XI
La mesure nationale-socialiste
L’▶élite française s’est fait depuis quelques années une géographie ◀de▶ ◀l’▶esprit dont ◀le▶ caractère frappant est ◀d’▶être en complet désaccord avec ◀la▶ géographie physique. À lire nos revues, à écouter ◀les▶ débats ◀les▶ plus acharnés qui surexcitent ◀les▶ intellectuels, on se ferait une image ◀de▶ ◀l’▶Europe telle que ◀l’▶URSS se trouverait située entre ◀la▶ France et ◀l’▶Allemagne.
En fait, et qu’elle ◀le▶ veuille ou non, ◀l’▶URSS met psychologiquement un continent ◀de▶ malentendus entre ◀la▶ France et ses voisins réels.
Il a paru en France nombre ◀d’▶ouvrages excellents sur ◀l’▶œuvre culturelle des Russes. Beaucoup de ces Russes sont venus à Paris vanter leur dictature, sa production industrielle, son armée, sa jeunesse, ses métros, et ses diverses « réalisations ». Mais que sait-on ◀de▶ ◀l’▶œuvre inaugurée par ◀la▶ révolution nationale-socialiste ? À peu près ce que nous savions ◀de▶ ◀la▶ Russie vers ◀les▶ années 1920 : ce qu’en rapportent quelques journalistes préoccupés ◀de▶ confirmer ◀les▶ préjugés ◀de▶ leurs lecteurs, et ◀de▶ donner ◀de▶ nouveaux arguments aux partis ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite. Or s’il est vrai que ◀les▶ Soviets avaient en 1920 ◀l’▶âge ◀de▶ ◀l’▶hitlérisme en 1936, ◀la▶ proximité immédiate ◀de▶ ◀l’▶Allemagne rend très paradoxale cette similitude ◀d’▶ignorance.
◀La▶ France, j’allais dire ◀la▶ jeunesse ◀de▶ ◀la▶ France, aurait pourtant tout intérêt à suivre ◀d’▶aussi près qu’il est possible ◀le▶ développement ◀d’▶une révolution à tant ◀d’▶égards plus proche que ◀la▶ russe.
◀L’▶expérience russe est dominée par deux grands faits qui ◀la▶ distinguent radicalement ◀de▶ toutes nos possibilités occidentales : ◀la▶ richesse ◀d’▶un énorme territoire et ◀l’▶état arriéré ou nul ◀de▶ ◀l’▶industrie, ◀de▶ ◀l’▶instruction et du sens civique au départ. ◀Les▶ léninistes se sont trouvés devant un continent qu’ils n’avaient guère qu’à coloniser. Ils ont pu appliquer, sans crainte ◀d’▶aucune sanction directe de la part des faits, une vieille doctrine particulièrement apte à soutenir une action schématique. ◀La▶ situation ◀de▶ ◀l’▶Allemagne en 1933 était exactement inverse. Elle ressemblait beaucoup à celle qu’une seconde révolution française aurait à surmonter, et cela ◀d’▶où qu’elle vienne et quoi qu’elle veuille. ◀Le▶ parti national-socialiste ne se trouvait pas devant une masse informe et arriérée, mais devant 46 partis organisés, une économie très complexe et très malade, un territoire surpeuplé, des traditions culturelles profondément ancrées dans ◀la▶ petite et ◀la▶ moyenne bourgeoisie, niées ou rénovées anarchiquement par des élites contradictoires et souvent sans racines, enfin un prolétariat exaspéré par ◀la▶ misère et qui formait ◀la▶ grande majorité ◀de▶ ◀la▶ population. Mettez ici un plus et là un moins, vous aurez grossièrement ◀les▶ conditions qui s’imposeraient en France à toute révolution ◀de▶ masses (qu’elle soit fasciste ou bolchéviste)47.
Toutefois, ◀le▶ facteur décisif ◀de▶ ◀la▶ révolution allemande ferait nécessairement défaut à toute action ◀de▶ ce genre en France : et c’est ◀le▶ facteur national qui a donné au NSDAP non seulement ◀la▶ moitié ◀de▶ son nom, mais ◀le▶ pouvoir, et ◀le▶ prestige ◀d’▶un destin. On ignore à tel point en France ◀l’▶importance capitale ◀de▶ ce fait, que ◀l’▶on confond sans ◀le▶ moindre scrupule national et nationaliste, quand il est question ◀de▶ ◀l’▶Allemagne. C’est que ◀la▶ nation française existe depuis 1789 ; et qu’elle existe même si réellement qu’elle trouve mauvais que ◀l’▶on affirme en général, à côté ◀d’▶elle, ◀la▶ volonté ◀d’▶être une nation. Un Français qui proclame aujourd’hui, à grand éclat, qu’il veut être « Français d’abord », c’est un monsieur qui exagère, c’est un chauvin, et en tous cas un homme ◀de▶ droite48. Et s’il s’affirme « national » cela ne rend plus du tout ◀le▶ son du « Vive ◀la▶ Nation ! » ◀de▶ Valmy… C’est pourquoi ◀le▶ Français moyen traduit national-socialisme par nationalisme. Il se condamne ainsi à ne pas comprendre ce qu’il y a ◀de▶ religieusement puissant dans ◀l’▶hitlérisme : ◀la▶ revendication ◀d’▶une conscience nationale.
Vers 1933, ◀le▶ défaut ◀de▶ conscience nationale se faisait sentir aux Allemands plus fortement que ◀le▶ défaut ◀de▶ liberté civique ou ◀de▶ bien-être matériel. ◀La▶ preuve ◀de▶ cette affirmation, dont je pèse chaque terme, et qui paraîtra si parfaitement absurde aux yeux du plus grand nombre des Français, n’allons pas ◀la▶ chercher plus loin que dans ◀le▶ triomphe même ◀d’▶Hitler. C’est parce qu’Hitler a compris cela qu’il a battu tous ◀les▶ partis adverses, et sept millions ◀d’▶électeurs communistes. Il a compris que ◀la▶ mystique était plus forte que ◀les▶ intérêts, ◀d’▶autant plus forte que ◀la▶ misère était plus grande. Qu’on ne dise pas que cela est impensable en France, sans se rappeler que ce fut un jour mieux que pensable : ◀les▶ soldats ◀de▶ Kellermann s’appelaient, je crois, ◀les▶ sans-culottes. Ils n’avaient pas même ◀de▶ bottes ! Et c’est ◀la▶ mystique « nationale » qui fit ◀la▶ force ◀de▶ ◀l’▶armée du Rhin. Mais surtout Hitler a compris que ◀la▶ mystique ◀la▶ plus puissante sur ◀le▶ peuple, serait celle qui lui offrirait ◀la▶ promesse ◀d’▶une communauté. ◀Le▶ « Nationalsozialismus » n’est pas ◀le▶ composé hybride ◀de▶ nationalisme et ◀de▶ socialisme que ◀la▶ traduction française du terme nous invite à imaginer. Il exprime en une seule formule ◀l’▶aspect politique et ◀l’▶aspect économique ◀d’▶une volonté tout à fait distincte du nationalisme et du socialisme. Volonté ◀de▶ fusion complète des actions et des idéaux particuliers en une unité intérieure assurant une force publique et donnant ◀de▶ ◀la▶ sorte une base commune à ◀l’▶existence des individus.
On peut estimer qu’il y a là une fausse communauté, une fausse réponse, une duperie spirituelle ; je ◀le▶ crois, au nom d’une vérité plus haute, et qui n’est pas une opinion ◀de▶ partisan, ◀de▶ politique. Mais cela n’empêche pas que ◀le▶ génie ◀d’▶Hitler est un fait. (J’appelle génie ◀la▶ faculté ◀de▶ distinguer ◀la▶ véritable source ◀de▶ ◀l’▶angoisse ◀d’▶un peuple, et ◀d’▶incarner, aux yeux de ce peuple, une réponse libératrice.) Personne n’a davantage que ◀l’▶Allemand ◀la▶ passion ◀de▶ ◀la▶ vie communautaire ; jamais cette passion n’avait été davantage frustrée qu’au cours des quinze années ◀de▶ luttes civiles que fut ◀le▶ régime ◀de▶ Weimar. Partis, régions, classes, générations, ville et campagne, Université et peuple : ◀la▶ guerre était partout et ◀la▶ mesure commune nulle part.
Hitler parut et dit : Je suis ◀le▶ Parti, je suis ◀le▶ Pays, je suis ◀le▶ Peuple, je suis à la fois ◀le▶ porteur des idées ◀de▶ ◀la▶ jeunesse et ◀de▶ celles des anciens combattants, je suis enfin ◀l’▶annonciateur ◀de▶ ◀la▶ nation allemande à venir. C’était ◀l’▶incarnation ◀de▶ ◀la▶ commune mesure, ◀la▶ fin ◀de▶ ◀l’▶angoisse, et ◀l’▶inauguration ◀d’▶un Troisième Empire religieux, synthèse monumentale et invincible ◀de▶ ◀la▶ force et du rêve obscur des masses.
« ◀La▶ volonté et ◀l’▶action ◀d’▶Adolf Hitler ont amené ◀le▶ triomphe du Mouvement. C’est sa force qui a créé ◀le▶ nouvel État et qui donne ◀l’▶impulsion à ◀l’▶édification nationale-socialiste. C’est lui qui conformera ◀le▶ destin futur ◀de▶ son libre peuple. Ses paroles sont ◀le▶ programme ◀de▶ notre lutte. Elles sont ◀les▶ sources du nouveau droit qui s’établit. Ses pensées dominent ◀les▶ fondements et ◀la▶ forme ◀de▶ ◀l’▶ordre social et politique nouveau. » — « ◀Le▶ Führer est ◀le▶ Parti, ◀le▶ Parti est ◀le▶ Führer. » — « Parti et État sont une seule et même chose. » — « Hitler est ◀l’▶Allemagne, ◀l’▶Allemagne, c’est Hitler. » — Voilà ◀la▶ mesure, et son incarnation visible à tous.
« ◀La▶ nation est ◀le▶ contenu et ◀la▶ substance ◀de▶ ◀l’▶empire. Elle est ◀le▶ but ◀de▶ tout ordre. ◀Le▶ peuple… est ◀le▶ seul but ◀de▶ toute activité humaine et ◀de▶ toute institution publique. » — « ◀L’▶empire est un État socialiste-racial — populaire — unifié — comprenant un seul parti. » En outre « ◀le▶ parti, ◀le▶ peuple et ◀l’▶empire sont gouvernés et administrés selon ◀le▶ principe du chef (Führergrundsatz). On devient chef en donnant à sa suite (Gefolgschaft, ensemble ◀de▶ ceux qui obéissent) des preuves convaincantes ◀de▶ son pouvoir ◀d’▶action49. » — Voilà ◀les▶ fins auxquelles ◀la▶ mesure doit conduire, avec une rigueur fanatique, — ce fanatisme traduisant nécessairement ◀l’▶ampleur ◀d’▶un dessein millénaire.
Comment une telle mesure va-t-elle pouvoir régir ◀l’▶ensemble des activités intellectuelles ? Comment s’appliquera-t-elle à ◀la▶ réalité et spécialement à ◀la▶ culture, une fois ◀le▶ pouvoir politique aux mains du chef ?
Je voudrais esquisser ici, sans tenir compte ◀de▶ ◀l’▶opinion que je puis avoir sur ◀la▶ valeur ou ◀le▶ bon droit relatif des deux régimes — un parallèle entre ◀la▶ dictature soviétique et ◀le▶ « Führerstaat » hitlérien50 considérés dans leurs rapports avec ◀la▶ culture, au lendemain ◀de▶ ◀la▶ prise du pouvoir. Il m’apparaît que ce parallèle met en lumière ◀le▶ mécanisme fatal ◀de▶ tout régime totalitaire, et cela ◀d’▶une façon ◀d’▶autant plus frappante qu’il s’agit ici ◀de▶ régimes entre lesquels ◀la▶ guerre est déclarée, au nom de doctrines et ◀de▶ buts dont certains nous paraissent à jamais incompatibles.
Dans ◀les▶ deux cas, ◀la▶ prise ◀de▶ pouvoir politique s’effectua à ◀la▶ faveur ◀d’▶une misère et ◀d’▶un désordre insupportables. Il en résulta tout d’abord, pour ◀le▶ parti régnant, ◀l’▶obligation ◀de▶ proclamer ◀la▶ primauté pratique ◀de▶ ◀l’▶économie et ◀de▶ ◀la▶ politique sur tout autre facteur. On s’ingénia, dans ◀les▶ discours ◀de▶ propagande, à faire ◀de▶ nécessité vertu. On se servit du « spirituel » pour justifier ◀le▶ mépris où ◀l’▶on était forcé ◀de▶ tenir ◀la▶ culture. On fit appel à ◀la▶ doctrine marxiste, ou à ◀l’▶honneur national menacé, c’est-à-dire à des mystiques, contre toute critique « désintéressée ». Il fallait d’abord donner ◀le▶ pain, d’abord rendre sa « liberté » à ◀la▶ nation. ◀La▶ culture viendrait après : on ◀la▶ taxait pour ◀le▶ moment ◀de▶ superstructure, ou ◀de▶ manifestation ◀de▶ décadence. Par où ◀l’▶on voit que ◀la▶ fameuse primauté du matériel n’est nullement un problème philosophique ; car ◀de▶ ce point de vue là, précisément, elle est ◀d’▶une évidente absurdité ; mais un certain excès ◀de▶ misère suffit très bien à expliquer qu’on y ait eu recours en pleine action51.
Ce fut la première phase, négative par nécessité. Elle dura plus longtemps en Russie qu’en Allemagne pour des raisons ◀de▶ fait faciles à distinguer.
Mais une fois ◀le▶ régime installé, se pose la question ◀de▶ durer. Une dictature ne peut durer contre ◀l’▶opinion libre et anarchique. Elle ne peut tolérer ◀d’▶opposition. Or on ne se défend bien qu’en attaquant. ◀Le▶ seul désir ◀de▶ durer impose donc à une dictature trois grandes tâches ◀d’▶ordre culturel : a) ◀la▶ mise en forme des doctrines qui justifient rétrospectivement ou actuellement ◀les▶ violences exercées ; b) ◀la▶ propagande, qui promet aux masses un avenir si beau que tous ◀les▶ sacrifices présents deviennent légers ; c) ◀l’▶éducation ◀de▶ ◀la▶ jeunesse, qui assure ◀le▶ futur automatisme du régime. « Nos expériences actuelles nous montrent que seule ◀la▶ victoire ◀d’▶une conception du monde unifiée peut permettre une collaboration judicieuse ◀de▶ tous ◀les▶ organismes ◀de▶ ◀la▶ nation », dit Rosenberg. Et il ajoute que « ◀la▶ révolution (nationale-socialiste) ne serait guère qu’un épisode, non une époque, si elle restait purement politique ».
Il est incontestable que ces trois activités, commandées par ◀la▶ seule volonté ◀de▶ garder ◀le▶ pouvoir politique, ont marqué, dans toutes ◀les▶ révolutions ◀de▶ masses, les premiers contacts du régime avec ◀le▶ domaine culturel. ◀Le▶ problème s’est donc posé dans tous ◀les▶ cas sous ◀la▶ forme très simple ◀d’▶une mise au pas (Gleichschaltung ou synchronisation ◀de▶ ◀la▶ culture). On réunit des masses énormes et on ◀les▶ enthousiasme pour ◀la▶ « culture », c’est-à-dire non point pour telle œuvre ◀de▶ premier ordre, que ces masses n’auraient pas toujours ◀la▶ capacité ◀d’▶admirer, mais pour ◀la▶ volonté, affirmée par ◀l’▶État, ◀de▶ fonder une culture nouvelle et populaire. En réalité, ce n’est pas ◀le▶ contenu ◀de▶ ◀la▶ culture proprement dite que ◀l’▶on répand, mais on affirme un certain nombre ◀de▶ mots d’ordre, un certain cadre dans lequel ◀les▶ productions futures, désirées, seront contraintes ◀de▶ s’ordonner. Règne des films ◀de▶ propagande, ◀de▶ chœurs parlés, des Schlagworte écrits en lettres gigantesques sur des banderoles aussi rouges en Allemagne qu’en URSS. Ce schématisme ◀de▶ « ◀l’▶édification culturelle » produit dans ◀les▶ deux cas ◀la▶ même impression très pénible ◀de▶ mensonge et ◀de▶ bonne volonté mêlés, ◀d’▶opportunisme parfois plus raisonnable que ◀le▶ laisser-aller des libéraux, mais si grossier que ◀l’▶on voit mal ◀l’▶usage qu’en pourraient faire ◀les▶ plus ardents partisans mêmes du régime.
Cette deuxième phase se résume donc en un effort intéressé des dictateurs pour imposer à ◀l’▶esprit créateur aussi bien qu’à ◀l’▶esprit des usagers ◀de▶ ◀la▶ culture, ◀la▶ mesure prétendue universelle. Or cette mesure étant en fait celle qui a réglé d’abord ◀l’▶action, et ◀l’▶action ◀de▶ masse, ne saurait être, pour des raisons techniques, qu’un schéma. Toute propagande est par définition schématique ; mais ◀les▶ moyens qu’elle met en œuvre pour obtenir un plébiscite, ou fouetter ◀l’▶enthousiasme en faveur du énième Plan, se révèlent dérisoires et dégradants dès qu’il s’agit ◀de▶ ◀la▶ culture. Dérision et dégradation fatales dans ◀le▶ cas des régimes improvisés, par où j’entends ceux qui ont commencé par ◀la▶ revendication et ◀la▶ prise du pouvoir, non par ◀l’▶éducation des masses, qu’ils n’avaient pas ◀le▶ temps ◀d’▶entreprendre. (Ou qui ne pourra être entreprise sérieusement qu’après un certain nombre ◀de▶ rénovations matérielles.)
Il s’agit maintenant ◀de▶ mettre au pas, et ◀le▶ plus vite possible, ces esprits qu’on n’a pas éduqués. Il va falloir monnayer ◀la▶ doctrine en valeurs symboliques, faciles à reconnaître, en affirmations volontaires que ◀l’▶on donnera pour bon argent alors qu’elles ne sont guère qu’une sorte ◀de▶ spéculation sur ◀les▶ créations futures. ◀L’▶intéressant, ◀l’▶extraordinaire ici, c’est ◀de▶ voir à quel point ◀la▶ technique ◀de▶ cette phase est pareille dans des régimes qui ont à répandre ◀les▶ doctrines ◀les▶ plus dissemblables. ◀Le▶ schématisme même dont j’ai parlé va nous permettre ici ◀de▶ comparer formellement, terme à terme, ◀les▶ « valeurs » soviétiques et nationales-socialistes dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀la▶ culture.
Collectivisme : « ◀Le▶ bien commun passe avant ◀le▶ bien particulier. Ce qui est utile à ◀la▶ communauté populaire est légal ; ce qui peut lui nuire est illégal. » Ce principe fondamental ◀de▶ ◀la▶ constitution hitlérienne a son pendant exact dans ◀la▶ constitution soviétique. Il autorise, dans ◀les▶ deux régimes, outre ◀les▶ procédés juridiques qu’on imagine, ◀le▶ mépris ◀le▶ plus efficace pour tous ◀les▶ non-conformistes intellectuels, isolés, originaux, précurseurs ou attardés, dégénérés, délicats, individualistes, etc., qualifiés pêle-mêle ◀de▶ saboteurs.
Valeur ◀de▶ ◀l’▶individu : ◀L’▶homme ne vaut que par son activité au service du peuple ou du prolétariat, c’est-à-dire, concrètement, au service du Parti, qui selon ◀la▶ parole du Führer est « ◀la▶ volonté organisée ◀de▶ ◀la▶ nation ». Dans ◀les▶ deux régimes, on s’efforcera ◀de▶ démontrer que ◀d’▶autant plus ◀l’▶individu se sacrifie au Parti, ◀d’▶autant plus il acquiert ◀de▶ valeur personnelle. (Caricature politique ◀de▶ ◀la▶ notion chrétienne ◀de▶ personne.)
Mission historique ◀d’▶une partie ◀de▶ ◀la▶ population, considérée comme destinée ◀d’▶avance, collectivement, à incarner ◀la▶ culture nouvelle sous ses formes ◀les▶ plus créatrices : classe prolétarienne ou race aryenne. Seront tenus pour suspects ou saboteurs tous ◀les▶ écrivains issus ◀d’▶une autre classe ou ◀d’▶une autre race. (Pour condamner un saboteur, on arguera en URSS ◀de▶ son ascendance bourgeoise, en Allemagne ◀de▶ son ascendance juive.) ◀La▶ culture officielle aura pour premier objectif ◀de▶ développer exclusivement ◀les▶ qualités spécifiques du prolétariat ou ◀de▶ ◀la▶ race nordique, selon ◀le▶ schéma ◀de▶ ces deux « réalités » que ◀les▶ doctrinaires du Parti auront su faire admettre comme « scientifique ».
Valeur du travail : Elle est exaltée en termes à peu près identiques des deux côtés. ◀Le▶ travail doit remplacer ◀la▶ guerre. (« ◀La▶ lutte contre ◀le▶ froid et ◀la▶ faim est notre guerre ! » peut-on lire sur ◀les▶ panneaux ◀de▶ propagande du Secours ◀d’▶hiver allemand.) On s’efforcera ◀de▶ mêler ◀les▶ travailleurs intellectuels et manuels. On ouvrira ◀les▶ universités aux ouvriers en URSS, et ◀les▶ camps ◀de▶ travail aux étudiants en Allemagne. Cet effort visant jusqu’ici à une juxtaposition ou à des interversions fréquentes des deux ordres ◀de▶ travail, davantage qu’à ◀la▶ création ◀d’▶une attitude centrale ◀d’▶où ◀la▶ pensée et ◀la▶ main apparaissent organiquement inséparables… (Attitude que j’essaierai ◀de▶ décrire dans la seconde partie ◀de▶ cet ouvrage.)
Moralisme : ◀La▶ morale est identiquement soumise dans ◀les▶ deux cas à ◀l’▶édification (Aufbau) socialiste ou nationale. ◀Les▶ conditions pratiques ◀de▶ cette édification étant définies ◀de▶ ◀la▶ manière ◀la▶ plus simple par ◀la▶ propagande, ◀les▶ vertus et ◀les▶ vices sont simples et facilement reconnus par tous. Toute œuvre se voit donc exposée à des « dénonciations » qui traduiront souvent en termes de morale officielle ◀l’▶incompréhension artistique des membres du Parti, ou certaines rancunes personnelles. ◀Le▶ moralisme ◀le▶ plus agressif trouvera toujours ◀l’▶appui ◀de▶ ◀la▶ police au début. Un peu plus tard, il envahira ◀les▶ films, ◀le▶ roman, ◀le▶ théâtre…
Rôle ◀de▶ ◀l’▶écrivain et ◀de▶ ◀l’▶artiste : « ◀L’▶artiste est ◀le▶ porte-parole du peuple, ◀l’▶interprète ◀de▶ sa volonté et du sens ◀de▶ son évolution. » (Voelkischer Beobachter, n° cité.) Remplacez peuple par prolétariat, vous aurez ◀la▶ doctrine stalinienne. Il ne s’agit bien entendu ni du peuple ni du prolétariat tels qu’ils sont, mais tels que ◀le▶ Parti ◀les▶ définit.
Attitude philosophique et religieuse : Il n’est plus nécessaire ◀d’▶insister sur ◀la▶ direction générale ◀de▶ ◀l’▶humanisme soviétique. Malgré ◀les▶ racines qu’il plonge dans ◀le▶ xviiie siècle français, c’est encore un mot allemand qui ◀le▶ résume ◀le▶ plus exactement : Diesseitigkeit, qualité ◀de▶ ce qui est terrestre, ◀de▶ ce qui concerne ◀l’▶ici-bas, par opposition à tout au-delà transcendant. Bien que ◀le▶ parti national-socialiste prétende imposer à ses membres ◀la▶ dénomination ◀de▶ « croyants » (en vertu de ◀l’▶article 24 du programme ◀de▶ base, comme ◀le▶ rappelait récemment ◀le▶ ministre des Cultes !) et bien qu’il attaque violemment ◀le▶ parti soviétique des sans-Dieu, on ne saurait nier que ◀le▶ Dieu qu’il sert est immanent aux intérêts du Volkstum, et doit se confondre avec ces intérêts sous peine de mort. ◀La▶ Diesseitigkeit ◀de▶ ◀la▶ philosophie hitlérienne a été fort bien exprimée par Rosenberg dans un discours où il s’élève avec violence contre toute conception ascétique ou moyenâgeuse ◀de▶ ◀la▶ vie : « Nous condamnons tous ◀les▶ systèmes ◀d’▶éducation qui se fondaient ◀d’▶une façon ou ◀d’▶une autre sur ◀la▶ peur et ◀l’▶angoisse ◀de▶ ◀l’▶imagination. Au lieu de ◀la▶ résignation, nous avons exalté ◀la▶ fierté ; au lieu de cultiver ◀le▶ sentiment ◀d’▶infériorité, nous avons mis sur ◀le▶ pavois ◀le▶ sentiment ◀de▶ ◀l’▶honneur. Et au lieu de cultiver ◀l’▶angoisse ◀de▶ ◀l’▶imagination, nous avons poussé à ◀l’▶estime ◀de▶ soi-même. » Avec des différences ◀d’▶accent notables et qui s’expliquent surtout, je crois, par ◀les▶ circonstances ◀de▶ départ différentes, nous retrouvons dans ◀les▶ deux régimes ◀la▶ même condamnation orgueilleuse ◀de▶ toute « fuite hors de ◀l’▶ici-bas » — entendez hors des tâches immédiates qu’impose ◀le▶ Parti.