La▶ chronique européenne ◀de▶ Denis de Rougemont (hiver 1978)h
I. Du temps que ◀l’▶Europe « C’était fini ! »
◀L’▶Europe en formation ne semble pas du tout mal vue des Européens, en ce sens qu’ils ◀la▶ considèrent en principe avec sympathie. Mais il faut avouer qu’elle est peu vue. ◀L’▶élimination des derniers droits ◀de▶ douane entre ◀les▶ neuf pays du Marché commun s’est effectuée ◀le▶ 1er juillet 1977, dans ◀l’▶inattention générale. C’était pourtant le premier achèvement du grand dessein ◀de▶ Jean Monnet, inspirateur ◀de▶ ◀l’▶Europe économique, son premier objectif pleinement atteint.
Faut-il en conclure que « ◀L’▶Europe n’intéresse plus », comme ◀le▶ répètent depuis plusieurs années la plupart des journaux ◀de▶ nos pays, tout en lui consacrant de plus en plus ◀de▶ place dans leurs colonnes ? Ou plutôt que ◀l’▶Europe qui intéresse au sens fort ◀les▶ Européens ◀d’▶aujourd’hui n’est pas d’abord celle ◀de▶ ◀l’▶économie et du libre-échange commercial, mais bien celle des chances ◀de▶ ◀la▶ vie, c’est-à-dire des chances ◀de▶ ◀la▶ paix et du maintien des libertés, donc du progrès des responsabilités civiques ?
« ◀L’▶Europe c’est fini », dit ◀la▶ presse. Ou du moins ◀le▶ disait-elle jusqu’à ◀l’▶annonce ◀de▶ ◀l’▶élection du Parlement européen. Voici quelques échantillons ◀de▶ titres sur plusieurs colonnes parus dans ◀les▶ principaux journaux ◀de▶ France, ◀de▶ Suisse, ◀de▶ Belgique, ◀d’▶Italie, ◀d’▶Allemagne et ◀de▶ Grande-Bretagne, ◀de▶ 1974 à 1976 :
Sur ◀l’▶Europe en général : — « ◀L’▶Europe agonise » — « ◀L’▶Europe à ◀la▶ dérive » — « ◀L’▶Europe se meurt » — « ◀L’▶Europe c’est fini ».
Sur ◀les▶ activités des Neuf : « ◀L’▶Europe verte écartelée » — « Europa Agrarpolitik — wer kann das noch verstehen ? » — « ◀Les▶ Neuf divisés sur leur politique énergétique » — « Conseil européen : ◀l’▶enlisement » — « ◀Les▶ Neuf ont étalé divergences et absence ◀de▶ volonté politique » — « Fallito del vertico europeo » — « ◀L’▶anarchie ◀de▶ ◀la▶ CEE » — « Europa auf der Flucht » — « Europe passes a milestone in lagging drive for unity ».
◀La▶ lecture ◀de▶ ces titres pose une question : ◀de▶ quelle Europe parlent-ils ? Quelle est ◀l’▶Europe qui selon eux « agonise » ?
Si c’est « ◀L’▶Europe des Neuf », qu’on ◀l’▶appelle par son nom : ◀la▶ Communauté économique européenne, ou Marché commun. Et qu’on essaie alors ◀de▶ montrer sérieusement soit ◀les▶ raisons ◀de▶ son échec relatif, soit en quoi et pourquoi ◀l’▶institution aurait fait faillite et comment « Bruxelles, c’est fini ! » équivaudrait à ◀la▶ mort ◀de▶ ◀l’▶Europe tout entière, ce qui est très loin ◀d’▶être évident.
S’il s’agit ◀de▶ ◀l’▶Europe des États plus ou moins « unis » ou « confédérés », dont ◀les▶ ministres nous répètent depuis trente ans qu’elle est nécessaire et urgente, nous sommes en présence d’une fausse nouvelle : cette Europe-là ne peut pas « agoniser » puisqu’elle n’a jamais existé, et ◀l’▶on peut douter qu’elle voie ◀le▶ jour aussi longtemps que ◀les▶ États refuseront ◀de▶ rien céder ◀de▶ leur souveraineté nationale.
S’agirait-il enfin ◀de▶ ◀l’▶Europe réelle, celle des Européens vivants, ◀de▶ leurs cultures et ◀de▶ leurs espoirs ? Mais alors comment pourrait-on avec un tel sang-froid, sans ◀la▶ moindre émotion dans ◀la▶ voix et parfois même avec un je ne sais quoi ◀de▶ complaisant dans ◀la▶ résignation, voire ◀de▶ sournoisement jubilant, annoncer et accepter que tout cela soit perdu, — comme si tout cela n’était pas nous ?
Aux yeux des journalistes qui ont composé ces titres, on dirait que « ◀L’▶Europe agonisante », c’est quelque chose qui ne ◀les▶ concerne en rien, personnellement. Ils en parlent comme on parle ◀de▶ malheurs étrangers, ◀de▶ ◀la▶ mort qui n’arrive qu’aux autres. Mais sont-ils bien conscients du fait inéluctable qu’ils subiront ◀le▶ sort concret ◀de▶ ◀l’▶Europe, peu importe qu’ils soient pour ou contre, ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite, européistes ou nationalistes ? Leurs formules dramatiques reflètent bien moins ◀la▶ réalité vécue ◀de▶ notre continent qu’une confusion générale des esprits quant à ◀la▶ vraie nature ◀de▶ ◀l’▶Europe dont ils parlent.
Cette « Europe » ne serait-elle qu’un marché ? Qu’une communauté économique ? Qu’une alliance ◀d’▶États souverains ?
Ne doit-elle pas être au contraire, ◀l’▶ensemble des Européens, ◀de▶ leurs pays, ◀de▶ leurs problèmes, ◀de▶ leurs souvenirs et ◀de▶ leurs espoirs, tels que douze siècles ◀d’▶histoire commune et trois millénaires ◀de▶ cultures mêlées ◀les▶ ont formés, ◀de▶ ◀l’▶Ibérie aux Pays-Baltes, ◀de▶ ◀l’▶Écosse aux Balkans, et ◀de▶ ◀la▶ Grèce à ◀la▶ Scandinavie ?
Qu’il soit bien entendu que cette chronique parlera ◀de▶ ◀l’▶Europe vécue, celle des Européens, non des États, celle des citoyens, non des fonctionnaires, celle des problèmes vitaux ◀de▶ tous ◀les▶ habitants ◀de▶ notre « cap de l’Asie », non pas seulement ◀de▶ ceux des neuf pays dont ◀les▶ gouvernements se sont associés à Bruxelles en vue ◀d’▶harmoniser leurs politiques industrielles et commerciales.
II. « ◀La▶ grande question »
◀Les▶ choses ont-elles vraiment changé depuis ces années presque nulles ? ◀L’▶Europe a-t-elle cessé ◀d’▶être « ◀le▶ mot ◀le▶ plus ennuyeux ◀de▶ ◀la▶ langue française » comme ◀l’▶écrivait l’autre jour Jean Daniel ? Oui, tout change, a changé et va changer bien plus encore, avec ◀l’▶ouverture ◀de▶ ◀la▶ campagne pour ◀l’▶élection du Parlement des Neuf.
Oh ! pour parler ◀d’▶Europe, on parlera ◀de▶ ◀l’▶Europe. Et même on ◀la▶ mettra à toutes ◀les▶ sauces, annonce ">Le Figaro du 6 novembre. Mais au fond, ◀la▶ grande question que se posent ◀les▶ états-majors des partis est ◀la▶ suivante : ◀l’▶élection à ◀l’▶assemblée européenne verra-t-elle ou non ◀la▶ confirmation ◀de▶ ◀la▶ poussée socialiste, du recul du PC, ◀de▶ ◀la▶ percée ◀de▶ ◀l’▶UDF, du piétinement du RPR ? Cela, c’est du concret, du solide, du familier, et on s’y sent à ◀l’▶aise10.
Voyez plutôt. Il y a eu à Lille une « opération socialiste » consacrée à ◀l’▶Europe et dont il ne faut surtout pas croire, nous assure-t-on, qu’elle ait eu pour objet ◀de▶ « mettre sur orbite » ◀le▶ député-maire P. Mauroy, ou ◀de▶ contrer Michel Rocard. Pas du tout :
À chaque instant ◀de▶ ◀la▶ géographie, ◀de▶ ◀l’▶économie ◀de▶ ◀l’▶histoire, on a buté sur des réalités précises, vivantes, concrètes, ◀de▶ ◀l’▶Europe11.
Puis il y a eu à Paris un congrès du RPR (◀les▶ gaullistes orthodoxes) qui pour défendre « ◀la▶ vraie Europe » a sifflé et conspué ◀l’▶Europe fédérale, pourtant admise par O. Guichard, mais aussi ◀l’▶Europe des régions vilipendée par M. Debré, cependant que J. Chirac départageait…
Oui, « pour parler ◀d’▶Europe, on en a parlé ». Mais c’est à croire que s’il n’y avait pas ◀de▶ querelle entre Rocard et Mitterrand, entre ces deux-là et Marchais, entre Debré et Giscard, ou Lecanuet et Chirac, ◀l’▶Europe ne serait même pas mentionnée par ◀la▶ presse.
Un fait demeure : en France du moins — car on dirait que ◀l’▶Allemagne reste indifférente, et ◀l’▶on n’entend rien venir ◀d’▶outre-Manche — ◀l’▶Europe ne cesse ◀d’▶être « ennuyeuse » que si elle ranime ◀les▶ querelles ◀de▶ partis.
Voilà donc ◀la▶ passion, mais où est ◀l’▶Europe ? On ne voit plus que ◀les▶ partis. Qui va traiter des vrais problèmes ?
S’avance alors M. Michel Debré.
III. Sur un « livre infâme »
Depuis trente ans, M. Debré a beaucoup parlé ◀de▶ ◀l’▶Europe, il a même écrit un ouvrage proposant ◀de▶ ◀la▶ faire non step by step ou « pas à pas » comme ◀le▶ voulait Churchill, mais « avec des bottes ◀de▶ sept lieues ! »12 Il s’agissait alors, pour lui gaulliste, ◀d’▶une Europe des États, c’est vrai, mais cependant dotée ◀d’▶une « Assemblée des nations européennes, composée ◀de▶ députés élus à raison ◀d’▶un député par un million ◀d’▶habitants » (p. 35).
On propose aujourd’hui cette élection. Est-il comblé ? Il en tremble ◀de▶ rage au contraire, disons ◀de▶ sainte indignation. Je reviendrai sans doute — ailleurs — sur ◀l’▶évolution remarquable qui a conduit ◀l’▶auteur ◀de▶ cette phrase excessive : « Quittons maintenant notre province, je veux dire notre nation »13 jusqu’à ◀l’▶espèce ◀de▶ délire obsidional que traduisent ses dernières déclarations publiques contre toute forme ◀d’▶union ◀de▶ ◀l’▶Europe qui ne soit pas ◀l’▶Europe française.
Pour Michel Debré, ◀les▶ choses sont simples, insupportablement simples, comme elles ◀le▶ sont toujours aux yeux de ◀l’▶homme en colère.
◀Le▶ régionalisme, qui est très solidement installé en Italie comme en RFA, qui est inscrit dans ◀la▶ nouvelle Constitution ◀de▶ ◀l’▶Espagne et plus encore dans ◀le▶ projet ◀de▶ Constitution ◀de▶ ◀la▶ Belgique, et qui, sous ◀le▶ nom ◀de▶ dévolution, pose un problème majeur à ◀la▶ Grande-Bretagne, ◀le▶ régionalisme donc, ne cesse ◀d’▶être utopique, aux yeux de Michel Debré, que lorsqu’il révèle ou plutôt trahit sa vraie nature ◀de▶ « complot contre ◀la▶ France ».
M. Debré est fermement persuadé que ◀les▶ fédéralistes européens ne pensent qu’à ça : dépecer ◀la▶ France. « ◀Les▶ soi-disant régionalistes, déclame-t-il, ne sont en fait que des séparatistes ! »14 (Mot qu’il exècre au point ◀d’▶aller se faire élire en ◀l’▶île de la Réunion !)
Et il ajoute : « Un des grands auteurs supranationaux est Denis de Rougemont. Il est Suisse, donc Européen à bon compte. »
(Je me permets ◀de▶ signaler ces derniers mots à ◀l’▶attention ◀de▶ M. Pierre Aubert, chef du Département politique fédéral, à Berne. ◀L’▶incident diplomatique me paraît difficilement évitable, dans ◀la▶ mesure où seraient pris au sérieux ◀les▶ propos ◀de▶ ◀l’▶ancien Premier ministre.)
M. Debré poursuit : « Son dernier livre est dédicacé (sic) à tous ◀les▶ peuples qu’écrase ◀le▶ colonialisme français : basques, provençaux, bretons, lorrains, alsaciens, corses ».
(Je n’ai jamais rien écrit ◀de▶ pareil, ni dans mon dernier livre, ici visé, ni ailleurs. Notre coléreux étourdi s’est visiblement trompé ◀de▶ titre.)
Conclusion : « ◀Le▶ livre infâme de Rougemont » éclaire bien ◀la▶ politique des fédéralistes, laquelle ne vise qu’à « démembrer ◀la▶ France » pour « faire ◀l’▶Europe à ◀la▶ germanique ou à ◀l’▶anglo-saxonne, en défaisant ◀la▶ France… En effet, si ◀la▶ France n’existait plus, comme tout serait simple ! »
On notera que M. Debré n’a pas cité ◀le▶ titre du livre qu’il se borne à désigner comme mon « dernier livre ». Pour qui s’en étonnerait, voici ◀l’▶explication. ◀Les▶ Jeunes du RPR, donc ◀de▶ son parti, avaient adopté mon titre15 comme slogan pendant la dernière campagne électorale en France : des dizaines ◀de▶ milliers ◀d’▶affiches bleu foncé assuraient que « ◀L’▶Avenir, c’est notre affaire ! » Michel Debré ne pouvait tout de même pas leur révéler que ce titre était celui ◀d’▶un livre « infâme ».
IV. Vertus et vices selon ◀la▶ religion nationaliste
◀L’▶adjectif m’a d’abord fait penser au mot ◀de▶ Talleyrand : « tout ce qui est exagéré est insignifiant ». Mais il est clair qu’il y avait chez Debré tout autre chose que ◀l’▶intention ◀d’▶insulter un auteur mal pensant : c’est un blasphémateur qu’il dénonçait, et il s’y voyait contraint par sa religion.
Toute riposte est futile en pareil cas. Il devient en revanche hautement intéressant ◀de▶ rechercher par quelle logique interne un homme s’estime justifié ◀d’▶en venir à ◀de▶ telles extrémités (fussent-elles seulement verbales pour ◀le▶ moment, mais il n’y a pas ◀d’▶illusions à se faire sur leur traduction en décrets, ◀le▶ cas échéant : taxer un livre ◀d’▶infamie est un procédé typiquement terroriste, au sens précis ◀de▶ ◀la▶ Terreur exercée par ◀l’▶État jacobin, ses dignitaires et sa police).
Devant tout adversaire politique, idéologique, militaire, dont ◀le▶ langage ou ◀la▶ stratégie nous déconcertent par quelque excès, abus, ou délire apparent, cherchons ◀le▶ système ◀de▶ valeurs et ◀de▶ tabous, cherchons donc ◀la▶ religion qui peut ◀les▶ expliquer. Telle est ◀l’▶approche que nous avons préconisée dès nos débuts au Centre européen ◀de▶ ◀la▶ culture16.
Et nous ne sommes heureusement plus ◀les▶ seuls. Ainsi Jean-Marie Benoist nous apprend « que depuis des années ◀l’▶état-major égyptien s’employait à mieux connaître ◀les▶ racines ◀de▶ ◀la▶ civilisation hébraïque, et que des universitaires israéliens, conseillers du Prince, travaillaient à une connaissance exhaustive des traditions ◀de▶ ◀l’▶islam »17.
(Cette connaissance mutuelle n’aboutit pas au triomphe ◀de▶ l’un des partis, mais à ◀l’▶entente, peut-être, pour laquelle prient ◀les▶ croyants des trois religions abrahamiques.)
Quelle est ◀la▶ religion ◀de▶ Michel Debré ? C’est celle ◀de▶ ◀la▶ France déifiée, ◀de▶ ◀la▶ Puissance divine, donc sans limites, et ◀de▶ ◀la▶ mission universelle ◀de▶ ◀la▶ nation une et indivisible. Dans sa dernière Lettre mensuelle, il concède que ◀l’▶avenir du Monde en ◀l’▶an 2000, et même ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀l’▶Europe puissent intéresser VGE. Mais c’est pour souligner aussitôt que seul ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀la▶ France ◀de▶ ◀l’▶an 2000 importe véritablement : car celui du Monde en dépend18.
◀De▶ cette religion simple, ◀les▶ vertus sont naïves : elles se réduisent en somme à ◀l’▶unité et à ◀l’▶indivisibilité ◀de▶ ◀la▶ République française, idéalement fermée et sans dépendance ◀de▶ quiconque. Si elle s’ouvre, c’est pour rayonner, manifester et imposer sa place naturelle dans ◀le▶ Monde, qui est la première, de Gaulle ◀l’▶a dit.
En revanche, ◀les▶ péchés sont légion, comme prévu. Si le premier se nomme supranationalité (voir plus haut), ◀le▶ nom du deuxième ne peut même pas être prononcé : c’est ◀l’▶ignoble perversion ◀de▶ « ◀l’▶infranational », du régional, donc en fait du séparatisme. C’est ◀le▶ péché contre ◀l’▶esprit des jacobins.
Et ◀le▶ reste est fédéralisme, solidarité hypocrite permettant en réalité aux Autres ◀d’▶intervenir dans ◀les▶ affaires intérieures ◀de▶ ◀la▶ Nation, limitation des droits sacrés à ◀l’▶insolence et au mensonge en service commandé par ◀la▶ Raison ◀d’▶État et ◀la▶ Défense. Il n’y a plus ◀de▶ limite au vice, à ◀l’▶anarchie, à ◀l’▶infamie : « Dans ◀le▶ faux, tout est possible », dit ◀la▶ Logique ◀de▶ Vienne…
Ces vices et ces vertus, à ◀l’▶échelle ◀de▶ ◀l’▶Europe, ne permettent plus, pour ◀l’▶honnête homme, que ◀la▶ vision ◀d’▶un continent entièrement dominé par ◀la▶ nation gaulliste. Ils condamnent toute fédération comme attentat délibéré à ◀l’▶intégrité ◀de▶ ◀la▶ France. Ils n’admettent guère qu’une confédération avec veto et possibilité ◀de▶ retrait à tout moment ◀de▶ chacun des membres, c’est-à-dire sans foi jurée, donc sans fœdus, autant dire, sans fédéralisme.
V. « Défaire ◀la▶ France » ?
En ce point, ◀l’▶on se demande pourquoi ◀la▶ France seule deviendrait ◀la▶ victime ◀d’▶une Europe fédérée, si ◀l’▶on en croit Michel Debré.
◀La▶ réponse est gênante. Pour lui. ◀La▶ France des jacobins et ◀de▶ Napoléon est en effet ◀le▶ seul pays ◀d’▶Europe qui ait imposé tout à la fois et par ◀la▶ force, dès 1792, une unité ◀de▶ langue, ◀de▶ droit, ◀d’▶enseignement, ◀de▶ fiscalité, ◀d’▶aménagement du territoire et même ◀de▶ mémoire historique (via ◀l’▶École) à toutes ses nationalités, au mépris déclaré ◀de▶ leurs identités.
◀Les▶ héritiers ◀de▶ cette France jacobine ne conçoivent pas que ◀l’▶Europe fédérée (ils ne savent pas ce que signifie ce terme) puisse faire à ◀la▶ nation française, dans son ensemble synthétique actuel, autre chose que ce qu’elle fit elle-même à ses provinces, dès 1789.
◀La▶ culpabilité niée et refoulée des jacobins, des centralisateurs, des nationalistes à ◀l’▶endroit des nations opprimées dans leur culture comme dans leurs droits et libertés traditionnelles : Bretagne, Pays basque, Roussillon catalan, Aquitaine, Albigeois, Toulousain, Provence, Corse, Alsace, Lorraine et Flandres — se retourne naturellement en haine contre ◀l’▶Europe fédérée, dont on feint ◀de▶ redouter qu’elle prétende « uniformiser » ◀les▶ diversités nationales (entendez : stato-nationales), celles-là mêmes qui ont uniformisé dans leur sein ◀les▶ diversités régio-nationales…
◀La▶ France ayant « défait » (en tant qu’États indépendants) ◀la▶ Bretagne, ◀l’▶Occitanie, ◀la▶ Provence, etc., Debré et ses amis s’imaginent, c’est normal, que ◀l’▶Europe va faire de même ◀de▶ leur nation.
C’est avouer qu’on n’a rien compris à ◀la▶ nature même du fédéralisme.
C’est oublier, de plus, deux faits qui changent tout :
1. ◀Le▶ traité ◀d’▶Union ◀de▶ 1532 entre ◀le▶ Duché ◀de▶ Bretagne et ◀la▶ Couronne ◀de▶ France n’a nullement « défait » ◀la▶ Bretagne, — du moins tant que ◀la▶ France a respecté ses engagements sacrés. Or c’est à ce traité ◀d’▶union que correspondrait aujourd’hui un Pacte fédéral européen.
2. Lors de ◀la▶ Nuit du 4 août 1789, ◀les▶ députés ayant confondu « privilèges » et « libertés » ont renoncé, sans nulle compétence pour ce faire, à tous ◀les▶ droits et à ◀l’▶autonomie ◀de▶ leur province qu’ils avaient pour mandat ◀d’▶affermir. Pareille trahison (portée aux nues par ◀les▶ manuels ◀d’▶histoire français du xixe siècle) n’a pas ◀la▶ moindre chance ◀de▶ se reproduire à ◀l’▶échelle européenne : ◀l’▶idée même en paraît plus grotesque encore qu’impossible.
(à suivre)