Les▶ résistances mentales à ◀l’▶Europe des régions (avril 1969)ak
I. ◀Les▶ objections courantes
Depuis 1963, date du premier essai quelque peu développé dans lequel — revenant d’ailleurs aux positions de l’Ordre nouveau trente ans plus tôt — je préconisais une organisation fédérale de ◀l’▶Europe basée sur ◀les▶ régions et non sur ◀les▶ États-nations47, j’ai été amené à relever et à classer ◀les▶ objections ◀les▶ plus fréquentes à ◀l’▶entreprise qui fait ◀l’▶objet de ◀la▶ présente publication.
Je note d’abord que ◀le▶ terme de difficulté est souvent plus exact que celui d’objection. Dans la plupart des cas, ◀la▶ résistance ne provient pas d’un refus motivé de nos positions régionalistes, mais d’un ensemble de réflexes conditionnés par un siècle et demi d’éducation stato-nationaliste gratuite et obligatoire : uniformisation et mise au pas des corps par ◀la▶ discipline militaire, des esprits par ◀les▶ manuels scolaires, des curiosités par ◀la▶ presse à grand tirage et ses agences officieuses, des émotions par ◀l’▶éloquence patriotique, enfin du sentiment religieux par ◀le▶ culte du Soldat inconnu et ◀la▶ sacralisation des bornes-frontières.
Distinguons quatre groupes parmi ◀les▶ « difficultés » que ◀l’▶on oppose au concept de région et aux projets fondés sur lui.
Objections mythologiques ou prospectives
Vous allez contre ◀le▶ mouvement de ◀l’▶Histoire, selon lequel ◀la▶ nation est ◀le▶ Progrès.
◀La▶ région est une nostalgie réactionnaire. ◀Le▶ progrès et ◀l’▶efficacité, au xxe siècle, exigent des ensembles plus centralisés ou intégrés.
◀L’▶État-nation demeurera longtemps encore ◀le▶ principal foyer de fidélité, particulièrement pour ◀les▶ peuples récemment émancipés et économiquement arriérés. (Z. Brzezinski)48
(Principes d’une réponse : ◀Les▶ hypothèses prospectives, formées par extrapolation du passé ou du présent, sont toutes à ◀la▶ merci d’une équation nouvelle, d’une action aujourd’hui encore impondérable, d’une volonté qui peut surgir demain, posant un but nouveau et créant ses moyens. Si ◀l’▶on ne déclare pas ce qu’on veut, il n’est pas très intéressant de chercher à deviner ce qui sera : « ◀l’▶objectivité scientifique » dissimulant une démission civique rend ◀le▶ pire de plus en plus sûr.)
Objections tactiques
Comme s’il n’était déjà pas assez difficile de faire ◀l’▶Europe avec ◀les▶ Six, et d’ajouter ◀les▶ Sept aux Six ! Vous risquez de tout saboter en compliquant ◀le▶ problème avec votre utopie !
On ne peut passer sans transition des nations souveraines aux régions fédérées. Cela prendra des décennies. Ce qui est urgent, c’est ◀le▶ prix du lait et ◀le▶ taux d’accroissement de ◀la▶ productivité industrielle.
(Principes d’une réponse : a) N’est-il pas justement trop difficile de faire ◀l’▶Europe politique sur ◀la▶ base des États-nations ? Pour quelles raisons ne ◀l’▶a-t-on pas encore faite ?
b) ◀Le▶ seul projet de fédération qui ait réussi en Europe, ◀la▶ Suisse, a été conçu, formé et accouché en neuf mois exactement, du 17 février au 16 novembre 1848, et il est entré en vigueur à cette dernière date sans ◀la▶ moindre mesure de transition. (Suppression instantanée des péages entre vingt-cinq États et installation d’un cordon douanier commun, par exemple.) Il n’y a qu’une transition du projet au succès : c’est ◀l’▶acte créateur, ou révolution, procédant d’une vision claire et d’une volonté sincère de réalisation.)
Résistances conditionnées par ◀l’▶éducation stato-nationaliste
◀Les▶ nations sont immortelles (François Mauriac), tandis que ◀les▶ régions sont encore à naître.
◀Les▶ gens n’en veulent pas, de vos régions autonomes. Ils préfèrent mendier des subventions à Paris. Voyez ◀les▶ Bretons, qui votent gaulliste.
◀Les▶ conflits entre ◀les▶ régions seront forcément plus nombreux et plus mesquins que ◀les▶ conflits entre nos nations.
(Ces étourderies et boutades ne sont guère passibles d’une réfutation.)
Résistances conditionnées par nos habitudes visuelles et ◀les▶ atlas scolaires (une couleur par pays)
Comment allez-vous découper vos régions ?
Quelles seront leurs frontières exactes ?
Faut-il qu’elles aient des superficies ou des populations à peu près égales ? ◀La▶ région de Paris, avec ses 9 ou 10 millions d’habitants, est plus petite que ◀le▶ Limousin, qui n’a que 0,7 million d’habitants. Ça ne se tient pas !
◀La▶ Bretagne n’est pas une entité économique viable. Et qui parle breton à Rennes ?
◀Les▶ ethnies et ◀les▶ économies ne coïncident presque jamais.
(Chose étrange, c’est ce dernier groupe d’objections ou difficultés qui est ◀la▶ cause principale de ◀l’▶ajournement des solutions régionalistes, c’est-à-dire de ◀l’▶incertitude ou insécurité intellectuelle qui caractérise la plupart des projets d’Europe fédérale, dès qu’on aborde ◀le▶ problème de leur structure politique. C’est donc ce dernier groupe d’arguments que ◀l’▶on va tenter d’analyser.)
II. Que ◀la▶ région ne doit pas être conçue comme un État-notion en réduction
Presque tous ◀les▶ difficultés, obscurités, incertitudes, blocages mentaux, qu’éprouve un homme de cette seconde moitié du xxe siècle à concevoir une Europe des régions, proviennent du « modèle » que ◀l’▶École (aux trois degrés) a imposé depuis un siècle au moins. ◀L’▶homme d’aujourd’hui, formé par ◀les▶ manuels, croit, sans ◀la▶ moindre discussion, une série de propositions axiomatiques de ce genre :
— ◀L’▶État doit être unique et indivisible.
— De son siège dans ◀la▶ capitale, il régit souverainement toute ◀l’▶existence publique de ◀la▶ nation, c’est-à-dire de ◀l’▶ensemble des hommes vivant à ◀l’▶intérieur d’un territoire délimité par ◀les▶ hasards des guerres et ◀les▶ calculs des arpenteurs.
— Tout ce qui relève du domaine public (économie, politique, enseignement, fiscalité, défense, tourisme, etc.) doit dépendre d’un seul et même organisme, ◀l’▶État, dans ◀les▶ limites d’un seul et même territoire sur lequel cet État se déclare souverain.
— Cette superposition forcée de réalités radicalement hétérogènes constitue ◀l’▶unité nationale, terme absolu de toute histoire d’un peuple digne de ce nom. Ayant « fait son unité » (comme on fait sa puberté), il devient une « nation immortelle » et ◀l’▶État qui agit en son nom dispose de ◀la▶ vie et de ◀la▶ mort de ses membres, plus ou moins citoyens ou sujets, selon ◀les▶ régimes, mais toujours contribuables. ◀L’▶Église n’a plus ◀le▶ droit de brûler ses hérétiques, mais ◀l’▶État a ◀le▶ devoir de sévir contre ceux qui contestent l’un de ses dogmes (objecteurs de conscience, par exemple).
◀La▶ réduction proprement insensée de toutes ◀les▶ réalités humaines (spirituelles et physiques, culturelles et économiques) à une seule et unique surface géographique déclarée « sol sacré de ◀la▶ patrie » (et dont ◀le▶ « territoire » d’un chien fournit ◀le▶ modèle) correspond à quelque chose de fondamental chez ◀l’▶homme néolithique (nomade fixé au sol à partir du Xe millénaire avant notre ère). Au cours des siècles de ◀l’▶histoire moderne, ce sont ◀les▶ guerres qui ont servi de prétexte à ces concentrations forcées, c’est leur préparation, leur conduite et leurs suites qui ont notamment accrédité ◀l’▶idée que ◀l’▶économie est au service des desseins politiques d’un État et non de ◀la▶ prospérité de ses citoyens. Aujourd’hui, cette même réduction correspond à la seconde nature de ◀l’▶homme alphabétisé, caractérisé par ◀l’▶hypertrophie de ◀la▶ fonction visuelle et par ◀l’▶identification du « voir » et du « comprendre » qui s’en suit.
◀L’▶homme de ◀la▶ civilisation visuelle, de ◀l’▶imprimé, de ◀la▶ lecture des signes alignés, des plans, des cartes et des graphiques, ◀l’▶homme de ◀la▶ « Galaxie Gutenberg » si génialement décrite par McLuhan ne peut vraiment comprendre que ce qu’il voit. ◀L’▶expression « Faut-il vous faire un dessin ? » évoque ◀le▶ modèle même de toute explication propre à convaincre ◀le▶ pire des imbéciles dans ce monde-là.
Aux yeux de cet homme gutenbergien, que nous sommes tous, peu ou prou, et dans son système de représentation, ◀la▶ région ne saurait apparaître que sous ◀la▶ forme d’un mini-État centralisé, et d’une mini-nation régie par des bureaux concentrés dans une métropole régionale au lieu de ◀l’▶être dans une capitale.
◀Les▶ possibilités pratiques de participation du citoyen à ◀la▶ vie d’une région de ce type ne seraient pas d’un ordre essentiellement différent de ce qu’elles sont aujourd’hui. ◀La▶ vie communale — seule école efficace du civisme — ne serait pas nécessairement restaurée par ◀la▶ simple division d’un pays en vingt et une régions, par exemple, plutôt qu’en quatre-vingt-onze départements.
◀La▶ région en tant qu’État-nation réduit — c’est-à-dire gouvernée par un pouvoir unique et s’exerçant dans tous ◀les▶ domaines clés : ◀le▶ politique, ◀l’▶économique, ◀le▶ social et ◀le▶ culturel — aurait sans doute plus de chances de favoriser ◀l’▶inquisition administrative que d’accroître ◀les▶ libertés civiques. Elle ne serait à aucun titre un modèle neuf de relations humaines et de structure du pouvoir. Elle ne représenterait aucune révolution, au sens où j’ai toujours entendu ◀le▶ terme, qui ne signifie pas « tout casser » mais, au contraire, poser un nouvel ordre.
Voilà pourquoi cette région nous laisse froids, en tant que fédéralistes intégraux.
II n’en reste pas moins probable qu’elle va constituer le premier stade, non pas certes de l’ordre nouveau fédéraliste, mais de ◀la▶ dissociation inévitable, à plus ou moins brève échéance, des grands États-nations européens. (C’est un peu ce que ◀l’▶on voit se dessiner — encore un terme visuel ! — avec ◀l’▶essai de « régionalisation » de ◀la▶ France et de ◀l’▶Italie cette année même.)
Certaines raisons psychologiques s’ajoutent d’ailleurs au refus instinctif du saut qualitatif et révolutionnaire, pour favoriser cette évolution, ou plutôt cette dévolution du centralisme de ◀la▶ capitale au centralisme des métropoles de développement. ◀Le▶ pouvoir de sécuriser une population a de tout temps constitué ◀la▶ force principale d’un chef, roi, dictateur ou État républicain. Or ce pouvoir paraît mieux assuré, de nos jours, par ◀les▶ petits États que par ◀les▶ ex-puissances — et cela pour une série de raisons (pas seulement militaires) qu’il serait trop long de développer ici : qu’il suffise d’évoquer ◀la▶ sécurité suisse et ses motifs.
Mais ◀le▶ fédéralisme va plus loin, et conçoit d’autres types et modèles.
Essayons de ◀les▶ approcher en tenant compte des résistances décrites et des réflexes stato-nationalistes dont, je ◀le▶ répète, nul de nous n’est indemne.
III. De ◀la▶ pluralité des allégeances
Comment échapper aux réflexes unitaires conditionnés par cent ans d’école aux trois degrés, par tous ◀les▶ atlas, par toute ◀la▶ presse, par tous ◀les▶ garde-à-vous et saluts au drapeau, et par deux guerres mondiales des plus réussies (trente-huit-millions de morts en deux séances, l’une de quatre ans, la seconde de cinq), sans compter ◀la▶ paresse naturelle de notre esprit, qui cherche en tout et avant tout ◀la▶ réduction à ◀la▶ rassurante unité, ou au moins à ◀l’▶uniformité ?
C’est un problème d’éducation ou de recyclage qui va nous prendre au moins douze ans, si nous commençons tout de suite.
Il nous faut apprendre à penser par problèmes et non par nations. Devant un problème donné (urbanisme, participation civique, Université, par exemple), il nous faut apprendre :
1° à déterminer ◀les▶ éléments de base ou modules praticables en ce domaine (unité d’habitation, commune, région, groupe de recherches) et ◀les▶ moyens requis pour ◀les▶ constituer ;
2° à chercher ◀le▶ niveau de décision correspondant aux dimensions de ◀la▶ tâche considérée (niveau municipal, régional, national, continental ou mondial) ;
3° à admettre une pluralité d’appartenance ou d’allégeances, conforme à ◀la▶ pluralité des activités humaines, aux dimensions variées des tâches entreprises et des cadres sociaux qui leur offrent appui.
Qu’on me permette un exemple personnel, pour aller vite et rester dans ◀le▶ concret. Je suis neuchâtelois de naissance et de tradition : à ce canton va donc mon allégeance patriotique. Neuchâtel fait partie de ◀la▶ fédération suisse ; mon passeport et mon allégeance nationale sont donc suisses. Je suis aussi écrivain français : ◀la▶ francophonie européenne, c’est-à-dire ◀les▶ deux tiers de ◀la▶ France actuelle, ◀la▶ Wallonie, ◀le▶ Val d’Aoste et ◀la▶ Suisse romande, constitue donc mon allégeance culturelle. Mais je suis aussi protestant, ce qui représente une allégeance mondiale (ce serait pareil si j’étais communiste, ou catholique, évidemment). Et je fais partie d’un très grand nombre de réseaux de relations parentales, professionnelles, intellectuelles, spirituelles ou affectives, qui n’ont pas de frontières communes, et souvent pas de frontières du tout.
Si ◀l’▶on exigeait que tout cela soit unifié et uniformisé dans ◀les▶ limites géographiques d’un territoire délimité au mètre près par ◀les▶ hasards de ◀l’▶histoire, je crierais à ◀la▶ dictature totalitaire, c’est-à-dire que je crierais à ◀l’▶assassin, au gangster et au fou ! Voyez Hitler. Mais personne ne m’a démontré qu’entre ◀les▶ ambitions de Napoléon et celles d’un dictateur du xxe siècle il y ait d’autres différences que celles dues aux moyens techniques de mise au pas d’une nation. Et de Napoléon à tout État-nation contemporain, ◀la▶ continuité est indéniable…
Ce n’est pas que je récuse ◀l’▶État ni ◀l’▶ordre contractuel d’une société, avec ses cadres et ses mécanismes. Je demande seulement qu’il corresponde aux réalités humaines et qu’il ◀les▶ serve, au lieu de prétendre à ◀les▶ régir en souverain.
Je demande ◀la▶ division du phénomène État en autant de foyers, et sa répartition à autant de niveaux, qu’il y a de fonctions diverses dans ◀l’▶humanité et d’ordres de grandeur dans nos projets.
Je demande ◀la▶ dissociation et ◀la▶ répartition fédéraliste des pouvoirs aujourd’hui concentrés en un seul lieu, accaparés par ◀l’▶État national et qui ◀le▶ seront, demain, par ◀l’▶État régional.
IV. Vers une formule fédéraliste de ◀l’▶État
Dans une page essentielle de son Principe fédératif, où Proudhon estime qu’il « résume toute ◀la▶ science constitutionnelle », je trouve cette proposition :
Organiser en chaque État fédéré ◀le▶ gouvernement d’après ◀la▶ loi de séparation des organes ; — je veux dire : séparer dans ◀le▶ pouvoir tout ce qui peut être séparé, définir tout ce qui peut être défini, distribuer entre organes ou fonctionnaires différents tout ce qui aura été séparé et défini ; ne rien laisser dans ◀l’▶indivision.49
Proudhon entend réduire ◀les▶ attributions de ◀l’▶État (autorité centrale) « à un simple rôle d’initiative générale, de garantie mutuelle et de surveillance ». Et il estime puéril de restreindre ◀la▶ séparation des pouvoirs aux membres d’un cabinet :
Ce n’est pas seulement entre sept ou huit élus […] que doit être partagé ◀le▶ gouvernement d’un pays, c’est entre ◀les▶ provinces et ◀les▶ communes : faute de quoi ◀la▶ vie politique abandonne ◀les▶ extrémités pour ◀le▶ centre, et ◀le▶ marasme gagne ◀la▶ nation devenue hydrocéphale.
« Ne rien laisser dans ◀l’▶indivision » : grande maxime, qui conteste un monde : celui de ◀la▶ République une et indivisible des jacobins, de ◀l’▶Empire napoléonien qui ◀la▶ continue, et des totalitaires du xxe siècle qui ◀l’▶achèvent. Il ne s’agit donc, pour Proudhon, ni de décentraliser ni de déconcentrer (est-ce différent ?), ni de déléguer ◀les▶ pouvoirs de ◀l’▶autorité centrale. Mais très exactement de séparer, de diviser, de partager. Seulement, Proudhon s’en tient à un partage ou répartition du pouvoir entre ◀les▶ échelons géographiques : commune, province (région), fédérations restreintes, enfin fédération de fédérations (Europe).
Il faut aller plus loin.
1° ◀Les▶ pouvoirs politiques peuvent très bien adopter ◀la▶ structure proudhonienne, sans que soit pour autant décidée ◀la▶ structure des réseaux d’échange et groupes de production économiques, ni des institutions sociales et culturelles.
2° ◀Les▶ modules ou unités de base politiques et leurs structures ne sont pas, en principe, superposables aux modules ou unités de base économiques (ou culturelles) et à leurs structures propres : ◀les▶ uns et ◀les▶ autres se chevauchent, se recoupent différemment, sont parfois englobés l’un par l’autre. Il se peut que ◀les▶ régions politiques soient définies demain comme ◀les▶ intersections de « classes » de faits économiques, ethniques, sociaux et culturels d’aires différentes, définissant des régions spécifiques.
« Faut-il vous faire un dessin ? » Ce ne serait pas facile. Essayez de figurer, par exemple, ma définition personnelle, donnée plus haut. Il est assez facile de visualiser ◀l’▶appartenance d’un élément à deux ensembles (dans mon cas : « Suisse » et « francophonie »), mais si ◀l’▶on passe à trois ou quatre ensembles, c’est difficile ; au-delà, irréalisable. Et pourtant facile à comprendre, dans ◀le▶ concret de ◀l’▶existence.
Prenons ◀l’▶exemple ◀le▶ plus simple.
◀La▶ Regio basiliensis s’étend sur trois pays : Bâle et son hinterland en Suisse, ◀le▶ Haut-Rhin en France, et Land badois en République fédérale d’Allemagne. Rien au monde ne saurait empêcher ◀les▶ citoyens, habitant cette région économique, de continuer à se rattacher politiquement à l’une des trois nations dont ◀la▶ Regio est ◀le▶ carrefour ou ◀l’▶intersection50. ◀La▶ résistance qu’opposent certains esprits à concevoir cette liberté (ou variété) d’appartenance démontre une déficience ou un retard d’éducation démocratique. (« Ce qui n’est pas prescrit à tous, d’une manière uniforme, sans choix possible, n’est pas sérieux », pensent tous ◀les▶ jacobins, et ◀les▶ sous-offs dont ◀le▶ saint patron fut « ◀le▶ Petit Caporal ».)
V. Un programme d’études
◀Le▶ champ d’études régionaliste, que ces quelques remarques définissent, est à peine exploré, inutile de ◀le▶ dire.
a) Il faudrait commencer par opérer ◀les▶ dissociations nécessaires des pouvoirs de nature étatique.
b) Puis rechercher si ◀les▶ pouvoirs distincts, au terme de cette analyse, appellent ou non ◀la▶ coordination, sous quelles formes et dans quels domaines bien définis.
◀Le▶ Marché commun, par exemple, qui est un pouvoir économique, doit-il entretenir des visées politiques, ou laisser cela à des organes diversifiés fédérant des régions politiques, ou ethniques, ou culturelles d’aires différentes ?51
Savoir quelles relations existent, ou sont souhaitables, entre ◀l’▶économie et ◀l’▶Université, ou entre ◀les▶ formules de participation civique et ◀l’▶urbanisme : il serait facile de multiplier ce type de problèmes à résoudre au niveau communal, régional, national-fédéral et continental.
c) ◀Le▶ niveau des fédérations « nationales » de régions ouvre un autre champ de recherches. Il s’agirait ici de ◀la▶ réunion de régions libérées de leur État-nation, mais qui jugeraient souhaitable de renouer librement des liens du type national, politique ; non exclusifs, bien entendu, de liens économiques, sociaux ou culturels noués ailleurs.
d) Voilà qui nous donnera, sans aucun doute, plusieurs Europes régionales de définitions différentes, par suite difficilement superposables, presque impossibles à dessiner… Mais après tout chacun de nous sait très bien à quelles sociétés il cotise, où il paie ses impôts, qui est de sa paroisse et quels sont ◀les▶ paysages de son cœur, et aucun de nous n’exige que tout cela soit inscrit dans ◀les▶ limites peintes en couleurs plates, sans déborder, de ◀l’▶hexagone français, de ◀l’▶île anglaise, de ◀la▶ botte italienne, ou de ◀la▶ peau de vache ibérique…