécifiquement européenne dans ses fins, ses motifs et ses méthodes), est celle qui a représenté, aux yeux des autres peuples ◀de▶ ◀la▶ terre, ◀l’▶Europe réelle et historique, ◀de▶ Napoléon jusqu’à ◀la▶ Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire durant ◀l’▶ère impérialiste et colonialiste proprement dite.
◀La▶ liste des ancêtres du fédéralisme telle que nous ◀la▶ dressions tout à ◀l’▶heure, est une liste ◀de▶ grands esprits qui ont tous échoué à faire passer leur idéal dans ◀la▶ pratique. En revanche, ◀la▶ liste des fondateurs ◀de▶ nations de plus en plus impérialistes et belliqueuses, donc divisives ◀de▶ ◀l’▶Europe, n’est autre que ◀la▶ liste des plus grands souverains, capitaines ou meneurs ◀de▶ peuples qu’exaltent ◀l’▶histoire officielle et ◀les▶ manuels scolaires ◀de▶ nos pays. ◀La▶ mode démocratique veut qu’on loue ces hommes en tant que héros nationaux, et comme ◀le▶ xix e siècle a établi ◀l’▶équation fausse nation = liberté, ◀l’▶homme moyen ◀d’▶aujourd’hui se figure que pour défendre son « indépendance nationale » il peut et doit même accepter ◀les▶ mesures politiques ◀les▶ plus immorales dès qu’elles s’autorisent ◀de▶ ces modèles vénérés, ou officiellement vénérables.
En toute vérité objective, ◀la▶ liberté ◀la▶ plus indiscutable que ces grands hommes aient établie et garantie, c’était ◀la▶ liberté ◀de▶ leur peuple ou ◀de▶ leur nation, ou pour parler ◀d’▶une manière réaliste (non romantique), ◀la▶ liberté ◀d’▶action ◀de▶ leur État. Or ◀la▶ « liberté » des États est ◀de▶ celles que réclament ◀les▶ gangsters, non ◀les▶ honnêtes citoyens, et c’est même aux dépens de ces derniers qu’elle est généralement acquise. ◀La▶ liberté ◀de▶ ◀l’▶État-nation X ou Y en Europe, c’est son « droit » ◀d’▶être seul juge ◀de▶ ses droits, ◀de▶ résilier tout contrat ou alliance qui cesserait ◀de▶ servir ses intérêts, ◀de▶ ridiculiser tout arbitrage, ◀de▶ refuser toute limitation ◀de▶ son agressivité concurrentielle, tout sacrifice à une cause commune, qu’il est toujours facile ◀de▶ tourner en dérision au nom du « réalisme », c’est-à-dire des intérêts particuliers ◀de▶ ◀l’▶État X ou Y. ◀La▶ liberté totale ◀de▶ chaque État-nation, nommée « indépendance » ou « souveraineté », ne serait, si elle existait vraiment telle qu’on ◀l’▶invoque ou ◀la▶ revendique, qu’une révoltante illustration ◀de▶ ◀la▶ devise qu’Albert de Mun proposait ironiquement aux tenants ◀d’▶un libéralisme économique sans frein : « ◀Le▶ renard libre dans ◀le▶ poulailler libre ».
◀La▶ formule fédéraliste et ◀la▶ formule nationale contrastées
◀L’▶histoire politique ◀de▶ ◀l’▶Europe nous met donc en présence de deux conceptions parfaitement antithétiques ◀de▶ ◀l’▶union, ◀de▶ ◀l’▶existence en commun et ◀de▶ ◀la▶ méthode pour unir ◀les▶ hommes en communautés puis pour unir ces communautés.
◀La▶ formule fédéraliste est celle ◀d’▶une composition organique des réseaux ◀de▶ relations qui se nouent entre ◀les▶ personnes pour former des groupes, entre ◀les▶ familles pour former des communes, entre ces cellules ◀de▶ base pour former des régions, des pays, des États, puis entre ces États pour former des communautés continentales sur quoi bâtir enfin ◀l’▶ordre mondial.
◀La▶ formule nationaliste part ◀d’▶un pouvoir qui s’est posé par ◀la▶ force (pouvoir personnel ou collectif, roi ou parti) et qui entend imposer d’abord, au-dessous de lui, ◀l’▶unification des régions et des groupes, voire des esprits, ensuite, face à ◀l’▶étranger, sa souveraineté, laquelle n’est limitée qu’en fait, par ◀la▶ seule force nécessairement antagoniste des autres souverainetés.
En cette seconde moitié du xx e siècle, ◀les▶ Européens se voient contraints au choix entre ces deux formules. Ils doivent s’unir pour éviter ◀d’▶être satellisés l’un après l’autre par l’un ou l’autre des deux Grands, ils ont à décider ◀de▶ ◀la▶ formule ◀d’▶union ◀la▶ plus conforme à ◀la▶ fin qu’ils se seront assignée : ◀la▶ puissance ou ◀la▶ liberté, en d’autres termes : ◀la▶ domination sur ◀les▶ autres ou sur eux-mêmes.
Or ils ne paraissent pas avoir compris ◀l’▶enjeu, et ◀la▶ nature exacte des deux termes ◀de▶ ◀l’▶alternative. J’en veux pour preuve ◀la▶ conférence de presse donnée ◀le▶ 9 septembre 1965 par ◀le▶ général de Gaulle. Ce chef d’État, auquel on ne saurait reprocher ◀de▶ manquer du sens ◀de▶ ses responsabilités, et ◀de▶ n’avoir pas mesuré ◀les▶ risques ◀de▶ ses déclarations au sujet de ◀l’▶Europe, exalte ◀les▶ souverainetés nationales et moque ◀l’▶idée
◀d’▶une fédération européenne dans laquelle, suivant ◀les▶ rêves ◀de▶ ceux qui ◀l’▶ont conçue, ◀les▶ pays perdraient leur personnalité nationale, et où d’ailleurs, faute ◀d’▶un fédérateur tel qu’à ◀l’▶Ouest tentèrent ◀de▶ ◀l’▶être — chacun à sa façon — César et ses successeurs, Othon, Charles-Quint, Napoléon, Hitler, et tel qu’à ◀l’▶Est s’y essaya Staline, serait régie par quelque aréopage technocratique, apatride et irresponsable. On sait que ◀la▶ France oppose à ce projet contraire à toute réalité ◀le▶ plan ◀d’▶une coopération organisée des États… Seul ce plan lui paraît conforme à ce que sont effectivement ◀les▶ nations ◀de▶ notre continent.
Ce texte est important en ce sens qu’il démontre qu’un des Européens ◀les▶ plus conscients ◀de▶ son rôle devant ◀l’▶Histoire, ignore ◀le▶ vrai sens du fédéralisme, écarte donc par erreur cette solution, et se conduit comme si ◀les▶ professeurs ◀d’▶histoire qui enseignaient au degré secondaire autour des années 1900 avaient eu raison, lorsqu’ils préparaient ◀de▶ leur mieux ◀les▶ esprits à ◀la▶ mise à mort officiellement glorieuse ◀de▶ 11 millions ◀d’▶Européens, entre 1914 et 1918, pour des fins ◀de▶ « grandeur nationale » aussi mal définie qu’inatteintes. Il est clair pourtant que c’est dans une Europe unitaire, formée précisément sur ◀le▶ modèle ◀de▶ ◀l’▶unité nationale française, chère à de Gaulle, que ◀les▶ pays « perdraient leur personnalité » comme ◀les▶ provinces ◀l’▶ont perdue en France, et qu’au contraire, c’est ◀le▶ fédéralisme qui entend respecter cette personnalité. Il est clair aussi que ◀les▶ prétendus « fédérateurs » dont de Gaulle note ◀l’▶absence dans un contexte qui peut donner à croire que c’est un mal — César, Napoléon, Hitler, Staline — ont été en réalité des dictateurs et unificateurs radicalement hostiles à toute formule fédéraliste. ◀Les▶ fédérations existantes ◀les▶ plus typiques — États-Unis, Suisse — ne sont pas nées des œuvres ◀d’▶un « fédérateur », mais au contraire de ◀la▶ libre volonté des peuples qui ◀les▶ constituèrent, et contre toute hégémonie même virtuelle.
Toutefois, ◀l’▶erreur sur ◀le▶ fédéralisme, ici commise, n’entraîne pas automatiquement que ◀le▶ jugement gaullien sur « ce que sont effectivement ◀les▶ nations ◀de▶ notre continent » soit erroné.
On a trop vite fait, trop souvent, dans ◀les▶ rangs des Européistes bruxellois et des fédéralistes militants, ◀de▶ déclarer que ◀la▶ formule nationale est dépassée, morte, enterrée. C’est prendre ses désirs pour des réalités, et c’est aussi ne pas rendre justice à ◀la▶ fécondité du mythe Nation dans ◀l’▶histoire des Européens ◀de▶ ◀l’▶ère moderne.
◀Le▶ nationalisme idéologique des révolutionnaires européens, jacobins, mazziniens, voire bolchéviques, retrouve sa virulence et son efficacité dans ◀les▶ pays neufs du tiers-monde. Il n’est pas lié à une patrie d’abord, mais à une novation sociale et politique que ◀l’▶on proclame valable pour tout ◀le▶ genre humain. C’est un cri ◀de▶ guerre, littéralement, mais ◀de▶ guerre sociale. ◀Le▶ « Vive ◀la▶ Nation ! » poussé par ◀les▶ troupes françaises à Valmy ne signifiait pas d’abord « Vive ◀la▶ France ! », mais bien « Vive ◀la▶ liberté, vive ◀la▶ révolution ! ». De même, ◀le▶ mot d’ordre « ◀Les▶ Soviets partout ! » qui fut populaire dans ◀les▶ manifestations communistes en France ou en Italie après la Première Guerre mondiale, signifiait « Vive ◀le▶ communisme ! » et non pas « Vive ◀la▶ Russie ! ». Ainsi ◀le▶ nationalisme dans ◀le▶ tiers-monde, est-il d’abord affirmation ◀d’▶anti-occidentalisme, ◀de▶ « socialisme », c’est-à-dire ◀de▶ droits civiques et économiques, et seulement en dernier lieu ◀de▶ chauvinisme ou ◀d’▶orgueil national.
Mais en Europe, ◀le▶ nationalisme idéologique, par ◀le▶ mouvement naturel ◀de▶ sa polémique, est rapidement devenu missionnaire, donc impérialiste, et cela donne au xix e siècle ◀le▶ colonialisme ; puis il a dégénéré en chauvinisme, et cela donne ◀les▶ rivalités souvent absurdes des « puissances européennes » et la Première Guerre mondiale.
Tout n’a pas été mauvais, loin de là, dans ◀le▶ colonialisme conduit par ◀les▶ nations ◀de▶ ◀l’▶Europe, Russie incluse. D’autre part, il demeure incontestable que ◀l’▶homme ◀de▶ tous ◀les▶ continents et ◀de▶ toutes ◀les▶ époques ◀de▶ ◀l’▶histoire réagit d’abord et très généralement, parfois principalement, comme ◀l’▶homme ◀d’▶une tribu, ◀d’▶une race, ◀d’▶une région, ◀d’▶une fraternité jurée, fût-elle ◀le▶ Ku Klux Klan, ◀la▶ Mafia, ou plus innocemment un club, une équipe sportive, un gang ◀d’▶élèves.
Il serait donc ridicule ◀de▶ ne pas tenir compte ◀de▶ ces réalités nationales, dont ◀le▶ tort des nationalistes ◀d’▶ancienne école est ◀de▶ tenir compte exclusivement, sans nul espoir et nul désir ◀d’▶une modification prochaine, « ◀les▶ choses étant ce qu’elles sont », ainsi que de Gaulle aime à ◀le▶ dire. Or, ◀les▶ choses ne changent pas si ◀l’▶homme n’intervient pas.
◀La▶ formule nationale ne serait ni fausse ni rejetable en soi, et un philosophe ◀de▶ ◀la▶ politique n’aurait aucune raison ◀de▶ ◀la▶ juger mal, si ◀l’▶analyse ◀de▶ ◀la▶ conjoncture présente ne révélait très vite et, je ◀le▶ crains, sans possibilité sérieuse ◀de▶ discussion, que cette formule nationale :
1. conduit pratiquement à l’épreuve de force, et ◀l’▶humanité ne peut plus se permettre ce type ◀de▶ « solution », depuis ◀l’▶invention ◀de▶ ◀la▶ Bombe H ;
2. autorise ◀la▶ suppression des libertés ◀d’▶opposition et ◀d’▶expression publique, pour peu que « ◀l’▶intérêt national » soit invoqué ;
3. empêche toute espèce ◀d’▶union européenne parce qu’elle permet ◀de▶ récuser comme « idéaliste » tout ce qui gêne ◀les▶ intérêts particuliers, nationaux ou privés, et qu’elle introduit dans ◀la▶ vie et ◀les▶ relations internationales un élément faussement sacré qui coupe court à toute discussion raisonnable ou arbitrage ;
4. se révèle ◀de▶ moins en moins capable ◀d’▶administrer réellement et non pas seulement selon ◀le▶ formalisme juridique, ◀les▶ réalités de plus en plus complexes ◀de▶ ◀l’▶existence socio-économique ◀d’▶aujourd’hui. Dans ◀les▶ domaines ◀les▶ plus divers : militaire ou scientifique, culturel ou économique, ◀le▶ régime centralisé ◀d’▶un pays comme ◀la▶ France est débordé, dépassé, non payant, en cette seconde moitié du xx e siècle ;
5. favorise, après ◀l’▶avoir initiée et entretenue dans ◀les▶ élites ◀d’▶outre-mer éduquées en Occident, ◀la▶ révolte du tiers-monde contre ◀l’▶idée que ◀l’▶on s’y fait ◀de▶ ◀l’▶Occident.
Ce n’est donc pas une caricature du nationalisme que ◀l’▶on se permettrait ici ◀de▶ condamner, mais on est contraint ◀de▶ reconnaître que ◀la▶ formule ◀d’▶union nationale n’est plus à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀l’▶Europe et du monde en cette fin du xx e siècle, et ne correspond pas aux exigences ◀de▶ ◀la▶ société industrielle, dont ◀les▶ complexités requièrent des instruments mille fois plus subtils et précis.
◀D’▶où ◀la▶ nécessité qu’éprouvent ◀les▶ meilleurs esprits ◀de▶ ce temps — politiciens parfois, mais plus souvent « technocrates » et « philosophes », ou encore jeunes industriels — ◀de▶ se tourner vers l’autre formule ◀d’▶union, ◀la▶ fédéraliste ; quitte à ◀la▶ transformer et à ◀l’▶adapter — comme elle s’y prête mieux que tout autre — aux conditions nouvelles ◀de▶ ◀l’▶industrie, ◀de▶ ◀la▶ technique, et ◀de▶ ◀la▶ société mobile qui est ◀la▶ nôtre — en attendant que ◀l’▶on prenne au sérieux, au-delà ◀de▶ ◀la▶ statistique, ◀les▶ buts purement humains, ou disons culturels, ◀de▶ ◀l’▶homme personnel et concret.
◀Le▶ modèle fédéraliste, contribution ◀de▶ ◀l’▶Europe au « développement »
C’est en définitive sur ◀les▶ sens différents du mot liberté que devront s’opérer ◀les▶ choix politiques nécessaires si ◀l’▶on entend unir ◀les▶ peuples ◀de▶ ◀l’▶Europe en connaissance de cause, ou plus exactement, en connaissance des buts derniers que ◀l’▶on vise. Tout se ramène à savoir si ◀l’▶on mettra ◀l’▶accent sur ◀la▶ notion ◀de▶ libertés personnelles ou sur ◀la▶ notion ◀de▶ liberté collective, la première ayant pour fin ◀la▶ sauvegarde des autonomies et pour moyen ◀l’▶union fédérale dans ◀la▶ paix, la seconde ayant pour fin ◀la▶ puissance et pour moyens ◀l’▶unification ◀de▶ type national et ◀la▶ force militaire ou policière.
Par libertés personnelles j’entends ◀l’▶ensemble des conditions institutionnelles et constitutionnelles, mais aussi économiques, psychologiques, éducatives, qui donnent à un nombre sans cesse croissant ◀d’▶individus ◀les▶ meilleures chances ◀de▶ découvrir et ◀de▶ suivre leur vocation, ◀de▶ devenir une personne, ◀de▶ trouver leur style ◀de▶ vie, ◀de▶ s’intégrer aux groupes qui y correspondent ◀le▶ mieux, et ◀de▶ conformer leur conduite aux buts derniers qu’ils s’assignent ou qu’ils reconnaissent à leur vie.
Par liberté collective, j’entends tout ce que ◀l’▶on a nommé en Europe, depuis ◀le▶ Moyen Âge, d’abord souveraineté, puis indépendance nationale, enfin droit des peuples à disposer ◀d’▶eux-mêmes ou autodétermination.
Quand ◀les▶ fédéralistes demandent que ◀l’▶Europe s’unisse, ce n’est certes pas pour que nos plus petites nations se voient entraînées dans une tentative menée par ◀les▶ plus grandes ◀de▶ reprendre ◀l’▶hégémonie mondiale qu’elles exercèrent (en dépit de leurs rivalités) pendant quatre siècles, ni pour « lutter contre ◀le▶ communisme », ni même pour « rattraper ◀l’▶Amérique » selon ◀le▶ slogan soviétique ; mais bien pour surmonter ◀les▶ causes principales des guerres et des révolutions qui n’ont cessé ◀de▶ rendre ◀l’▶appareil étatique toujours plus oppressif, et pour qu’à ◀la▶ faveur ◀de▶ ◀la▶ paix, dans ◀la▶ coopération qu’elle seule permet entre personnes et groupes ◀de▶ tous ordres, ◀les▶ libertés réelles trouvent leurs meilleures chances ◀de▶ ◀l’▶épanouir. Accessoirement d’ailleurs, cette union fédérale serait en mesure — et elle seule — ◀d’▶assurer ◀l’▶indépendance des Européens et leur liberté collective face aux empires américain et soviétique.
◀Les▶ fédéralistes authentiques se reconnaissent donc à ceci qu’ils ne posent pas pour préalable à ◀l’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe ◀l’▶institution ◀d’▶un super-État, c’est-à-dire ◀d’▶un gouvernement appuyé sur une armée et sur un puissant appareil économique et financier, mais demandent que ◀l’▶on crée d’abord, partout où ◀le▶ besoin s’en manifeste, des agences fédérales, à compétences précises dans des domaines bien définis ; que ces agences soient bien articulées et coopèrent dans une vue générale, c’est-à-dire proprement politique, dont auraient à délibérer des conseils élus par ◀les▶ peuples, groupements professionnels, régions, États, et qu’auraient à exécuter des commissions très stables et supranationales (comme celle ◀de▶ ◀la▶ CEE).
Ainsi ◀l’▶on éviterait d’une part ◀de▶ réchauffer ◀l’▶ambition ◀de▶ puissance sur ◀l’▶Europe et ◀le▶ Monde qui fut celle ◀de▶ quelques souverains et dictateurs, mais ◀de▶ bien plus nombreux cabinets ◀de▶ ministres puis ◀de▶ trusts et ◀de▶ conseils ◀d’▶administration ; et d’autre part, ◀d’▶entretenir ◀le▶ principe même ◀de▶ division ◀de▶ ◀l’▶unité européenne, j’entends ◀la▶ prétention hégémonique qui fut celle ◀de▶ tous ◀les▶ soi-disant « fédérateurs », en réalité dévastateurs et diviseurs ◀de▶ nos peuples.
◀La▶ méthode du fédéralisme fonctionnel, par secteurs bien délimités et bien reliés, doit aboutir peut-être un jour, mais pas nécessairement, et sûrement pas tout de suite, à une formule nouvelle ◀de▶ gouvernement, plus complexe à la fois et mieux coordonnée que ne ◀le▶ sont nos cabinets à ◀la▶ mode du siècle dernier, avec leurs ministères dont ◀les▶ noms mêmes rappellent ◀l’▶époque absolutiste, avec leurs divisions scolastiques du travail (deux ou trois siècles en retard sur ◀les▶ problèmes à résoudre), et avec leurs méthodes ◀d’▶un formalisme toujours inefficace et souvent imbécile, qu’il s’agisse ◀de▶ censure, ◀de▶ défense militaire ou ◀de▶ finances.
C’est ce modèle ◀d’▶union fédéraliste dans et pour ◀la▶ liberté, modèle au sens ◀de▶ maquette, non ◀d’▶exemple, que ◀l’▶Europe se doit ◀de▶ mettre au point, pour elle-même d’abord, cela s’entend, pour sa paix, sa prospérité et ◀les▶ libertés que j’ai dites, qui sont personnelles d’abord, mais ensuite, et non moins, pour ◀le▶ tiers-monde. Qui sait si ce ne sera pas là notre contribution ◀la▶ plus féconde au développement ◀de▶ ◀l’▶humanité en voie ◀de▶ convergence inévitable ?
Au-delà des nations qui doivent bien s’avouer pratiquement incapables ◀d’▶autarcie, c’est-à-dire ◀de▶ concrète indépendance économique, politique ou culturelle ; au-delà des formules totalitaires que bientôt ne défendront plus que quelques professeurs marxistes, en France, en Angleterre ou aux États-Unis ; au-delà des calculs ◀de▶ technocrates politiciens qui sont parfois tentés ◀de▶ juger gratuite et littéraire toute considération sur ◀les▶ buts derniers ◀de▶ ◀l’▶existence humaine, — il faut envisager que ◀le▶ seul modèle ◀d’▶organisation politique qui puisse servir demain ◀le▶ genre humain sera ◀le▶ modèle fédéraliste, dépassement ◀de▶ ◀la▶ formule nationale et du concept non moins occidental ◀d’▶État, que tous copient aujourd’hui dans ◀le▶ tiers-monde, mais qui feront vite leur temps là-bas aussi, ou ne conduiront qu’à des guerres.
◀Le▶ modèle ◀d’▶union en vue de ◀la▶ puissance, ◀l’▶État-nation, n’a réussi à s’imposer qu’au prix que ◀l’▶on sait : deux guerres mondiales, ◀l’▶anarchie du tiers-monde, et finalement ◀l’▶effondrement ◀de▶ ◀la▶ puissance des Européens. Essayons ◀le▶ modèle fédéraliste, qui est celui ◀de▶ ◀l’▶union librement consentie des groupes, des cités, des États, en vue de ◀la▶ seule liberté véritable, celle des personnes.