(1977) Articles divers (1974-1977) « L’amour (1975) » pp. 203-212

L’amour (1975)o

Il n’est pas question de constituer, à côté de la psychologie scientifique et de la psychanalyse, une troisième psychologie qui, faute de rigueur, se dirait littéraire, mais bien de mettre en valeur le fait, historique autant que psychologique, que « l’Amour » tel qu’on le parle et qu’on le vit dans la culture occidentale, à la différence de l’amour tel qu’il est codifié et vécu dans les autres cultures, se trouve lié dans sa genèse permanente à l’expression, premièrement littéraire et musicale (au xiie siècle), puis théâtrale dès la fin du xvie siècle, enfin cinématographique au xxe siècle. Preuve en est que nos psychologues « scientifiques » et psychanalystes de toute école prennent leurs repères, leurs modèles structurels et leurs termes de base dans la tradition littéraire qui est la nôtre, d’Œdipe à Sade et à Sacher-Masoch.

Pour situer cette forme d’amour spécifiquement occidental dont les structures psychiques peuvent être étudiées au mieux dans ses expressions littéraires et artistiques en général, il nous faudra d’abord tenter de débrouiller, parmi les mille et trois sens du mot amour, quelques classes sémantiques assez évidemment distinctes, sinon opposables.

Il nous faudra ensuite repérer les grandes étapes d’une évolution historique qui s’est stratifiée dans la psyché occidentale, et dont la connaissance rend seule intelligibles les innombrables contradictions de l’amour tel que nous le vivons et, plus encore, tel que nous l’écrivons.

Cinq niveaux

À la base — au regard des modernes —, l’instinct sexuel, c’est-à-dire une pulsion que tout être éprouve à un moment donné de son développement, même sans avoir jamais rien lu ni même entendu dire à son sujet. Fonction de l’espèce, fatalité pour l’individu, tropisme, mais, chez l’homme, moins étroitement déterminé que chez tous les autres animaux : les mâles en tout temps excitables, les femelles en tout temps accessibles.

L’érotisme, deuxième niveau, est l’usage non procréateur, non fonctionnel de la sexualité. C’est donc au sens littéral du terme une perversion, le détournement d’un instinct qui était générique et génésique, au profit d’un plaisir individuel et stérile. Ainsi défini comme la transformation du besoin en jouissance, le phénomène érotique est pratiquement universel. Toutes les religions connues comportent une érotique, le plus souvent codifiée dans des livres sacrés ou des idoles — à la seule exception du christianisme (dont on peut nier d’ailleurs qu’il soit une « religion » au sens sociologique du terme).

Il n’en va pas de même de la passion, forme d’amour liée plus que toute autre à ses expressions littéraires (au « discours amoureux » comme on disait naguère), et limitée de la sorte (à peu d’exceptions près) à l’aire de la culture occidentale. L’amour sentimental est le degré inférieur de la passion, laquelle est la transposition de l’érotisme en religion de l’amour ressenti, en exaltation nostalgique ou jubilante, comparée à un feu qui couve en secret et qui soudain éclate, flambe et « se déclare ». C’est l’amour qui se prend pour son objet, qui aime sa propre intensité et non pas l’Autre. C’est l’auto-intoxication, favorisée par la publicité que lui font nos romans, nos poèmes, nos chansons et nos opéras. C’est le sentiment qui s’exalte de tout ce qui s’oppose au désir, sépare les corps et fait obstacle à l’accomplissement sexuel « sans histoire », comme à la fusion avec l’Autre, détruisant toute altérité. Mais l’obstacle suprême est la mort, qui provoque la passion transfigurante, la « joie suprême » d’Isolde agonisante au dernier vers du grand poème musical de Wagner.

L’amour-passion n’est donc pas le mélange, mais la composition en un produit nouveau et de propriétés spécifiques, d’une jouissance désirée ou perdue et d’une souffrance délicieusement entretenue, qui, à l’extrême, seront extase et mort.

L’amour du prochain tel qu’il est, ou tel que le regard aimant est capable de le susciter, c’est l’inverse de la passion : il peut être sans lien aucun avec l’Éros, il n’est pas sentiment mais acte, respect de l’Autre comme sujet autonome, non comme objet d’exaltation tout intérieure, voulant la vie au lieu de désirer la mort. Cet amour-là n’est pas disert ni exalté mais réaliste, d’une manière qui ne prête guère à la littérature.

Au dernier stade de « sublimation », où la pulsion sexuelle n’est plus sensible, l’amour mystique va reprendre tout le langage de la passion : il cherche la fusion dans la divinité, et il « meurt de ne pas mourir » (Thérèse d’Ávila). Il est à l’amour du prochain dans le même rapport dialectique que l’érotisme l’est à l’instinct sexuel.

L’Éros grec

Le vocabulaire de la Grèce antique est le seul qui exerce encore une influence permanente et vérifiable sur l’expression des « variétés de l’expérience amoureuse » en Occident.

Selon Platon et son maître Socrate, Éros est l’agent de tout progrès moral et spirituel, mais à la condition qu’en lui et par lui prévale toujours sur l’instinct génésique la recherche du bien de l’être aimé. Cela ne saurait s’appliquer au mariage, dont la seule fin est de donner des enfants à l’État.

Certes, l’amour vrai « tend à l’enfantement dans la beauté, selon le corps et selon l’âme… » Cependant, la fécondité spirituelle reste l’attribut supérieur de l’Éros véritable.

Il est bien certain que la conception platonicienne a dominé tout le développement de la civilisation européenne, malgré quelques résistances isolées, et qu’elle constitue l’apport principal de la Grèce à ce qu’on peut appeler la métaphysique de l’amour (R. Flacelière, L’Amour en Grèce).

Il semble que Platon agit sur nous comme une information héréditaire.

Personne ne saurait dire jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité d’Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’homme le plus simple use couramment d’expressions et de notions qui remontent à Platon (J. Ortega y Gasset).

Illustrant cette remarque, appelons platoniciens inconscients, ou naïfs, tous ceux qui, de la cortezia des troubadours au romantisme allemand, puis à la poésie populaire des romans et des chansons, parlent d’« âme sœur », de « fusion des âmes », d’« extase amoureuse », où les amants croient « ne plus faire qu’un », tous ceux qui qualifient l’être aimé de « ma moitié » (variante : « ma meilleure moitié »), et tous ceux qui écrivent sur Éros.

Si l’idée platonicienne de l’amour est résolument positive, édifiante, idéalisante, on aurait tort d’en inférer que les Grecs n’ont pas connu le couple sombre Éros-Thanatos, amour et mort.

Trois mythes en effet, écrit R. Flacelière, nous montrent que les Grecs ont médité sur les rapports mystérieux de l’amour et de la mort, bien avant le Moyen Âge courtois et le roman de Tristan et Iseut, qui contient d’ailleurs tant de réminiscences de l’Antiquité : ce sont ceux d’Orphée et d’Eurydice, d’Admète et d’Alceste, de Protésilas et de Laodamie.

(Le premier sert de modèle aux deux autres.) On peut penser, cependant, que ces trois mythes illustrent davantage le rêve ou l’idéal de « l’amour plus fort que la mort » que la passion de « l’amour pour la mort » qui est, comme nous le verrons, le secret de Tristan.

La révolution chrétienne

Cinq siècles après Platon, Plutarque fait un premier éloge du mariage d’amour : « L’union physique avec une épouse est source d’amitié, comme une participation en commun à de grands mystères (hiéron mégalôn). » Or un contemporain de Plutarque, saint Paul, avait écrit de son côté que le mariage est « un grand mystère (mystérion méga) ».

Rencontre d’autant plus surprenante que saint Paul, avant même que les évangiles aient été rédigés, ne cesse de dénoncer dans ses épîtres le sacré tant juif que païen (hellénistico-romain surtout), qu’il range sous la catégorie de la Loi et auquel il oppose la « liberté des enfants de Dieu ». La révolution paulinienne consiste dans la proclamation que « tout m’est permis, mais tout n’est pas utile » (Épître aux Romains) relative à l’ensemble des interdits et des tabous, au premier rang desquels figurait comme toujours et dans toutes les religions, sauf celle du Christ, le système des tabous sexuels.

L’Évangile n’apporte aucun code, aucun système d’interdictions rituelles, pas une recette de fécondité ni de plaisir ; il admet simplement les rites judaïques (la circoncision notamment). La vie sexuelle n’y joue qu’un rôle quelconque, à peu près invisible et sans drame. (Paroles de Jésus à une prostituée ou à la femme de cinq maris : paix et pardon à cause de l’amour.) S’agirait-il d’un refoulement ? Non, car la tentation correspondante n’est pas sensible : la volupté ou la luxure ne figure pas au nombre des tentations majeures que Satan fait subir au Christ dans le désert.

Le paradoxe fondamental de l’érotique, dans l’ère chrétienne, tient en ceci que le christianisme, religion de l’Amour (« Dieu est Amour »), créé par un acte d’amour (« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… »), et dont toute la loi se résume dans le commandement unique « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même », cette foi nouvelle n’a pas de livres sacrés sur l’amour. C’est cette absence totale de cérémonials d’initiation et de recettes de plaisir ou de fécondité, si profus dans les grandes religions de l’Asie, qui va créer le « problème sexuel » de l’Occident christianisé.

Contre l’opinion générale des Grecs autant que de l’Inde et de la Chine, saint Paul fait de l’amour matrimonial, sexuel, social et personnel, une forme d’existence spirituelle : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église. » D’autre part, il n’hésite pas à écrire : « Celui qui n’est pas marié s’inquiète du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme » (I Cor. vii, 32). Ainsi donc, exalté d’une part comme image de l’amour divin, mais vilipendé d’autre part comme ennemi de la vie spirituelle, toléré finalement, mais dans les seules limites du mariage le plus strict et consacré — tout le reste étant laissé en friche ou très sommairement condamné (« luxure », « impudicité », « prostitution spirituelle ») —, l’amour humain devait fatalement devenir une source intarissable de problèmes, tant pour la société que pour l’individu.

Au surplus, lié dès l’origine à la réalité de la personne, l’amour sexuel, sentimental et spirituel (amour des corps, des âmes ou des esprits, selon la tripartition paulinienne et gnostique, soulignons-le) se trouvait lié à la dialectique du salut, c’est-à-dire du péché et de la grâce, donc valorisé à l’extrême. Cela ne pouvait se produire — et en effet ne s’est produit — que dans la sphère d’influence du christianisme.

Mais, entre la position d’un principe révolutionnaire — foi contre loi — et sa réalisation sociale, il y a toute l’épaisseur, la lourdeur, l’inertie psychobiologique d’une société.

Au cours du premier millénaire de la christianisation du Proche-Orient et de l’Occident, l’amour personnel ne semble avoir joué aucun rôle pratique, juridique, ni même psychologique. Le mariage était certes un sacrement, mais il liait deux patrimoines et deux familles — des clans, des rangs et des procréateurs, non des personnes. Du ixe au xiie siècle, l’amour antique s’est éclipsé, et celui que nous croyons seul « naturel » et « aussi vieux que l’humanité » ne donne encore que de malingres témoignages de son existence en Europe, parmi lesquels on peut citer les Carmina de l’évêque Fortunat (fin du vie siècle) dédiés à la reine Radegonde, alors retirée au monastère qu’elle avait fondé à Poitiers. Ce clerc fait à la femme une place capitale qui annonce déjà la conception de la « courtoisie », mais il s’agit d’une femme idéalisée, objet d’une adoration mystique qui se confond bientôt avec celle vouée à la Sainte Vierge.

La « cortezia »

On connaît la boutade de Charles Seignobos : « L’amour est une invention du xiie siècle. » Amour, qui désigne pour nous le sentiment, le désir et la passion, n’a pris ce sens qu’avec la poésie des troubadours. Cette poésie apparaît subitement dans le sud de la France actuelle (Poitou, Limousin, puis Languedoc) et va se répandre sur tout le continent avec une surprenante rapidité. Elle ne ressemble à rien de ce qu’avaient connu le monde antique et le monde christianisé, à part les rares exceptions, déjà citées, des poésies dues à des clercs… Avec ses formes fixes et raffinées et sa doctrine absolument nouvelle, la cortezia (amour à la manière des cours seigneuriales), on ne peut croire qu’elle n’ait été que la trouvaille plus ou moins fortuite de quelques moines musiciens de Saint-Martial de Limoges et de jongleurs peu cultivés. Telle est, pourtant, la thèse « prudente » de la plupart des spécialistes du trobar, au xixe siècle et jusqu’à nous. Mais, s’ils avaient raison, comment concevoir que cette poésie ait pu transformer nos manières de sentir, et nos mœurs, et nos arts, pour des siècles ? Ne serait-elle pas au contraire le signe d’une révolution plus générale qui s’opérait à cette époque dans la psyché occidentale ?

Dès la fin du xie siècle, des mouvements religieux hétérodoxes prolifèrent en Italie, en Allemagne rhénane, dans les Flandres et le Nord, puis le centre et le sud de la France : tous opposent à l’Église un spiritualisme épuré, tous condamnent le mariage — que le pape Grégoire VII vient d’interdire aux prêtres —, tous professent la divinité de l’âme et jugent que, le corps étant vil, rien de ce qu’il fait ne saurait engager le salut : « Point de péché au-dessous du nombril ! », déclare l’évêque d’une de ces sectes dualistes. Et Joachim de Flore annonce que l’Esprit-Saint, dont l’ère va commencer, s’incarnera dans une Femme. La plus puissante de ces hérésies sera le catharisme, venu de l’Arménie à travers l’Anatolie, les Balkans, la Bosnie et l’Italie du Nord, où elle se répandra d’une part vers le nord de la France et jusqu’en Angleterre, d’autre part vers l’Ouest occitan où elle s’installera solidement dans les grandes et petites cours de l’Aquitaine et du comté de Toulouse, puis chez les artisans des villes du Midi. Le catharisme prêche l’abstention des relations charnelles procréatrices. Mais la plupart des simples « croyants », jugeant trop difficile l’exigence d’absolue chasteté, se bornent à médire du mariage, cette iurata fornicatio ordonnée aux lois de l’espèce, de l’héritage et de la brutalité masculine. Un prédicateur itinérant, Robert d’Arbrissel (né vers 1050), rendu populaire par ses diatribes passionnées contre le luxe et la luxure, fonde en 1101 à Fontevrault un couvent de femmes, bientôt célèbre parce que les plus grandes dames de France, de Bretagne et du Poitou, dont l’ex-femme et la fille de Guillaume IX, viennent y chercher refuge contre la tyrannie grossière du mariage féodal et catholique.

Le Breton Pierre Abélard (1079-1142), poète, philosophe, théologien et le plus grand docteur de son époque, devient le premier héros historique de l’amour-passion, c’est-à-dire de l’amour traversé, en butte à des obstacles toujours plus tragiques, et s’exaltant du tourment qui en résulte.

Une forme toute nouvelle de poésie chantée naît dans le Poitou et le Limousin avec les premières œuvres de Guillaume, sixième comte de Poitiers et neuvième duc d’Aquitaine (1070-1127). Il sera suivi par des dizaines puis des centaines de poètes qui se nomment « troubadours » (c’est-à-dire trouveurs, inventeurs, compositeurs). Cette poésie dont la doctrine se nomme cortezia — puisqu’elle est chantée dans les cours des seigneurs du Midi — exalte la Femme, jusqu’alors négligée et méprisée ; elle la célèbre sous le nom de Dame ou domina — d’où le nom de « maîtresse » donné plus tard à l’amante —, l’assimilant ainsi au seigneur féodal à qui le chevalier doit allégeance ; elle oppose au mariage « de raison » comme à la luxure grossière le culte de l’amour vainqueur, respectueux de la femme, mais non des liens sociaux. À la « Dame des pensées » de la cortezia, l’Église répond par les titres de « Notre Dame » et de Regina Coeli désormais donnés à la Vierge. En 1140, des moines instituent le culte de l’Immaculée Conception de Notre-Dame.

La grande innovation de la cortezia n’est pas seulement d’avoir exactement inversé la doctrine de saint Paul — selon laquelle le mariage sans amour vaudrait mieux que l’amour sans mariage — mais surtout d’avoir soumis l’Éros au discours poétique et romanesque, d’avoir découvert, en somme, que c’est le langage qui permet de transformer la pulsion instinctuelle en sentiment, et l’expérience générique en conscience individuelle. À partir des troubadours et des trouvères du xiie siècle, l’amour est cela qui se « déclare » par des mots.

On peut soutenir que l’histoire de l’Éros en Occident, des troubadours à notre siècle, se confond avec celle des expressions du désir, du sentiment et de la passion, non seulement dans la poésie, le roman, le théâtre et l’opéra, mais aussi et d’abord dans la mystique, non moins liée au langage que la littérature, dans la mode, dans les formes réglées de la guerre et, de nos jours, dans les mass médias audiovisuels. On s’en tiendra ici à la littérature.

Le mythe de l’amour-passion

Très peu après l’aventure d’Héloïse et Abélard apparaît le roman de Tristan et Iseut. Plusieurs allusions dans des poésies de troubadours datant du milieu du xiie siècle montrent que la légende était connue des troubadours dans le temps même où la première version (en langue romane — d’où le nom de roman), le Tristan et Iseut de Béroul, commence à circuler en Europe.

Tous les éléments de la révolution psychique composés en système dans la cortezia se retrouvent dans l’histoire de Tristan : désir exaspéré par les obstacles de toute nature à sa conservation (liens parentaux, allégeance féodale, mariage, séparations physiques qui semblent souvent provoquées par les amants eux-mêmes), et l’obstacle suprême, qui est la mort, portera le désir jusqu’à l’extase ; service de la Dame à laquelle l’homme sacrifie tout (Tristan renonce à son rang à la cour, faillit à l’honneur du chevalier et à la fidélité envers le suzerain, ment, se parjure et finalement perd la vie même), mais cet asservissement volontaire est aussi source de prouesses, d’enthousiasme et d’élévation spirituelle ; amour de la princesse lointaine, rappelant « l’amor de lonh » de Jaufré Rudel pour la comtesse de Tripoli, et c’est en vérité l’amour de l’amour même, l’amour de l’état amoureux plus que de l’Autre tel qu’il est, qu’on ne rejoindra que pour mourir ; et même l’élan de l’hérésie ne manque pas : « Amour » vaut plus que la simple vérité, que le sacré social, que les devoirs religieux, que la foi même, à la limite (comme on le voit par exemple dans l’épisode du « jugement de Dieu » commenté par Gottfried de Stras­bourg). Et le salut vient par la grâce de la Dame, de la Sophia aeterna — « l’Éternel féminin », dira Goethe. La dialectique du vrai jour et de l’évidence quotidienne qui domine le roman est gnostique…

Ainsi, le roman de Tristan décrit, analyse et déploie dans la durée tous les motifs psychologiques et religieux de la cortezia que les troubadours exprimaient dans le cri, le soupir, la mélopée ou la fulguration lyrique. La poésie courtoise a sensibilisé la psyché occidentale. En lui donnant un langage nouveau, elle a permis à des sentiments nouveaux d’accéder à la conscience, d’être reconnus et assumés. L’amour, dès lors, sera toujours lié à son « aveu », à sa « déclaration ». Le contenu affectif de la passion va trouver maintenant dans le récit l’indispensable condition formelle de la constitution d’un mythe exemplaire et communicable, socialisé dans la mesure même où il est sacralisé.

Situé de la sorte dans le temps et l’espace, au xiie siècle de l’Europe christianisée, le mythe révélera-t-il par ses structures mêmes le secret du pouvoir immodéré qu’il exerce depuis des siècles sur l’affectivité occidentale ?

Le dernier tabou, le plus fort

Nous avons vu que le « problème sexuel » est né dans le monde christianisé du fait de l’absence d’un code sacré et d’un système d’interdits comme on en trouve dans les autres religions. Un seul tabou, d’ailleurs universel (sauf exception comme chez les pharaons), mais que les évangiles ne mentionnent même pas, n’a jamais cessé d’exercer son empire sur nos sociétés, de la Grèce primitive à l’Occident moderne, c’est le tabou de l’inceste. Tous les autres étant évacués, il prend une importance majeure et régit des domaines psychosociaux toujours plus larges. Ainsi, le divorce, assimilé à l’adultère par la chrétienté médiévale, devient obligation sacrée, pour peu qu’une parenté soit découverte, fût-ce au septième degré, entre mari et femme. Robert le Pieux se voit contraint de répudier sa première femme, qu’il aime, parce qu’elle est sa cousine au quatrième degré et qu’elle a tenu avec lui un enfant sur les fonts baptismaux. La terreur de l’inceste, dès les premiers instants, va peser sur l’amour de Tristan et d’Iseut. Car le trio Tristan-Iseut-roi Marc correspond non pas, certes, en vérité de fait matériel et physiologique, mais en réalité psychosociale, au trio œdipien fils-mère-père.

Tristan naît dans le malheur parental : son père vient de mourir et sa mère, Blanchefleur, ne survit pas à sa naissance, d’où le nom même du héros. Le roi Marc de Cornouailles, frère de sa mère, prend l’orphelin à sa cour et l’éduque. Or, chez les Celtes, comme chez bien d’autres peuples, l’oncle maternel prend la place du père (même vivant) et devient le « père nourricier » et véritable éducateur, en vertu d’une institution dite fosterage. Tristan est donc, en droit, le « fils » de Marc. Chargé par ce dernier de la « quête » d’Iseut, c’est ainsi de sa future « mère » légale qu’il tombe passionnément amoureux. La condamnation de l’inceste pèse donc sur les amants dès leur premier « aveu » sur le pont brûlant du bateau qui les ramène d’Irlande. Tristan, qui est le plus fort des chevaliers et qui a conquis Iseut par valeur et prouesse, serait en droit de la garder pour lui selon la coutume chevaleresque qu’illustrent les tournois dont la dame est le « prix ». S’il n’en fait rien, ce n’est pas seulement par respect de son suzerain (déjà trompé en fait), mais parce qu’à la force des lois et de sa fidélité au roi s’ajoute celle, bien plus contraignante, du dernier tabou subsistant, du pire obstacle imaginable — celui que l’on pressent comme le plus « efficace » pour enflammer le désir des amants et le porter au degré de la passion mortelle. Dès lors, la structure du roman sera simplement l’alternance des revoirs (de plus en plus périlleux) et des séparations (parfois voulues) qu’exige et que régit la dialectique du mythe, jusqu’à la catastrophe finale, où la réunion définitive des amants s’opère au prix de leur séparation suprême dans la mort, obstacle dernier, fin du « roman ».

Tel est le secret que le mythe a pour fonction, comme toujours, d’exprimer tout en le voilant, de trahir en le traduisant et de communiquer sans l’expliquer, car son contenu demeure inavouable même s’il est fascinant comme une drogue. Et n’est-ce pas d’une intoxication — le « vin herbé » servi par une « erreur » sans laquelle point de roman — que naît l’amour-passion, l’amour subi, celui qui fera dire à l’ermite recevant la confession des deux amants : « Amor par force vos demeine » ?

Et, depuis lors, tous les romans dignes du nom obéiront à la structure triangulaire, d’origine œdipienne, et à l’alternance des obstacles secrètement suscités puis surmontés, sauf le dernier… Et l’auteur, qui reste inconscient de la présence impérieuse du mythe, l’en traduira peut-être d’autant mieux. Certes, la tension peut décroître, du tragique au sentimental, voire au comique dans Don Quichotte, et l’histoire du roman européen, qui semble celle d’une longue dégradation du mythe, peut être aussi celle d’une lente intériorisation. Le roi Marc peut devenir tour à tour le Commandeur dans Don Juan, le comte Mosca dans La Chartreuse de Parme, ou le digne et terne mari des héroïnes bourgeoises, de Balzac à Flaubert, voire le cocu des pièces de Boulevard. Mieux encore, il peut s’effacer progressivement, se déguiser en protecteur, en oncle, en ami aîné et plus sage, et finalement s’évanouir tout à fait dans les romans d’analyse intérieure, mais c’est pour renaître aussitôt sous les espèces d’une instance morale, d’une autorité tutélaire mais rigoureuse, et du devoir envers la société, envers l’autre et envers soi-même que Freud (dès 1923, dans Das Ich und das Es) appellera le surmoi : c’est encore et toujours l’image du Père — celui qui interdit la Mère au Fils.

De même, Iseut peut devenir la Béatrice de Dante ou la Laure de Pétrarque, la princesse de Clèves ou la petite Juliette de Roméo, la maîtresse de John Donne ou la nouvelle Héloïse de Rousseau, l’Ellénore, l’Adolphe, la petite fiancée de Novalis, la radieuse Adrienne de Gérard de Nerval, l’« Éva qui donc es-tu… » des plus beaux vers de Vigny, objet d’un « amour taciturne et toujours menacé », la Tess d’Urberville de Thomas Hardy ou la grande cocotte dont Swann croit être amoureux parce qu’elle a dit un jour que « non, elle ne serait pas libre demain soir ». Elle est toujours la femme rêvée, la princesse lointaine, la fée Viviane ou la Velléda des Martyrs, celle qui se prête aux fantasmes de l’homme. Le « héros » (comme on le dit encore des personnages de roman les plus falots) doit en être séparé, après de brèves et fulgurantes rencontres, par mille traverses astucieusement renouvelées et que suscitent à plaisir (littéralement) les ruses inépuisables de l’amour-passion.

Quant à Tristan, du preux chevalier à l’amoureux transi des romantiques, du héros empanaché de l’Astrée au conteur lucide et sensible du grand roman de Proust, il perd peu à peu son allure de somnambule fasciné par le rêve de la « femme impossible ». Mais, si débile et complexé qu’il apparaisse le plus souvent dans le roman contemporain, il n’en reste pas moins celui qui affronte la mort d’amour, celui auquel son amour interdit « donne l’audace de négocier avec la mort » (Pétrarque).

Passion et obstacle

C’est un fait évident, à l’expérience comme à la lecture des romans, que la passion ne s’approfondit et ne dégage ses énergies qu’à la mesure des résistances qu’elle rencontre. Déjà, dans la poésie des troubadours, nous voyons que l’amour courtois se distingue du simple désir par le raffinement de ses expressions, la culture du sentiment, le respect quasi religieux de la femme que l’on met sur un piédestal pour mieux pouvoir se plaindre qu’elle soit située « en trop haut lieu », voire tout à fait inaccessible. « L’amour de loin » que chante Jaufré Rudel, l’éloge de la chasteté, les lois d’Amour strictement codifiées, les règles de chevalerie : tout indique la même volonté d’imposer une retenue aux instincts, de mettre une distance entre les amants. C’est cela qui permet à l’attrait naturel de s’exalter, de devenir une passion.

Ce trait fondamental, la retenue, les contraintes, se manifestera d’une manière beaucoup plus dramatique lorsque l’amour courtois trouvera son expression romanesque dans la France du Nord et l’Angleterre celtique. La légende de Tristan et Iseut reste le prototype éternel de l’Amour, inventé par la poésie du Midi mais transposé dans le climat sombre et tempétueux de la Bretagne, de l’Irlande et de la Cornouailles. Des analyses de ce « roman par excellence » se dégage la conclusion que la passion est cette forme de l’amour qui se nourrit des obstacles qu’on lui oppose, ou qu’elle sait inventer au besoin. Sans obstacles, point de passion. « Les peuples heureux n’ont pas d’histoire », dit le proverbe. Un couple heureux ne fait pas un roman. L’histoire de l’amour passionné sera donc celle de ses traverses, de ses malheurs, que les lecteurs comme les amants préfèrent au bonheur « sans histoires ».

Dès le xive siècle, toute la littérature européenne s’est convertie au style des troubadours. De ce temps jusqu’au xxe siècle, nous assistons aux péripéties d’un duel sans cesse renouvelé entre la religion des « Fidèles d’amour » et l’orthodoxie des Églises, entre l’aventure individuelle de la passion (ou de la mystique) et la morale collective de la cité, entre le romantisme éternel et les nécessités de l’ordre social. Chaque fois que la société crée de nouvelles résistances à l’anarchie passionnelle, la religion subversive de l’amour reprend vigueur et invente de nouveaux moyens de s’exprimer et de répandre sa contagion, par le poème d’abord et le roman, puis le théâtre et, enfin, l’opéra.

Encore faut-il bien préciser que le moment subversif, anarchique, individuel de la passion n’est jamais séparable de l’arrière-plan social, de même que le moment mystique ne peut se détacher que sur un fond d’orthodoxie. « Entre deux êtres isolés, il n’y a pas d’amour possible », dit le héros de L’Homme sans qualités de Robert Musil. Et il ajoute :

Un amour peut naître par défi, il ne peut être fait de défi. Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’est pas un contenu de vie mais une négation, une exception faite à tous les contenus de vie. Or, il faut à une exception quelque chose dont elle soit l’exception. On ne peut vivre d’une négation pure.

Musil, ici, fait écho à l’épisode des amants de la légende, exilés dans la forêt de Morois, et qui, le philtre ayant cessé d’agir au bout de trois ans, découvrent l’existence du monde et se séparent, pour renouveler l’obstacle — et leur passion.

L’inévitable et nécessaire socialisation de la passion se fait sentir dans la publication même d’un roman, et plus encore dans la représentation d’une tragédie. Mais ce que la passion gagne à se déclarer par le moyen de la littérature, elle le perd en sincérité, en virulence ; son drame vécu devient spectacle passionnant, ses péripéties durement subies deviennent intrigue, suspense et plaisir du lecteur. Cependant, cette dégradation de la passion par l’expression — sans laquelle elle ne pourrait pas s’entretenir (au double sens de ce terme) — s’est fait sentir plus vite dans le roman qu’au théâtre. (Je parle ici, bien entendu, d’ouvrages littéraires, et non pas de romans pornos ni du trio de Boulevard, mari-femme-amant ou maîtresse.)

La descendance de Tristan

Le roman le plus littéraire de la littérature française est sans doute L’Astrée d’Honoré d’Urfé, ouvrage en cinq parties et plusieurs milliers de pages, paru de 1607 à 1627 et traduit aussitôt dans la plupart des langues de l’Europe. La cortezia y devient simple courtoisie au sens moderne. La mystique se dégrade en psychologie de salon, transposée dans un paysage pastoral. Les amants, chevaliers ou bergers, ne sont plus que des soupirants. Et si la mort qu’ils appellent leur est accordée, c’est sous la forme d’un évanouissement, dont ils se réveillent pour épouser leur maîtresse. Happy Ending. Certes, tous les grands thèmes du mythe sont là, mais leur tragique s’est mué en élégante mélancolie : lois d’Amour, séparations ingénieuses, éloge de la chasteté, voire défi à la mort libératrice. Mais la dialectique cruelle du roman n’est plus ici que coquetteries, et le combat du Jour et de la Nuit se ramène à des jeux de pénombre. Entre les corps des deux amants plus d’épée nue, mais la houlette dorée de Céladon ornée d’une faveur de sa bergère.

Il est peu de romans mieux écrits que L’Astrée. Mais, si le dur destin du mythe n’y est plus que machine romanesque, faut-il incriminer la société du temps et ses coutumes, ou la littérature elle-même, qui ne serait qu’un sous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ? L’œuvre d’art, conçue et reçue comme telle, ne serait-elle qu’un substitut tardif du sacré, un phénomène de décadence morale d’une société, et qui offre peu de résistance à la critique des générations qui vont suivre ? En fait, ce fut assez d’un décret de Boileau, dans son Dialogue sur les héros de roman, pour réduire à l’oubli la féerie romanesque des d’Urfé, Gomberville ou Scudéry.

Une dernière flamme, mince et pure, La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette, brûle encore sur l’autel du mythe. Dernier roman courtois, premier roman moderne ? La mort s’y atténue en renoncement mutuel, et la chevalerie fait place à la vertu, qui conclut en faveur du monde, de sa morale.

Cependant, le mythe garde sa virulence dans le théâtre de la même époque. Roméo et Juliette est peut-être la plus authentique tragédie courtoise et la plus belle épiphanie du mythe avant le Tristan et Isolde de Wagner. Ici la mort par amour n’est plus seulement métaphorique. Elle est appelée dans sa réalité à la fois charnelle et mystique comme l’amour même.

Deux générations plus tard, le théâtre français introduit à son tour, sous les formes les plus policées, « cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie » (Racine, préface de Bérénice).

Nous avons vu qu’à chaque fois que la société crée de nouveaux obstacles à l’anarchie des passions, la religion subversive de l’amour reprend vigueur. Ainsi, lorsque la société française s’organise solidement sous le règne de Louis XIV et oppose à l’anarchie de la Fronde cette mise en ordre quasi totalitaire de la nation et de la culture qu’on baptise aujourd’hui « le Grand Siècle », la passion imagine des formes qui vont l’avouer dans toute sa force, à la Cour même, par le théâtre. Andromaque, Bérénice et Phèdre descendent bien moins de l’Antiquité, dont Racine prétend s’inspirer, que de l’amour courtois et de la passion fatale, à la Tristan, dont on peut voir qu’elle est devenue la manière de « ressentir l’amour » qui paraît désormais naturelle en Europe. L’empire du mythe tristanien sur Racine est manifeste : il explique seul que l’amour de Phèdre pour Hippolyte, dont elle n’est que la belle-mère, soit présenté comme incestueux, donc absolument interdit. Quant à Hippolyte, Racine le fait amoureux d’Aricie « qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père ». Aricie sera donc pour Hippolyte l’amour que le Père interdit, un substitut voilé de l’amour incestueux pour la Mère. « Dois-je épouser ses droits contre un père irrité ? » se demande le jeune homme. (La psychanalyse nous a habitués à des déguisements plus savants !) Ces sentiments et ces passions sont condamnables, et Racine les condamne, mais il en fait son œuvre ! L’autre moyen qu’il a trouvé pour nous parler voluptueusement de la passion de ses personnages, donc de la sienne, c’est l’argument à toute épreuve du philtre. Ici, comme pour Tristan, « le Destin » va servir d’alibi à la responsabilité (culpabilité) des amants et, du même coup, à celle de l’auteur :

Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang.

Et la servante Œnone tient à Phèdre le même langage que la servante Brangaine à Iseut :

Vous aimez. On ne peut vaincre sa destinée :
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.

Racine est-il vraiment sincère dans sa préface lorsqu’il écrit :

Ce que je puis assurer, c’est que je n’en ai point fait [de tragédie] où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies […]. Les faiblesses de l’amour y passent pour de vraies faiblesses.

On est loin du dessein « d’exciter les passions » pour plaire à un besoin de « tristesse majestueuse ». Racine va se retirer du monde et des passions mondaines.

De Don Juan à Sade

Le xviiie siècle offre l’exemple inverse d’un affaiblissement de la passion correspondant à l’affaiblissement des obstacles sociaux et moraux, déprimés par la critique rationaliste ou ridiculisés par ceux qui font la mode, telle cette grande dame des lettres, Madame du Deffand, qui écrit :

On trouve encore parmi les gens de condition inférieure de bons ménages mais, parmi les gens de qualité, je ne connais pas un seul exemple d’affection réciproque ni de fidélité.

Le mariage n’est donc plus un obstacle, les liens familiaux se relâchent, les derniers interdits et tabous se voient en quelque sorte sécularisés et, du même coup, relativisés : ils cessent donc d’être des tabous. Quant à la religion chrétienne (ou du moins ce qu’elle est devenue : morale prêchée parfois par des évêques qui bâtissent des palais pour leur maîtresse, comme à Salzbourg, casuistique, règlements ecclésiastiques, condamnation de la « chair »), elle a perdu tout pouvoir contraignant.

À la rapide dévalorisation des obstacles (de la Régence à la Révolution) va donc répondre une apparente et passagère éclipse du mythe. De Molière à Mozart, c’est Don Juan qui occupe la scène de sa présence insolente, bondissante, mais secrètement anxieuse. Or, Don Juan est l’antithèse de Tristan, son négatif parfait : infidèle par définition, homme des rencontres sans lendemain, cherchant en vain parmi toutes les femmes celle qui pourrait retenir son amour, quand Tristan était l’homme d’un seul amour fatal mais dans lequel il trouvait toute la Femme. Don Juan viole toutes les règles de la cortezia et devient le héros du siècle où les cyniques donnent le ton aux mœurs et à l’esprit. Or, ceux qui demeurent insensibles aux réalités spirituelles sont incapables de passion. On ne parle plus que de « passionnettes », mais bien plus souvent de femmes « prises » (comme une ville après un siège en règle). Mais ces femmes ne sont plus objets d’adoration. Elles ont leur politique, leur stratégie subtile. « Les femmes de ce temps n’aiment pas avec le cœur, elles aiment avec la tête », dit l’abbé Galiani. « Des débauchées de l’esprit », ajoute Horace Walpole, donnant ainsi la vraie formule d’un donjuanisme féminin. Car c’est la femme qui rêve Don Juan, c’est le désir féminin qui crée « l’homme sans visage », l’homme d’une nuit sans lendemains qui geignent, l’homme du plaisir qui ne laissera qu’un souvenir de bonheur, quoi qu’en dise Dona Anna. Casanova, dans ses Mémoires, se vante de n’avoir laissé derrière lui que des femmes émues et heureuses. Il est vrai qu’aucune d’elles n’a publié de souvenirs. Mais écoutons ce cri d’Adrienne Lecouvreur, quand elle dit du très inconstant Maurice de Saxe : « Voici mon univers, mon espoir, et mes dieux ! » L’idéal donjuanesque, comme la légende qu’il inverse, donnera lieu à toute une littérature romanesque où l’amour-passion se réduit à « l’échange de deux fantaisies » et au « contact de deux épidermes », selon l’aphorisme célèbre de Chamfort. Ce qui compte aux yeux du romancier, c’est une intrigue délibérée et qui traduit non plus la dialectique du mythe mais une impitoyable stratégie : on a reconnu la formule des Liaisons dangereuses de Laclos. Leur cruauté reste purement psychologique. Avec Sade, elle tourne aux sévices corporels.

Le marquis de Sade écrit ses œuvres en prison : il ne peut donc s’agir que de fantasmes, mais qui n’en sont que plus révélateurs de l’inconscient collectif du siècle et des motivations qu’il subit. Sade est, de toute évidence, un malade mental, un de ces « fous » qui, selon Chesterton, « a tout perdu excepté la raison ». Privé en fait d’amour physique, ce descendant de la Laure de Pétrarque (Laure de Noves) trouve dans la tradition de sa famille le modèle de l’amour idéal, cette cortezia que, pour se venger de l’existence, il entreprend d’inverser et d’assassiner. Décidé à « copier les noirceurs de la nature », tels les gnostiques de la secte de Carpocrate au iie siècle, il entend renchérir sur elles. Pour lui, « le pire est l’ennemi du mal », comme l’a si bien vu Jean Paulhan. Par une sorte de dépit amoureux, il veut tuer ce que la courtoisie adorait. Le crime d’amour impur sauvera seul la « pureté », aux yeux de Sade comme à ceux des fauteurs de la Terreur jacobine. Et, pour cela, une seule alternative : exercer la cruauté et la violence sur soi-même — ou sur le prochain. Sade choisit pour victime le prochain (Sacher-Masoch se choisira lui-même). Ses livres ont la monotonie de l’obsession. Quant à ses valeurs, on ne saurait trop souligner qu’elles sont celles de la noblesse la plus arrogante, et peu importe qu’il les vante ou les dénonce : elles régissent l’œuvre. Au surplus, il choisit parmi elles les plus propres à « justifier » l’arbitraire, la violence infligée, le mépris de l’homme et de la femme et surtout de la classe « inférieure », simple objet des plaisirs du seigneur. Il ne retiendra pas les valeurs qui « obligent » la vraie noblesse féodale à la vertu et au service, celles qui pourraient favoriser les « attachements », les « fidélités » réciproques.

Entre Laclos et Sade, l’astucieux et le fou, s’étend toute une littérature qui va du réalisme libertin des Liaisons dangereuses aux fantasmagories pornographiques des Cent journées de Sodome, cette inversion de l’idéal courtois, aussi ardent que lui à poursuivre l’impossible, aussi incompatible avec la vie vécue, et que J. Huizinga nommait « l’idéal de la luxure ».

On pourrait croire que cette littérature anticourtoise remplit le siècle, de la Régence à la Révolution. Ce serait oublier son plus grand écrivain, Rousseau le gêneur, qui d’ailleurs vient de Genève et déteste les modes régnantes. Par le sujet et par le style de La Nouvelle Héloïse (au titre significatif puisqu’il évoque la passion d’Abélard), Rousseau d’un coup ressuscite l’amour de Pétrarque (auquel il emprunte les sous-titres analytiques des chapitres dans une des éditions du roman) et, par-delà le pétrarquisme, rejoint le mythe tristanien, encore qu’il traduise et transpose la légende chevaleresque dans le langage d’une petite noblesse vaudoise embourgeoisée et dans le registre de la souffrance intime et du renoncement moral, non plus de la fascination mortelle.

Ainsi l’on a passé, en plus de cinq siècles de progressive sensibilisation, des mœurs au mythe, avec l’usure et la déperdition d’énergie que cela implique nécessairement, de la passion aux émotions, de la mystique aux sentiments religieux et de l’extase aux états d’âme poétiques. Mais la mélancolie profonde qui baigne l’histoire de Tristan s’attache encore au roman de Rousseau comme à tous ceux qu’il fera naître, de Richardson au Werther de Goethe.

Et c’est une autre amoureuse célèbre de l’époque, Julie de Lespinasse, qui l’exprimera elle aussi dans un seul cri :

J’aime, mais comme on doit aimer : dans le désespoir !

À quoi Novalis fait écho :

Quand on fuit la douleur, c’est qu’on ne veut plus aimer… Que Dieu me conserve cette douleur qui m’est indiciblement chère.

L’amour romantique

C’est à partir de l’état d’âme sentimental des amants de La Nouvelle Héloïse que les poètes et romanciers, allemands d’abord puis anglais, vont tenter de rejoindre une mystique primitive dont ils ignorent presque tout, historiquement, mais dont ils redécouvrent par éclairs la vertu sacrale et mortelle. Quelques phrases des plus purs romantiques allemands suffiront pour donner le ton tristanien de la nouvelle école.

Hölderlin, lettre à Diotima :

La passion de l’amour suprême ne trouve jamais son accomplissement ici-bas ! Mourir ensemble ! voilà le seul accomplissement.

Novalis, dans son journal intime :

Notre engagement n’était pas pris pour ce monde.

Et dans les Hymnes à la nuit :

Que ton feu spirituel dévore mon corps, qu’en une étreinte aérienne je m’unisse étroitement à toi, et que dure alors éternellement notre nuit nuptiale !

Les Français seront plus lents à se laisser emporter par « l’enthousiasme errant, fils de la belle Nuit » (André Chénier). Mais voici Chateaubriand paraphrasant le Cantique des cantiques dans son invocation célèbre :

Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie !

À partir de là, tout le xixe siècle sera sentimental, passionné et mélancolique dans les choses de l’amour, selon le vocabulaire des poètes romantiques, du Sturm und Drang aux lakistes, de Platen à Baudelaire et de Novalis aux symbolistes. Car l’amour passionné, répétons-le, prend sa source dans cet élan qui par ailleurs fait naître le langage. Et l’invention d’une rhétorique suractive les puissances latentes du cœur plus qu’elle ne traduit leurs pulsions. On a vu le rôle créateur de la conduite passionnelle des troubadours et des trouvères. Rousseau fait boire du lait à toute la cour de France, Werther produit une vague de suicides, René désole plusieurs générations. Mais, si l’évolution de l’amour et la psychologie de l’état amoureux suivent de près la littérature, celle-ci à son tour n’est jamais indépendante de la société et de ses structures de contrainte. Si le romantisme est un retour en force de la religion des « Fidèles d’amour », c’est que l’obstacle contre lequel il se révolte et mobilise les énergies de l’âme est l’ordre bourgeois tout entier : le règne des horaires, condition de l’industrie, des chemins de fer et de l’urbanisation ; l’instruction publique, bientôt obligatoire, alignant les esprits ; la conscription universelle et obligatoire alignant les corps ; la grande presse alignant les curiosités ; tout concourt à faire, par contraste, de l’Éros passionnel, anarchisant, ce « vert paradis des amours enfantines » (Baudelaire) où ceux qui aiment situent leur vraie patrie. L’amour-passion (selon l’expression de Stendhal) devient la part du rêve qu’on oppose au mariage bourgeois, union notariale.

C’est en 1830 et 1848 qu’apparaissent en Europe des expressions telles qu’érotisme, sexualité, problème sexuel, dans les œuvres de Charles Fourier et de ses disciples socialistes et communautaires, puis chez Kierkegaard, c’est-à-dire chez les critiques les plus radicaux de la bourgeoisie et de son système de valeurs jugées incompatibles soit avec la justice sociale, soit avec l’exigence chrétienne. Baudelaire, profond révélateur de la sensibilité de son époque, compose dans ses poèmes une érotique secrète et douloureuse, en défense contre la civilisation industrielle. Elle est nourrie de spleen urbain et de nostalgie d’un horizon crépusculaire, horizon de mysticité qu’il oppose à la pure sensualité. Entrant malgré lui dans les catégories plus bourgeoises que chrétiennes qu’il veut combattre, il écrit que

la volupté unique et suprême de l’amour gît dans la certitude de faire le mal. Et l’homme et la femme savent, de naissance, que dans le mal se trouve toute volupté (Fusées, III).

Cependant, c’est le roman anglais, de Melmoth aux sœurs Brontë puis à Thomas Hardy, qui traduira le mieux l’action souterraine du mythe de Tristan, réactivé par les tabous de la nouvelle société, et qui réinventera les tourments bienheureux des amours interdites et impossibles. Et c’est Wagner qui en révélera musicalement le sens ésotérique, au moment où le mariage bourgeois, suffisamment consolidé, permet et appelle à la fois cette évasion psychodramatique vers la passion rêvée, son épanouissement dans la mort, au-delà de la prison des corps, dans l’extase de l’union des âmes.

Tout cela évolue vers une crise radicale. L’hypocrisie du « mariage d’amour », refoulant les motifs sexuels et déguisant les motifs financiers, doit aboutir à une situation névrotique et créer un véritable stress social.

Érotisation de la culture

Éros et psyché

Que Freud ait si profondément choqué la bourgeoisie occidentale, mais qu’il ait donné en même temps à un petit nombre de disciples fanatiques puis, après une génération, à un vaste public, par ouï-dire, la certitude soudaine que sa doctrine « expliquait tout », cela tient au fait qu’il expliquait les névroses et quelques psychoses à partir d’un des deux éléments considérés comme tabou par la morale courante : le sexe. Marx produisait, à peu près dans le même temps, des effets de choc et de conversion d’une intensité comparable en « expliquant tout » par l’action de l’autre élément considéré comme tabou : l’argent.

Freud n’a rien ajouté à notre idée de l’amour puisqu’en ramenant l’amour à l’Éros génital il inverse la cortezia, mais il a fortement contribué à la démystifier, par une réduction impitoyable de toutes ses motivations (mystiques, ethniques ou poétiques) à la seule libido ou énergie sexuelle. Pour lui, l’amour « dont les poètes parlent tant » n’est qu’une « prime de plaisir » donnée à l’acte sexuel, l’attrait sexuel n’ayant « en somme pour profond motif que la nécessité de procréer pour conserver l’espèce ».

En bref, on peut affirmer qu’aux yeux de Freud l’amour du prochain, désintéressé et même oblatif, n’est en dernière analyse qu’une « variété » de l’attrait sexuel, alors que, dans la conception chrétienne du monde, c’est l’attrait sexuel qui n’est qu’un cas particulier de cet Amour cosmique et spirituel qui, selon Dante, « meut le soleil et les autres étoiles ».

La psychanalyse s’est constituée au cours d’une période d’érotisation générale de la psyché européenne, qui ne caractérise pas seulement la Vienne de Freud, mais le Paris de la Belle Époque, Venise comme Munich, et Londres comme Berlin. Officiellement censurée par la bourgeoisie pieuse ou athée, par la morale laïque autant que par l’Église, la sexualité n’en a pas moins envahi les salons de la peinture bourgeoise, les théâtres et la littérature romanesque qui, désormais, va étudier les mœurs des courtisanes, l’inceste, l’homosexualité féminine et masculine, et les délices infiniment variées du masochisme, de Sacher-Masoch à Marcel Proust. Le freudisme n’a nullement « déchaîné la sexualité » comme le répètent ceux qui l’attaquent sans le connaître. Il a seulement autorisé une nouvelle manière de parler des choses du sexe. Il réfléchit (sur) un état de fait dont la bourgeoisie seule est responsable, et auquel Freud n’a voulu que donner ses vrais noms.

Le Vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et J.-B. Pontalis ne comporte pas d’article sur le mot amour. En revanche, dans l’article intitulé Génital (amour), les auteurs concèdent qu’on trouve chez Freud

l’idée d’une forme achevée de la sexualité et même “d’une attitude complètement normale en amour” où viennent s’unir le courant de la sensualité et celui de la “tendresse” (Zärtlichkeit).

Ce dernier terme, placé entre guillemets comme pour s’excuser de son incongruité, est défini comme

une attitude envers autrui qui perpétue ou reproduit le premier mode de la relation amoureuse de l’enfant, où le plaisir sexuel n’est pas trouvé indépendamment, mais toujours en s’étayant sur la satisfaction des pulsions d’autoconservation.

(On a reconnu l’action du « principe de plaisir », principe économique qui tend à la réduction par satisfaction des excitations libidinales.) Toute idée d’Agapè, mais aussi de passion, se trouve évacuée par cette interprétation purement sexuelle et égoïste de « l’amour » selon Freud.

Éros, dieu d’une mystique athée

Que les interdits, les tabous et les angoisses que ces interdits expriment (ou qui en résultent par la suite) aient préexisté de longue date au christianisme (loin que celui-ci les ait fomentés, comme le répètent, dans leur spiritual illiteracy [T. S. Eliot], trop de savants contemporains), c’est ce qu’a fort bien relevé Georges Bataille dans ses ouvrages sur Éros et l’érotisme, si fort en vogue dans l’avant-garde intellectuelle des années 1970. C’est en deçà, non au-delà du christianisme que Bataille situe les éléments du drame authentique de l’Éros. « Le christianisme, s’opposant à l’érotisme, a condamné la plupart des religions », écrit-il avec une lucidité toute nietzschéenne. Suivant en cela Baudelaire, Bataille croit retrouver dans le sens du péché et la conscience de la « transgression » les éléments d’une érotique moderne. Toute son œuvre illustre les liens nécessaires entre érotisme et religion, désir et angoisse, transgression et volupté, finalement quête du plaisir transcendant et « mort de Dieu ». Il s’est fait le théologien d’une mystique athée fondée sur le seul drame d’Éros.

C’est, de même, dans la tradition de Nietzsche, non de Marx ni de Freud, que se situe André Malraux lorsqu’il écrit (très proche ici de G. Bataille) :

Il ne s’agit plus d’échapper au péché, mais d’intégrer l’érotisme à la vie sans qu’il perde cette force qu’il devait au péché ; de lui donner tout ce qui, jusqu’ici, était donné à l’amour ; d’en faire le moyen de notre propre révélation (préface à L’Amant de Lady Chatterley).

Là encore, c’est bien au-delà du motif générique de procréation, et même du motif individuel d’intégration, c’est vers une connaissance peut-être mortelle que nous entraîne l’Éros mythique.

Avenir de l’amour-passion

La morale bourgeoise est en pleine décadence. Ses tabous ne tiennent plus. Freud et tous les psychanalystes ont accrédité malgré eux l’idée, devenue populaire, qu’il est moins dangereux pour la société de libérer l’instinct sexuel que le refouler. Cette invasion de l’érotisme dans la rue, dans les mœurs, dans le langage, dans les livres, ne signifie nullement que la sexualité soit plus anarchique ou plus vigoureuse qu’en d’autres temps. C’est seulement l’expression de la sexualité qui n’est plus réprimée, ce qui signifie que la plupart des interdits sociaux, légaux et religieux ont perdu leur valeur de tabous. Les romanciers savent bien que le roman véritable n’est jamais qu’une version renouvelée de l’archétype courtois de Tristan et Iseut. Ils cherchent partout l’obstacle qui résiste et ils n’en trouvent plus guère. L’Homme sans qualités de Robert Musil, qui décrit une passion incestueuse entre frère et sœur, et la Lolita de Nabokov, qui décrit la passion d’un quadragénaire pour une nymphette de 12 ans, sont les derniers échos du mythe ressuscité grâce aux derniers tabous que l’époque respecte encore. Mais déjà le héros de Lolita nous est décrit comme un antihéros, c’est-à-dire un malade mental. Un psychanalyste l’eût guéri et le roman n’eût pas été.

Anticipant sur une évolution qui devrait logiquement conduire à l’extinction de l’élément passionnel ou même sentimental, les artistes contemporains se cantonnent dans la description d’objets purifiés de toute psychologie, ils peignent des tableaux qui ne représentent rien, composent de la musique qui n’exprime plus aucun mouvement du cœur. Nouveau roman, peinture abstraite, musique concrète utilisent des instruments qui ne peuvent plus exprimer la passion mais seulement des combinaisons d’objets, de sensations, de rapports mathématiques.

Dans cette perspective, la passion paraît condamnée et le roman avec elle. Mais tout peut se renverser très vite, au point de crise que nous avons atteint.

L’ennui sécrété par les formes actuelles de la civilisation amènera nécessairement une rébellion de l’esprit, une sédition de l’inconscient, un phénomène comparable, à bien des égards, à celui qui se produisit dans la psyché collective du xiie siècle : une vaste remontée du principe féminin, à la recherche de nouveaux symboles, de nouvelles façons de se manifester, de s’exprimer. Les derniers ouvrages de C. G. Jung prédisaient ce retour des puissances affectives. On distingue déjà les signes avant-coureurs de cette revanche des puissances irrationnelles et affectives : l’érotisme généralisé, le budget privé de la magie qui, en France, dépasse le budget de la recherche scientifique, l’envahissement sournois de l’ésotérisme pseudo-oriental, la révolte surréaliste culminant dans le culte de la femme-enfant salvatrice de l’homme, prisonnier de la raison, la curiosité du public pour la doctrine cathare… Tout cela peut aller vers deux sortes de frénésies aussi dangereuses pour la santé sociale que pour la santé spirituelle. Les puissances passionnelles, frustrées par la technique et réclamant leur dû, peuvent provoquer des névroses collectives et des fureurs anarchiques. Elles peuvent aussi se perdre dans un idéalisme délirant, sans nul espoir de réconciliation avec la science ou la théologie.

Entre ce trop haut et ce trop bas également prévisibles, on peut imaginer que l’avenir de l’amour dépendra désormais de notre faculté de maîtriser les deux pulsions contradictoires de l’érotisme et de la passion. Et ce sera la fonction retrouvée et renouvelée de la littérature romanesque et lyrique que de nous décrire les cheminements de cet amour dont le poète andalou Ibn Hazm écrivait au xie siècle :

L’amour est une maladie incurable qui ne peut trouver remède qu’en elle-même. C’est une condition délectable et un mal que nous désirons. Celui qui n’en est pas atteint ne souhaite nullement rester sain. Et celui qui en souffre ne trouve aucun plaisir à en être guéri.