Une éducation européenne (13 mai 1973)c
Le▶ sort ◀de▶ ◀l’▶an 2000 se joue dans nos écoles, pour autant qu’il n’est pas déjà compromis par ◀les▶ conséquences, peut-être irréversibles, ◀d’▶une croissance urbaine incontrôlée, ◀de▶ ◀la▶ pollution ◀de▶ notre planète, et du bétonnage systématique du sol sacré ◀de▶ nos patries, que, par une incroyable étourderie, nous ne défendons qu’aux frontières, — là justement où personne ne ◀les▶ attaque plus.
Nous ne ferons jamais ◀l’▶Europe sans un immense effort ◀d’▶éducation des futurs citoyens européens.
Dans cet esprit, j’ai accepté ◀la▶ charge ◀de▶ provoquer et ◀d’▶animer ◀les▶ débats ◀de▶ ◀la▶ commission sur « une éducation européenne ».
Il m’a paru que ce titre avait deux sens possibles : 1° une éducation à ◀l’▶européenne, spécifiquement européenne, et 2° une éducation pour ◀l’▶Europe.
J’ai soumis à ◀la▶ commission ◀la▶ thèse suivante : ◀l’▶éducation européenne (en tant que telle) va ◀de▶ ◀l’▶initiation à ◀l’▶initiative.
Alors que dans ◀les▶ civilisations traditionnelles et dans ◀les▶ régimes totalitaires, toute ◀l’▶éducation se résume dans un immense catéchisme, et dans ◀l’▶apprentissage des règles et des réponses, ◀l’▶éducation européenne comporte aussi un apprentissage ◀de▶ ◀la▶ mise en question des règles elles-mêmes, un entraînement ◀de▶ ◀l’▶esprit critique.
Son rôle est donc double : d’une part initier ◀l’▶enfant et ◀l’▶adolescent aux règles et au savoir accumulé du passé, d’autre part, ◀le▶ préparer à prendre des initiatives personnelles.
Or, du fait que ◀le▶ passage ◀de▶ ◀l’▶initiation à ◀l’▶initiative s’opère par ◀l’▶esprit critique, il résulte que ◀les▶ chances d’accord sur un type idéal ◀d’▶éducation sont très faibles, et c’est bien ce qui s’est amplement vérifié dans notre commission ! Cela ne facilite pas ◀la▶ tâche ◀d’▶un président, mais c’est normal et somme toute réjouissant : car si nous tombions tous d’accord sur ◀le▶ type idéal, exclusif et par conséquent obligatoire ◀d’▶éducation, il ne s’agirait plus ◀d’▶une éducation européenne, mais ◀d’▶un endoctrinement totalitaire !
Mais « éducation européenne » peut signifier aussi : éducation pour ◀l’▶Europe. Ici, ◀la▶ question immédiatement posée a été ◀la▶ suivante : éducation pour quelle Europe ?
On peut imaginer ◀de▶ nombreux types ◀d’▶union, allant des États-Unis centralisés à ◀la▶ fédération ◀la▶ plus souple : tous, quels qu’ils soient, se heurtent à ◀l’▶obstacle majeur que constitue ◀l’▶État-nation, tel que ◀l’▶a créé Napoléon, en vue de ◀la▶ guerre, et tel que ◀l’▶ont imité dans ◀le▶ monde entier, avec des bonheurs variables, plus ◀de▶ cent-vingt États, ce qui est beaucoup, depuis un siècle et demi, ce qui n’est rien au regard de ◀l’▶histoire humaine.
À partir de là, nos débats se sont orientés vers des conclusions positives.
Nous nous sommes tous trouvés d’accord pour condamner ◀le▶ nationalisme, dont ◀l’▶école aux trois degrés a été ◀la▶ principale propagandiste depuis un siècle. Et pour demander que ◀l’▶enseignement ◀de▶ ◀l’▶histoire, ◀de▶ ◀la▶ géographie, ◀de▶ ◀l’▶économie et ◀de▶ ◀l’▶instruction civique ne soit plus enfermé dans ◀le▶ cadre national et dans ses mythes, mais parte des réalités quotidiennes, qui vont ◀de▶ ◀la▶ commune et ◀de▶ ◀la▶ région à ◀la▶ communauté continentale — du local à ◀l’▶universel.
Mais nous avons été d’accord, aussi, pour récuser toute espèce ◀de▶ nationalisme européen, et pour demander au contraire que ◀les▶ Européens prennent conscience ◀de▶ leurs responsabilités à l’égard du monde, et ◀de▶ ◀la▶ nécessité ◀de▶ s’unir précisément pour faire face à ces responsabilités.
Nous avons tous été d’accord pour déclarer que ◀l’▶éducation civique comporte une éducation écologique, et commence par ◀le▶ respect ◀de▶ ◀l’▶environnement.
Enfin, il a été suggéré — et approuvé — que ◀la▶ meilleure formation du citoyen est beaucoup moins celle qu’on lui donne par ◀l’▶enseignement que celle qu’il acquiert en ◀l’▶exerçant, — par une participation effective aux affaires publiques. Et voilà qui suppose, à mon sens, une fédération européenne basée sur ◀les▶ régions, elles-mêmes basées sur ◀les▶ communes, c’est-à-dire sur ◀le▶ cadre naturel ◀de▶ toute participation civique.
Pour certains, c’est une pure utopie : ◀l’▶État-nation, disent-ils, est encore un obstacle inébranlable, soyons « réalistes », acceptons-◀le▶.
Pour d’autres, ◀les▶ plus jeunes, ◀l’▶État-nation n’existe plus. Pourquoi lutter contre un fantôme du passé ?
Pour moi, ◀l’▶État-nation reste un mythe formidable, et ◀la▶ tâche politique ◀de▶ cette fin ◀de▶ siècle, et ◀de▶ toute ◀l’▶éducation européenne, est ◀de▶ nous préparer à ◀le▶ dépasser.
Oui, ◀les▶ obstacles sont réels, mais ◀le▶ vrai « réalisme » est dans ◀la▶ volonté ◀de▶ ◀les▶ surmonter.