IV. Berlin : le second Rapport au club de Rome
Du 14 au 17 octobre 1974
Tandis que je cherche ma place dans l’▶amphithéâtre ◀de▶ ◀la▶ Kongresshalle où ◀l’▶Assemblée s’est ouverte depuis quelques heures, il me semble qu’une bonne moitié des délégués viennent du tiers-monde. ◀La▶ liste des participants, que je pointe pendant un discours résumant un des textes qu’on vient de me remettre, m’apprend pourtant que sur ◀les▶ 160 participants actifs (qu’entourent quelques centaines ◀d’▶observateurs, experts, futurologues et journalistes du monde entier) 30 délégués seulement représentent ◀le▶ tiers-monde. Sauf une douzaine ◀de▶ Japonais et ◀d’▶Australiens tout ◀le▶ reste est occidental, Américains et Canadiens, Européens de l’Ouest et ◀de▶ ◀l’▶Est.
Je parcours ◀le▶ recueil des textes présentés pour m’orienter dans ◀les▶ débats en cours (réduits, hélas, à une succession ◀d’▶exposés dont ◀les▶ auteurs n’arrivent pas à dialoguer).
Le premier Rapport au club de Rome a eu ◀le▶ mérite éclatant « ◀d’▶élever un problème ◀de▶ ◀la▶ plus haute importance pour ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶humanité, du statut ◀de▶ non-issue au statut ◀de▶ très grave préoccupation » comme ◀l’▶écrivent ◀les▶ professeurs Mihajlo Mesarovic et Eduard Pestel. À mon sens, ◀les▶ Limites à ◀la▶ croissance ont marqué ◀le▶ tournant du siècle.
Mais si Forrester et Meadows ont bien fait voir que ◀les▶ problèmes ◀de▶ ◀la▶ croissance sont en interactions mondiales, il fallait montrer aussitôt que ces problèmes se posent ◀de▶ manière inégale selon ◀les▶ temps et ◀les▶ lieux ◀de▶ ◀l’▶humanité (qu’on pense simplement à ◀la▶ démographie).
Le second Rapport au club de Rome que présentent aujourd’hui Mesarovic et Pestel, analyse ◀le▶ système mondial dans ◀la▶ diversité concrète ◀de▶ dix régions ◀de▶ dimensions continentales. Et il recourt, bien sûr, à ◀la▶ capacité combinatoire des ordinateurs, mais aussi au jugement intuitif ◀de▶ ceux qui ont nourri ces appareils ◀d’▶environ 100 000 équations.
Personne à ◀la▶ tribune ne semble mettre en doute ◀les▶ progrès ainsi accomplis, du fait 1° ◀de▶ ◀la▶ régionalisation des problèmes, et 2° ◀de▶ ◀la▶ prise au sérieux ◀de▶ paramètres aussi mal vus naguère encore que ◀les▶ « valeurs individuelles » ou ◀les▶ « attitudes face à ◀l’▶environnement ». Mais personne non plus ne me paraît avoir dégagé ◀les▶ suites proprement politiques du second rapport.
J’écoute ◀les▶ exposés, ◀d’▶une sagesse véhémente, des défenseurs ◀de▶ ◀l’▶égalité non seulement dans ◀les▶ peuples mais entre ◀les▶ peuples comme ◀le▶ proposait Condorcet dans son Tableau des progrès ◀de▶ ◀l’▶esprit humain, il y a ◀de▶ cela tout juste 180 ans, et nous sommes encore loin du but. On a pu ◀le▶ voir lors des dernières campagnes électorales dans plusieurs grands pays ◀de▶ ◀l’▶Europe, ◀le▶ seul but politique clairement défini, et commun à tous ◀les▶ partis, reste « ◀l’▶indépendance nationale ». C’est ◀le▶ but ◀le▶ plus incompatible avec tout ce qu’on appelle ici « ◀l’▶ordre global » ; ◀le▶ plus vide ◀de▶ sens, et ◀le▶ plus utopique quant aux possibilités économiques ou écologiques ◀de▶ n’importe quel peuple considéré. Que signifie ◀l’▶indépendance nationale ◀d’▶un pays qui dépend ◀de▶ quatre émirs ◀de▶ droit divin pour son pétrole et doit voter en conséquence à ◀l’▶ONU ? ◀D’▶un autre qui se rationne pour financer une force ◀de▶ frappe suicidaire ? ◀D’▶un troisième qui s’arroge ◀le▶ droit ◀de▶ polluer ses eaux territoriales, et tant pis si ◀la▶ marée noire, ou rouge, ou blême, envahit ◀les▶ rivages des voisins… Cela ne signifie rien — ou plus rien ◀d’▶avouable.
Mesarovic et Pestel ont probablement vu, mais n’ont assurément pas dit, que leurs « régions » supranationales supposent des régions infranationales.
C’est ce que je vais tenter ◀de▶ faire voir dans ◀le▶ rapport que je présenterai demain matin.
◀L’▶obstacle majeur à tout établissement ◀d’▶un système global est ◀l’▶existence ◀de▶ ◀l’▶État-nation
◀Le▶ principe ◀de▶ ◀la▶ crise mondiale réside dans une mauvaise gestion ◀de▶ ◀la▶ Terre par ◀l’▶homme.
◀L’▶homme pollue, scalpe, écorche et défigure ◀la▶ Terre. Il épuise ◀les▶ ressources naturelles et viole toutes ◀les▶ limites écologiques. Il asphyxie ◀les▶ océans, ◀les▶ lacs, ◀les▶ villes, au nom de ◀la▶ rentabilité ◀de▶ ses entreprises, qu’il arrive mal à justifier, sinon par sa passion ◀de▶ ◀la▶ guerre, et par une obsession ◀de▶ ◀la▶ puissance qui ne s’avoue que sous ◀le▶ nom ◀de▶ « prestige national ».
Déjà, ◀de▶ vastes plaines autour des villes, et ◀de▶ larges vallées fluviales ne sont plus que poubelles ◀de▶ ◀l’▶industrie, cimetières ◀de▶ détritus non recyclables, et dans ◀le▶ fond ◀de▶ cavernes secrètes, on enfouit sournoisement ◀l’▶indestructible plutonium, ◀la▶ plus durable ◀de▶ toutes ◀les▶ productions humaines.
Ces pays et ces villes énormes, ces mines ◀de▶ sel, ces fonds océaniques transformés en décharges mondiales, c’est proprement, littéralement, ◀l’▶Enfer né du Progrès, ◀la▶ Géhenne qui était, au temps de Jésus, ◀la▶ décharge municipale ◀de▶ ◀la▶ ville ◀de▶ Jérusalem, ce ravin désolé ◀de▶ Guei Hinnom « où ◀le▶ feu ne s’éteint jamais », comme c’est ◀le▶ cas dans toutes ◀les▶ décharges où ◀l’▶on rejette ce qui n’a pas trouvé sa raison ◀d’▶être ou qui a refusé sa vocation, et, faute ◀d’▶être devenu soi-même, ne sert à rien. [◀De▶ cette comparaison, ◀de▶ ce feu perpétuel sont nées ◀les▶ légendes médiévales sur « ◀l’▶Enfer où damnés sont bouillus » (Villon).]
◀L’▶homme est en train de faire mourir ◀la▶ Terre sensible. C’est une sombre histoire, très lente en ses débuts, mais tout ◀d’▶un coup ◀la▶ crise s’annonce, dans ◀les▶ années 1960 du xxe siècle, et le premier rapport du club de Rome a fortement contribué à ◀la▶ faire se déclarer — comme on ◀le▶ dit ◀d’▶une maladie.
Cela commence avec le dernier siècle, qui voit ◀la▶ formation simultanée ◀de▶ ◀l’▶industrie et des nations étatisées.
Cela se poursuit à travers ◀la▶ croissance industrielle — qui est une croissance non régulée, contrairement à ◀la▶ croissance organique ◀d’▶un individu — à travers ◀l’▶aventure scientifique et technique, qui entraîne ◀l’▶exploitation têtue, naïve, aveugle, ◀de▶ ressources naturelles qu’on croit illimitées. Cela se développe avec ◀la▶ pollution ◀de▶ ◀l’▶air, des eaux, des plantes, ◀de▶ ◀l’▶humus et des océans, par ◀les▶ effets combinés ◀d’▶une industrie brutale, prométhéenne, ◀de▶ ◀la▶ surpopulation, du surarmement délirant (◀les▶ USA disposent déjà ◀de▶ quoi tuer chaque habitant ◀de▶ notre planète 32 000 fois), du gaspillage comme principe du commerce, des entassements mégalopolitains, destructeurs ◀de▶ toute communauté, et ◀de▶ ◀la▶ terreur permanente qui règne au sein de ◀la▶ paix des lâches.
Beaux résultats ! Brillante gestion ! Mais au fait : qui était ◀le▶ gérant ?
◀La▶ réponse est dangereusement simple, elle aussi : ◀les▶ responsables sont ◀les▶ États-nations dont les premiers sont apparus au début ◀de▶ cette même période, qui se sont rapidement multipliés pendant le deuxième tiers ◀de▶ notre siècle, et qui se partagent aujourd’hui ◀la▶ totalité des territoires du globe.
Ce sont eux, et eux seuls, qui ont géré ◀la▶ Terre, qui s’en sont octroyé ◀le▶ droit. Eux seuls en avaient ◀les▶ moyens. Ils ont exploité ses ressources en vue de leur seule puissance, et ◀de▶ leur seul prestige, c’est-à-dire en vue de ◀la▶ guerre dont tous sont nés.
Il me paraît que jusqu’ici, ◀l’▶on n’a pas accordé ◀l’▶importance décisive qui lui revient à ce fait ◀de▶ ◀l’▶État-nation comme obstacle principal au fonctionnement ◀de▶ tout système global.
◀La▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État-nation à souveraineté illimitée dans ses frontières, et qui place au principe ◀de▶ toute sa politique ce que ◀l’▶on nomme « ◀l’▶indépendance nationale », s’oppose diamétralement et par définition non seulement à ◀la▶ notion même ◀d’▶ordre global, mais encore et surtout à toute mesure concrète qui en permettrait ◀le▶ fonctionnement, que cet ordre global d’ailleurs soit ou non différencié par grandes régions continentales.
◀La▶ conférence sur ◀le▶ droit ◀de▶ ◀la▶ mer, qui vient de se tenir à Caracas, fournit ◀la▶ plus récente illustration ◀de▶ ◀l’▶incompatibilité foncière entre ◀les▶ souverainetés stato-nationales, avides ◀d’▶étendre jusqu’aux fonds des océans ◀les▶ ius uti et abutendi, et toute forme ◀de▶ gestion globale, comme devraient ◀l’▶être celles ◀de▶ ◀la▶ pêche, ◀de▶ ◀l’▶exploitation des nodules métalliques et des hydrocarbures sous-marins, mais aussi ◀de▶ ◀la▶ défense des espèces surexploitées et ◀de▶ ◀la▶ lutte contre ◀les▶ polluants ◀de▶ toute provenance qui « tuent » ◀les▶ mers.
Si ◀l’▶on estime nécessaire ◀l’▶établissement ◀d’▶un système global ◀d’▶échanges équilibrés, si ◀l’▶on veut en créer ◀les▶ conditions ◀de▶ possibilité, il faudra bien que ◀l’▶on surmonte ◀d’▶une manière ou ◀d’▶une autre ◀la▶ notion ◀de▶ souveraineté stato-nationale, à la fois symbole ◀de▶ ce qui cause ◀la▶ crise, agent ◀de▶ son aggravation, et principal obstacle à sa solution. C’est dire qu’il faudra dépasser ◀la▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État-nation centralisé à souveraineté illimitée, telle que Napoléon ◀l’▶avait conçue pour ◀la▶ guerre seule — hors de quoi elle paraît non seulement injustifiable en théorie, mais quasi démentielle en fait. Elle suppose, en effet, que ◀les▶ frontières ◀de▶ tel État, établies au hasard des guerres et des traités, coïncident exactement et ne varietur avec une unité géographique « naturelle », une économie dite « nationale », et une unité linguistique dont on conçoit mal ◀le▶ rapport avec ◀l’▶économie ou ◀les▶ ressources du sous-sol…
Or, même en admettant contre toute vraisemblance que ces réalités hétérogènes forment à un moment donné des unités exactement superposables, ce miracle ne durerait guère, pour ◀la▶ simple raison que ◀la▶ langue, ◀les▶ frontières politiques et ◀l’▶économie ont des rythmes ◀de▶ fluctuation ou ◀de▶ déplacement dans ◀l’▶espace absolument non comparables : ◀d’▶ordre millénaire pour ◀les▶ langues, ◀d’▶ordre séculaire pour ◀le▶ tracé des frontières5, et ◀d’▶ordre mettons décennal pour ◀les▶ économies industrielles, lesquelles peuvent varier très largement et rapidement en fonction des implantations ◀d’▶usines, ou des innovations technologiques. Il ne reste donc à ◀l’▶État qu’à forcer ◀les▶ réalités culturelles et sociales autant qu’économiques ou monétaires dans ◀le▶ lit ◀de▶ Procuste ◀de▶ ses frontières douanières, créant et entretenant ◀de▶ ◀la▶ sorte en permanence des problèmes aussi vains qu’insolubles, et qui ◀le▶ contraignent à décréter des mesures toujours plus tyranniques.
Et ce n’est certes pas ◀le▶ fait incontestable que ◀la▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État-nation est imitée par tous ◀les▶ peuples ◀de▶ ◀la▶ Terre qui peut ◀la▶ rendre moins absurde en soi.
Au-delà ◀de▶ ◀l’▶État-nation, il faut inventer autre chose, et il faut ◀l’▶inventer ◀de▶ toute urgence, si ◀l’▶on tient compte ◀de▶ ◀l’▶écart inévitable entre ◀la▶ conception et ◀la▶ mise en œuvre ◀d’▶une technique, ◀d’▶une méthode ou ◀d’▶une procédure.
Or il est très frappant ◀de▶ constater que si, dans toutes ◀les▶ branches des sciences physiques et naturelles, ◀l’▶invention ◀de▶ modèles nouveaux et ◀de▶ méthodes présentées comme révolutionnaires est ◀la▶ condition même du succès, non seulement académique mais commercial, et confère un prestige immédiat à ses auteurs, ◀la▶ science politique officielle, capitaliste, libérale ou marxiste, s’en tient aux recettes et doctrines du siècle ◀de▶ Napoléon, ◀de▶ Bismarck et ◀de▶ Marx, sinon pour ◀le▶ jargon technique, du moins pour ◀les▶ principes fondamentaux : toute remise en question ◀de▶ ◀la▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État-nation, par exemple, est aussitôt stigmatisée comme non sérieuse ou utopique, si ce n’est gauchiste ou « médiévale », voire toutes ces belles choses à la fois. ◀La▶ carence ◀de▶ toute invention fondamentale, en politologie, s’explique par ◀la▶ convergence objective des intérêts des partis en tant que tels, des gouvernants et des bureaucraties, des industries (notamment ◀d’▶armes) et des compagnies pétrolières, ligués par « ◀la▶ force des choses » en vue du maintien ◀de▶ « ◀l’▶ordre » tel qu’il est (même si ce n’est qu’un « désordre établi »), selon ◀les▶ principes et tabous ◀de▶ ◀l’▶État-nation centralisé à souveraineté illimitée.
Contre cette écrasante coalition ◀d’▶intérêts investis, ◀d’▶inerties intellectuelles et ◀de▶ volontés ◀de▶ puissance (marchands ◀d’▶armes, pétroliers, promoteurs ◀de▶ centrales nucléaires, etc.), tout effort rationnel paraît voué à ◀l’▶impuissance ◀la▶ plus abjecte, et ◀le▶ serait sans ◀le▶ moindre doute, si certaines lois, certaines nécessités ne nous imposaient des limites, des conditions ◀de▶ possibilité.
Ce qui paraît capable ◀de▶ produire à court terme un changement drastique ◀de▶ ◀la▶ formule stato-nationale, c’est ◀la▶ pression de plus en plus sensible des exigences infra- et supranationales.
◀L’▶État-nation, né ◀de▶ ◀la▶ guerre et maintenu en vue de guerres futures — qu’elles soient redoutées ou souhaitées — ne saurait survivre longtemps à sa raison ◀d’▶être principale. Toute nouvelle guerre, atomique, biologique ou chimique — cet ABC ◀de▶ ◀la▶ fin du genre humain — ◀l’▶anéantirait certainement ; et si ◀la▶ guerre qui est sa « raison » venait à manquer, son inadaptation constitutive aux réalités du xxe siècle serait sans tarder mise à nu. Seul, en effet, ◀le▶ recours au sacré que constituent ◀les▶ références aux « nécessités ◀de▶ ◀la▶ défense » ou au « maintien ◀de▶ ◀l’▶indépendance nationale », se trouve capable ◀de▶ faire passer certaines mesures catastrophiques imposées à ◀l’▶économie (telles que ◀les▶ centrales nucléaires) ou certains crimes écologiques (tels que ◀la▶ pollution non contrôlée des eaux territoriales). Seul ce recours au sacré national, interdisant toute objection, voire toute mise en question sérieuse, empêche ◀la▶ prise de conscience ◀de▶ tant ◀d’▶absurdités flagrantes.
◀La▶ force principale ◀de▶ ◀l’▶État-nation vient sans nul doute ◀de▶ ◀l’▶École, et non seulement ◀de▶ ce qu’elle nous a appris, mais ◀de▶ ce qu’elle a voulu nous interdire ◀de▶ voir. C’est elle qui nous a persuadés que ◀la▶ formule ◀de▶ ◀l’▶État moderne — une capitale régissant tout ce qui bouge et ◀le▶ reste à l’intérieur de ses frontières sacralisées — était ◀l’▶aboutissement inévitable ◀de▶ ◀l’▶Histoire, et que nulle autre évolution n’était possible, ou ne saurait être imaginée impunément. ◀Les▶ peuples ont émergé ◀de▶ ◀la▶ nuit des origines pour « faire leur unité » — comme ◀l’▶homme émerge ◀de▶ ◀l’▶enfance pour « faire sa puberté » — et ils accèdent à ◀la▶ maturité en se donnant un gouvernement qui assure leur indépendance — fût-ce au prix de leur vie ou ◀de▶ leurs libertés — et qui affirme sa souveraineté quoi qu’il puisse en coûter aux voisins. Ainsi ◀la▶ force principale ◀de▶ nos États repose sur ◀l’▶interdiction tacitement prononcée par ◀l’▶École, ◀de▶ mettre en question leur formule : elle est tabou. Rechercher ◀d’▶où ils viennent dans ◀le▶ temps et ◀l’▶espace, ◀les▶ situer dans ◀l’▶histoire, donc ◀les▶ relativiser, ce serait ◀les▶ exorciser : car ce qui a commencé finira. Il faut donc qu’ils soient éternels, et au moins justifiés par une fatalité. Contingents, donc soumis à ◀la▶ critique des interrogations ◀les▶ plus naïves, ils seraient aussitôt sans excuses.
Or c’est un fait que ◀le▶ plus ancien d’entre eux, qui est leur modèle, a moins ◀de▶ deux siècles ◀d’▶âge ; et ◀l’▶on voit bien que leur « période » ◀de▶ demi-vie, celle ◀de▶ leur rayonnement dans ◀les▶ esprits actifs, est en train de s’achever parmi nous.
Devant ◀la▶ crise universelle provoquée par sa déplorable gestion ◀de▶ ◀la▶ Terre depuis un siècle et demi, ◀l’▶État-nation souverain ne peut plus se dérober. Quand nous lui demandons aujourd’hui : « Qu’as-tu fait ◀de▶ ton territoire, ◀de▶ ses paysages et ◀de▶ ses villes, ◀de▶ ses forêts et ◀de▶ ses eaux » et qu’il ne peut que nous répondre piteusement : « Suis-je ◀le▶ gardien ◀de▶ ◀la▶ Terre ? », nous en tirons ◀la▶ conclusion qu’il a forfait à sa mission. Mais quand nous lui demandons : « Qu’as-tu fait ◀de▶ ◀la▶ communauté humaine ? » et qu’il n’ose même plus dire : une Armée, ou ◀le▶ Parti ◀de▶ ◀la▶ Révolution, il nous reste à enregistrer sa démission.
Bien loin ◀d’▶être ◀la▶ seule réalité possible, comme ◀le▶ proclament beaucoup ◀d’▶hommes politiques ◀de▶ droite et ◀de▶ gauche avec ◀l’▶appoint ◀d’▶André Malraux, ◀l’▶État-nation nous apparaît comme ◀la▶ forme ◀de▶ société ◀la▶ moins adaptable aux nécessités ◀de▶ notre temps.
◀Le▶ thème central ◀de▶ ◀l’▶analyse critique du modèle ◀de▶ ◀l’▶État-nation, qui conduit nombre ◀de▶ penseurs contemporains à ◀le▶ rejeter sans appel, s’énonce comme une simple évidence : ◀l’▶État-nation est aujourd’hui à la fois trop petit et trop grand. À ◀la▶ seule exception des trois Super-Puissances, aucun ◀de▶ nos États-nations n’a ◀les▶ dimensions nécessaires (économiques et militaires) pour jouer un rôle à ◀l’▶échelle mondiale, pour aider ◀le▶ tiers-monde, ou pour assurer seul sa défense militaire ou sa prospérité. En revanche, il est trop grand pour animer ◀la▶ vie civique et ◀l’▶économie ◀de▶ ses régions, pour en promouvoir ◀les▶ activités culturelles, pour en sauvegarder ◀les▶ équilibres écologiques, et surtout pour offrir un cadre proportionné et des structures ◀d’▶accueil à ◀l’▶action, à ◀la▶ participation des hommes et des femmes en tant que citoyens.
Comme ◀l’▶écrivait Alexandre Marc dès 1934 et comme il ◀le▶ réitère en 1961, « ◀l’▶état, sans majuscule, doit rester ◀le▶ serviteur ◀de▶ ◀la▶ société, et non point s’ériger en son maître. Pour cela, il importe notamment que sa taille reste à ◀l’▶échelle ◀de▶ ses tâches. Or ◀l’▶état national, dans ◀les▶ pays comme ◀la▶ France, est à la fois trop grand et trop petit. Il est trop grand par rapport aux communautés ◀de▶ base que ◀la▶ centralisation irréversible vide ◀de▶ leur substance en attendant ◀de▶ ◀les▶ transformer en “désert” ; il est trop petit par rapport aux problèmes dont dépend notre survie, qui se posent à ◀l’▶échelle européenne et mondiale6 ».
Cette analyse prophétique ◀de▶ notre crise universelle nous ramène donc à un dilemme ◀d’▶une crudité presque gênante : — ou bien ◀l’▶État-nation maintient et même étend ses prétentions au pouvoir exclusif ◀de▶ gestion ◀de▶ son morceau ◀de▶ ◀la▶ Terre, et dès lors ◀les▶ calculs ◀les▶ plus catastrophiques ont seuls chance ◀d’▶être vérifiés ; — ou bien ◀l’▶État-nation se voit progressivement dessaisi ◀de▶ ses prétentions totalitaires et autarciques : des hommes et des groupes décident ◀de▶ reprendre en main leurs destins, à ◀l’▶échelon local et régional, et ◀de▶ faire prévaloir ◀l’▶intérêt général ◀de▶ ◀l’▶humain, ◀de▶ ◀la▶ personne, sur celui des États nationaux. ◀Le▶ jeu se rouvre, ◀l’▶avenir redevient notre affaire.
En d’autres termes, nous devons comprendre que nos choix et nos décisions, ou notre absence ◀de▶ décision, impliquent dès maintenant notre responsabilité pour l’un ou l’autre des deux avenirs possibles :
– ou bien ◀la▶ démission épidémique ◀de▶ ◀la▶ personne, du citoyen, devant ◀la▶ mécanique inhumaine ◀de▶ ◀l’▶État nous conduit rapidement, dans une atmosphère ◀de▶ panique sourde et ◀de▶ délinquance généralisée, à des formes ◀de▶ dictature nationales et continentales, sur ◀la▶ voie ◀de▶ ◀l’▶État totalitaire mondial dirigé par ◀le▶ Grand Ordinateur dont certains rêvent dans un style orwellien ◀de▶ politique-fiction, mais ◀la▶ guerre atomique intercontinentale préviendra ce cauchemar suprême en provoquant ◀le▶ suicide du genre humain ;
— ou bien, des groupes ◀d’▶hommes qui se veulent libres et responsables trouveront, propageront et appliqueront à temps des formules ◀de▶ remplacement ◀de▶ ◀l’▶État-nation, ordonnées à des fins ◀de▶ liberté personnelle, non ◀de▶ richesse matérielle, et ◀de▶ communauté vivante, non ◀de▶ puissance et ◀de▶ prestige collectif.
Il nous faut donc réfléchir sérieusement, en toute urgence, à ces formules ◀de▶ remplacement ◀de▶ ◀l’▶État-nation. Nous avons vu que ◀les▶ dangers majeurs qu’entretient cette institution sont ◀le▶ gigantisme, ◀la▶ centralisation uniformisante, et ◀la▶ simplification antivitale. Voilà qui nous incite à nous tourner vers ◀les▶ dimensions modérées, accordées aux pouvoirs ◀de▶ ◀l’▶homme, aux prises ◀de▶ sa pensée et ◀de▶ sa main vers ◀la▶ répartition aussi large que possible des pouvoirs ◀de▶ décision, dans ◀l’▶amour des diversités et ◀le▶ respect des complexités qui caractérisent ◀la▶ vie même. Et voilà qui désigne assez clairement ◀les▶ petites unités ◀de▶ base que sont ◀les▶ communes (au sens ◀de▶ municipalités, mais aussi ◀de▶ communautés agricoles, religieuses, culturelles, artisanales, etc.) et dans ◀les▶ grandes villes, ◀les▶ quartiers ; puis ces grappes ◀de▶ municipalités autonomes que pourraient être ◀les▶ régions. Mais ces régions ne seront vivantes et vivables, n’échapperont à ◀l’▶esprit ◀de▶ clocher, que si elles demeurent ouvertes au monde, que si elles gardent toujours ouvertes des perspectives sur ◀l’▶horizon continental et même mondial.
Et ◀de▶ fait, on ne parle ◀de▶ régions que depuis qu’on essaie ◀d’▶abaisser ◀les▶ barrières entre États-nations de l’Europe. À ◀l’▶État-nation trop petit répondent ◀les▶ tentatives ◀d’▶organisation fédérale (ou au moins supranationale) du continent. Il n’y a pas là contradiction mais évidente complémentarité.
◀La▶ direction générale ◀de▶ ◀la▶ recherche qui m’apparaît ◀la▶ plus urgente dans ◀la▶ conjoncture actuelle étant ainsi déterminée, je me bornerai à clarifier autant que possible ◀les▶ sujets ◀de▶ malentendu ◀les▶ plus fréquents dans ce domaine.
1. Tout d’abord, écartons ◀l’▶idée que ◀l’▶État-nation puisse être « renversé » par ◀la▶ violence, ◀la▶ terreur, ◀l’▶anarchie systématique, ou « ◀la▶ Révolution » mythique dont parlent tant ◀d’▶intellectuels dans ◀les▶ pays hautement industrialisés. S’il pouvait être renversé — ce que sa nature même exclut — il nous entraînerait tous dans sa chute, puisqu’il règne sur toutes ◀les▶ terres et une partie sans cesse croissante des mers. Il ne saurait être question que ◀de▶ chercher, ◀de▶ trouver, ◀d’▶inventer d’autres formules ◀d’▶administration des choses et ◀d’▶aménagement des rapports humains dans ◀la▶ cité au sens antique du terme ; puis ◀de▶ rendre ces formules opérationnelles dans ◀les▶ plus courts délais possibles. Je ne vois rien à renverser, tout à construire, et force nous sera ◀de▶ ◀le▶ faire dans ◀les▶ cadres existants ◀de▶ ◀l’▶État-nation : ils sont mauvais et nous gêneront beaucoup, mais hors ◀d’▶eux, il n’est plus ◀d’▶espace libre. Il n’y a plus que ◀l’▶avenir qui leur échappe.
2. Contrairement à ce que pensent la plupart des « aménageurs du territoire », ◀les▶ régions ne doivent pas être conçues uniquement ou en premier lieu comme des problèmes ou des entités économiques. D’ailleurs, ◀la▶ solution ◀de▶ nos problèmes économiques est à chercher sur un tout autre plan que celui où ◀la▶ crise se déclare, à savoir sur le plan des vraies causes ◀de▶ ◀la▶ crise : celui des attitudes mentales, morales et spirituelles ◀de▶ ◀l’▶homme moderne, dont ◀l’▶économie en général et ◀les▶ budgets en particulier ne font que traduire en chiffres, quantifier, ◀les▶ choix et ◀les▶ priorités non pas alléguées mais réelles.
3. ◀L’▶État-nation, grand responsable ◀de▶ ◀la▶ mauvaise gestion ◀de▶ ◀la▶ Planète, est aussi ◀le▶ fauteur ◀de▶ ◀la▶ crise dans ◀la▶ mesure où ◀l’▶obsession ◀de▶ ◀la▶ puissance est ◀l’▶ultima ratio ◀de▶ ses décisions. Mais ◀d’▶où tient-il sa puissance ? Je pense que c’est du vide civique créé par ◀l’▶urbanisation sauvage ◀de▶ ◀l’▶ère industrielle, ◀de▶ ◀l’▶angoisse qui en résulte chez ◀les▶ individus perdus dans ◀les▶ foules solitaires des mégapoles, dans ◀le▶ sentiment ◀de▶ leur impuissance devant leur destin collectif, et ◀de▶ ◀la▶ dissolution ◀de▶ toute communauté à laquelle ils pourraient participer. Situation tout à fait comparable à celle des citadins ◀de▶ ◀l’▶ère hellénistique, et qui explique ◀l’▶appel aux tyrans, puis à ◀l’▶Empire bureaucratique et militaire, et aujourd’hui aux rouages anonymes ◀de▶ ◀l’▶État : « ils » font tout et décident ◀de▶ tout, que ce soit bien ou mal on n’y peut rien. Voilà qui est fataliste mais sécurisant. C’est aussi démoralisant. Perdu, noyé dans ◀les▶ énormes dimensions et ◀les▶ mythologies nationalistes qui ne sauraient nourrir sa vie intérieure et privée, en même temps frustré dans son besoin ◀de▶ communication et ◀de▶ communion, ◀l’▶homme des villes devient spectateur, non plus acteur ◀de▶ ◀la▶ vie publique, habitué du cirque (aujourd’hui ◀de▶ ◀la▶ TV) et non plus du forum (devenu parking). Recréer une communauté où ◀l’▶homme puisse de nouveau participer et recouvrer sa dimension communautaire, sans laquelle il n’est pas une vraie personne, telle est pour moi ◀la▶ fonction primordiale ◀de▶ ◀la▶ région.
4. Si ◀la▶ région ne doit pas être « économique d’abord », elle ne saurait être non plus « ethnique d’abord ». ◀Les▶ partisans ◀les▶ plus passionnés ◀de▶ ◀la▶ région qui sont ◀les▶ militants séparatistes ◀de▶ ◀la▶ Bretagne ou du Sud-Tyrol, du Pays basque ou du pays de Galles, des Flandres ou ◀de▶ ◀la▶ Catalogne, me semblent tomber dans ◀l’▶erreur ◀de▶ revendiquer pour leur ethnie ◀le▶ statut ◀d’▶un État complet dans ses frontières, doté ◀de▶ pouvoirs économiques autant que culturels, et ◀d’▶une souveraineté politique qui serait aussi jalouse, sinon plus, que celle des grands États que ◀l’▶on dénonce. Si dans ◀les▶ dimensions énormes, ◀l’▶homme meurt ◀de▶ froid, dans un mini État-nation, ce serait plutôt ◀d’▶asphyxie…
Ni purement économique, ni purement ethnique, ◀la▶ région dont je tente ◀d’▶esquisser ◀le▶ modèle naîtrait ◀de▶ ◀la▶ nécessité ◀de▶ recréer des cadres ◀de▶ participation au sein desquels ◀les▶ citoyens pourraient prendre en main leurs affaires communes, qu’il s’agisse ◀de▶ réalités culturelles ou économiques, écologiques ou sociales. Et cela représente bien plus qu’une mesure opportune ◀de▶ décentralisation des pouvoirs engorgés ◀de▶ ◀la▶ capitale ; cela représente, implique et favorise un changement ◀d’▶attitude ◀de▶ ◀l’▶homme face à ◀la▶ société, un changement ◀de▶ mentalité et un changement ◀de▶ finalités.
5. ◀Les▶ avantages ◀de▶ ◀la▶ région sont évidents : renaissance du civisme et ◀de▶ ◀la▶ responsabilité des citoyens, donc des vraies libertés ; renaissance ◀de▶ communautés ◀de▶ types variés ; contrôle direct des décisions dans ◀le▶ domaine ◀de▶ ◀l’▶énergie, et dans celui ◀de▶ ◀l’▶environnement ; diversification des sources ◀d’▶énergie et réduction ◀de▶ ◀la▶ taille des usines productrices, donc aussi ◀de▶ ◀la▶ pollution ; meilleurs rapports entre ◀l’▶homme et sa terre, ◀l’▶homme et sa ville, ◀l’▶homme et ◀les▶ groupes, réajustés dans ◀le▶ concret, sur ◀le▶ terrain ; tout cela entraînant ◀la▶ réadaptation constante des cadres légaux à ◀la▶ complexité des réalités vivantes, et ◀de▶ ◀la▶ production aux besoins spécifiques ◀de▶ ◀la▶ région. Un facteur ◀d’▶autorégulation ◀de▶ ◀la▶ croissance serait ainsi introduit à ◀la▶ base par ◀l’▶autonomie régionale.
Mais ◀les▶ difficultés ne doivent pas être tues. ◀La▶ principale réside dans ◀la▶ complexité ◀de▶ ◀l’▶administration des régions fonctionnelles (écologiques, sociales, culturelles, économiques, etc.) dont ◀les▶ aires, par nature, ne coïncident pas, ne se recouvrent qu’en partie, et de plus, dans ◀de▶ nombreux cas, chevauchent des frontières nationales. Où placer ◀les▶ pouvoirs ◀de▶ décision et comment ◀les▶ harmoniser au niveau régional ? On pourrait prévoir pour chaque fonction une autorité régionale autonome mais reliée à une agence fédérale (continentale) spécialisée. (◀Le▶ rôle ◀d’▶agence fédérale ◀de▶ ◀l’▶économie pouvant être tenu en Europe par ◀la▶ CEE de Bruxelles, ◀l’▶Agence fédérale pour ◀l’▶écologie ayant son siège en Suisse, par exemple, tandis que ◀l’▶Agence fédérale pour ◀les▶ universités s’installerait tout naturellement à Florence, siège prévu ◀de▶ ◀l’▶Université européenne.) Mais alors, comment assurer ◀la▶ politique générale au niveau de ◀la▶ région, c’est-à-dire ◀les▶ priorités, ◀l’▶équilibre entre ◀les▶ différents secteurs, leur financement ? Cela supposerait ◀l’▶usage maîtrisé ◀de▶ ◀la▶ mathématique moderne et pas seulement ◀de▶ ◀la▶ triangulation et ◀de▶ ◀la▶ comptabilité traditionnelles… Cela supposerait ◀la▶ formation ◀d’▶administrateurs régionaux qui ne soient pas ◀de▶ petits politiciens… Et cela supposerait avant tout ◀l’▶accélération et ◀l’▶élargissement des recherches initiées dans ◀les▶ années 1960 par trois ou quatre instituts ◀d’▶études régionales en Europe, qui font un travail ◀de▶ pionniers, mais sont fort peu soutenus par ◀les▶ États, comme bien ◀l’▶on pense.
6. « Votre point de vue est typiquement européen, me dira-t-on, mais que vaut-il pour ◀le▶ tiers-monde, pour tous ces pays neufs en plein effort ◀de▶ développement, et qui ont adopté ◀le▶ modèle ◀d’▶État-nation qui leur était livré dans ◀le▶ même paquet que ◀la▶ technologie et ◀le▶ DDT ? » Deux réponses à cette objection :
1° C’est ◀l’▶Europe qui a inventé ◀l’▶État-nation que tous imitent. C’est à elle ◀de▶ donner ◀l’▶exemple ◀d’▶une invention meilleure, et ◀de▶ ◀l’▶expérimenter. À elle ◀de▶ développer ◀les▶ anticorps des virus qu’elle a propagés.
2° ◀L’▶État-nation peut faire autant et plus ◀de▶ mal au tiers-monde qu’aux Européens. Il est grand temps ◀de▶ ◀le▶ dépouiller ◀de▶ son prestige, ◀d’▶en dénoncer ◀l’▶absurdité, et ◀d’▶inciter chacune des grandes régions ◀de▶ ◀la▶ planète à rechercher sa propre voie vers des formes nouvelles ◀de▶ communauté. Pour ◀l’▶Europe de l’Est comme ◀de▶ ◀l’▶Ouest, ◀la▶ solution me paraît consister dans ◀la▶ petite région fonctionnelle. Si ◀l’▶Europe réussit à ◀la▶ mettre au point et à ◀la▶ rendre opérationnelle en temps utile, elle aura fait bien plus et mieux pour ◀le▶ tiers-monde qu’en lui prêtant une « Assistance technique » (qui a si bien réussi chez elle !) et des experts en armements, en gaspillage, en production ◀de▶ pollution, et en « planned obsolescence ».
Deux objections m’ont été présentées.
◀Le▶ professeur polonais Pajestka soutient que ◀l’▶État-nation est ◀la▶ sauvegarde des libertés des petits États neufs, contre ◀le▶ néo-colonialisme. Je pense que ◀le▶ stato-nationalisme est plutôt ◀le▶ cadeau piégé que nous avons fait au tiers-monde.
◀Le▶ recteur ◀de▶ ◀l’▶Université ◀de▶ New Delhi ironisant sur ma condamnation ◀de▶ ◀l’▶État-nation, ◀la▶ compare à ◀la▶ pilule contre ◀les▶ tremblements ◀de▶ terre qu’un charlatan vendait dans ◀les▶ rues ◀de▶ Lisbonne, selon Voltaire. Je lui rappellerai, en privé, que ◀les▶ tremblements ◀de▶ terre ne dépendent pas ◀de▶ ◀l’▶homme, tandis que ◀les▶ États-nations sont nés ◀de▶ nos œuvres…
Par ailleurs je reçois ◀l’▶adhésion chaleureuse ◀d’▶un grand biologiste italien, ◀d’▶un grand psychiatre américain, ◀d’▶un contestataire iranien, ◀d’▶un ancien président ◀de▶ ◀la▶ Confédération suisse, ◀de▶ Robert Jungk, et du ministre ◀de▶ ◀la▶ Culture ◀d’▶un des jeunes États africains : « Savez-vous que nous en sommes à nous battre pour des frontières que ◀les▶ puissances coloniales ont tracées à ◀la▶ règle sur ◀la▶ carte, et qui coupent à travers nos tribus et leurs fédérations traditionnelles ? »