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Passage de▶ la personne à la cité
Gouverner, c’est orienter
Le but ultime ◀de▶ la cité ou société humaine organisée — telle du moins qu’un Occidental peut la concevoir aujourd’hui — sera ◀de▶ favoriser en chacun la personne, donc le passage ◀de▶ sa virtualité à sa réalité vécue en acte. À cette fin, l’on disposera tout dans la cité — éducation, lois et morale — en vue de ce progrès seul authentique qui est le progrès ◀de▶ l’homme même, non du nombre des choses autour de lui. Plus simplement : c’est la personne qui est le but ◀de▶ la société, et non pas la vente des autos, comme serait conduit à le penser un enquêteur intelligent débarqué parmi nous du fond ◀de▶ l’espace.
◀D’▶où la fonction ◀d’▶orientation — et non pas ◀de▶ répression ni ◀de▶ conditionnement — des institutions que j’appelle. Elles n’auront pas pour but ◀de▶ modeler un type ◀d’▶homme, comme l’école napoléonienne, qui passait l’uniforme aux élèves et voulait obtenir l’identité des réflexes ◀de▶ tous au même top, en ordonnant dans toute la France la lecture du même texte à la même heure. Elles viseront au contraire à favoriser en chaque individu le maximum ◀d’▶autonomie dont il pourra se révéler capable.
Favoriser, orienter, promouvoir, ces notions s’opposent point par point à contraindre, forcer, interdire, qui définissent le style stato-nationaliste ◀de▶ gouverner.
« Gouverner, c’est contraindre », écrivait Georges Pompidou120 bien assuré ◀de▶ s’en tenir aux évidences proférées dans les grandes écoles :
Contraindre les individus à se plier à des règles, dont chacune à tout moment, va contre l’intérêt immédiat ◀de▶ tel ou tel. Les contraindre à payer des impôts, à donner à l’armée des années ◀de▶ leur jeunesse, parfois, leur vie. Les contraindre à obéir à des autorités administratives dont le poids leur apparaît aussi lourd que les motivations incompréhensibles. Gouverner, c’est en somme conduire les hommes collectivement dans des voies et vers des objectifs qui ne leur sont ni naturels ni clairement perceptibles, ni conformes à leurs aspirations immédiates. Le gouvernement, c’est donc bien la « répression » au sens où l’entend Freud.
Passons sur Freud dont la notion ◀de▶ refoulement n’a guère à voir avec cette répression légale qui ne rend pas du tout inconscients ses objets. Reste qu’aux yeux ◀d’▶un homme d’État des plus classiques du xxe siècle européen, il ne s’agit, dans la conduite ◀de▶ la cité, que ◀de▶ « contraindre » les humains, au nom d’impératifs dont on ne conçoit même pas qu’ils puissent être jamais mis en question — comme les impôts et le service militaire — et en vue ◀d’▶objectifs dont on paraît admettre qu’ils ne sont susceptibles ni ◀d’▶être expliqués ni ◀d’▶être acceptés, étant contraires aux « aspirations immédiates » des citoyens. Voilà qui est dire en clair que ce gouvernement est au service ◀de▶ l’État-roi, et non des hommes, ◀de▶ sa puissance et non ◀de▶ leurs libertés.
La devise « gouverner c’est contraindre » avoue la réalité ◀de▶ l’État-nation : car contraindre est le fait ◀de▶ la police à l’intérieur et ◀de▶ l’armée à l’extérieur. Cette situation paradoxale ◀de▶ l’État, à la fois gendarme au-dedans contre son peuple, et gangster au-dehors contre les autres peuples, force ◀de▶ l’ordre et fauteur arrogant du désordre international, voilà qui ne laisse plus le moindre doute : l’État-nation est là pour faire la guerre.
Impôts et service militaire
On peut et l’on doit dire ◀de▶ ces deux « nécessités » ce que Renan dit des nations : elles ne sont pas quelque chose ◀d’▶éternel, elles ont commencé, elles finiront.
« Les rois capétiens ne pouvaient lever l’impôt, les Bourbons ne pouvaient exiger le service militaire. » (B. de Jouvenel, Du pouvoir.)
Les Bourbons, ce n’est pas si vieux. La conscription universelle et obligatoire, tout comme l’école primaire, ne remonte guère dans nos pays européens qu’aux années 1875 à 1885.
Après trois décennies ◀de▶ guerres coloniales, période ◀de▶ mises au point, ◀de▶ banc ◀d’▶essai, la conscription universelle a rendu possibles et aussitôt « inévitables » les deux guerres mondiales du xxe siècle. Il est permis ◀de▶ préférer la suppression des armées à l’éventualité ◀d’▶une Troisième Guerre mondiale, dût en souffrir la théorie classique du pouvoir.
Le budget ◀de▶ l’État diminué des dépenses ◀d’▶armements, les impôts seraient réduits ◀d’▶un tiers. Sans impôts excessifs, moins ◀de▶ fraudes et ◀d’▶activités judiciaires. L’interdiction des ventes ◀d’▶armes diminuerait la délinquance et la criminalité, et par suite les activités policières : l’antisystème serait amorcé.
J’imagine au contraire que gouverner, dans le nouveau style que j’appelle, devienne l’art ◀d’▶arbitrer entre les intérêts, les projets, les techniques nouvelles, et ◀de▶ les adopter, amender ou exclure selon leur convenance ou non avec les objectifs ◀de▶ la cité, toujours considérés comme les moyens ◀de▶ l’épanouissement des personnes. J’imagine donc que gouverner ne soit plus synonyme ◀de▶ contraindre, mais ◀de▶ prévoir et ◀d’▶orienter en conséquence. Le problème désormais n’est plus ◀de▶ forcer les individus reluctants ni ◀d’▶obtenir leur reddition, mais ◀d’▶expliquer les situations et les problèmes et ◀d’▶obtenir l’assentiment des citoyens. Ce n’est plus ◀de▶ violer mais ◀de▶ séduire. Ce n’est plus ◀de▶ « tenir son monde » mais ◀de▶ servir les habitants ◀de▶ la cité.
Gouverner par orientation évoque l’art du pilote au gouvernail. Il dispose et compose dans le sens ◀de▶ ses buts les puissances ◀de▶ la nature, jusqu’à faire ses complices des vents contraires : l’équipage et les passagers lui font confiance. En revanche, le capitaine ◀d’▶une galère ne gouverne que par la contrainte qu’il exerce sur ses forçats, à l’encontre ◀de▶ leurs « aspirations immédiates », et n’a pas ◀d’▶autre source ◀d’▶énergie que leur effort, bientôt lassé, cassé, car après tout, le voyage et ses buts, ce n’est pas leur affaire.
Tel est le dilemme ◀de▶ l’homme politique ◀d’▶aujourd’hui. Il s’agit ◀de▶ savoir si l’État, dans la poursuite ◀de▶ ses fins propres ◀de▶ puissance, a pour fonction normale ◀d’▶exploiter « pour son bien » un peuple jamais assez mûr pour juger ◀de▶ ses vrais intérêts — ou si l’État est l’appareil ◀de▶ pilotage, en partie automatisé, qu’un peuple libre et responsable décide ◀d’▶utiliser pour aller vers ses fins.
Ici je sens monter et s’enfler contre moi les fureurs ◀de▶ la droite (bourgeoise ou communiste) à l’idée ◀de▶ mon « rousseauisme impénitent », ou du moins ◀de▶ l’idée qu’elle s’en fait et m’attribue à toutes fins polémiques : à savoir que je tiendrais l’homme pour bon, en tout cas pour meilleur qu’il n’est (et qu’eux ne sont, apparemment !) et que je nierais donc cette nécessité ◀de▶ « tenir son monde », qui justifie les forces armées, lesquelles exigent l’industrie lourde, qui exigent les centrales nucléaires, qui exigent la police politique, qui exige et même justifie la persistance des pouvoirs ultracentralisés et la nécessité ◀de▶ les renforcer sans cesse.
Or, je ne tiens pas les hommes pour meilleurs en moyenne que ceux qui les mènent au désastre. Je propose des structures sociales et des finalités ◀de▶ l’existence qui auraient sans nul doute pour effet ◀de▶ pousser moins ◀de▶ gens au crime que ne le font les structures actuelles, moins ◀de▶ policiers aux violences que l’on sait, moins ◀de▶ sensibles à la démence ou au suicide, et par suite moins ◀de▶ politiciens à faire en sorte que l’État se voie réduit à « tenir son monde » au lieu de servir la cité.
La règle ◀d’▶or du civisme : point ◀de▶ liberté sans responsabilité ne saurait jouer dans les trop grandes unités, parce que celles-ci ne ménagent pas au citoyen les moyens matériels ◀d’▶une action efficace.
Il faut donc commencer par restaurer ◀de▶ petites unités ◀de▶ participation.
Commencer par en bas, ici et là, partout ! Dans la longue impatience des germinations.
Que toute communauté s’origine dans l’homme — et réciproquement
Vu dans l’ensemble ◀de▶ son évolution du milieu du xixe siècle au milieu du xxe , le nationalisme des États-nations de l’Europe apparaît comme une réaction au processus ◀de▶ dissociation communautaire amorcé par l’industrie et l’urbanisme, puis entretenu par les idéologies qui s’expriment en elles et les justifient. Réaction instinctive dans les populations, ce nationalisme communautaire dans sa genèse, a été consciemment poussé jusqu’à l’intoxication chauvine par l’enseignement aux trois degrés, par quelques-uns des meilleurs écrivains ◀de▶ leur époque, par beaucoup de peintres pompiers, et par la presse tout entière121.
Mais le nationalisme, substitut synthétique des réalités communautaires défaillantes, ne devient vraiment efficace qu’en temps ◀de▶ guerre, temps où les relations humaines sont anormales, exaltées, simplifiées, loin de la vraie vie, et facilement réduites à quelques stéréotypes par la propagande des États.
Le nationalisme a tenté ◀de▶ recréer la communauté par en haut. Par décrets du pouvoir, par programmation ◀de▶ l’instruction publique, par conditionnement des réflexes corporels, affectifs et intellectuels (service militaire, modes, presse et mass médias), par une politique systématique ◀d’▶effacement des réalités régionales et des groupes, au profit ◀de▶ l’abstrait national122.
Or, nous le voyons bien aujourd’hui : on ne peut pas décréter un sentiment, une vie, ni une vitalité communautaire. On peut créer un « champ », un jeu ◀de▶ forces, une fascination collective par le moyen ◀de▶ mythes nationaux, mais cela n’a jamais duré plus que le temps ◀de▶ haïr ensemble des ennemis désignés officiellement, et dont on ne connaît que leur qualité ◀d’▶ennemis.
Rien ne vit par le cadre, l’extérieur, rien non plus ne se nourrit du centre géométrique. Et rien ◀d’▶universel n’existe qu’au secret ◀de▶ l’individu. « Le Royaume des cieux est au-dedans de vous. » L’Église elle-même, « universelle » selon le Credo ◀de▶ Nicée, ne vit vraiment que dans la vie ◀de▶ ses paroisses et s’enracine en fin de compte dans la seule existence individuelle des convertis.
Ainsi ◀de▶ la communauté sociale : elle prend racine dans la condition même ◀de▶ l’homme et pas ailleurs, dans ses besoins fondamentaux et ses fins les plus personnelles. Elle préexiste à l’individu en ce sens que chacun naît ◀d’▶une union formée dans le réseau des relations sociales, et elle dure au-delà ◀de▶ la personne dans les répercussions à l’infini ◀de▶ sa vocation unique vécue parmi les autres. Nul homme ne naît ◀de▶ soi, ni ne peut vivre seul, sans l’aide qu’il reçoit et qu’il donne, sans l’amour qu’il reçoit et qu’il donne. Tout homme est par sa condition en communauté symbiotique, tout homme est « symbiote » (selon le grec) ou « convive » (selon le latin), participant ◀d’▶une vie commune, et destiné à vivre en « convivialité » — consociatio symbiotica, ainsi que l’écrivait Althusius au début du xviie siècle123. Il tirait ◀de▶ là des conséquences politiques dont l’extrême importance se révèle aujourd’hui comme on va le voir.
Les fondements érotiques ◀de▶ la vie sociale
◀De▶ cette communauté consentie, volontaire — et non subie, comme l’était celle des liens du sang — le mariage est l’exemple élémentaire. Cette mutua confederate (mutualité, fédération à deux) « contient en germe tout l’épanouissement ultérieur ». La nature, selon Althusius, ne pousse pas seulement l’homme à l’acte procréateur, mais à « la solidarité intime, étroite et constante, qui est l’attribut caractéristique ◀de▶ l’amour humain ». Pour Althusius, « la première société est dans le couple ; la suivante, dans les enfants ; ◀d’▶où le foyer et la famille… ◀De▶ cette succession, ◀de▶ cette lignée procède toute la chose publique ». C’est ce que le principal éditeur et commentateur moderne ◀d’▶Althusius a nommé « le fondement érotique ◀de▶ la vie sociale124 ».
Du couple créateur ◀d’▶un foyer, ◀d’▶une famille, on passe aux petites communautés : leur association, compagnonnage, collège ou compagnie, synode ou convention, n’est plus, comme la famille, naturelle et subie, mais doit son existence à la libre adhésion ◀de▶ tous ses membres.
« La communauté publique est formée par la coalescence ◀de▶ plusieurs communautés privées. On peut l’appeler universitas. »
Universitas, au Moyen Âge, c’était le nom des communes au sens municipal, mais aussi au sens académique. La Sorbonne était, dans Paris, une libre commune relevant ◀de▶ la papauté, non du roi de France ni ◀de▶ la Commune parisienne.
Quant aux autorités choisies pour chaque commune ou compagnie, elles consistent en « collèges », dont le chef — président, maire, recteur ou consul — est « supérieur à chacun des compagnons, mais inférieur à la compagnie qu’il préside et dont les avis l’obligent ».
Plusieurs communes réunies par cette même sphère ◀d’▶intérêts, bien plus que par un même territoire, forment une province ou région — consociatio symbiotica universalis, ou respublica — liées par un serment ou fœdus, ◀d’▶où confœderatio, ou fédération125.
La souveraineté est exercée par le collège, non par le chef : « le peuple en est propriétaire, le roi simple administrateur ».
Entre eux, deux classes ◀de▶ magistrats souverains : les éphores et le summus magistratus.
« Aux éphores, le peuple constitué en corps politique a confié l’ensemble ◀de▶ la République ou ◀de▶ la communauté intégrale, pour la représenter, exercer son pouvoir et son droit dans l’érection du magistrat suprême, l’assister ◀de▶ leur aide et conseil, mettre un frein à sa licence dans les causes injustes, le maintenir dans les limites ◀de▶ sa charge, enfin veiller à ce que la République ne reçoive aucun dommage des cabales privées ni des inimitiés dues à l’action, à l’omission ou à la démission du magistrat suprême. » (Politica, 48.)
Ces éphores sont au xvie siècle les états généraux en France, les fueros espagnols, le parlement anglais, les diètes germaniques, les États néerlandais, la diète des ligues suisses, les conseils des communes urbaines et des villes ◀d’▶empire subsistantes. Althusius qualifie les éphores comme « les premiers ◀de▶ l’État et du royaume, les vengeurs officiels du pacte entre le magistrat suprême et le peuple, les défenseurs ◀de▶ la justice et du droit auquel ils soumettent le magistrat suprême ; et ses censeurs… » On a reconnu nos députés et sénateurs, nos conseillers chargés ◀de▶ faire respecter la constitution, mais aussi l’ombudsman scandinave, « vengeur du pacte » entre l’exécutif et le peuple.
Le magistrat suprême — roi, président, collège — intronisé par les éphores au nom du peuple, n’en reçoit qu’un serment ◀d’▶obéissance conditionnelle car le pacte qui le lie au peuple est réciproque ; encore laisse-t-il toujours au peuple une dernière supériorité, qui est « celle du corps sur son organe ». Et voici la phrase décisive : « Le peuple seul détient la majesté. » (Politica, xxxix.)
◀De▶ la majesté selon Jean Bodin (qui définit au xvie siècle la souveraineté), ◀de▶ la Genossenschaft ou communauté germanique, ◀de▶ la résistance calvinienne au tyran, Althusius a su tirer cette belle construction dont Pierre Mesnard écrit très justement qu’elle « fonde la démocratie véritable par la souveraineté du peuple, l’autonomie des communautés naturelles, la liberté inexpugnable et la discipline sociale des compagnons-citoyens126 ».
J’ai longuement cité Althusius : je ne connais rien de plus moderne, ◀de▶ mieux en progrès sur nos crises, ni de plus ◀d’▶avenir, s’il en est un.
Triomphe ◀de▶ Jean Bodin : « L’État c’est moi ! »
Si Louis XIV a vraiment dit : « L’État c’est moi ! », c’est qu’on lui aura lu Jean Bodin. Dans La République, ouvrage en six livres paru en 1576, ce fondateur français ◀de▶ la science politique donne, en effet, pour évidence, que la pleine souveraineté appartient au monarque, à qui le peuple en a fait abandon, une fois pour toutes, et sans condition. La souveraineté est définie par « le pouvoir ◀de▶ donner et casser la loy », par celui ◀de▶ lever des impôts ou ◀d’▶en exempter les sujets, ◀de▶ « connaître en dernier ressort des jugements ◀de▶ tous magistrats », ◀de▶ « hausser ou baisser le titre des monnoyes », et surtout, ◀de▶ « décerner la guerre ou faire la paix ». Elle n’est donc limitée par rien au monde, si ce n’est la « volonté ◀de▶ Dieu », dont on nous déclare aussitôt que le souverain seul est l’interprète autorisé.
En revanche, la souveraineté, pour Althusius, résidera toujours dans le peuple, et ne sera déléguée au prince ou au Conseil, et sous conditions révocables, que pour certaines tâches limitées, définies par leurs dimensions.
Pour avoir soutenu exactement le contraire, on vient de le voir, Jean Bodin a gagné la partie aux yeux de l’histoire et ◀de▶ la science politique des manuels et des académies. On ne cesse ◀de▶ le célébrer, surtout en France, où Althusius est inconnu. Car Althusius n’est que l’avenir ◀de▶ nos cités, mais Jean Bodin, toute la gloire du passé. C’est Louis XIV, les jacobins, Bonaparte et Napoléon, et ce sont les États-nations qui voudraient bien être totalitaires, mais ils n’osent pas ; et surtout c’est l’État du Parti, qu’il soit fasciste ou communiste, celui qui ne connaît au-dessus ◀de▶ lui que la pensée du fondateur — ◀de▶ Marx à Mao par Lénine — dont il est le seul interprète.
Althusius a échoué ◀de▶ son vivant et pour les trois siècles suivants, c’est entendu. Mais ce qui a gagné contre lui, c’était précisément ce qui nous tue, l’État-nation, l’État ◀d’▶un seul mythe collectif — Classe, Race, Parti ou Dictateur — contre les hommes différents, les hommes réels. L’État qui se prétend ◀de▶ tous, pour tous — et qui est fait contre chacun.
L’État selon Jean Bodin, les rois ◀de▶ France, les philosophes hégéliens du xixe siècle, les sociologues, la plupart des historiens continentaux, et les juristes du xxe siècle, nous est aujourd’hui présenté, comme « le résultat ◀d’▶une conquête ◀de▶ l’espace et des hommes (sic) par l’État ». « L’État classique exerce son pouvoir (…) au profit du groupe qui est l’État. Bien savoir qui est l’État, c’est savoir au profit ◀de▶ qui travaille l’État. » Ces tautologies surprenantes, extraites ◀de▶ l’ouvrage ◀d’▶un panégyriste ◀de▶ la période classique127, impliquent une véritable déification ◀de▶ l’État. Il prend les attributs ◀de▶ l’absolu, devient comme Dieu son propre référentiel, index sui et falsi. Parce que ces phrases reproduisent consciemment ou non les structures ◀de▶ l’expression du divin chez Pascal (« Dieu seul parle bien ◀de▶ Dieu »), chez saint Jean de la Croix, et chez saint Paul lui-même, elles m’apparaissent au plus haut point révélatrices du climat proprement mystique dans lequel se développe le concept ◀de▶ l’État substantifié, et tôt après personnifié. Un consensus des hommes ◀de▶ l’État et ◀de▶ l’Université tend à faire entrer ce concept dans le domaine du sacré, où les fatalités spécifiques ◀de▶ l’État pourraient enfin se développer à l’abri ◀de▶ toute critique, dans les voies désormais inéluctables qui mènent entre autres à la guerre nucléaire.
La machinerie ◀de▶ l’État
◀De▶ fait, les analyses ◀de▶ l’État qui foisonnent dans la littérature politique ◀d’▶aujourd’hui ont à peu près toutes en commun la sacralisation ◀de▶ cet appareil. Elles le confondent au surplus avec la notion, encore plus obscure s’il se peut, ◀de▶ pouvoir, ou avec celles ◀de▶ nation, ◀de▶ peuple, ◀de▶ souveraineté et ◀de▶ gouvernement. Soit qu’elles appellent son « renforcement » (droite et communistes), soit qu’elles le dénoncent comme le Mal (gauchistes, anarchistes, libéraux conséquents), dans les deux cas, elles confèrent à l’État une existence indépendante ◀de▶ l’homme concret, et qui, nécessairement, l’opprime. Et les uns voudraient que l’État opprime correctement (« gouverner, c’est contraindre », mais dans le cadre du Droit !) ; les autres, qu’il n’opprime plus du tout, c’est-à-dire qu’il cesse ◀de▶ se manifester. Ces derniers ne voient pas que leur vœu passionné fournit à l’État tyrannique ses meilleurs prétextes à durer — dans l’esprit ◀de▶ ses partisans comme dans celui des anarchistes qui le nient mais ne vivent que ◀de▶ cette négation.
Or, il n’y a pas ◀de▶ mystère ◀de▶ l’État. Nos gouvernants, incapables ◀de▶ renoncer au dogme ◀de▶ la croissance indéfinie (ce serait renoncer à eux-mêmes, on l’a vu dans ma première partie) essaient ◀de▶ s’en tirer par l’inflation, qu’ils prétendent contrôler. Nos philosophes les imitent en ceci qu’incapables ◀de▶ faire face à la nécessité vitale ◀de▶ récuser le modèle État-nation, ils essaient eux aussi ◀de▶ s’en tirer par l’inflation des concepts et du « discours politique » comme ils disent. Après Hegel, pour qui l’État était « l’Idée spirituelle dans l’extériorité ◀de▶ la volonté humaine et ◀de▶ sa liberté », ou « le peuple, dans la mesure où il s’est structuré en lui-même et forme un tout organique », ils se demandent si l’État est une forme (au sens ◀d’▶Aristote) ou une substance, un être juridique ou une mystification camouflant le « discours du Maître », un produit spécifique ◀de▶ l’histoire des Français, ◀de▶ Philippe le Bel à Philippe Pétain, ou le produit universel ◀de▶ la lutte des classes selon Marx ? Ou encore « le nom ◀d’▶une absence », « une simulation ◀de▶ l’être », « une somme ◀de▶ fonctions », « l’exercice du pouvoir », « ou quelque chose ◀d’▶autre 128 » ? Ils nous laissent béants devant cette dernière et menaçante possibilité.
C’est se moquer, mais en ont-ils conscience ? Quand la Zambie, le Zwaziland, le Zimbabwe deviennent des États comme les autres, j’entends copiés sur le modèle européen, ce n’est pas une « substance » qu’ils créent, ni une « simulation ◀de▶ l’être ». Encore moins baptisent-ils « une absence ». Le groupe des militaires et des politiciens qui, sous n’importe quelle latitude ou longitude et quelles que soient les traditions du pays, entreprend ◀d’▶y organiser un État nouveau, copie tout simplement le modèle jadis imposé à la France par un Corse. Il commence donc par exécuter ceux qui la veille encore commandaient, crée par décret des ministères et les garnit ◀de▶ fonctionnaires, fixe une période ◀de▶ trois à dix ans pour « organiser des élections libres », et charge ◀de▶ cette tâche (aux données quelque peu contradictoires) un Parti national unique et comme il se doit, socialiste. Enfin, il confie à la police le soin ◀de▶ « convaincre » ou ◀de▶ réduire les oppositions éventuelles, minoritaires par définition, puisque c’est lui qui représente « les masses ».
Voilà l’État « prêt à porter », dans sa réalité plate et vulgaire, la seule dont nous ayons à nous préoccuper dans la mesure où, par les enchaînements décrits plus haut (première partie), cette machinerie détruit toute possibilité ◀de▶ communautés autonomes, menace dès maintenant nos vies individuelles et finalement toute vie demain sur toute la Terre. Il s’agit, au fait et au prendre, ◀de▶ l’expression à tous les degrés, dans toutes ses articulations, motivations, finalités, et justifications ◀de▶ la volonté ◀de▶ puissance et ◀d’▶elle seule, individuelle ou collective, consciente ou non ; ◀de▶ ses servitudes réelles ou alléguées, en cas ◀de▶ guerre ou ◀de▶ risques ◀de▶ guerre, c’est-à-dire tout le temps ; ◀de▶ son amoralité proclamée sous le nom ◀de▶ raison ◀d’▶État ; et du culte à lui rendre, obligatoire.
Je réitère : ces formes et pratiques simplistes, les plus faciles à reproduire au poncif, sont les seules efficaces et dangereuses aujourd’hui et je ne parle ici que ◀de▶ leur réalité, négligeant délibérément toute la grande tradition sociologique et juridique ◀de▶ l’Université du siècle dernier, fondée sur la croyance mystique que l’État est « quelque chose ◀d’▶autre » que l’assemblage empirique ◀de▶ bureaux et ◀de▶ fonctionnaires, ◀de▶ ministères et ◀de▶ polices, fonctionnant ◀de▶ la même manière quels que soient le régime et ses finalités, ou le peuple auquel on l’applique.
◀D’▶où l’importance, quand on la considère dans l’uniformité ◀de▶ ses cent-soixante-quinze réalisations actuelles, ◀d’▶une machine, l’État, qui ne produit rien, ou plus précisément, dont le rendement tend vers zéro.
Les machines du sculpteur Jean Tinguely m’en donnent la meilleure figuration plastique et dynamique. Mais tandis que Tinguely utilise un faible courant électrique pour maintenir en mouvement ses broyeuses ◀de▶ néant, pistons menaçants dans le vide et transmission ◀de▶ non-messages, la machinerie ◀de▶ l’État utilise l’énergie produite par des milliers ◀d’▶ambitions juvéniles ou séniles, et conservée par l’inertie des routines administratives en l’absence ◀de▶ résistances civiques.
Et cela durera tant que l’homme occidental restera médusé, c’est-à-dire aveuglé par le besoin ◀de▶ sécurité. Cette hantise dominante explique seule qu’il puisse accepter ◀de▶ subir la volonté ◀de▶ puissance ◀d’▶autrui, ici ◀de▶ l’État, cet Autre sans visage. Sommé ◀de▶ choisir entre la création immédiate ◀d’▶emplois temporaires et le refus ◀d’▶une source ◀de▶ nuisances durables, il vote pour l’emploi. Et s’il lui faut choisir entre les centrales nucléaires ruineuses à tous égards et le risque ◀de▶ manquer ◀de▶ 5 à 10 % ◀d’▶énergie électrique pendant la prochaine décennie, il vote pour les centrales, comme en Californie et dans plusieurs autres États des USA.
Mais c’est qu’on lui a caché, et délibérément, les conditions concrètes, le prix humain et l’enjeu politique ◀de▶ ces opérations. Sait-il, ou refuse-t-il ◀de▶ savoir que son vote signifiait au concret : dix ans ◀de▶ confort pour nous et vingt-quatre-mille ans ◀de▶ menaces mortelles pour nos descendants ?
Qu’on lui fasse voir maintenant l’aboutissement logique des doctrines ◀de▶ l’État souverain, cette guerre atomique, par exemple, qu’un gang peut déclencher avec quelques kilos ◀de▶ plutonium bien placés, et qui peut se propager en quelques heures aux nations des cinq continents tirant leurs bombes dans la panique, tous azimuts, à tout hasard ; qu’on lui fasse voir surtout l’alternative à cette fatalité ◀de▶ l’État-nation, déjà le ciel s’allège, l’horizon s’agrandit et quelque nouveauté s’introduit, chance ◀de▶ paix.
L’anti-Bodin, ou que « l’État c’est nous ! »
L’alternative au système ◀de▶ Bodin, nous la trouvons dans l’œuvre ◀d’▶Althusius.
Althusius est devenu pour moi le nom ◀de▶ code des dernières chances ◀de▶ l’Occident, et probablement, ◀de▶ l’humain.
Pour Althusius, à la base est le Couple, toi et moi, origine « érotique », ou pour mieux dire matrimoniale, ◀de▶ toute communauté humaine. Toi et moi, c’est le nous primitif. Premier degré ◀d’▶une société qui peut dire nous : notre maison, notre ménage, notre administration des choses, mais aussi notre idée ◀de▶ la vie et ◀de▶ son sens.
Dès lors l’État, défini comme fonction certes subordonnée mais nécessaire, l’État c’est nous, parce que c’est la gestion des affaires dont nous sommes responsables : notre habitat, nos habitudes — environnement, économie, us et coutumes — que déterminent dans une large mesure nos habitus moraux et culturels, mais d’abord nos choix spirituels, dans l’unité fondamentale ◀de▶ leurs formulations diversifiées.
J’entendais tout à l’heure à la radio la déclaration ◀d’▶un chef syndicaliste qui venait à point pour illustrer cette thèse. Dénonçant le projet ◀d’▶impôt spécial pour secourir les victimes ◀de▶ la grande sécheresse, il s’écriait, théâtralement rageur : « L’État a son budget, les Français ont le leur ! » Distinction qui condamne un régime.
L’idée que l’État réside dans la capitale, incarné par le roi, le président ou le Premier Secrétaire du Parti peut sécuriser ceux qui disent « Moi je ne fais pas ◀de▶ politique ! », mais elle exerce en profondeur une influence on ne peut plus démoralisante. L’État c’est « eux », c’est « ils », c’est « on ». C’est le destin qui a voulu ceci ou cela, ce n’est pas nous. Nous ne pouvons rien vouloir, nous subissons, ils savent — « ces salauds-là ». Bien sûr, « on n’arrête pas le progrès » mais chacun sait que « ça se paie » et tant pis pour le prix si c’est d’abord un prix humain, « il faut ce qu’il faut » ; pour le reste « c’est l’État qui paiera ». Et cent autres sophismes pitoyables exonérant tour à tour notre moi, notre profession, notre classe, au nom « ◀d’▶impératifs » si opportuns qu’on les croirait faits sur mesure…
Si l’État c’était nous, tout changerait aussitôt. Les impôts ne seraient plus qu’une partie ◀de▶ nos dépenses normales pour nos retraites, nos assurances, nos routes, notre éclairage, nos hôpitaux et les écoles ◀de▶ nos enfants, notre sécurité et la justice. Et non pas leur Prestige national, leurs centrales nucléaires, et leurs « contrats du siècle ». Si l’État c’était nous, ici, et vous dans le pays voisin on ne se ferait pas la guerre, on s’arrangerait.
Si l’État c’était nous, non pas eux, au lieu de revendiquer dans un vide anonyme nous aurions compris depuis longtemps qu’en fait c’est nous qui payons tout ! Et nous exigerions très normalement que nos services ◀d’▶État nous rendent leurs comptes — ce qu’ils refusent avec hargne et hauteur : l’État c’est eux, qui signent illisible leurs « mises en demeure » à tout hasard.
Et surtout, si l’État c’était nous, chacun ◀de▶ nous comprendrait enfin la fonction nécessaire qu’on nomme État à tous les degrés ◀de▶ la société, fonction qu’il serait aussi fou ◀de▶ nier ou ◀de▶ vilipender que ◀de▶ révérer, puisqu’elle doit être celle ◀d’▶un instrument au service ◀de▶ nos libertés quotidiennes et ◀de▶ la justice.
Que l’État soit vu comme l’ennemi, par la majorité des citoyens — dans les pays latins et slaves — mais qu’il provoque chez les « assujettis » une sorte ◀de▶ révérence craintive, cette apparente contradiction dont les deux termes se disputent le ridicule, provient ◀d’▶une seule et même erreur fondamentale quant à la fonction ◀de▶ l’État. Erreur qui ne date pas ◀d’▶hier, mais ◀de▶ la Renaissance.
On sait (mais qui le sait vraiment à part les lecteurs ◀de▶ Tocqueville ?) que la Révolution française a consisté non pas dans l’avènement ◀d’▶une société aux structures neuves (lesquelles n’eussent pas manqué ◀de▶ déconcerter la bourgeoisie, première intéressée), mais dans la promotion ◀de▶ la nation (par décret ◀de▶ ses représentants) à la souveraineté absolue. Cette souveraineté avait « toujours » été (nul n’en doutait) le fait du roi. Et comme le roi s’était assimilé l’État, à l’État-roi théorisé par Jean Bodin puis déclaré et pratiqué par Louis XIV, devait se substituer dans le même mouvement l’État-nation ; lequel serait, comme le pouvoir royal, sacralisé.
Ainsi, s’explique naturellement la rhétorique ◀de▶ la tradition jacobine — ou du moins, ce qui doit paraître rhétorique à celui qui ne sait pas qu’il s’agit ◀de▶ religion.
L’homme ◀d’▶aujourd’hui est convaincu que le pouvoir sacré des rois s’est vu « laïcisé », autant dire aboli, par le pouvoir des républiques successives. Mais passer du sacré catholique à « l’amour sacré ◀de▶ la patrie », c’est tout au plus changer ◀d’▶intercesseurs — en régression ◀de▶ l’humanité universelle vers la tribu. Ce « changement des icônes » est bien connu ◀de▶ la tradition russe orthodoxe. Le discours typiquement français sur la « majesté de l’État » vient « laïciser » ◀de▶ la sorte le décret par lequel François Ier, au début du xvie siècle, transférait à la royauté l’attribut impérial et romain ◀de▶ la maiestas. Or, cette majesté stato-royale rejaillit sur les hommes ◀de▶ l’État, qu’ils soient président ◀de▶ la République, ministres, grands commis ou simplement « Inspecteur central des impôts à l’Inspection fusionnée ◀d’▶assiette et ◀de▶ contrôle ».
Il est courant que les nécrologies exaltant les vertus ◀d’▶un notable le qualifient ◀de▶ « grand serviteur ◀de▶ l’État » : cela suppose un État-dieu, non pas service.
◀De▶ la royauté ◀de▶ l’État participent ceux qui le représentent aux différents niveaux ◀de▶ décision. Monsieur le président, Monsieur le préfet, Monsieur le maire sont évidemment des monarques (le ton l’indique) et non les délégués à des tâches ingrates dont il faut bien que quelques-uns se chargent, s’ils en ont le temps, le caractère, et les moyens intellectuels.
Dans une phrase ◀de▶ vrai politique, de Gaulle un jour laissa tomber : « L’intendance suivra ! » C’était enfin subordonner les services ◀de▶ l’État au bonheur du souverain. Les fonctionnaires n’ont pas aimé ce langage. Mais le peuple a-t-il pu s’y reconnaître ? Non, car il ne sait plus qu’il est, lui, le souverain. On lui a trop répété que l’État fait les lois, fait la guerre, lève les impôts et prépare notre avenir, qui sera nucléaire ou ne sera pas129. L’Intendance nous donne à choisir — en résumé — entre la guerre et la misère certaine. Nous suivons l’Intendance par une erreur qui tend à devenir universelle. Ainsi les conditions ◀de▶ fonctionnement ◀de▶ l’appareil administratif priment bientôt sur les besoins ◀de▶ la société, l’instrumental est pris pour normatif et les moyens ◀de▶ son pouvoir se substituent aux fins communes.
Il est temps ◀de▶ redire ce qu’est l’État, selon la grande tradition démocratique, qui est anglo-saxonne et calviniste française. Elle a formé le modèle européen des libertés civiques et politiques.
Du bon usage ◀de▶ l’État
Il y a un bon État, concevable et possible, et même réel : l’histoire en a connu plusieurs exemples, dans les pays où le régime fédéraliste n’est pas seulement inscrit dans la constitution, mais pratiqué.
Le bon État suppose deux conditions majeures : il doit être à la fois limité et réparti.
Il existe partout (mais là seulement) où le souverain lui a fixé des limites constamment surveillées, précisées, adaptées, et qui permettent son fonctionnement normal ◀d’▶instrument au service ◀de▶ la communauté.
Il existe partout encore (mais là seulement) où il se trouve réparti aux différents niveaux communautaires.
Le mauvais État est celui qui tente ◀de▶ se substituer (par machinerie interposée qui le prolonge comme l’outil prolonge le bras) aux pouvoirs ◀de▶ niveau local, régional, ou continental, dont il devait rester le serviteur. Le pire État est celui qui prétend concentrer dans ses mains tous les pouvoirs, sur un territoire conquis et qu’il décrète national : on a reconnu l’État-nation, cette partie qui usurpe les attributs ◀d’▶un tout.
Limitation : le bon État fait le ménage ◀de▶ la communauté. Il tient ses comptes, règle ses échéances, assure ses services publics et gère ses fonds ◀de▶ réserve. Loin ◀d’▶être le garant ◀de▶ ses finalités, il doit demeurer soumis au contrôle en tout temps ◀de▶ la fidélité ◀de▶ son service.
Répartition : il y a ◀de▶ l’État, c’est-à-dire : une fonction étatique nécessaire au niveau de la commune et ◀de▶ l’entreprise, ◀de▶ la région, et des fédérations ◀de▶ régions superposées, la nationale peut-être encore pour un temps, la continentale à coup sûr pour demain, et la mondiale dès aujourd’hui pour la sauvegarde des océans et la distribution des aliments, en attendant celle des matières premières.
Il y a donc ◀de▶ l’État partout où il faut gérer, compter, répartir des travaux, des ressources et des services. Il y a ◀de▶ l’État déjà dans la cellule ◀de▶ base, qui est pour Althusius, le ménage ◀d’▶un couple : celui des deux qui ordonnance les dépenses et tient les comptes en remplit la fonction.
Mais quand il s’agit ◀d’▶arbitrer, ◀de▶ concerter, ◀d’▶opter, ◀de▶ décider si tel ou tel moyen convient aux fins communes, ce n’est plus à l’État ◀de▶ juger mais au pouvoir politique, à savoir — selon les dimensions des tâches et des niveaux communautaires correspondants : à l’assemblée ◀de▶ la petite communauté locale, au conseil des élus ◀de▶ la région, au parlement ◀de▶ la fédération, ou à son exécutif quand il y est délégué expressément, toutes émanations du souverain réel, qui est le peuple des communes autogérées et fédérées, selon le modèle ◀de▶ la personne à la fois autonome et solidaire.
Le bon État n’est pas le gouvernement, qui est l’affaire du souverain — peuple ou roi. Gouverner signifie piloter : cela ne peut se faire et n’a ◀de▶ sens qu’en mouvement, tandis que l’État (status) est administration selon les statuts, dans le statique, dans l’invariable.
La sacralisation ◀de▶ l’État souverain, résultat ◀de▶ la double usurpation que j’ai dite — la bodinienne justifiant la jacobine — s’est trouvée convenir au mieux à la société industrielle qui prenait son essor dans le même temps. Ses structures centralisées étaient et demeurent monarchiques, et l’on sait d’autre part qu’elle n’aime guère que l’on confronte trop innocemment ses fins particulières ◀de▶ profit privé, puis ◀de▶ prestige national, avec les fins dernières du progrès humain — celles que pourrait avouer notre culture occidentale christianisée, et qu’il est grand temps qu’elle déclare.
Mais la crise ◀de▶ la société industrielle, que nous vivons en cette fin du xxe siècle, parce qu’elle est la crise ◀d’▶une formule ◀de▶ centralisation à l’échelle nationale, nous oblige à imaginer les buts ◀d’▶une société nouvelle ; il en faudra déduire la structure dynamique ◀d’▶institutions sans précédent.
Utopie ! radotent ceux qui n’ont pas encore vu à quoi mènent les États-nations. Nous n’avons plus qu’un choix : inventer ou périr. Mais innover, au sein d’un régime en faillite, ne saurait consister qu’en un recours aux valeurs créatrices ◀de▶ l’homme européen.
Situer au centre ◀de▶ l’homme le centre ◀de▶ la société
Althusius contre Jean Bodin, c’est la personne libre et responsable contre l’individu assujetti à l’arbitraire ◀d’▶un prince irresponsable, puisqu’il n’a ◀de▶ comptes à rendre à personne et ne doit répondre ◀de▶ rien. Althusius, c’est aussi la société fondée dans l’homme, contre l’État dressé hors de l’homme, face à lui.
Dès mes premiers écrits sur la chose politique, j’ai ressenti le besoin fondamental ◀de▶ situer au centre ◀de▶ l’homme le centre ◀de▶ la société. Car autrement, me disais-je, l’homme est un aliéné. S’il dépend ◀d’▶autre chose que ◀de▶ sa vocation — ◀d’▶une capitale, ◀d’▶un mythe, ◀d’▶une idéologie —, il ne s’appartient plus, on le calcule.
En 1934, j’écrivais dans Politique ◀de▶ la personne :
Une politique à hauteur ◀d’▶homme, c’est une politique dont le principe ◀de▶ cohérence s’appelle responsabilité ◀de▶ la personne humaine. C’est une politique dont chaque temps et chaque but se trouve subordonné à la défense et à l’affirmation ◀de▶ la personne, module universel des institutions. Cette politique s’oppose au gigantisme américain, soviétique et capitaliste : elle s’oppose à l’émiettement social ◀de▶ la démocratie individualiste ; elle s’oppose à l’exploitation ◀de▶ l’homme par ses créations, par l’État… Elle refuse la dictature parce que le centre vivant ◀d’▶un pays n’est pas dans un organisme ◀de▶ contrainte, mais doit être en chacun des citoyens conscients, fussent-ils, et c’est le cas, une minorité… Le but ◀de▶ la société, c’est la personne. On n’y atteindra jamais que par une politique établie dès le départ à ce niveau et dans cette vue.
En 1935, dans Penser avec les mains :
J’ai cherché la formule ◀de▶ nos désordres en décrivant notre élite libérale. J’ai fait un pas de plus dans le concret en situant dans l’homme qui pense en puissance ◀d’▶acte le lieu ◀de▶ la nouvelle mesure communautaire. Enfin, j’ai essayé ◀de▶ circonscrire le point central, le foyer rayonnant, le cœur ◀de▶ la réalité humaine où vient retentir l’appel des fins les plus lointaines. Et c’est l’acte à la fois immédiat et transcendant ◀de▶ la personne.
J’oserai dire maintenant que la conquête ◀de▶ la personne — qu’elle aboutisse ou qu’elle échoue — et l’effort qu’il nous faut entreprendre — qu’il aboutisse ou qu’il échoue — pour situer en ce centre ◀de▶ l’homme le centre ◀de▶ la société, préfigurent dès maintenant la conquête et l’effort ultimes auxquels pourra jamais prétendre une révolution humaine. Leur succès serait le terme absolu ◀de▶ la vocation occidentale.
En 1970 enfin :
La révolution que j’appelle, qui fera seule l’Europe, et qui ne peut être faite que par l’Europe en train de se faire, consiste, en remarquable analogie avec la Renaissance et ses étapes, à déplacer le centre du système politique non seulement ◀de▶ la nation vers l’Europe, mais encore vers l’humanité dans son ensemble et en même temps vers la personne130.
J’ajouterai aujourd’hui deux précisions :
1. C’est pour n’avoir pas été jusqu’au bout de son individuation que l’homme moderne a perdu le sens communautaire131. On ne le lui rendra pas par des expériences comme celles des kibboutzim (c’est Platon appliqué, un mini-totalitarisme en fin de compte) ni par des rassemblements éphémères et d’ailleurs massifiants comme Woodstock, ni par des disciplines extérieures qui, sous prétexte ◀d’▶efficacité, imposent des conformismes ◀de▶ droite ou ◀de▶ gauche et répriment toute velléité ◀de▶ comportement « anarchique ».
Car de même que nous n’accédons à l’universel qu’à travers le particulier, c’est par la personne seule que nous pouvons entrer en communauté.
Il n’est ◀de▶ communion qu’entre personnes. Tout le reste est isolement dans la promiscuité.
2. Ni la personne n’existe avant la communauté comme une entité qui chercherait son cadre, ni la communauté sans la personne, comme un drame en quête ◀de▶ ses protagonistes. Car la vraie société n’est rien ◀d’▶autre qu’une dimension ◀de▶ la personne. Sans la personne, point ◀de▶ communauté vraiment vivante, mais seulement ce qu’on appelle des masses, collectivités fabriquées. Et à l’inverse, sans vraie communauté, point ◀de▶ personnes responsables, mais seulement des individus amputés ◀de▶ leur dimension sociale, des angoissés-passifs, révoltés-impuissants.
L’appel communautaire
Participer à la communauté n’est pas la « nostalgie ◀de▶ quelques marginaux », mais un besoin fondamental ◀de▶ l’homme. La frustration systématique ◀de▶ ce besoin a commencé avec l’urbanisation sauvage ◀de▶ l’ère industrielle, le dépeuplement des paroisses, la destruction des voisinages au profit ◀de▶ la promiscuité physique et ◀de▶ l’isolement moral des banlieues noires. ◀D’▶où l’angoisse diffuse et qui s’accroît avec les dimensions ◀de▶ la cité, chez les individus ◀de▶ toute classe perdus dans les « foules solitaires », livrés au sentiment ◀de▶ leur impuissance devant leur destin collectif, dans la dissolution ◀de▶ tout ensemble humain où leur voix pourrait se faire entendre.
Recréer une communauté où l’homme puisse recouvrer la dimension civique sans laquelle il n’est pas une vraie personne, tel est le problème central ◀de▶ notre temps.
Dès le début des années 1930 ◀de▶ ce siècle, une jeunesse alertée, mais sans « moyens » posait les bases du mouvement personnaliste. Elle savait que les totalitaires allaient gagner, au moins pour une saison tragique, et elle tentait ◀de▶ formuler les motifs ◀de▶ son refus, face à ce triomphe sans avenir. J’écrivais pour ma part en 1935 :
L’Europe des religions totalitaires nous met au défi ◀de▶ résoudre sur tous les plans le grand dilemme que voici :
— ou bien nous perdrons notre temps et notre chance dans l’histoire à critiquer ce que d’autres ont dû faire ; et alors, d’ici vingt ou cent ans, nous serons réduits à l’état ◀de▶ colonies économiques et culturelles par l’expansion normale ◀de▶ nos voisins ;
— ou bien nous recréerons notre commune mesure originale, à la faveur ◀d’▶une révolution qui nous apporte au moins l’équivalent des dynamismes nationaux…
Ils ont fondé des religions dont le but est la force commune. Ils ont su se créer des symboles grandioses. Ces symboles nous paraissent « barbares », et cela est juste.
Nous pouvons éprouver la puissance ◀de▶ ces nouvelles religions, nous pouvons nous mêler à leurs cérémonies, vibrer à l’unisson ◀de▶ leur panique sacrée : c’est l’animal en nous qui frémira. Mais la protestation totale ◀de▶ notre esprit nous avertira ◀d’▶un danger : ici commence un monde étrange, ici règne une nation dont nous ne sommes pas, et qui nous est hostile, non point par volonté méchante, ni par avidité ou jalousie, mais par nature.
Dans le même temps, je voyais ◀de▶ très près le modèle même ◀de▶ tout régime totalitaire, je vivais dans son environnement à Francfort où j’avais accepté un poste ◀de▶ lecteur à l’Université.
Le 11 mars 1935, on annonce un discours ◀d’▶Hitler pour 20 heures, à la Festhalle. Quand j’y pénètre à 17 h 10. les 35 000 places assises sont occupées. J’attends debout, écrasé dans la foule, durant quatre heures.
Je suis venu avec l’idée ◀d’▶écouter aussi la foule. Je me trouve au milieu d’ouvriers, ◀de▶ jeunes miliciens du Service ◀de▶ Travail, ◀de▶ jeunes filles, ◀de▶ femmes pauvrement vêtues : ils ne disent presque rien. On se passe une lorgnette, une saucisse. On se demande l’heure. Parfois un bruit ◀de▶ houle parvient par les baies ouvertes, cent-mille hommes battent les murs ◀de▶ la halle.
Quelques femmes s’évanouissent, on les emporte, et cela fait un peu de place pour respirer. 19 heures. Personne ne s’impatiente, ni ne plaisante. 20 heures. Les dignitaires du Reich apparaissent, annoncés par les clameurs ◀de▶ l’extérieur. Goering, Blomberg, des généraux, salués par des heil ! joyeux. Le gouverneur ◀de▶ la province nasille des lieux communs, mal écouté. Je suis debout, malaxé et soutenu par la foule, depuis bientôt quatre fois soixante minutes. Est-ce que cela en vaut la peine ?
Mais voici une rumeur ◀de▶ marée, des trompettes au-dehors. Les lampes à arc s’éteignent dans la salle tandis que des flèches lumineuses s’allument sur la voûte, pointant vers une porte à la hauteur des premières galeries. Un coup ◀de▶ projecteur fait apparaître sur le seuil un petit homme en brun, tête nue, au sourire extatique. Quarante mille hommes, quarante mille bras se sont levés d’un seul coup. L’homme s’avance très lentement, saluant ◀d’▶un geste lent, dans un tonnerre assourdissant ◀de▶ heil ! rythmés. (Je n’entends bientôt plus que les cris rauques ◀de▶ mes voisins sur un fond ◀de▶ tempête et ◀de▶ battements sourds.) Pas à pas il s’avance, il accueille l’hommage, le long de la passerelle qui mène à la tribune. Pendant six minutes, c’est très long. Personne ne peut remarquer que j’ai les mains dans mes poches : ils se sont dressés, immobiles et hurlant en mesure, les yeux fixés sur ce point lumineux, sur ce visage au sourire extasié, et des larmes coulent sur les faces, dans l’ombre.
Et soudain tout s’apaise. (Mais la marée de nouveau s’enfle au-dehors.) Il a étendu le bras énergiquement — les yeux au ciel — et le Horst Wessel Lied monte sourdement du parterre. « Les camarades que le Front rouge et la Réaction tuèrent — marchent en esprit dans nos rangs. »
J’ai compris.
Cela ne peut se comprendre que par une sorte particulière ◀de▶ frisson et ◀de▶ battement ◀de▶ cœur — cependant que l’esprit demeure lucide. Ce que j’éprouve maintenant, c’est cela qu’on doit appeler l’horreur sacrée.
Je me croyais à un meeting ◀de▶ masses, à quelque manifestation politique. Mais c’est leur culte qu’ils célèbrent ! Et c’est une liturgie qui se déroule, la grande cérémonie sacrale ◀d’▶une religion dont je ne suis pas, et qui m’écrase et me repousse avec bien plus ◀de▶ puissance même physique, que tous ces corps horriblement tendus.
Je suis seul et ils sont tous ensemble.132
Aujourd’hui je m’interroge sur cette conclusion. Étais-je vraiment seul ? Et eux vraiment ensemble ?
Ils étaient en état ◀de▶ passion hypnotique, en état ◀de▶ fusion affective, wagnérienne. Ensemble ? Ou seulement hors ◀d’▶eux-mêmes, vidés ◀d’▶eux-mêmes, dans l’indistinction ◀de▶ la transe qui sépare du monde et ◀de▶ soi ? La passion n’est pas l’amour vrai, ne voit pas l’autre, ne veut pas l’accepter tel qu’il est. Pour être ensemble, il faut être distincts.
J’étais séparé ◀d’▶eux par un refus profond qui était en vérité communion spirituelle avec « les miens », ceux ◀de▶ ma foi, comme avec les victimes ◀de▶ demain…
C’est à mon expérience ◀de▶ Francfort que je ne cesse ◀de▶ ramener ma réflexion sur le concret ◀de▶ l’appel communautaire. Je la résume en trois évidences.
1. Les hommes ne peuvent vivre seuls qu’en régime ◀d’▶exception pour peu de temps, dans la marge ◀de▶ groupes dont ils dépendent encore pour subsister dans leur refus. Un monde ◀de▶ solitaires est concevable, mais ce serait nécessairement celui ◀de▶ la dernière génération ◀de▶ l’humanité. L’homme vit par groupes.
Tout est couplé dans l’Univers, tout est pôles contraires en tension, et pour cela, il faut être au moins deux. Si j’imagine une Terre où tous sont morts sauf moi, qui ai dès lors la faculté ◀de▶ ne plus voir passer les âges, comme immortel, c’est l’angoisse pure qui m’étreint : plus personne avec qui partager. Seul et dernier au monde, sans possibilité ◀d’▶aimer, je vis l’enfer. Mais si l’aimée subsiste devant moi, l’angoisse pure devient bonheur sans fin, dialogue.
L’enfer, c’est l’absence des autres.
2. La société occidentale ayant passé en quelques siècles ◀de▶ l’organisation tribale aux entassements mégalopolitains, par les étapes ◀de▶ la cité libre, ◀de▶ la tyrannie, des empires, des principautés féodales et des communes, puis ◀de▶ la nation étatisée, est entrée avec nous dans sa crise décisive. Voici un siècle encore, quatre cinquièmes ◀de▶ l’humanité vivaient dans des communautés villageoises millénaires, où l’existence entière était réglée par des coutumes impératives, magiques, sexuelles, économiques. Mais déjà, dans les mégalopoles dont on calcule qu’elles enfermeront vers la fin ◀de▶ ce siècle quatre cinquièmes ◀de▶ l’humanité, les relations se dégradent avec une dramatique rapidité.
Les modes, les magazines sur la sexualité, et la TV, offrent des palliatifs dérisoires à ce qui fut la base ◀de▶ toute culture, celle des mœurs, autrefois fonction ◀de▶ l’Église et des grands mythes transmis par nos littératures. Le phénomène décisif en ce domaine reste celui ◀de▶ la désécration ◀de▶ la vie sexuelle, de plus en plus « libérée », nous dit-on, des disciplines rigoureuses du clan et des rituels ◀d’▶intégration sociale, mais dès lors livrée sans défense à la tyrannie des névroses (par anomie, ou frustration ◀de▶ ses fins éthico-sociales autant que génériques).
L’affrontement entre les brutalités policières ◀de▶ moins en moins efficaces et une criminalité endémique de plus en plus insaisissable, éclate ici ou là, dix fois, cent fois par jour, dans les centres urbains autant que dans les banlieues, face à l’indifférence apparente des voisins ◀de▶ bloc ou même ◀de▶ palier. Cette apathie coupée ◀de▶ brefs accès ◀de▶ violence, ces alternances ◀d’▶éréthisme et ◀d’▶anorexie, cette sensation comparable au vertige ◀d’▶impuissance ◀de▶ chacun devant les catastrophes publiques, et pour tout dire, cet accroissement ◀de▶ l’entropie civique, nous obligent à diagnostiquer l’approche du seuil inférieur ◀de▶ toute vie urbaine : plus bas, il n’y a plus rien que dépressions individuelles et collectives, béton lépreux, poubelles accumulées, coups ◀de▶ couteau dans l’ascenseur tombé en panne entre deux étages.
Ce vide civique va déclencher le processus connu ◀de▶ réaction totalitaire à l’anarchie, c’est-à-dire ◀de▶ nouveaux raz ◀de▶ marée que l’on dira fascistes ou communistes, selon que le régime précédent se sera dit socialiste ou libéral.
Il s’agit ◀de▶ savoir comment, au-delà des entassements ◀de▶ solitaires urbains, nous pourrons reformer des espaces civiques, des groupes, et un climat qui permette l’exercice ◀de▶ nos responsabilités, donc ◀de▶ nos libertés personnelles. Un milieu favorable au développement normal ◀de▶ la dimension communautaire, celle qui lie la personne au prochain, et sans laquelle la dimension vocative, celle qui distingue ma personne ◀de▶ toutes les autres, resterait une vue ◀de▶ l’intellect, lequel serait alors une trahison ◀de▶ l’esprit par refus ◀de▶ son incarnation.